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inégalités sociales, inégalités scolaires

Compte rendu de la conférence de François Dubet donnée le 22 mars 2015 au lycée Duplessis Mornay de Saumur

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François Dubet est professeur de sociologie à l’université de Bordeaux et directeur d’études à l’EHESS. Le 22 mars 2016, il a donné une conférence au lycée Duplessis Mornay de Saumur sur le thème des inégalités sociales et des inégalités scolaires.

François Dubet part du constat qu’inégalités sociales (1) et inégalités scolaires (2) sont corrélées : plus il y a d’inégalités sociales et plus il y a d’inégalités scolaires. Cette corrélation se vérifie cependant plus ou moins selon les Etats. Il cite par exemple le Canada, le Japon ou la Corée du Sud, où l’école réduit l’influence des inégalités sociales sur les inégalités scolaires. En France au contraire, les inégalités sociales sont moins accentuées que dans ces pays mais les inégalités scolaires sont plus fortes. La France accentue donc l’effet des inégalités sociales sur les inégalités scolaires. Un chiffre en témoigne : 22.5% des résultats scolaires des enfants dépendent des origines sociales des parents. Les écarts entres les meilleurs élèves et les plus faibles sont très élevés.

Fraçois Dubet insiste sur le fait que ce n’est pas une question de moyens car la France investit dans son éducation (3). Alors où est le problème ?

Selon François Dubet, les inégalités profondes dont souffre l’école aujourd’hui sont le produit de petites inégalités parmi lesquelles :
 

  • L’organisation des parcours scolaires à la française avec une élimination progressive des élèves les plus fragiles créant des inégalités de plus en plus grandes au fur et à mesure que l’on avance dans la scolarité.Cette conception est liée à la tradition élitiste de l’école française produit de la Révolution et de l’Empire qui cherchaient à créer une élite pour remplacer la noblesse (création des lycées par Napoléon en 1807). L’élite se sélectionne par les évaluations, très nombreuses en France, dont les résultats suivent toujours une courbe gaussienne. Si bien que la société française considère la réussite scolaire comme vertueuse alors que la réussite entrepreneuriale est plus mal considérée.

  • Les inégalités de l’offre scolaire : l’offre scolaire est meilleure quand les élèves sont eux-mêmes meilleurs. Par exemple, un collège d’éducation prioritaire coûte moins cher notamment parce que les enseignants y sont plutôt débutants et sont payés moins cher. Au contraire, un collège de centre ville coûte plus cher car les enseignants y sont plus vieux et mieux payés. Autre exemple, les dépenses pour le secondaire sont plus élevées que pour le primaire. Or, 20 à 25% des élèves quittent le primaire avec des difficultés… Investir davantage dans le primaire apparait donc comme une évidence : formation des professeurs des écoles, baisse du nombre d’élèves par classe.

  • La place du diplôme. Avec la massification, le diplôme est devenu le facteur premier d’accès à l’emploi. Les familles savent que le destin social de leur enfant est lié à leur destin scolaire. Elles recherchent donc le meilleur pour leurs enfants  en déployant des stratégies pour avoir un meilleur collège/lycée générant ainsi encore plus d’inégalités scolaires. On sait par exemple que dans les villes 1/3 des élèves ne sont pas dans leur secteur.




François Dubet évoque ensuite la manière dont le modèle de justice scolaire à la française produit des inégalités.

La justice scolaire s’est avant tout construite autour de l’égalité d’accès à l’école. C’est l’un des objectifs des lois Ferry de 1881-1882 instituant l’enseignement primaire gratuit, laïc et obligatoire. Il s’agissait alors de former  des citoyens émancipés, libérés, éclairés sur les bienfaits de la République. Mais déjà l’école était très inégalitaire, peu d’élèves arrivaient au bac, ceux qui y parvenaient étaient issus presque exclusivement de la bourgeoisie.
Dans les années 1950/1960, l’allongement de la scolarité fait du collège une étape incontournable, c’est le début de la massification mais sans davantage de démocratisation car seuls les plus aisés accèdent ensuite aux classes terminales (4).
Aujourd’hui où 80% d’une classe d’âge accède au bac, l’égalité des chances fondée sur le mérite se substitue à l’égalité d’accès à l’école et devient même une obsession. On attend de l’école qu’elle annule les effets des inégalités sociales. Promesse, utopie ? Utopie sans doute ! Selon François Dubet, une société juste n’est pas seulement celle qui permet aux meilleurs de réussir quelque soit leur origine sociale mais c'est surtout celle qui traite correctement les vaincus de la compétition.
 

Un autre principe de justice scolaire doit donc s’ajouter à celui de l’égalité des chances : l’égalité des résultats. Il s’agit de faire en sorte qu’aucun élève ne quitte le système scolaire sans avoir acquis le minimum. François Dubet défend à ce titre le socle commun de connaissances, de compétences et de culture (5). Il ne faut pas donner moins aux élèves en difficultés (ce qui est pourtant la tendance actuelle) mais donner la même chose à tous et même davantage aux élèves les plus à l’aise. François Dubet rappelle les arguments qui lui sont régulièrement opposés en particulier sur une susceptible baisse du niveau qu’induirait le socle. Mais il explique que les pays qui s’en sortent le mieux sont les pays qui assurent d’abord l’égalité des résultats avant l’égalité des chances.  
Il fait le lien avec les débats que suscite la Réforme du collège et la peur qu’elle engendre dans certaines catégories de la société, voir chez certains personnels d’éducation, de ne plus pouvoir regrouper les élèves dans une même classe avec la disparition des classes bilangues ou la transformation de l’enseignement du latin. Il déplore ce débat sur l’école qui est pour lui un débat de vainqueurs et qui révèle une fois de plus la dimension sacrée de l’école en France.
 

Enfin, la justice scolaire dépend aussi de l’utilité des diplômes. Il pose la question « Qu’est ce que j’achète aujourd’hui avec mon diplôme ? ». Or, quand on commence à produire des diplômes avec lesquels on ne peut rien acheter, c’est un problème.  Il faut des diplômes en adéquation au marché : l’école juste doit distribuer des diplômes ayant une valeur sur le marché du travail.
 

François Dubet achève son exposé en insistant sur le fait que la justice scolaire n’est pas tout  et il lance quelques pistes de réflexions  (6):

Il faudrait retrouver une pensée culturelle sur l’école, en faire une communauté civique, éducative, une sphère d’apprentissage du vivre ensemble où les adultes offrent aux élèves la possibilité d’être solidaires et de se mobiliser. Aujourd’hui, notre attachement à la justice scolaire, à la compétition a créé une école qui n’est pas très accueillante.

Il faudrait investir dans la formation des enseignants pour en faire des professionnels de l’éducation avant d’en faire des professionnels d’une discipline. Les pays qui réussissent sont les pays qui forment leurs enseignants comme ils forment des ingénieurs.

 

(1) et (2) Les inégalités sociales se définissent par rapport aux CSP des parents, les inégalités scolaires par rapport aux résultats des élèves.

(3) : multipliée par 1,9 depuis 1980, la dépense intérieure d’éducation atteint 146 milliards d’euros en 2014, soit 6,8 % du PIB et 8 360 euros par élève ou par étudiant. (Source : ministère de l’Education Nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche).

(4) Pour retracer l’histoire des politiques éducatives, on se référera à Antoine Prost, Du changement dans l’école, éditions du Seuil, 2013.

(5) Rappelons que dès 1999, dans la synthèse d’une consultation nationale sur l’état des collèges commandée par la ministre déléguée aux enseignements scolaires Ségolène Royale, François Dubet insistait, pour sauver le collège, sur la nécessité de définir une culture commune et d’en garantir l’acquisition à tous les élèves. Il faut attendre le grand débat national sur l’école de 2003 et le rapport de la commission Thélot, à laquelle participe François Dubet, pour que le socle s’impose non sans débat ni difficultés de mise en place.

(6) Pour plus de détails, on se référera à l’ouvrage co-écrit par François Dubet et Marie Durut-Bellat, 10 propositions pour changer l’école, éditions du Seuil, 2015.

Le CNESCO vient également de rendre public un dossier de synthèse sur les mixités  à l’école assortis de préconisations. Ressources consultables en ligne www.cnesco.fr/fr/tag/mixite-sociale/

 

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