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mis à jour le 17/06/2010


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Membre de l'Institut universitaire de France, Denis Meuret est professeur en sciences de l'éducation. Ce spécialiste de la question du redoublement a accepté de lire les articles de ce numéro et de nous livrer ses commentaires, pour lesquels il précise : "Je soumets ces remarques au jugement professionnel des acteurs concernés, je ne les énonce pas, à la différence de mes considérations sur le redoublement, comme des vérités scientifiques".

mots clés : redoublement, sciences de l'éducation, expert universitaire


J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les récits des expériences pédagogiques des huit établissements de l'académie de Nantes, auxquels je vais réagir, puisque c'est l'exercice que la revue Échanger m'a demandé.

La totale inefficacitédu redoublement

Une remarque préliminaire, cependant : les recherches empiriques 1 montrent, non seulement que le redoublement est inefficace - redoubler n'aide pas- mais qu'il est contre-productif, c'est-à-dire qu'il nuit aux élèves qu'il prétend aider. D'une part, à niveau de départ égal, un redoublant en sait moins, un an après la décision, qu'un élève qu'on a laissé passer. D'autre part, quand le redoublant arrive, au bout de deux ans, à la fin de l'année à l'issue de laquelle il aurait dû arriver en un an, il n'en sait pas plus que celui qui est passé. Et qui plus est, il a perdu un an, une perte qui signifie que, au mieux pour lui, on retarde d'un an son entrée dans la vie active et donc on lui fait perdre un an de salaire et un an d'autonomie, disons dans dix ou quinze ans. Autrement dit, quand bien même on se contenterait d'éviter le redoublement aux élèves faibles, même sans rien faire de spécial pour eux, cela leur serait plus profitable. Une des raisons en est sans doute que, lorsque l'élève, comme son enseignant, sont persuadés que le redoublement est à peu près sûr, ils ont tendance à baisser les bras, à reporter les efforts à l'année suivante. Bien sûr, il est mieux de déployer des efforts particuliers pour ces élèves avant et après le moment de la potentielle décision de redoublement, mais l'optique de certains projets qui est d'améliorer la progression des élèves faibles "pour leur éviter le redoublement", pèche, à mes yeux, par le fait qu'elle continue d'admettre que le redoublement est une solution de dernier recours.

Les fondements erronésdu redoublement

En vérité, ce n'est pas une solution du tout, à mes yeux, mais surtout à ceux des enseignants des pays qui ont renoncé au redoublement. Marcel Crahay raconte que ce qui l'a persuadé du bien-fondé pratique de la suppression du redoublement est une visite en Suède, lors de laquelle les enseignants rencontrés, non seulement ne regrettaient pas l'époque où l'on pouvait faire redoubler, mais se montraient étonnés qu'il existât encore des pays où l'on pouvait le faire 2. La position pro-redoublement repose à mon sens sur deux idées parfaitement plausibles, mais erronées. La première est que, sauf redoublement, l'élève "va s'effondrer". Cette idée repose sur une exagération de l'écart d'exigence qui sépare deux niveaux scolaires successifs, le CE1 du CP, la cinquième de la sixième, par exemple. La seconde est que, sans la menace du redoublement, les élèves n'auront plus de raisons de travailler. À cet égard, la façon dont les élèves se mobilisent sur certains des projets qui leur sont proposés dans les huit collèges rejoint assez ce que les psychologues sociaux ont montré, à savoir que des motivations externes, comme l'envie d'éviter le redoublement, sont moins puissantes que les motivations internes, comme l'intérêt trouvé à la tâche.

L'implication de toute l'institution

Arrivons-en maintenant à l'examen des projets. J'ai été impressionné par le dynamisme et l'imagination pédagogique des enseignants impliqués dans ces projets, de l'aide que chefs d'établissements et services administratifs leur ont apportée (pour quelqu'un qui a connu les relations entre les rectorats et les établissements dans les années soixante-dix, le progrès est plus que net !), et aussi par l'envie de bien faire avec laquelle les élèves répondent à ce qui leur est proposé, envie qui est soulignée par plusieurs des acteurs interrogés. Il semble clair que l'ensemble des projets est de nature, comme il est dit de l'un d'eux, à augmenter la confiance vis-à-vis de l'institution, le sentiment qu'elle essaie de faire quelque chose pour eux, ce qui est très probablement bénéfique pour les élèves et pour leur formation civique.

Psychologue ou pédagogue ?

J'ai été étonné de la fréquence de l'emploi d'un vocabulaire psychologique pour évoquer les effets attendus des projets: écoute, redonner confiance, retrouver l'estime de soi, les aider à prendre confiance en eux, etc. Il ne me semble pas évident que, dès lors qu'une difficulté se présente, le pédagogue, le concepteur de situations d'apprentissage, doive céder le pas au psychologue, qu'il faille chercher la solution du côté d'un "accompagnement psychologique". Il ne me semble pas évident non plus que, si un élève réussit dans une activité périphérique, la satisfaction qu'il aura d'y avoir réussi puisse vraiment contrebalancer la peine qu'il continuera d'éprouver de ses échecs dans les activités centrales.

La fin des classes de niveau

J'ai noté avec plaisir que la création de classes pour élèves faibles ne figure plus dans les solutions envisagées. Au contraire, certains établissements qui la pratiquaient (Tiraqueau) ont cessé de le faire, et l'on cherche plutôt des solutions du côté du mélange des faibles et des forts (Tiraqueau, Le Marin), ou du côté de groupes homogènes flexibles au sein de classes hétérogènes. Cette dernière solution avait été apportée par Crahay, en 2006, en réponse à la question même dont nous traitons, à savoir : "Quoi d'autre que le redoublement pour les élèves en difficulté ?". Les recherches empiriques tendent en effet à montrer que l'adaptation pédagogique pratiquée dans les classes pour élèves faibles s'accompagnait (ou consistait surtout en) une baisse des exigences qui était plutôt nuisible à leurs élèves.

Le développement d'une culture de l'évaluation

De même, j'ai noté avec plaisir le développement de ce que nous appelions, dans la direction de l'évaluation et de la prospective (DEP) de Claude Thélot, une culture de l'évaluation. La sixième sans note du collège Trouvé-Chauvel est en fait une sixième qui pratique une évaluation plus précise et plus sophistiquée que celle des notes. Des évaluations communes aux classes d'un même niveau sont parfois évoquées. Certaines descriptions de projets - mais on aurait pu penser, vu le thème, que toutes l'auraient fait - donnent des indications sur l'évolution des taux de redoublement. Même quand aucun chiffre n'est donné, les descriptions évoquent la satisfaction des élèves, leur présence, l'évolution du nombre de volontaires (lycée Bel-Air) comme indices de la qualité de l'action. Plus personne ne semble considérer que les bonnes intentions suffisent à garantir l'efficacité d'une action. C'est un progrès sur une époque que des soixantenaires dans mon genre ont connue.

Des actions sur le temps d'apprentissage

La culture que je me suis construite, à travers mes lectures des recherches sur les élèves en difficulté, à propos de "ce qui marche" pour eux, m'incite à attendre davantage des projets qui agissent sur le temps d'apprentissage dont disposent ces élèves, au sein des classes ou sous forme d'heures de soutien, que sur les projets plus périphériques. Cela peut passer par une multiplicité de petites actions cohérentes (Val-d'Oudon) plus que par un seul projet. À cet égard, je suggère à Échanger de prendre aussi la question par l'autre bout et d'aller voir ce qui s'est passé dans les établissements de l'académie où le taux de redoublement a particulièrement baissé, ou encore dans les établissements où les élèves faibles ont davantage progressé qu'ailleurs 3.


1. Crahay (M.), Peut-on lutter contre l'échec scolaire ?, De Boeck, 2003.
2. Draelants (H.), Réforme pédagogique et légitimation, De Boeck, 2009.
3. Échanger n° 73 [NDLR].
 
contributeur(s) :

D. Meuret, Université de Bourgogne, Dijon [44]

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