Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

apprendre avec ses pairs ?

mis à jour le 16/04/2014


echanger dossier 10

Dans cette école, les personnels améliorent leurs pratiques professionnelles grâce à la constitution d'un "Groupe d'entraînement à l'analyse de situations éducatives" (Gease). Le groupe, constitué de l'ensemble des intervenants auprès des élèves, permet à chacun de se former par les apports divers de ses pairs. Regard sur le fonctionnement d'un Gease.

mots clés : échanger, analyse de pratique, école primaire, Gease


ans le flux de la vie professionnelle, on est amené à devoir prendre, dans l'instant, de nombreuses décisions, souvent effectuées de manière plus ou moins consciente, et dont les résultats ne sont pas toujours ceux espérés. Pour les rendre plus efficaces, et donc améliorer sa pratique professionnelle, il semble nécessaire de pouvoir prendre un peu de recul pour mieux comprendre, de prendre une distance réflexive pour analyser ces situations difficiles. Mais où trouver le temps ? Où trouver de l'aide ? Pendant la période de formation initiale, un jeune professeur peut s'appuyer sur le regard expérimenté de son tuteur, d'un conseiller pédagogique, de professionnels divers, mais lorsque l'on est dans un établissement scolaire, à qui s'adresser ? Et pourquoi pas à ses collègues de travail ? Le Gease est, en effet, une technique qui s'appuie sur l'analyse collective pour aider à comprendre des situations complexes et problématiques tout en permettant à chacun de se former à cette analyse. C'est la technique utilisée à l'école du Val de Bootz.

Au début était un stage...

L'introduction de cette technique à l'école remonte à 2007. Quelques enseignants participent alors à une formation de formateurs départementale encadrée par Tizou Perez, formatrice IUFM qui présente différentes techniques d'analyse de pratiques. Puis, avec les stagiaires, elle expérimente le Gease. C'est d'abord elle qui prend en charge le groupe ; ensuite les autres séances sont encadrées par des maîtres formateurs. De retour dans l'école, les stagiaires convainquent leurs collègues de l'intérêt de cette pratique qui est aussitôt mise en œuvre. Les deux premières années, les séances sont animées par un intervenant extérieur au groupe, un maître formateur de l'IUFM, enseignant spécialisé. Par la suite, c'est la directrice qui prend le relais. Les séances se poursuivent à raison d'une tous les trimestres, et rassemblent l'ensemble de l'équipe.

Un travail d'équipe

L'efficacité d'un Gease réside dans la multiplicité des points de vue exprimés par les membres du groupe. Face à une situation vécue, à une difficulté rencontrée sur le terrain, chacun a un regard personnel et une analyse qui privilégie un mode d'explication, formule une critique spontanée qui réduit ou occulte la complexité de la réalité. Mais dans un groupe, tout le monde ne privilégie pas le même regard. Le groupe propose une multiplicité de lectures d'une situation. Le Gease propose au moins quatre niveaux d'analyse : le niveau pédagogique, le niveau relation duelle, le niveau de la relation de groupe, et enfin le niveau institutionnel. Ces différents aspects ont d'autant plus de chances d'être abordés que le groupe est formé de personnes d'origines variées. C'est le cas dans cette école où l'on a réussi à faire participer tous les intervenants de la vie scolaire : directrice, maîtres formateurs, Atsem (Agent territorial spécialisé des écoles maternelles), animateurs périscolaires, bibliothécaire, remplaçants éventuels, enseignante auprès d'élèves allophones... c'est-à-dire des membres qui ont des parcours différents, qui encadrent les enfants à des moments différents, et dans des lieux différents, qui peuvent aussi intervenir dans d'autres locaux scolaires ou municipaux. Les confrontations d'expériences auprès des mêmes enfants ou d'enfants d'autres écoles sont d'autant plus riches. Dans une école primaire, il est rare de pouvoir réunir ainsi l'ensemble du personnel. Il a fallu intervenir auprès de la mairie qui a bien voulu modifier la gestion du personnel municipal pour que les deux animatrices puissent être présentes à ces matinées qu'elles ne souhaitent plus manquer.

Un protocole

Un Gease se déroule selon des règles précises, contraignantes, certes, mais elles sont une garantie du bon déroulement des séances. Les participants s'accordent sur le respect d'un contrat de communication qui assure confidentialité, liberté d'expression, neutralité et absence de jugement, compréhension et bienveillance, caractère professionnel des situations analysées et respect des règles et du cadre imposés (voir annexe). Le schéma du déroulement de la séance est composé d'un nombre précis d'étapes dont le temps de chacune est précisé (voir annexe). Pour en bien comprendre le fonctionnement, partageons avec toute l'équipe (neuf personnes) la séance du 27 mars 2013, et suivons le déroulement des différentes étapes que l'animatrice rappelle à tous.

Le choix de la situation

La séance, une fois les participants installés autour de la table, commence par un temps de silence et d'écriture individuelle. Ils sont invités à noter en quelques lignes une situation professionnelle vécue qui leur a posé problème. Puis chacun l'expose brièvement, sans commentaires, à tour de rôle. Mais personne n'est obligé, on peut très bien ne rien dire. Les situations évoquées sont les suivantes : un enfant est persuadé qu'on veut l'exclure, un autre a des problèmes d'intégration, un phénomène de bouc émissaire, des relations difficiles avec des parents... L'animatrice respecte les propos et les silences et n'intervient que pour préciser les règles. Elle est obligée de rappeler, par exemple, que l'on doit proposer une situation vécue, singulière, car on ne réfléchit pas sur un thème ou un problème général. Lorsqu'on a fini le tour de table, on procède à un vote pour choisir la situation qu'on souhaite analyser. Ce sera celle de N. qui accepte d'en faire un récit détaillé.

La narration

Pendant cette étape, le narrateur est le seul à avoir la parole. Le groupe écoute et peut prendre des notes. N., qui est animatrice périscolaire, raconte les difficultés rencontrées avec une famille. N. a l'impression de ne pas être entendue. Elle rappelle aux parents, le soir, qu'ils doivent inscrire leur enfant à la cantine. Comme cela se fait par internet, elle leur explique la procédure. Les parents écoutent, approuvent, mais rien ne se passe. Quand elle leur demande de mettre un pull à l'enfant, ils semblent manifester leur accord, mais ils ne donnent aucune suite. Comment se faire comprendre ? Il n'y a aucun échange, elle a l'impression de faire de la simple garderie. Elle se sent impuissante, elle est insatisfaite dans son travail.

Le questionnement

Les participants interrogent alors le narrateur pour lui faire préciser la situation vécue. Le groupe va constituer un matériau commun et s'approprier la situation. Le narrateur exposant va pouvoir, lui, faire des associations, des remémorations importantes. Les questions portent donc sur les adultes responsables de l'enfant. Qui vient le chercher à l'école ? Un parent ? Les deux ? Une tierce personne ? L'oncle ? Une aide sociale, une éducatrice ? Se présentent-ils à N. ? On interroge ses relations à l'enfant. Sont-elles les mêmes qu'avec la maîtresse ? Agit-il spontanément envers elle ou sur l'injonction des parents ? Comment les parents réagissent-ils vis-à-vis de N. ? Ceux-ci s'adressent plutôt à la maîtresse et semblent ignorer N.. Comment réagissent-ils vis-à-vis de l'enfant, en sa présence ? On apprend que si N. évoque un moment difficile de la journée, les parents réprimandent violemment l'enfant et joignent parfois le geste à la parole. Ses conseils provoquent des réactions ironiques. L'enfant maîtrise-t-il le langage ? Comment les parents lui parlent-ils ? Plutôt par mots, parfois assez grossièrement... Peu à peu la situation s'étoffe, s'enrichit et se complexifie.
 

L'analyse

Maintenant, seuls les autres ont droit à la parole. Le narrateur écoute simplement, il peut prendre des notes, mais ne doit plus intervenir. Pour ne pas succomber à cette tentation, N. tourne le dos au groupe ! Celui-ci formule alors des hypothèses interprétatives pour aider à comprendre cette situation. Ce moment vise un double objectif : on aide l'acteur, ici N., à voir plus clair dans la situation évoquée et on s'entraîne à l'analyse d'une situation éducative. Ce sont bien des hypothèses que l'on formule, et non des conseils que l'on prodigue, encore moins des jugements. Les propositions d'analyse se situent d'abord au niveau relationnel. La relation entre N. et les parents est tendue. N. est conduite à effectuer des interventions limitées par crainte des réactions violentes envers l'enfant, réactions qui ne vont pas ensuite faciliter ses relations avec lui. Les parents semblent avoir peur devant les professionnels de l'école, peut-être aussi craignent-ils que l'information soit transmise aux services sociaux. Cette situation fait écho à une situation vécue par la maîtresse remplaçante dans une autre école où une mère portait toujours sur elle le document de la PMI (Protection maternelle et infantile) l'autorisant à garder son enfant ! Mais l'institution est aussi prise en compte. La communication entre l'école et les parents serait peut-être à simplifier, elle pourrait être plus directe pour être comprise. Un contact avec les services sociaux qui suivent la famille semble nécessaire. On peut aussi prendre des informations auprès de la crèche où se trouvait l'enfant l'année précédente. L'enseignante, remplaçante, évoque la situation en classe où l'élève se trouve assis à côté de la maîtresse ou entre deux grands, ce qui ne facilite pas son intégration dans le groupe. La situation est donc analysée à différents niveaux, et sa complexité, au-delà de la difficulté de N., est posée. Le regard de chacun est enrichi.

Retour au narrateur

La dernière étape laisse la parole à N. qui a écouté silencieusement les différentes hypothèses formulées par le groupe. C'est elle qui a le dernier mot et décide de garder ce qui peut l'aider. Elle retient la mise en place de démarches collectives qui peuvent la soutenir et faciliter les relations. Elle pense qu'elle n'évoquera pas, dans un premier temps, avec les parents, les problèmes que pourrait poser l'enfant pour ne pas provoquer de réactions violentes. Mais comme ils semblent avoir peur de l'institution, elle tentera d'entrer d'abord en conversation avec eux sur des sujets plus anodins pour gagner leur confiance. La séance est ainsi close. On pourrait, pour atteindre le second objectif, l'entraînement à l'analyse, demander à chaque participant ce qu'il garde de cette séance pour mieux comprendre les situations éducatives quotidiennes.

Une pratique régulière

Les séances d'analyse de pratiques ont lieu un mercredi matin chaque trimestre et occupent la moitié de la matinée. Lors de la séance du premier trimestre, la situation, choisie à l'unanimité, concernait trois membres de l'équipe, et tous les temps de la journée, de l'arrivée de l'enfant à l'accueil, jusqu'à la garderie le soir. Le comportement difficile d'un enfant, évoqué par l'institutrice de maternelle, était vécu de la même façon par les autres intervenants. Il casse, détruit les jeux des autres, frappe. On lui explique, il ne comprend pas, on le met à l'écart, on perd patience et on en arrive à des gestes brusques... On cherche à comprendre son environnement, son parcours... À partir des éclairages de chacun, des pistes ont été proposées pour aider l'enfant : lui accorder un espace de jeu où il peut construire et détruire, pointer ses réussites, utiliser du matériel supplémentaire ou différent, travailler sur les différences au sein du groupe... Les décisions qui s'en sont suivies ont permis de porter un regard différent sur l'enfant, d'organiser ses espaces de jeu, d'aménager l'accueil. Son intégration dans la classe s'est améliorée. La difficulté évoquée a trouvé un début de solution et chacun des membres investis auprès de l'enfant a été rassuré. De plus, l'analyse de la situation, la mise en évidence d'un certain nombre de paramètres permet de mieux appréhender d'autres situations difficiles.

On continue ?

Faut-il poursuivre ces séances d'analyses de pratiques ? Échanger a rencontré deux membres de l'équipe, un maître formateur et une éducatrice périscolaire. Ils reconnaissent que ces séances assurent une plus grande cohérence dans leur travail auprès des élèves, une continuité dans les interventions depuis l'accueil, dès sept heures pour certains, jusqu'à la fin de la garderie vers 18 h 30. Les règles sont les mêmes sur la cour, en classe ou à la cantine. Les élèves ont pris conscience de cette cohésion. Cette séance d'analyse de pratiques est le seul moment où tous les personnels de l'école sont réunis pour parler de situations professionnelles vécues, c'est le seul lieu où on peut évoquer les problèmes rencontrés, échanger avec les autres, analyser collectivement et rechercher des solutions. Cette situation profite à chacun. "On grandit professionnellement", mais on évolue aussi personnellement, on s'assagit. Lorsqu'on est impulsif, on apprend à se poser, à prendre de la distance. Ces matinées de réflexion collective facilitent ensuite les échanges entre les différents personnels, on s'enquiert du progrès ou non des élèves évoqués ou de l'évolution de problèmes soulevés. Les difficultés rencontrées sur la cour, à l'accueil, la garderie, dans la classe ne sont plus vécues comme des échecs personnels quand on découvre que les mêmes difficultés sont aussi évoquées par d'autres. Au lieu de vivre mal, de culpabiliser, on pose le problème devant tout le monde et les regards croisés permettent de l'analyser et de faire évoluer ses représentations et ses comportements. On se rassure en voyant que les réponses peuvent être collectives et coordonnées. On arrive à formaliser des actions complexes plus ou moins conscientes, éparpillées dans le temps. Mais est-ce facile pour une animatrice périscolaire de prendre la parole, d'exposer une situation délicate, dans un groupe composé en majorité d'enseignants ? Le problème aurait pu se poser, mais la formation de trois jours, suivie par toute l'équipe lors de la mise en place du projet "médiateur" il y a six ans, a permis à chacun de se connaître en participant aux mêmes exercices et abattu ainsi des barrières qui auraient pu exister. Les réunions régulières ont ensuite conforté ces attitudes. Ces séances de "Gease" sont perçues par ces animatrices comme des moments importants de formation, d'aide ou de soutien. Les compétences acquises sont réinvesties dans leurs autres secteurs d'activités comme les centres aérés, même si les interventions n'ont pas le même impact lorsqu'elles ne sont pas partagées collectivement. La participation à ces réunions est donc importante pour elles. Aussi la restructuration en cours de l'école soulève-t-elle quelques craintes quant à leur maintien. Car les deux animatrices souhaitent continuer à partager cette expérience.


Peut-on améliorer ?

Après avoir bénéficié de l'intervention d'un formateur extérieur pour animer les séances pendant deux ans, c'est la directrice, qui, du fait de l'absence d'un formateur extérieur, assume cette fonction. Mais il n'est pas facile d'intervenir en tant qu'animateur et participant à la fois. Aussi souhaite-t-elle voir ce rôle tenu par un intervenant extérieur, pourquoi pas un conseiller pédagogique, par exemple ? Le regroupement des personnels qui travaillent ensemble rend parfois les interventions plus délicates. Il peut être difficile, devant ses collègues, d'exposer des situations où l'on est en difficulté, situations pourtant inhérentes à nos activités. Cela peut brider la parole des uns et des autres, du narrateur comme du groupe qui formule des hypothèses. L'analyse de la situation éducative risque de glisser d'une réflexion sur l'intervention propre de l'adulte à une étude de cas plutôt centrée sur l'enfant. Mais la richesse des échanges, la réflexion collective demeurent irremplaçables et très formatrices. Une forme d'autoformation et de coformation continues.
 
auteur(s) :

M. Le Bihan

contributeur(s) :

V. Gérolami, École du Val de Bootz, Laval 53]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 218 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 10 analyser ses pratiques pédagogiques 14/05/2012
L'objectif de l'analyse de ses pratiques professionnelles est de s'interroger sur une situation identifiée (souvent difficile, mais pas obligatoirement) pour mieux maîtriser sa vie profess ...
échanger, analyse, autoévaluation, échanges, critique

haut de page

Pour faire un lien, saisissez l'adresse complète du site web (http://www.siteweb.fr) ou du mail.


écoutez le mot à saisir

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes