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"ceci n'est pas un espace"

mis à jour le 17/06/2010


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Quel rapport entre une carte de géographie et une toile de maître ? Elles expriment en deux dimensions un espace donné. Les buts comme les moyens sont différents, sans doute. Mais peut-on opposer de manière manichéenne objectivité de l'une et subjectivité de l'autre ? réalité et imaginaire ? vérité et fiction ? Pas si sûr... N'est-il pas toujours question d'image subjective et de point de vue ? Une chose est sûre, pour en juger, encore faut-il apprendre à regarder.

mots clés : espace, représentation, schématisation


Une journée de formation a regroupé des enseignants de cycle 3 autour de la question de l'espace et de ses représentations. Animé par Vincent Paré, formateur à l'IUFM (institut universitaire de formation des maîtres) de La Roche-sur-Yon, ce stage s'est construit sur une mise en situation des stagiaires. Tous se sont retrouvés à Sainte-Florence, petite commune vendéenne célèbre surtout pour l'un de ses anciens habitants, Gaston Chaissac 1, qui y vécut treize ans avec son épouse institutrice. L'endroit n'est pas choisi au hasard. Voici un espace à la croisée des chemins de la géographie et de l'art, tout comme le stage, qui va permettre une interrogation croisée à partir de ces deux formes de représentations spatiales pour mieux comprendre, au-delà de leurs différences, leur commune relativité.

De Magritte...

Il s'agit, sur le plan conceptuel, de s'interroger sur l'espace tel qu'on le "représente". Les guillemets s'imposent ici et il nous faudra revenir sur la pertinence de ce terme. Les arts plastiques, comme la géographie, offrent un regard sur la réalité qu'ils transforment pour en offrir une image symbolique. "Ceci n'est pas une pipe" affirme la légende de la toile de Magritte qui représente une belle pipe tout à fait réaliste. L'image de la réalité que nous donne l'artiste ou le géographe n'est pas la réalité elle-même. Cette notion de transformation, nécessairement subjective, est essentielle pour donner du sens à l'espace représenté dans une œuvre d'art aussi bien que sur une carte géographique. On offre toujours une vision - parcellaire, codifiée, plus ou moins personnelle - d'un espace perçu, une image et non une réalité. Dans les deux cas, cette image peut se définir comme une forme d'explication qui passe par une représentation symbolique en deux dimensions. Évidemment, présentée comme ça, l'affaire risque d'être parfaitement inaccessible à de jeunes élèves. Mais cette notion de construction d'un sens qui se définit comme une perception qu'il s'agit d'identifier, plus qu'une réalité, est pourtant capitale à faire appréhender aux élèves.

... à Galilée

En effet, elle bat en brèche l'idée dangereuse d'une représentation objective qui serait l'unique Vérité avec un grand V, elle pose l'esprit critique et la conscience de la relativité en fondement du rapport au monde et de la manière dont on va tenter de l'appréhender. Autant de compétences capitales pour le développement d'une démarche scientifique comme pour l'éveil d'une sensibilité artistique, ou plus largement, d'un esprit citoyen. Un apprentissage qui participe pleinement de l'éducation au sens le plus large. Certains n'ont-ils pas payé bien cher la remise en cause d'une représentation dogmatique de l'espace? Et les formes d'obscurantisme ne se développent-elles pas lorsque des mots comme relativité et subjectivité deviennent des blasphèmes ? Tout ça, c'est bien beau, mais comment fait-on avec des élèves, concrètement, pour leur en faire prendre conscience ? Faut-il préciser qu'il serait parfaitement inefficace de faire un cours théorique à de jeunes enfants sur ces questions ? C'est ici qu'il nous faut évoquer le second objectif de ce stage, davantage méthodologique, qui illustre une démarche didactique fondée sur la construction du sens par les élèves eux-mêmes. Il s'agit d'utiliser des écrits intermédiaires comme mémoire d'une démarche d'investigation qui va progressivement construire les apprentissages. Entre tâtonnements et évolutions, ces écrits - qui sont autant de mises en espace de l'espace - matérialisent le processus d'apprentissage.

De l'espace vécu à l'espace perçu

C'est ainsi que nos stagiaires se retrouvent ce matin-là en rase campagne florentine. Pour comprendre l'espace, il faut le vivre. La première étape est relativement libre. On regarde puis on verbalise les premiers éléments perçus sans guidage précis. Comment s'approprie-t-on l'espace environnant ? Les choix des lieux et objets de la prise de vue photographique sont interrogés, on met en mots les premières perceptions. De l'espace vécu, on passe ensuite à l'espace perçu. Regroupés en un même point, les stagiaires sont guidés dans leur observation par des consignes très simples. Ils doivent d'abord écrire ce qu'ils voient en trois minutes. Ils le dessinent en trente secondes puis, sur une nouvelle feuille, en une minute trente, et enfin en trois minutes (voir ci-contre). Ensuite, on regarde et on analyse les productions. Tous ont observé le même espace et pourtant ils n'ont pas vu les mêmes éléments constitutifs du paysage. Les stratégies ne sont pas les mêmes non plus. Certains observent et dessinent de bas en haut, d'autres procèdent à l'inverse. Le point de vue et la place relative des éléments ne sont paradoxalement pas les mêmes pour tous, pourtant placés au même endroit. Si l'acuité du regard gagne à chaque étape, ce qui est lié en partie au temps accordé, les détails relevés varient. Bref, la perception subjective apparaît clairement.

De l'espace perçu à l'espace conçu

Or une observation "scientifique" demande une méthode de représentation et de lecture communes. Comment permettre la compréhension de cette schématisation nommée que constitue la carte ? L'utilisation de la photographie permet de matérialiser ce passage vers la conceptualisation. Une première photographie est proposée aux stagiaires qui désignent ce qu'ils y voient. Les différents éléments (maisons, champs, bois, route...) sont normés puis schématisés à l'aide de masses colorées différentes (voir ci-dessous). Ainsi, note Vincent Paré dans son compte rendu, "après avoir identifié et nommé (des mots sociaux aux mots du géographe) les objets géographiques, l'élève pourra repérer des unités paysagères spécifiques et les synthétiser dans un croquis légendé qui constitue un schéma explicatif de la réalité, mais pas la représentation de cette réalité". La mise en comparaison de ce schéma coloré et d'œuvres de Chaissac est éloquente. Le cloisonnement coloré de l'œuvre artistique répond au schéma géographique à la différence près, et elle est de taille, que l'artiste donne à l'espace une humanité, en le personnifiant, que le croquis n'a pas. Le schéma géographique, lui, donne le code normé de sa lecture par la légende. Il intellectualise ce que l'œuvre d'art exprime plastiquement. Il donne la clef d'une interprétation qui se veut accessible et sans ambiguïté. Il vise la compréhension commune tandis que l'œuvre d'art érige sa subjectivité et cherche à toucher d'autres sphères de compréhension, sensibles, esthétiques, plastiques.

Le géographe est un artiste ?

La représentation géographique et les productions artistiques présentent pourtant des similitudes, et leur lecture demande des compétences et des méthodes qui ont des points communs. Les deux ne représentent pas une réalité mais expriment un point de vue. L'observation d'œuvres variées de Chaissac permet d'affiner la lecture de son œuvre et de mettre en mots ce "point de vue" qui est le sien et qui constitue, au final, la particularité de cet artiste qui exprime, à sa manière, sa vision du monde. Le géographe exprime-t-il autre chose ? Les stagiaires sont amenés à observer différentes cartes (voir annexe). Les cartes : objectives, neutres, fidèles représentations d'une intangible réalité, miroirs non-déformants ? Manifestement non ! En effet, "cette confrontation des genres montre que la carte géographique n'est pas elle-même une représentation de la réalité, à l'image des cartes "TO" médiévales 2, des planisphères qui ne sont que des matérialisations déformées de la réalité avec des projections (exemples de Mercator, des illustrations en littérature de jeunesse) mais une perception (ou représentation subjective), réifiée sur un espace-feuille dans un but précis (politique, géostratégique, explicatif...)". Sans code de lecture, la carte géographique ne se donne pas à lire autrement qu'une œuvre artistique. La carte est une forme d'explication, l'œuvre d'art en est une autre.

La quête d'un sens, toujours...


L'ultime étape de ce stage va permettre de réunir les fils de cette approche de l'espace. En partant d'un support géographique (photographie paysagère ou carte), les stagiaires réalisent une œuvre qui s'inspire de celle de Chaissac. Ils peuvent ainsi concrètement opérer une nouvelle transformation de l'espace géographique, à des fins artistiques, cette fois-ci. Et l'œuvre de Chaissac est particulièrement riche dans ce domaine. L'artiste est un maître de cette appropriation de matériaux variés : objets usuels, collages, lettres-dessins, peinture... son œuvre se construit de la transformation d'un existant qui se métamorphose dans la capacité de l'artiste à saisir le monde et le "malaxer" pour créer un univers personnel. Il puise dans la réalité la matière à créer une interprétation personnelle, comme le géographe va chercher à interpréter le réel pour lui donner sens, un sens et non pas le sens. Et n'est-ce pas finalement une définition qui pourrait également convenir à l'apprentissage scolaire ? Les connaissances et compétences mises en œuvre dans cet exemple sont nombreuses. En géographie, l'élève est amené à "dire, lire, écrire, à participer à l'examen collectif d'un document géographique (paysage et carte), à rédiger une légende et une courte description". Pour ce qui est des arts visuels, il s'agit de décrire une image, s'exprimer sur une œuvre, utiliser le dessin dans ses différentes fonctions, réinvestir dans d'autres disciplines les apports des arts visuels. Et, toutes disciplines confondues, l'apprenant est amené à développer des qualités d'observation, de méthode, de curiosité, de regard critique.

... et toujours une question de point de vue

Au-delà des disciplines, l'unité d'un tel projet tient aussi dans la démarche de construction du sens qu'elle implique. Il faut d'abord apprendre à regarder cet espace qui nous environne, qu'il soit géographique ou reproduit en deux dimensions, tout en mesurant combien ce regard porte de subjectivité. Chaque étape est essentielle. Dans le cheminement de l'espace vécu à l'espace perçu, puis à l'espace conçu, se joue l'apprentissage de l'abstraction qui doit être soigneusement jalonné pour ne pas perdre son sens en cours de route. Apprendre à regarder donc, et à décrire aussi pour interpréter ce que l'on voit. Les écrits intermédiaires sont à cet égard essentiels. Ils expriment l'état de la perception à un moment donné. Ils constituent autant d'éléments d'appui à une analyse qui va permettre de progresser dans la démarche d'apprentissage. La variété des médias utilisés - croquis, schémas, photographies, dessins, peintures, langage verbal - facilite cet apprentissage d'un regard lucide et conscient de sa subjectivité. À partir de là, l'essentiel est de ne pas perdre cette attitude critique face à tout document. L'espace n'est jamais que le point de vue de celui qui le représente. Quel est ce point de vue ? Que cherche-t-il à mettre en évidence ? Dans quels buts et par quels moyens ? Ce questionnement dépasse bien largement la lecture d'une carte ou d'une toile de maître. Faut-il s'en plaindre ?
1. Voir également Échanger n°58, "Les projets artistiques et culturels 2", Cher monsieur Chaissac, 2002.
2. Une carte "TO" est une représentation mystique du monde au Moyen Âge avec pour centre du monde Jérusalem (le terme TO vient de la forme de la carte qui représente un T et O).
 
auteur(s) :

D. Grégoire

contributeur(s) :

V. Paré, IUFM, La-Roche-sur-Yon [85]

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information(s) technique(s) : pdf

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