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le paradoxe du voyage

mis à jour le 01/12/2008


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Partager pendant trois mois la vie d'un jeune lycéen d'outre-Rhin, c'est perfectionner la langue, découvrir en profondeur la culture, tisser des liens très forts avec des individus. Cela transforme complètement les représentations : l'envie d'aller et venir efface les frontières. Mais cela révèle aussi des différences irréductibles et aide chacun à construire sa propre identité dans la rencontre avec l'altérité.

mots clés : échanger, identité européenne, europe, échanges, séjours linguistiques, langues


Le programme "Brigitte Sauzay"

Depuis 1989, l'OFAJ (Office franco-allemand pour la jeunesse), en étroite coopération avec les rectorats et les autorités scolaires allemandes, soutient un programme d'échanges individuels de trois mois, dont six semaines au moins pendant la période scolaire. Ces séjours sont ouverts à tous les élèves de la 4e à la 1re, pourvu qu'ils aient au moins deux ans d'apprentissage de l'allemand: c'est le programme "Brigitte Sauzay". Ces échanges reposent sur le principe de la réciprocité : un jeune Français est accueilli gratuitement dans une famille allemande ayant un enfant sensiblement du même âge. Puis ce jeune Allemand vient en France et est accueilli dans la famille. Les jeunes assistent aux cours dans l'établissement de leur partenaire. Le niveau scolaire du jeune et sa motivation doivent lui permettre de reprendre sa scolarité sans problème à son retour. Le jeune doit poser sa candidature auprès de son professeur ou du chef d'établissement qui va se charger de transmettre le dossier au rectorat et à l'instance allemande compétente qui centralise les candidatures du côté allemand. S'ensuivent des "mariages", heureux dans la grande majorité des cas, qui s'appuient sur les informations contenues dans les dossiers (habitudes familiales, goûts musicaux et sportifs, personnalité, centres d'intérêt...). Les échanges peuvent néanmoins avoir lieu entre deux élèves qui auraient déjà noué des liens lors d'échanges précédents. Une subvention forfaitaire pour les frais de voyage est accordée par l'OFAJ.

Un succès grandissant

Le lycée Montesquieu est le lycée historique du centre-ville du Mans. Il compte une classe européenne en allemand et, cette année, dans l'académie, c'est l'établissement qui a le plus fort contingent de participants aux échanges "Brigitte Sauzay". Vingt-trois élèves français sont en effet partis de mai à juillet pour le Schleswig Holstein et vingt-trois Allemands sont arrivés en août auMans pour repartir fin octobre. Les deux échanges se succèdent immédiatement, ce qui offre l'avantage d'une sorte de prolongement de l'expérience qui ne peut qu'en renforcer les effets. Ces échanges sont individuels, les élèves viennent de villes différentes : les arrivées et les départs s'échelonnent donc un peu, mais les Allemands se retrouvent tous auMans et dans le même établissement, à la même période. Les élèves allemands sont intégrés par deux dans des classes dont ils suivent tous les cours. Le plus souvent, ce sont des classes de seconde qui sont concernées par les échanges, à la fois pour éviter les perturbations les années d'examen, et pour que le contenu des cours en langue étrangère reste plus facilement accessible. C'est le bouche-à-oreille qui fait le succès du dispositif : Marie-Laure Dréan, la professeure d'allemand, informe les élèves et les familles de cette opportunité dès leur arrivée au lycée, et les aînés, les copains, les familles, qui ont vécu cette expérience encouragent ces jeunes de seize ans à se lancer. Ce sont majoritairement des filles qui tentent l'aventure.

En immersion totale

Pour les Français, la situation est différente puisqu'ils se répartissent dans plusieurs établissements, dans des petites villes de la même région. Ils sont souvent seuls, totalement immergés dans la culture et la langue allemandes. Les premiers jours sont évidemment difficiles, la langue se présentant comme un obstacle : "Je ne comprenais rien". Une jeune Française raconte ainsi avoir, au tout début, été tentée par un repli dans sa chambre, le soir, pour éviter la difficulté de s'escrimer à trouver ses mots, de vivre le double échec de ne pas être comprise et de ne pas comprendre. Mais les jeunes mesurent tous combien cette situation a entraîné, et très rapidement, des progrès spectaculaires. Le partage du rythme de vie de la famille, la participation aux déplacements, aux loisirs, la répétition des situations et donc des mots, la gentillesse des parents, des copains et du correspondant, font que les choses évoluent très vite. Les jeunes se sentent vraiment attendus, accueillis par toute la famille, la classe, l'établissement. Les Français sont surpris de voir que leur pays est objet d'admiration, de curiosité et qu'eux-mêmes bénéficient de nombreuses attentions.

Wie Gott in Frankreich

Quand on demande aux élèves ce que ces échanges leur ont apporté, ils répondent tous, d'abord, par une amélioration spectaculaire de leur niveau en langue. "J'ai plus appris en trois mois que dans une année en cours". Mais plus que la quantité, c'est bien de transformation de qualité qu'ils parlent. Bien sûr, ils ont acquis, pour se débrouiller seuls dans toutes les circonstances de la vie quotidienne, quantité de mots de vocabulaire, mais ils ont surtout une aisance "naturelle" à parler l'allemand de manière confortable. Ils ont pris de l'assurance et un plaisir certain à manier leur seconde langue avec efficacité. Et, ce qui frappe Madame Dréan, leur professeure d'allemand, c'est qu'à leur retour, ils parlent et écrivent un allemand beaucoup plus idiomatique. Des automatismes se sont construits, l'expression est plus spontanée, moins réfléchie, plus fluide. Les élèves retiennent aussi le fait qu'ils ont entendu et parlé l'allemand de la rue, et l'allemand d'aujourd'hui : les mots courants, familiers, les expressions particulières aux jeunes... "Ce qu'on n'apprend pas en classe", un allemand vivant qui leur permet de s'adapter aux situations quotidiennes. Leur pratique décomplexée de la langue leur permet de multiplier les contacts, les prises de parole. L'allemand est vraiment devenu leur seconde langue, toujours immédiatement disponible. Ils racontent le plaisir qu'ils ont eu à converser au retour dans le train avec des Allemands de rencontre et la qualité de leurs échanges. L'objectif du dispositif "d'améliorer la connaissance et la langue du partenaire" est atteint de manière spectaculaire pour les jeunes eux-mêmes et pour leur professeure.

Une succession de samedis

À leur retour, les élèves français regrettent un peu le rythme de vie des jeunes Allemands qu'ils ont partagé pendant quelques semaines. "Tous les cours sont condensés dans la matinée, la semaine est comme une succession de samedis" "On a plus de temps pour se retrouver avec soi-même". De retour en France, quand la rentrée est passée, ils ont le sentiment de ne plus avoir de temps pour eux : avec trente-quatre heures de cours hebdomadaires, plus le travail personnel à la maison, les temps de loisirs des lycéens français sont forcément très limités. Et les jeunes Allemands trouvent que les lycéens du Mans ont beaucoup d'heures de cours et sortent peu. En Allemagne, les élèves français ont apprécié de pouvoir partager les activités culturelles et sportives de leurs correspondants. Quand les jeunes partagent une même passion, comme la danse, elles peuvent aller aux cours ensemble. Une autre jeune Française a pu s'improviser percussionniste et s'intégrer à l'orchestre de l'école dont sa correspondante faisait partie. Elle a même participé à des concerts. Une autre a découvert le catamaran... La plupart des jeunes Allemands qui ont participé aux échanges pratiquent deux ou trois activités sportives et culturelles par semaine et y consacrent beaucoup de temps. Ces longs moments de liberté partagée permettent des échanges différents, ancrés dans des plaisirs communs. Les après-midi ont aussi permis de longues conversations à deux, des visites à des amis, donc de découvrir d'autres familles, d'autres manières de vivre et aussi de visiter les villes, entre jeunes.

À l'école de l'oral et de la fantaisie

Quarante-cinq minutes pour un cours : tous les élèves ont apprécié ce rythme différent, d'autant qu'il peut y avoir les pauses entre les cours. Alisson pense que cela aide les élèves à rester concentrés. Mais ce qui a surtout retenu l'attention des jeunes Français, c'est l'atmosphère détendue des cours, une impression première de dilettantisme, mais cela va de pair avec une activité très grande des élèves, notamment à l'oral. La place de l'enseignant est aussi différente à leurs yeux : les élèves et leur professeur font partie du groupe, les échanges entre eux sont rapides, nombreux. Les cours permettent des réflexions communes, des interactions. Les élèves ont le sentiment que les professeurs sont plus près de leurs élèves, plus à l'écoute. Les jeunes Allemands sont plus spontanés, plus libres, aux yeux des lycéens français. Noémie souligne dans son compte rendu final : "Les élèves chahutent beaucoup en classe, boivent et mangent, et se font très peu réprimander. Cependant le contact élève / professeur est bien meilleur et plus décontracté qu'en France et permet une bonne communication et une meilleure entente..". Cette ambiance ne se crée pas au détriment de la concentration, de l'efficacité, d'après eux. On sent qu'ils ont vécu une autre manière de travailler qui les a séduits et convaincus.

Des cours allemands en France ?

Madame Dréan - tout comme ses collègues professeurs de français en Allemagne - donne un rôle moteur aux jeunes qu'elle accueille dans ses cours. Leur implication apporte beaucoup aux élèves qui n'ont pas la chance de participer aux échanges : eux aussi peuvent converser avec des Allemands, réfléchir avec eux, les voir vivre au lycée. Cela fait dix ans qu'elle est dans ce lycée, dix ans qu'elle met en place des échanges 'Brigitte Sauzay'. L'habitude de travailler régulièrement avec ces élèves plus spontanés, plus actifs, plus autonomes, peut-être plus épanouis aussi, l'a conduite à modifier progressivement sa conduite de classe : inciter à parler en mettant en place des situations déclenchantes, laisser parler - sans intervenir pour une correction systématique - accompagner les échanges plutôt que les guider, les conduire... Cela nécessite de préparer plusieurs pistes de travail, bien sûr, pour pouvoir à la fin formaliser l'apprentissage réalisé. Son ambition est de combiner le sérieux des élèves français, le travail écrit et le foisonnement oral des jeunes Allemands, la vie qu'ils mettent dans les cours, la connivence confiante entre l'enseignant et les élèves... Et à la voir au milieu des jeunes de deux pays, très attentifs aux questions de la correspondante d'Échanger et aux réponses des uns et des autres sur lesquelles tout le monde s'autorise à réagir, on se dit que le pari est gagné.

Se saisir de toutes les opportunités

Dès qu'une opportunité se présente, élèves et enseignants s'en emparent. L'année où un collègue enseignant de lettres et de théâtre, Joël Asselin, avait un peu de disponibilité, Madame Dréan a proposé aux jeunes Allemands des ateliers de diction, de mise en bouche de textes français. Les jeunes étaient dix cette année-là, c'était plus facile qu'à vingt-trois de faire parler tout le monde, d'essayer plusieurs fois...
La coordinatrice est à l'affût de tout ce qui peut améliorer encore le système. En Allemagne comme en France (voir annexe), les élèves - pour la plupart, car quelques rares élèves ont un peu de mal à prendre toute la place qui leur est offerte - participent au bout de quelques semaines aux travaux des élèves : ils prennent des notes, apportent leur contribution à certains exposés (sur le parler des jeunes par exemple). Mélanie a fait certains devoirs, en français, bien sûr, mais aussi en physique et en chimie, et dit qu'à un moment elle s'est vraiment "confondue avec les autres élèves et s'est sentie Allemande parmi les Allemands". Une autre a même fait une dictée... en allemand. Dur ! Les élèves ont toujours été associés à l'animation du cours de français, ce qui est très valorisant pour eux. Mélanie s'est sentie utile pendant ces heures et a été vraiment intéressée de voir ces jeunes Allemands apprendre sa langue maternelle. Volontaires, les élèves s'impliquent et savent tirer parti de toutes les occasions de vivre des choses nouvelles.

Un enrichissement réciproque

L'accueil des jeunes Allemands dans les classes n'est pas toujours allé de soi. Au début, il a fallu vaincre des résistances sur le principe même. Pourquoi faire venir dans des cours des élèves qui, au mieux, ne comprendront pas tout et, au pire, ne comprendront rien, s'ennuieront et risqueront de perturber des groupes déjà chargés ? C'est en prenant en compte ces objections et en aménageant les règles d'accueil (en principe, le jeune devrait suivre son correspondant), que la situation a évolué. D'abord, les jeunes ne sont qu'à deux maximum par classe ; ensuite, ils sont intégrés le plus possible en seconde. Enfin, certaines disciplines peuvent être supprimées dans l'emploi du temps des jeunes Allemands si les circonstances ne sont pas favorables à un réel travail des jeunes. Ainsi, la philosophie, dans les rares cas d'intégration en terminale, mais aussi dans d'autres cas, n'importe quelle autre discipline, sauf le français et l'allemand, bien sûr ! Quelques professeurs français ont encore parfois un peu de mal à accepter le comportement différent des élèves allemands. Mais c'est de plus en plus rare, nombreux sont ceux qui, au contraire, se félicitent de leur apport aux cours, comme en histoire-géographie. L'habitude s'est construite petit à petit et les professeurs savent, malgré l'obstacle de la langue, que cette attitude n'est ni impertinente ni sciemment perturbatrice, c'est une autre manière de vivre la classe.
 

Un condensé de culture

Ces échanges développent-ils chez vous un sentiment d'appartenir à l'Europe ? La réponse est non pour tous ceux qui étaient là ce jour-là. C'est une question qui ne se pose pas pour eux. Ils ont tissé des liens très forts avec des individus, ils ont acquis une bonne maîtrise de la langue allemande, ils ont découvert une culture, un peuple "complètement", de l'intérieur, dans sa globalité. Ils ont appris aussi que les différences n'empêchent pas l'amitié, les sentiments et que la langue n'est pas un obstacle insurmontable à la communication. Ils ont envie de retourner en Allemagne ou en France suivant les cas. D'ailleurs, très souvent, ils reviennent dans leur famille d'accueil, parfois avec leur propre famille, l'année suivante. Au jeune qu'elles accueillent, les familles ont à cœur de montrer un maximum des facettes de leur culture - de la gastronomie à l'architecture, aux loisirs, à l'histoire - en multipliant les visites, les rencontres. Elles mettent en évidence les spécificités de chacune des deux cultures en accumulant, sur un laps de temps assez court malgré tout, un maximum de caractères propres à constituer l'identité de leur pays. Ces échanges développent ainsi chez les jeunes une curiosité et une recherche de la différence comme élément positif, source chez eux de surprise et d'admiration ou d'incompréhension : Maurits trouve ainsi que le temps consacré aux repas est excessif et aussi qu'on mange trop...

"Fier d'être Allemand" "Fière de montrer qu'on est Française"

Les jeunes expriment aussi très nettement que ces échanges leur font prendre conscience de leur propre identité, de leur propre culture. "Avant, dit Maurits, je pensais qu'on était pareil, que Français, Allemand, il n'y avait pas de différence. Je ne me sentais pas vraiment allemand et les Allemands, je ne les aimais pas vraiment. Mais maintenant, je suis en France, je vois les différences. Je me sens Allemand et je suis fier de l'être". Parallèlement, en Allemagne, devant l'intérêt des gens qu'elle a rencontrés pour la culture française, Aude a eu envie de montrer qu'elle est différente, d'expliquer les coutumes, la vie quotidienne, de faire savoir qu'elle est française. Ces jeunes se retrouvent en situation de construire et d'affirmer leur identité comme Français ou Allemand mais aussi de progresser vers leur autonomie, leur identité comme individu singulier. Coupés de leur famille et de leur environnement habituel, mais dans le cadre sécurisant et valorisant de l'échange, ils se découvrent à eux-mêmes, en même temps qu'aux autres. Cet échange permet donc une prise de conscience d'une altérité insoupçonnée au départ. Et c'est cette différence même qui fait l'intérêt de l'échange dans la volonté de découvrir et de comprendre l'autre. Une quête qui dépassera l'Europe, sans doute : certains envisagent déjà de partir vers d'autres continents. Conscients et fiers de leur propre culture, ils sont prêts à la rencontre. Unanimes, ils pensent qu'il faudrait qu'un maximum de jeunes puissent savoir que ces séjours longs sont possibles pour qu'ils puissent à leur tour vivre cette expérience. "Une expérience qui a changé ma vie" avait assuré un élève à Alisson, avant son départ, elle qui a écrit à son retour : "On revient en France changé, changé en bien".
 
auteur(s) :

M. Coupry

contributeur(s) :

M.-L. Dréan, Lycée Montesquieu, Le Mans [72]

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ressource(s) principale(s)

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