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des arts engageants

mis à jour le 06/06/2011


echanger dossier 5

Au collège de Bercé, trois professeurs ont structuré leur enseignement de l'histoire des arts autour de l'Iran. C'est l'occasion de comprendre, à travers les œuvres artistiques qui en témoignent, l'histoire récente d'un pays qui fait l'actualité, et de construire la notion d'engagement.

mots clés : arts engagés, iran, interdisciplinarité, autonomie


À Château du Loir comme ailleurs, au début de l'année scolaire 2009, des réunions collectives sont organisées pour décider des modalités à mettre en place pour l'enseignement de l'histoire des arts. La réflexion se poursuit lors de conseils pédagogiques ; cette concertation est nécessaire en amont, mais les enseignants réalisent rapidement la difficulté d'un travail disciplinaire pour préparer l'enseignement de l'histoire des arts qui implique au contraire, et fondamentalement, une pédagogie de projet interdisciplinaire. Par ailleurs, il est difficile de fédérer l'ensemble des enseignants dans cette étape de balbutiements. C'est plutôt la mobilisation de quelques membres d'une même équipe pédagogique qui va donner l'élan. Il faut agir vite, notamment pour le niveau troisième, puisque l'option est inscrite à l'épreuve du brevet des collèges. En décembre-janvier, trois professeurs d'une classe de troisième décident de collaborer. Cyrille Blanchard en histoire-géographie, Chrystelle Capdecomme en français, et Fabienne Stadnicka en arts plastiques ont en commun l'expérience du travail interdisciplinaire, et aussi, de projets culturels autour de spectacles, d'expositions... Et ils sont convaincus de l'intérêt de l'enseignement de l'histoire des arts pour favoriser les échanges et la circulation de la culture. Ils souhaitent lier leur projet à une question d'actualité et décident de prendre comme point d'ancrage des œuvres et sujets étudiés en classe.

De l'idée à la problématique

Des convergences apparaissent dans leurs enseignements du premier trimestre : en arts plastiques, les élèves ont réfléchi à la notion d'œuvre engagée 1 ; en français également, puisqu'ils ont étudié la bande dessinée et le film Persepolis 2 pour aborder la question de l'autobiographie. Mais cela constitue juste un point de départ. C'est au hasard d'une conversation personnelle, au sujet d'un film tout juste sorti au cinéma, Les Chats persans de Bahman Ghobadi 3, que vient le déclic. Créer le projet autour de l'Iran, un pays au contexte historique et géopolitique complexe, et pourquoi pas ? L'idée apparaît d'autant plus intéressante que la connaissance de l'Iran s'inscrit dans le programme d'histoire-géographie, dans le chapitre "De la guerre froide au monde d'aujourd'hui". Les enseignements disciplinaires croisent ici les enjeux de l'histoire des arts, et peuvent se nourrir et se faire mutuellement écho. Le puzzle se met en place : au sein de la thématique "Art, état, pouvoir", intégrant les arts visuels et les arts de l'espace, il s'organise autour d'une problématique définie par ses trois concepteurs : "Comment l'idée de résistance peut-elle s'exprimer à travers une œuvre d'art ?". Les enseignants veulent faire apparaître des interactions entre les programmes disciplinaires et l'histoire des arts, établir un lien entre ces différents enseignements (voir annexe). Mais ils souhaitent aussi amener les élèves à fonder des analyses approfondies en partant de connaissances déjà acquises.

Un corpus sur deux axes : d'Iran et d'ailleurs

Ils choisissent donc un corpus mixte d'œuvres connues et de sources nouvelles. Persepolis, la bande dessinée, et le film, Guernica de Picasso, et des œuvres du peintre Vladimir Velickovic 4, étudiées en arts plastiques, constituent la partie connue du corpus. Les sources nouvelles sont la bande dessinée Persepolis 2.0, créée par des admirateurs de Marjane Satrapi, réfugiés en Chine. Ceux-ci ont repris les personnages de la bande dessinée initiale et les ont placés dans le contexte de l'Iran actuel, aboutissant à une vision plus pessimiste que celle du modèle. L'œuvre a été mise en ligne en juin 2009, au moment de la réélection d'Ahmanidejad. Puis, ce sont deux chansons d'artistes iraniens, extraites du film Les chats persans, qui sont proposées sous la forme de clips vidéo sous-titrés en anglais : Ekhletaf du chanteur de rap Hichkas et Human Jungle du groupe de rock Take it easy hospital. Le corpus offre ainsi deux perspectives. Certaines des œuvres qui ont un point commun, le thème de l'Iran, vont permettre de travailler à comprendre l'histoire et la situation géopolitique de ce pays, à confronter le passé et le présent. Les autres œuvres, issues d'un autre contexte, et que les élèves peuvent mettre en perspective, vont les conduire à établir des comparaisons avec des œuvres engagées d'autres lieux ou/et époques. Un événement est associé au projet, la projection sur grand écran, pour les élèves, du film lié au corpus, Les Chats Persans, par Ciné-off, cinéma itinérant basé à Tours, alors même que le film n'est pas sorti en DVD. Aller à la rencontre de la culture, c'est aussi un objectif assigné à l'enseignement de l'histoire des arts et il ne fait nul doute que cette projection, le 18 mai 2009, a été un temps fort qui a inscrit les activités dans l'actualité culturelle et politique.

Un travail nouveau et difficile

L'objectif est que les élèves rassemblent et mettent en lien par eux-mêmes des connaissances acquises dans différentes disciplines. Pour cela, on leur demande d'étudier, d'analyser un aspect - qu'ils doivent eux-mêmes définir - d'une des œuvres proposées et, pour compléter ce travail, d'apporter une ou plusieurs autres œuvres d'art à travers lesquelles s'exprime l'engagement de l'artiste. Le questionnement induit par la problématique suscite la mise en réflexion grâce à la confrontation des sources : recherche des thèmes qui émergent, des moyens de persuasion mis en œuvre... Se lancer hors du cadre d'un cours dans ce type d'analyse n'est pas forcément aisé pour un élève de troisième; c'est la raison pour laquelle les enseignants invitent les élèves à travailler par groupes de quatre. Les séances de travail se mettent en place grâce à un heureux hasard d'emploi du temps qui fait s'enchaîner une heure de français puis une heure d'histoire-géographie le mercredi matin, pour les élèves. Quatre séances de travail, bimensuelles, et encadrées par les professeurs, chacun respectivement au moment de leur heure habituelle de cours, ont lieu en mars et avril pour lancer le projet, mener les recherches, recadrer et mesurer l'avancée du travail. Les séances se déroulent au CDI (Centre de documentation et d'information), lieu adapté au travail de recherches. Elles durent deux heures, "ce qui est nécessaire pour mûrir la réflexion", souligne Cyrille Blanchard.

Une nécessaire autonomie

Ces quelques heures sont en revanche insuffisantes pour mener le travail à terme : entre les séances, on attend des élèves qu'ils complètent, approfondissent ensemble le travail amorcé en classe. Ce fonctionnement implique une autonomie rendue possible grâce à la maîtrise préalable d'une partie des œuvres. Mais c'est aussi une nouvelle façon de travailler où la réflexion doit éclairer les liens entre les œuvres étudiées en classe entière, dans des cours variés, et à différents moments de l'année scolaire. Dans cette perspective, le professeur change de rôle: il est là essentiellement pour guider, aider aux recherches, et le contact est moins frontal qu'en classe. Il permet une relation personnalisée où chacun a à apporter légitimement ses connaissances, peut faire des propositions. Les élèves ne sont d'ailleurs pas en manque d'idées pour trouver des chansons engagées : certains proposent la reprise We are the world for Haïti 5, d'autres la chanson Amerika 6 du groupe allemand Rammstein. La diversité des supports, leur originalité et l'ouverture à des genres musicaux souvent écartés des cours, amène une surprise et un dynamisme certains, motivants. Mais c'est aussi le contexte qui change : le lieu qui n'est pas la classe et le positionnement du professeur, en retrait par rapport à d'habitude. Qui plus est, chacun est invité à proposer des œuvres en réponse à la problématique. C'est une situation pédagogique différente.

Le tempo d'une première séance qui séduit les élèves

Un souci fondamental du trio d'enseignants est de partir des œuvres afin que la réflexion ne soit en rien artificielle, mais que l'œuvre soit d'abord envisagée pour elle-même. La première séance au CDI commence donc par la présentation du corpus : les clips vidéo des chansons engagées, la bande dessinée Persepolis et sa version 2009. La variété des sources, pour certaines inédites, séduit d'emblée les élèves qui dégagent sans grande difficulté la problématique du travail à venir : les artistes du corpus sont engagés et utilisent l'art pour s'exprimer. Alors, quels moyens utilisent-ils, comment l'idée de résistance peut-elle s'exprimer à partir d'une œuvre d'art ? Le professeur explique que le travail d'analyse va porter sur l'Iran, puisque c'est le point commun d'une partie des sources, mais il faudra apporter d'autres œuvres engagées, les explorer également et les mettre en perspective avec les sources du corpus. Les élèves sont ainsi amenés à réfléchir à ce qui sépare ou différencie les pays, les habitants, les régimes politiques... La voie est ouverte. Le professeur présente également aux élèves la production attendue : un fascicule qui prendra la forme d'un livret d'exposition de musée, avec une unité esthétique. Il comprendra la présentation des œuvres et leur analyse rédigée, aussi précise que possible. Cette production de groupe servira de support à l'oral qui sera, lui, individuel. Pour amorcer le travail d'analyse des sources, le professeur profite de ce moment, hors du contexte précis du cours d'histoire-géographie, pour faire un point sur la situation géopolitique de l'Iran et mettre en contexte les relations Iran / Irak. Le sujet s'inscrit dans le programme d'histoire, mais trouve ici un écho particulier, car il éclaire la portée des œuvres, leur donne une dimension nécessaire pour les analyser et les comprendre. Les élèves mesurent les éclairages réciproques entre les œuvres et le contexte historique de leur création. Dans cette modalité différente de travail, on a gagné en efficacité puisque les élèves sont très mobilisés.

Un foisonnement de recherches

Le projet est donc lancé. Arrive le moment de former les groupes, selon les affinités, en tenant compte du fait qu'il faudra poursuivre ce travail collectif entre les séances. Dès lors, le travail en autonomie peut commencer. Les élèves doivent choisir une planche de Persepolis, de Persepolis 2.0 ou une des chansons, puis trouver dans l'œuvre un angle d'analyse qui éclaire un aspect de la problématique. Les élèves réfléchissent, s'interrogent; le professeur est là pour les guider ou donner des conseils et des pistes possibles. On se demande par exemple comment l'idée de résistance peut s'exprimer à travers un personnage. Un groupe d'élèves propose de travailler sur celui de la grand-mère, présent dans Persepolis et Persepolis 2.0. C'est une image de la sérénité qui se dégage de cette femme dans la version initiale, la retrouve-t-on dans la seconde bande dessinée ? Et si non, pourquoi ? Cette analyse est à formuler par écrit. Un autre groupe travaille sur la vision de la ville de Téhéran qui se dégage du corpus, un autre encore sur l'omniprésence de la religion, ou encore sur la dimension sociale associée aux genres musicaux choisis par les groupes. Pourquoi Hichkas a-t-il choisi le rap et Take it easy hospital le rock ? Dans leurs recherches, les élèves trouvent des informations sur les groupes. Take it easy hospital est un groupe qui s'est émancipé depuis le tournage du film: pourquoi, comment ? Quel lien cela peut-il avoir avec la problématique ? Les collégiens peuvent ici réfléchir à ce qui les différencie, mais aussi à ce qui les rapproche des jeunes Iraniens. Les élèves sont prêts à s'investir, se répartissent le travail ; certains, même, s'organisent une séance de Persepolis un mercredi après-midi. Une bonne surprise aussi: les sources sous-titrées en anglais (Persepolis 2.0 et les clips vidéo) ne perturbent pas les élèves qui font appel au professeur si la traduction est difficile.

L'oral : ménager la surprise

Les enseignants décident de ne pas donner d'emblée aux élèves le barème d'évaluation pour l'oral afin de ne pas les installer dans des contraintes, de les laisser au contraire développer leur réflexion et créer leur livret avec une plus grande liberté. Ainsi, la nouveauté de cet enseignement est positive. Début mai seulement, les candidats prendront connaissance du barème : dix points accordés pour la prestation orale elle-même, et dix points pour la qualité des informations. Entre-temps, sur les vingt-six élèves de la classe, vingt-trois se sont inscrits pour passer l'oral, preuve que l'intérêt et la motivation sont au rendez-vous. Il faut dire aussi que les élèves ont été rassurés car, entre-temps, ils ont préparé et présenté leur oral de stage en entreprise, ce qui rend la perspective d'un second oral moins intimidante. Et puis, courant mai, les trois enseignants consacreront deux heures de leurs cours à une session d'oraux blancs. Les élèves sont prévenus : le jury attend une part de surprise, car si le livret est commun au groupe, la présentation reste individuelle, ce qui laisse la place à une appropriation personnelle... Mais pour le moment, on réfléchit, on lit en anglais, on cherche des sources, on rencontre des œuvres d'art, et du côté des professeurs, on attend avec intérêt de prendre connaissance des aboutissements de ce projet inédit.

1. Programme d'arts plastiques de la classe de troisième (2008) : il s'agit d'aborder l'œuvre dans ses dimensions culturelles, sociales et politiques (symbolisation, engagement de l'artiste, œuvre de commande, œuvre publique, mécénat) et sa réception par le spectateur.
2. Bande dessinée de Marjane Satrapi et film de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud (adaptation de la bande dessinée).
3. Réalisateur kurde iranien. Le film Les chats persans a été tourné clandestinement. C'est un film de fiction qui ressemble furieusement à un documentaire [...] des acteurs professionnels rejouent des épisodes de leur vie [...] l'argument tient en quelques mots : des musiciens organisent un concert envers et contre tout ! (Extrait d'un article de Thomas Sotinel, http://www.lemonde.fr/cinema).
4. Peintre né à Belgrade (Yougoslavie) en 1935. (http://www.vladimirvelickovic.com)
5. Chanson caritative destinée à lever des fonds pour les victimes du séisme en Haïti.
6. Le texte de cette chanson peut être interprété comme une prise de position contre l'hégémonie américaine.
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

contributeur(s) :

C. Blanchard, Collège de Bercé, Château du Loir [72]

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