Contenu

histoire-géographie-citoyenneté

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > disciplines du second degré > histoire-géographie > approfondir

approfondir

la châsse de Saint Calminius (XIIIe)

st_calmin_pt.jpg

Une étude scientifique de cet objet est en cours par la conservation du musée Dobrée. Certaines données émises ci-dessous peuvent donc être modifiées. Elles seront présentées lors de l’ouverture du site enseignant « Grand Patrimoine de Loire-Atlantique ».


Contexte Historique

La Châsse de Saint Calminius* (voir notice catalogue ci-joint) est un reliquaire du XIIIe siècle, chef-d'œuvre de l'orfèvrerie médiévale. Elle provient de l'ancienne abbaye de Tulle et est associée au culte des reliques de Saint Calminius appelé aussi Saint Calmery ou Saint Calminius. Nous savons peu de choses sur ce saint : il s'agirait d'un duc d'Aquitaine du VIIe siècle fondateur de plusieurs abbayes : Mozac (près de Riom), Saint Chaffre près du Puy et Tulle. Il aurait vécu à l'époque mérovingienne, période troublée où le roi Dagobert 1er assure sa suprématie au sud de la Loire. Les restes de Saint Calminius furent d'abord conservés dans un coffre en bois placé derrière l'autel de l'abbaye de Mozac. En 1127, l'abbaye de Mozac est saccagée par les soldats de Louis le Gros et la châsse violée. Une partie des ossements est transférée à Tulle. Un siècle plus tard, on partagea ces ossements en deux pour les déposer dans les deux abbayes fondées par Saint Calminius (Mozac et Tulle). La Châsse du musée Dobrée est celle qui provient du reliquaire de Tulle tandis que l'autre partie des ossements du saint fut placée dans une deuxième châsse qui se trouve aujourd'hui conservée à Mozac et contenant également les ossements de Sainte Namidia, son épouse co-fondatrice de l'abbaye. Du IXe au XIe siècle, la fondation ou la restauration des édifices monastiques ne pouvaient se faire sans la possession des reliques. Ces dernières offraient le prestige nécessaire au pouvoir, mais aussi permettaient un flux important de donations, source d'enrichissement. Le pouvoir en place a donc mené une politique d'acquisition, d'investigation parfois de vol de reliques pour asseoir sa puissance. À partir du XIIe siècle, des voix se sont cependant élevées pour dénoncer ce « fanatisme » et cette dévotion, parfois cette déviance populaire exacerbée à des fins de pouvoir. Guibert de Nogent dénonce ces abus dans son traité De pigneribus sanctorum (sur les reliques des saints) en constatant que l'on vénère à son époque pas moins de trois têtes de Saint Jean Baptiste. Au XIIIe siècle, l'Église est le fondement de l'organisation sociale, politique et économique ; elle guide les consciences, rythme la vie quotidienne, incite à la recherche du salut en donnant des exemples auxquelles les reliques peuvent participer : les saints deviennent des modèles, le culte de la Vierge est réaffirmé comme le montre cette châsse du XIIIe siècle.

Description et analyse de l'objet

Cette châsse présente d'abord un intérêt par sa forme ; c'est une nef avec un transept central, qui rappelle bien sur le plan des églises médiévales. Thomas Dobrée s'en est inspiré pour les plans du palais qui porte son nom. Le destin de cette pièce est d'ailleurs particulier : conservée dans l'église de Laguenne du XIVe au XIXe siècle, elle fut vendue par le curé de cette église à un quincaillier qui le revendit à un orfèvre parisien dans la première moitie du XIXe siècle. À la suite d'un procès, le conseil de la préfecture de Corrèze confirma la vente à l'orfèvre. Le prince Soltykoff lui acheta la châsse vers 1843. Depuis 1861, la collection Soltykoff fait partie des collections du musée Dobrée.

Les décors et les techniques utilisées nous montrent que la châsse de Saint Calminius est recouverte de cuivre doré et émaillé. Les figurines qui la décorent sont réalisées selon la technique du repoussé. On distingue au centre de la face principale un Christ en majesté, nimbé, bénissant de sa main droite et tenant un livre dans sa main gauche. De part et d'autre, se trouvent deux saints : à droite, Saint Martin, l'évêque de Tours est reconnaissable d'une part à l'inscription S. MARTINVS et d'autre part à la crosse qu'il tient dans sa main gauche. À gauche du Christ, Saint Calminius ou S. CALMINIVS debout tenant lui aussi un livre. Les figurines sont abritées sous des arcades et le fond est orné de rinceaux. Sur le toit, on distingue deux anges de part et d'autres de l'arc gothique orné de cabochons et de verroteries colorés. Sur l'autre face, la décoration sur le rampant du toit est équilibrée grâce à deux médaillons de part et d'autre d'un triangle : ces deux médaillons sont consacrés au culte de la Vierge avec sans doute l'Annonciation et la Visitation. Les trois médaillons en dessous font référence à la Nativité et à l'Adoration des mages. Sur le dernier médaillon, on peut reconnaître un âne et un bœuf, signe du culte important de la Nativité. Tous ces médaillons sont inclus dans des quadrilobes et six demi-médaillons comprenant des anges complètent cette décoration.

Par ses matériaux nobles et sa technique recherchée, cette châsse compte parmi les nombreux trésors tant appréciés des historiens d'art. C'est un instrument de thésaurisation à la fois matérielle et spirituelle qui permet au pouvoir en place d'affirmer sa puissance. Les émaux sont en taille d'épargne et la crête du faîtage *(voir notice catalogue ci-joint) est surmontée de petites boules de cristal. Cette châsse mesure 69 cm de long, 20 cm de large et 60 cm de hauteur.

la châsse de Saint Calmin
© Musée Dobrée

Interprétation : le culte des reliques, instrument de domination de l'Église ou objet de manifestation populaire ?

Longtemps délaissé par les historiens qui accordaient peu de crédit à l'étude de ces objets qu'ils considéraient comme des objets de dévotion populaire, l'étude des reliquaires est redevenue digne d'intérêt dans la mesure où elle permet de mieux comprendre les traits fondamentaux de la société médiévale. En effet, c'est sur les reliques que l'on prête des serments solennels, c'est vers les saints que l'on se tourne en cas d'épidémie ou de guerre, c'est avec eux qu'on implore le pardon ou la reconnaissance d'un prince qu'il soit laïc ou ecclésiastique.

Ce culte des reliques et des saints renvoie aussi aux fondements même de la religion chrétienne qui nous ramène à une certaine conception du corps. Ne dit-on pas « le corps » du Christ pour évoquer l'Eucharistie ? Les chrétiens sont liés à cette place du corps, la « résurrection » de la chair » se place au sein même de leur croyance. Ainsi une partie du corps conservé d'un saint, peut entraîner la propagation du pouvoir surnaturel de ce dernier, une sorte de prolongation de sa vie exemplaire.

Le culte des saints est très ancien, il remonte au début du christianisme, dès que le culte chrétien devient possible et reconnu au IVe siècle. Pour André Vauchez, il devient même un « bouclier spirituel » dont l'efficacité ne pouvait être mise en doute. Au XIIe siècle, ces objets sacrés deviennent progressivement des « parcelles de l'au-delà offertes à la vénération des vivants » (Jean-Claude Schmitt, les saints et les stars, 1983 - cité par André Vachez dans Reliques et sainteté dans l'espace médiéval - 2005). Ils sont ainsi vénérés mais aussi détournés pour asseoir les pouvoirs tant de l'Église que de celui des gouvernants. Le culte des saints a donné lieu à de multiples interprétations, à la fois instrumentalisé par l'Église ou le pouvoir temporel mais aussi inscrit dans un vaste mouvement de cultures populaires, voire des manifestations folkloriques. Reste alors à savoir si comme nous l'indique Jean-Marie Privat, il s'agit d'un « christianisme folklorisé » ou d'un « folklore christianisé ». Les hommes d'Église désapprouvaient en général ce culte hérité de pratiques païennes mais s'y montraient favorables car ils permettaient de toucher ainsi des populations culturellement imprégnées de ce type de manifestations. Cet objet nous amène donc à envisager la place des saints dans un monde médiéval en pleine transformation au XIIIe siècle. C'est par eux que s'affirment de nouvelles pratiques cultuelles. Dans cet objet, la présence d'un âne et d'un boeuf nous indique comment l'on célèbre les grandes fêtes chrétiennes et en particulier la nativité. C'est bien dans la grotte de Greccio que le saint préféré du Moyen-âge, François d'Assise fait revivre la naissance du christ ; l'âne et du bœuf qui disparaîtront pourtant après le concile de Trente et jusqu'au XVIIIe siècle, sont bien présents sur ce reliquaire. Saint Martin, évêque de Tours du IVe siècle, est aussi très révélateur de cette société qui a besoin de repères ou de guide. Le culte de la Vierge est également largement abordé dans ce reliquaire.

Le culte des reliques s'intègre donc bien dans la mentalité médiévale. Il suffira d'y voir les références littéraires citées par Jean-Marie Privat pour s'en convaincre : la bouffonne farce du pardonneur, du triacleur et de la tavernière, où il est question d'un vendeur de reliques, celles de Saint Couillebault et de Sainte Velue, qui invitent à faire des dons, le roman de Renart où le mâlin Roënel est pris au piège en voulant s'agenouiller devant un reliquaire d'une soit disante efficacité exceptionnelle ou encore le jeu de la feuillée d'Adam de la Halle (XIIIe) où un moine colporte les reliques de Saint Acaire qui soi disant « guéri de la folie ».

Véronique Guérin, enseignante chargée de mission au musée Dobrée


lien de téléchargement d'un fichier bibliographie et références
 

haut de page

histoire-géographie-citoyenneté - Rectorat de l'Académie de Nantes