Contenu

innovation pédagogique

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > actions éducatives > innovation pédagogique > échanger

du jeu coopératif vers le langage de communication

mis à jour le 03/03/2015


echanger dossier 3

"Jouer ensemble pour parler grand" : fédérées dans une recherche-action pluriannuelle autour de ce thème, les écoles sarthoises ont activement participé à la seconde édition des "24 heures de la maternelle" fin novembre 2013.

mots clés : échanger, coopérer, jeu, compétences langagières


ette manifestation, impulsée par M.-H. Oger, inspectrice de l’éducation nationale (IEN) chargée de mission maternelle sous la responsabilité de l’IA-DASEN de la Sarthe, est un moment fort dans un parcours de formation ambitieux (voir annexe) : tous les acteurs de la maternelle se mobilisent dans une réflexion partagée sur le jeu, vecteur d’apprentissages, levier fécond pour travailler le langage. En 2012, la réflexion portait sur l’aménagement spatial des coins-jeux dans la classe et sur les modalités de leur utilisation 1 Pour cette seconde édition, les équipes enseignantes ont innové en créant des jeux coopératifs : dans le but d’atteindre un objectif commun, les jeunes joueurs sont solidaires, s’entraident, construisent des stratégies d’équipe, ce qui les amène à comprendre et se faire comprendre. Qu’ils gagnent ou perdent, c’est tous ensemble. Les enjeux de communication et de socialisation sont riches dans cette activité ludique où l’enfant s’investit par plaisir. Quel panel de jeux mettre en place ? Selon quels objectifs ? Comment utiliser le jeu pour permettre à l’élève d’acquérir du vocabulaire et de développer la syntaxe de ses phrases ? Comment, corollairement, lui permettre d’allonger son temps de parole ? Comment observer, évaluer les progrès pour construire ensuite des démarches d’enseignement différenciées ? Ces questions sont le cœur de la réflexion didactique et pédagogique des enseignants. En ce sens, les actions innovantes mises en œuvre dans les écoles pour les "24 heures" sont aussi le miroir de la pratique quotidienne. Jeu coopératif et langage, du plaisir à l’apprentissage, partons à la rencontre croisée de professeurs de maternelle qui, pour Échanger, font part de leur expérience. Les éclairages d’Éric Fleurat 2, conseiller pédagogique départemental maternelle 3, jalonnent ce parcours de réflexion.

Vivre le lexique

Pour construire une dynamique dans les apprentissages, certains enseignants font converger le thème périodique travaillé et l’univers des jeux proposés. Il faut alors le plus souvent les créer pour assurer une continuité thématique et didactique. À l’école de Sainte Sabine, cette année, le conte est à l’honneur. C’est le fil conducteur annuel choisi pour toutes les classes, quatre-vingt-quatorze élèves au total, de la petite section au CM2. Le projet aboutira au printemps à l’organisation d’un festival de contes dans l’école, où les créations des élèves (théâtre, danse, comédie musicale) seront présentées. Pour les "24 heures de la maternelle", le loup était de tous les jeux : des jeux coopératifs de plateau ou sportifs… et les élèves étaient bien bavards ! Qui dit conte, dit loup : un thème porteur qui séduit les plus petits. En ce début d’année, S. Bolival, qui accueille dans sa classe les élèves de petite et moyenne sections, a commencé par l’apprentissage du lexique du corps et des vêtements en croisant notamment des activités de lecture (albums à structure simple sur le thème du loup qui s’habille 4) et de comptines. Progressivement, les jeunes élèves créent un imagier affiché dans la classe. Mais l’enseignante cherche aussi à multiplier les propositions pédagogiques qui vont leur permettre de réentendre, de réutiliser dans un contexte différent ce vocabulaire. Elle adapte ainsi la comptine à succès Promenons-nous dans les bois en salle de motricité. Les enfants se promènent dans la salle et jouent tous ensemble contre le loup : à son hurlement signifié par un coup de tambourin, ils doivent se réfugier dans un cerceau puis mimer l’action que dit l’animal (“je mets ma chemise, mon pantalon, mes bottes”, etc.). Dans cette activité, les élèves mobilisent leurs compétences d’écoute pour travailler sur le sens des mots. Ils les comprennent, car ils les ont déjà entendus en classe, mais ils n’ont pas encore forcément retenu le sens de tous les termes abordés. L’expérimentation à travers le mime favorise donc aussi l’apprentissage lexical. La réactivation régulière et dans des contextes variés entraîne une mémorisation plus durable.

De la compréhension à la parole

Une fois le lexique visé suffisamment travaillé, quel jeu concevoir pour que la coopération crée un espace de parole suffisant pour développer le langage ? À l’école d’application Petit Louvre, au Mans 5, l’équipe a choisi de travailler sur l’eau, en lien avec l’environnement naturel proche de la structure. Un thème unique pour toutes les classes multi-âge, cent quatorze élèves au total. Les enseignants ont créé des jeux coopératifs que les enfants ont pratiqués plusieurs fois pendant les deux semaines précédant la manifestation. L’un, nécessitant une mise en place délicate à l’échelle de toute une classe, n’avait été expérimenté qu’une seule fois : l’aménagement d’un aquarium dans une salle. Le jour des "24 heures", les élèves participent au jeu par groupes de huit. La consigne annoncée par l’enseignante est laconique : "Il faut que vous m’aidiez, j’ai un deuxième poisson, il faut lui aménager son aquarium.", explique É. Montessinos. Devant elle, trois tables disposées en triangle occupent la moitié de la salle de classe ; sur la première, un aquarium vide, sur la seconde, une grande bassine remplie d’eau, sur la troisième un récipient qui contient des cailloux. À huit, il va falloir s’organiser pour que le parcours de transport d’eau ne soit pas trop chaotique… Au début du jeu, l’enseignante réactive le lexique nécessaire. "De quoi avons-nous besoin ?", lance-t-elle. Les enfants répondent, mais pas tous. À certains, la maîtresse montre des images et, ainsi stimulés, les enfants retrouvent les mots. L’enseignante rectifie la prononciation si elle est erronée. Il faut ensuite commencer, sans consigne complémentaire. Comment ? Tout d’abord, on imite ! Les enfants, spontanément, se regroupent autour du bac à cailloux… Le coin-dînette à proximité offre une opportunité : un enfant commence à la cuillère, les autres suivent… Mais très vite un autre prend un bol, et puis son camarade va chercher un récipient encore plus grand. On s’active, on se parle, on se bouscule un peu aussi, mais les petits conflits sont vite réglés. Deux leaders improvisés rappellent à l’ordre ceux qui se détournent de l’objectif collectif. Soudain, un enfant demande s’ils peuvent commencer à mettre de l’eau. Oui ! Alors on s’organise, ceux qui restent aux cailloux, ceux qui se chargent d’acheminer l’eau jusqu’à l’aquarium. L’enseignante photographie les enfants en action. L’un d’eux prend un godet et demande, tout surpris : "Ça coule, comment faire ?". S’ensuit un vrai échange avec le professeur qui relance sans cesse la parole pour amener l’enfant à trouver la solution au problème tout en la verbalisant. Au bout du temps imparti, on est un peu mouillés, mais l’aquarium est prêt, la coopération a porté ses fruits : les échanges, au cœur de l’action, ont bien eu lieu, entre pairs, mais aussi avec l’adulte. “Ce dernier met en œuvre du langage d’accompagnement de l’action que l’enfant est en mesure de comprendre par l’action conjuguée au contexte, aux gestes et aux mimiques de l’adulte”, explique É. Fleurat.

Des mondes imaginaires vecteurs d’apprentissage

Pendant toute la période de ce projet sur l’eau, l’équipe a fait le choix de créer un univers permanent dans la salle de motricité ; les jeux coopératifs installés n’étaient pas rangés. “C’est très stimulant pour les enfants, explique V. Couzon, directrice de l’école. Une fois la porte fermée, ils ne voient plus leur salle de motricité, ils entrent vraiment dans un autre monde”. Ce nouveau paysage est induit par les consignes des jeux. Par exemple, celui du pont : "Vous devez fabriquer un pont, mais vous n’avez pas le droit d’aller dans la rivière". Celle-ci est symbolisée par des tapis bleus alignés. Les élèves assemblent de gros éléments de formes et couleurs variées. Une fois le pont construit, chacun passe dessus pour savoir s’il est solide. On peut s’aider, se conseiller. Si le pont est praticable, c’est gagné, l’enseignant propose de passer à la deuxième étape : construire un autre pont, cette fois avec des briques. Nul doute que les enfants voient vraiment l’eau et le pont. Même quand le jeu est terminé, ils ne passent pas dans la zone bleue… "C’est bien simple, témoignent les enseignants amusés, depuis que la salle de motricité s’est transformée en paysage aquatique, aucun enfant ne marche plus sur la zone bleue, même quand on ne joue pas !". Plonger les enfants dans l’imaginaire, ce lieu sans risque, pour y instaurer un espace de langage libéré du réel, c’est aussi l’objet d’un des jeux créés à l’école de Loué : les traîneaux du Père Noël. “Dans nos cinq classes de la petite à la grande section, nous accueillons un nombre notable de petits parleurs qui se désinhibent dans les jeux, à condition de leur permettre d’entrer dans une histoire.”, précise A. Fourmy, directeur de la structure. Ce peut être aussi “un contexte ou une situation auxquels ils adhèrent et qui donnent un sens à ce qu’ils ont à faire”, précise É. Fleurat. En cette fin d’année, les enfants doivent construire une maison de briques, ce sera un cadeau pour le Père Noël. L’objectif lexical est de comprendre et utiliser les verbes d’action. Les briques sont au fond de la salle ; à l’opposé, sont postés des élèves-lutins qui ont pour mission de les empiler pour construire la maison. Entre le point de départ et celui d’arrivée, les élèves disposent de planches à roulettes reliées par des cordes pour transporter les briques empilées. Si elles tombent pendant le transport, on a une pénalité, retour au début du parcours. Dans ce monde imaginaire, le plaisir de jouer est roi. On expérimente sans prendre de risque, on se parle en situation parce que l’on doit réfléchir pour mieux agir et gagner, ensemble.

Expérimenter avec son corps

Ces jeux inventés par les enseignants en fonction de leurs objectifs pédagogiques sont souvent à taille d’enfant : en maternelle, expérimenter par le corps est nécessaire pour découvrir et comprendre le monde. Pour développer l’appréhension de l’espace et favoriser parallèlement l’allongement du temps de parole, S. Hérillard et S. Brousmiche, enseignantes de l’école de Courceboeufs, ont décidé de mettre en œuvre un jeu coopératif spatialement évolutif. L’origine est un travail sur le thème de la ville et un jeu de chantier proposé à l’échelle de l’espace-classe à l’occasion des "24 heures de la maternelle". Comme pour le jeu des briques du Père Noël, un point de départ imaginaire, Courceboeufs, symbolisé par un panneau et un point d’arrivée, Paris, signifié par une représentation de la Tour Eiffel sur le mur opposé de la classe. Il faut apporter des briques à Paris pour construire un monument plus haut que la fameuse tour. Pour cela, les enfants doivent suivre un parcours dont chaque étape est indiquée par un cerceau posé au sol ; entre les différents points du parcours, des modalités de transport, imposées, changent (train, grue) ou des obstacles sont à franchir (pont à traverser). Les élèves ont une seule contrainte supplémentaire : les briques doivent être transportées sans les mains ! Chaque partie dure trente minutes, plusieurs groupes d’une douzaine d’enfants se succèdent. Lequel réussira ce défi ? Une vraie émulation se met d’emblée en place. L’enseignante observe finement le déroulement du jeu. Certains groupes n’ont développé aucune stratégie, les enfants sont toujours restés ensemble sur le même point du parcours. D’autres se sont réparti les tâches en se postant aux différents cerceaux. Certains élèves se sont révélés en devenant naturellement superviseurs, en proposant par exemple d’utiliser des plateaux à poser directement sur le train ou sur la grue pour transporter un maximum de briques en une fois. Et à l’arrivée ? Certains enfants se sont escrimés à réaliser une figure ressemblant à la Tour Eiffel. D’autres ont pris une chaise pour créer un monument le plus haut possible. La proposition pédagogique est pertinente : les élèves comprennent la règle, et, une fois le jeu lancé, s’investissent, échangent dans un monde à leur échelle, détaché du contexte scolaire.
 

Faire évoluer le scénario pédagogique

Cette mise en place libère l’enseignante qui peut observer, écouter les échanges : le réinvestissement du vocabulaire de la ville, la construction des phrases, la place de chacun, le jeu de questions-réponses pour élaborer une stratégie. Comment renouveler cette activité pour amener les élèves à enrichir leurs échanges ? En proposant une nouvelle forme du jeu, cette fois à l’échelle de la cour. Durant les "24 heures de la maternelle", les parents ont été mis à contribution ; ils ont fait des propositions étudiées ensuite par les enseignantes. Pour adapter le jeu en format géant, l’utilisation de brouettes, de landaus, de chariots, mais aussi celle du marquage au sol et des installations (toboggan, camion…) sont envisagées. Une manière innovante de reconduire autrement cette activité ludique avec des objectifs de langage à chaque fois un cran plus ambitieux. Il s’agit ici de développer les échanges et donc d’allonger le temps de parole. "Pour s’approprier les savoirs, il faut changer de contexte et agir selon ses objectifs propres, qui sont ici orientés vers une coopération, explique É. Fleurat. En passant dans la cour, le matériel mis à disposition des élèves sera nécessairement plus volumineux. Or, la manipulation de grands objets nécessite plus de coopération, il faut trouver des solutions. Il s’agit là de réussir à résoudre une situation-problème à plusieurs."

Des jeux créés par les élèves

À l’école Pauline-Kergomard de Champagné, les enseignantes ont choisi de faire participer les élèves de moyenne et grande sections à la création des jeux qui seraient proposés pour les "24 heures de la maternelle". Le projet pédagogique est transversal : travail du graphisme, de la découverte du monde et du langage, avec notamment l’emploi lexical des repères spatiaux (derrière, dessous, devant…) et des verbes d’action. Il faut créer deux jeux pour tous les élèves de l’école, accessibles aux petits comme aux grands, et même aux parents. Ce temps de création est partie intégrante de l’apprentissage, dans les domaines interactifs d’“agir et s’exprimer avec son corps” et du langage. Le premier est un jeu de l’oie sur plateau géant. À chaque case correspond une photographie d’enfants en action : ils se donnent la main, ils lèvent les bras, sont l’un devant l’autre, l’un à côté de l’autre… Les élèves jouent par binômes et, pour continuer à avancer sur le parcours, doivent reproduire la position ou l’action faite sur la photographie. Le second jeu est intitulé “Avance et bouge”. Les règles sont similaires, mais le plateau est bien plus grand, les pions sont les enfants ! Sur chaque case, on trouve un numéro. Les joueurs doivent ensuite se reporter à une fiche sur laquelle est indiquée l’action à effectuer : on voit la photographie et la consigne correspondante. C’est un jeu de motricité. Les enfants jouent en binômes. L’un est pion, le second consulte la fiche avec les photographies puis explique à son camarade ce qu’il doit faire : se passer le ballon sans le faire tomber, faire la ronde et tourner, faire la brouette, rouler un cerceau le plus loin possible. Une fois le concept des jeux établi par les enseignantes, elles ont invité les élèves de moyenne et grande sections à venir les créer sur des temps d’APC (activités pédagogiques complémentaires). “Des moments privilégiés où l’on prend son temps, où l’effectif réduit rend possible une relation différente entre pairs comme avec le professeur”, explique N. Courtabessis, la directrice.

Parler “grand” pour construire le projet

Mais alors comment le travail du langage s’est-il formalisé au moment de la préparation des jeux ? Les activités dédiées à la création des plateaux ont donné lieu à des échanges impromptus et riches : numéroter les cases, les mettre dans l’ordre croissant, choisir les couleurs, peindre… Autant d’activités de coopération qui nécessitent le réinvestissement des connaissances et des compétences de chacun, pour aboutir à la création matérielle collective du plateau. Le point commun aux deux jeux était le panel de photographies d’actions à proposer pour les cases. Premier temps d’expression orale, les enfants ont proposé des actions puis les ont faites pour que l’enseignante puisse les photographier. À partir de la série d’images, il a fallu ensuite choisir les photographies qui seraient intégrées dans les jeux, mais aussi rédiger les consignes associées : quels mots choisir pour s’adapter à son destinataire ? Cette phase a permis de travailler sur la langue en tant qu’objet avec une réelle valorisation pour ces élèves de moyenne et grande sections ; d’un côté, la nécessité d’adapter les consignes aux futurs joueurs, notamment de petite section, de l’autre la gageure d’être capables d’expliquer les règles du jeu aux parents. Les enfants qui sont venus à ces temps d’APC se sont investis dans un projet où le travail de la langue, varié, a de réelles répercussions. Pour les "24 heures", les enseignantes ont pris du temps pour se placer en spectatrices : elles ont pu vérifier que les groupes d’enfants qui avaient préparé les jeux avaient compris les règles, étaient capables, fièrement, de les redonner en utilisant le vocabulaire pertinent en s’adaptant à leur public.

Le temps, un allié pour ancrer les apprentissages

Comment passer progressivement du jeu-plaisir où la parole est spontanée et décuplée grâce à la coopération, à un temps de travail du langage formalisé ? De concert, les enseignants expliquent que la répétition des mots comme celle des activités ainsi que le temps qui passe sont leurs alliés. “L’enfant doit avoir le temps de s’approprier le jeu comme un capital, explique É. Fleurat. Pour cela, il faut reconduire l’activité-jeu plusieurs fois, mais en laissant passer un temps suffisant pour que les enfants l’intègrent à leur capital culturel et cognitif. De quelques heures à quelques semaines (chez les plus jeunes), entre les sessions où les enfants jouent pour le plaisir, et celles où ils allient ce plaisir à des apprentissages formels programmés par l’enseignant”. Le travail sur la langue s’inscrit donc dans cette durée. On ne passe pas directement du jeu à une activité de mémorisation et d’apprentissage en classe ; l’enseignant établit une progression dont l’aboutissement sera un travail formalisé à l’écrit. Dans un premier temps, l’oral est privilégié, le professeur met en place des activités d’expression toujours en lien avec le jeu. Les objectifs d’acquisition du langage sont à chaque fois un peu plus ambitieux : nommer, construire une phrase à structure simple, anticiper et verbaliser une stratégie, par exemple.

Introduire des phases réflexives

À l’école de Loué, A. Fourmy a reconduit le jeu des cadeaux pour le Père Noël en commençant l’activité différemment, par un temps d’échanges : "Qui peut me dire quelle est la consigne du jeu ?".  À partir de plusieurs réponses d’élèves, on reconstruit puis on reformule tous ensemble la consigne. Les enfants réfléchissent ensuite à leur stratégie : "Avez-vous réussi ? Que fallait-il faire pour réussir ?" Ils envisagent différentes possibilités, mettent en place leur stratégie collective ; on parle pour gagner, c’est motivant ! "Cette question constitue une étape appelée phase réflexive, fondamentale dans l’investissement de l’enfant dans ses apprentissages, indique É. Fleurat. Il est amené à anticiper sur ce qu’il va faire, élément décisif dans la construction de sa pensée. Il est en mesure d’y parvenir, car il a déjà pratiqué ce jeu et dispose des images mentales nécessaires. Leur réutilisation est rendue possible par le langage capitalisé et compris au cours des situations de jeux déjà vécues. Idéalement, cette étape est exprimée au futur pour amener les élèves à se projeter dans un avenir proche au travers de l’expérience et des hypothèses". Après ce premier temps de réflexion, l’enseignant lance le jeu et, au milieu, ou/et à la fin, peut proposer une nouvelle pause. Il convient de se limiter à une ou deux phases réflexives pour ne pas briser la dynamique du jeu. Leur durée varie selon leur position, avant, pendant ou au terme de celui-ci. L’enseignant questionne les enfants pour leur faire verbaliser la stratégie : a-t-elle fonctionné ? Que fallait-il faire pour gagner ? Ces courts temps d’échange permettent à la fois de vérifier que le vocabulaire est bien ancré, que l’élève est capable d’expliquer le cheminement de sa pensée et de réactiver, de consolider des apprentissages encore fragiles. À d’autres moments, pour amorcer un nouveau dialogue ou une réflexion plus riche, le professeur peut modifier la règle du jeu ou ajouter une contrainte. Le jeu coopératif fait bien partie d’un dispositif pédagogique pensé et construit en continuité qui vise aussi à créer une culture partagée, socle du travail de la langue 6.

Évaluer pour aller vers un travail personnalisé

Dans ces temps de langage, encore intégrés au jeu tels que le debriefing, les enseignants utilisent parfois des grilles d’observation en fonction des objectifs d’apprentissage qu’ils ont fixés. Mais affiner ce travail nécessite de mettre en place un temps d’écoute plus long et individualisé : comment faire ? "Après avoir travaillé le langage en situation, cette phase d’ancrage est nécessaire. Pour que ce langage devienne actif, il faut le réutiliser hors du jeu, dans de nouvelles situations porteuses de sens pour les élèves, telles que des projets ou des situations fonctionnelles 7", rappelle É. Fleurat. Prévoir ce temps d’évaluation est aussi indispensable pour établir les progrès. Les photographies sont alors l’outil idéal, on est hors du jeu, mais en même temps l’enfant se sent impliqué, concerné puisqu’il est sur les photos avec ses camarades. L’analyse des acquis se fait parfois en tête-à-tête avec l’enseignant. À l’école de Sainte Sabine, S. Bolival a créé dans sa classe un coin-langage. À l’issue de la première période de travail sur le loup, elle a écouté les élèves individuellement, en prenant pour supports les photographies et les albums lus. Elle a enregistré chacun avec un dictaphone pour évaluer plus tard et précisément les progrès lexicaux et syntaxiques, pour permettre à l’enfant de se réécouter immédiatement, et éventuellement, de rectifier sa formulation. Ce temps d’observation-évaluation peut avoir lieu même quand les enfants sont en groupes. À l’issue du jeu de l’aquarium à l’école Petit Louvre, E. Montessinos a projeté un diaporama des photographies sur un pan de mur dans la classe. Succès immédiat : les enfants s’installent et commentent les photographies. Certains jours, ils demandent même à leur professeur une nouvelle diffusion. L’enseignante peut profiter d’un de ces temps où des petits parleurs, sécurisés, s’expriment, pour évaluer des acquis langagiers nouveaux.
 

Un passage par l’écrit nécessaire

À un moment, il devient nécessaire de passer par l’écrit et donc par la dictée à l’adulte qui fait partie des premières productions écrites : l’enseignant fait évoluer le langage oral de l’enfant vers des structures plus proches de l’écrit, nommées oral "scriptural". Suite aux "24 heures de la maternelle", V. Couzon a collé les photographies des enfants dans leurs cahiers d’activité respectifs. Les élèves les ont commentées, le professeur a reporté ces paroles sous la forme de légendes. Elle a pu vérifier que le lexique de l’eau et celui des verbes d’action étaient bien réutilisés hors du contexte du jeu. Pour une évaluation plus globale, l’enseignant peut créer un petit livre plastifié pour chaque élève en prenant pour support une série de photographies. En les regardant, l’enfant raconte. L’enseignant écoute et évalue la progressivité du langage : l’emploi des pronoms personnels, des temps verbaux, des connecteurs, de la syntaxe, du lexique visé 8. Puis, comme un écho pour accompagner la construction langagière, il reprend ce que dit l’enfant et, si nécessaire, reformule le propos dans sa zone proximale de développement 9 ; c’est cette phrase qui sera reportée à l’écrit. Le livret devient ensuite un outil que l’on consulte en classe régulièrement, que l’on peut aussi emporter à la maison pour le lire avec la famille. Comment faire progresser les enfants dont l’oral est déjà précis et structuré ? En les invitant à mener une réflexion sur la langue, par exemple à travers la création d’un album numérique. Ce travail nécessite, comme pour le livret, une verbalisation hors du contexte du jeu. Mais il s’accompagne d’une démarche de projet : que fais-je ? pour qui ? pourquoi ? comment ? La correction de la syntaxe, la pertinence du lexique, l’adéquation entre l’image et son commentaire sont ici essentiels. L’enfant s’enregistre, se réécoute, on peut effacer, recommencer ; il faut adapter le langage aux destinataires du livre. L’élève est dans la vie et non plus dans l’imaginaire du jeu. Il passe du langage de situation au langage de communication selon une approche réflexive. Le livre plastifié ou le diaporama numérique servent aussi de trait d’union avec les familles. Les enfants racontent à leurs parents en s’appuyant sur leur livre. Les adultes sont en mesure de proposer une reformulation à leur enfant en consultant l’écrit qui accompagne la photographie présentée sur la page.
 

Des postures nouvelles

La mise en place de jeux, notamment coopératifs, crée des espaces et des temps de parole dans lesquels l’enseignant est certes référent/acteur, mais aussi très souvent en retrait, il observe chacun. L’évaluation individualisée est ainsi facilitée, comme la mise en place d’activités adaptées à chaque élève. L’approche pédagogique et didactique du travail de la langue a changé : l’enseignant part de la répétition inhérente au jeu, ou à la comptine, avec des variations, des adaptations progressives, puis des décontextualisations successives qui aboutissent finalement à des formalisations et des transferts. Dans cette pratique, la coopération apporte une réelle valeur ajoutée : elle induit nécessairement un langage de communication efficace, car il en résulte un feedback immédiat. L’enfant est en mesure de constater l’effet produit par son discours. Du jeu coopératif au langage de communication, au cœur de ces pratiques, les postures de l’élève comme celles du professeur ont évolué. L’enseignant propose, incite, observe, s’adapte à chacun ; des espaces et des temps de parole sont créés et c’est aussi une relation nouvelle et personnalisée qui s’instaure entre l’enseignant et chaque jeune élève. La réussite du dispositif des "24 heures de la maternelle" est incontestable. Cette action départementale crée une émulation, motive, donne des outils de réflexion et permet une diffusion des expériences accessible à tous les acteurs de l’école. En se prolongeant sur plusieurs années, elle favorise la construction durable de nouvelles postures d’enseignants (voir annexe).
 
Article rédigé par N. Le Rouge à partir d’échanges avec M. Fleurat, conseiller pédagogique départemental maternelle, Mme Bolival, enseignante à l’école maternelle de Sainte-Sabine, Mmes Hérillard et Brousmiche, enseignantes à l’école de Courcebœufs, M. Fourmy, directeur de l’école de Loué, Mme Couzon, directrice de l’école Petit Louvre au Mans et toute l’équipe enseignante, Mme Courtabessis, directrice de l’école Pauline-Kergomard de Champagné et toute l’équipe enseignante, remerciements à Mme Oger, Inspectrice chargée de mission maternelle pour toutes les informations apportées

 
 
1. Voir article Échanger.
2. É. Fleurat a publié trois ouvrages pédagogiques. Ses travaux s’attachent à proposer un cadre théorique et pratique qui permette une mise en application des apports de la recherche, tout en respectant la réalité des contraintes d’une classe. Une attention particulière est accordée à la dimension affective, accès incontournable à la mobilisation de l’intelligence. Son dernier ouvrage est publié aux éditions de L’Harmattan.
3. Les conseillers pédagogiques départementaux "impulsent sous l’autorité du directeur académique des services de l’Éducation nationale (DA-SEN) la politique départementale dans leur spécialité. Personnels itinérants, ils travaillent auprès des IEN et enseignants du premier degré (conseils, coordination, formation, rencontres, organisation de manifestations…)". Source : site de l’académie de Toulouse.
4. Je m’habille… et je te croque, de Bénédicte Guettier (L’École des loisirs), Loup poilu y es-tu ? de Sylvie Auzary-Luton (L’École des loisirs), deux exemples du corpus.
5. École maternelle multi-âges, du réseau ECLAIR, Val d’Huisne
6. Cette démarche progressive de mise en place du jeu coopératif pédagogique a été formalisée par Madame Oger et M. Fleurat dans le parcours de formation proposé sur le site “maternelle72” (accessible librement aux enseignants grâce à leur identifiant et mot de passe de messagerie académique).
7. Une situation fonctionnelle se définit comme une tâche qu’un enfant est amené à faire régulièrement ou occasionnellement dans des contextes de la vie courante. Celle-ci favorise son accès à des comportements autonomes et lui permet de prendre sa juste place dans la société. La réalisation d’une situation fonctionnelle nécessite la mise en synergie d’habiletés et de savoirs.
8. Pour des repères précis sur l’évaluation de l’acquisition du langage de l’enfant, voir le site Éduscol.
9. Zone d’acquisition possible de l’enfant selon l’âge considéré.
 
auteur(s) :

N. Le Rouge

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 289 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 3 observer, positionner, diagnostiquer 29/09/2011
Par définition, le diagnostic médical, technique est le raisonnement menant à l'identification de la cause d'une défaillance, à partir de symptômes relevés par des observations, des contrôle ...
diagnostic, observation, positionnement, évaluation, personnalisation, état des lieux

haut de page

innovation pédagogique - Rectorat de l'Académie de Nantes