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la décantation du sens

mis à jour le 31/01/2011


echanger dossier 91

Comment accompagner les élèves pour qu'ils "tentent d'aiguiser leur regard face à la télévision" ? L'action Télémaques, à partir de documentaires, part d'un principe simple : c'est en prenant soi-même conscience de l'influence des images qu'on se forge un regard averti dépassant la réaction affective immédiate. De l'effet à la cause, une enquête vers un sens qui se construit sur la forme.

mots clés : échanger, entretien, sens critique, analyse, objectivation, écrans, documentaire, télévision


Télémaques, une action coordonnée par l'association Savoir au Présent, fait partie du programme d'actions éducatives mis en place par le conseil régional. Ses objectifs entrent pleinement dans notre problématique de l'éducation aux écrans, comme on peut le lire dans le document de présentation : "Télémaques est un programme culturel qui tente de former le regard des jeunes face au défilement des images de télévision. [...]. Il s'attache à faire évoluer l'attitude des jeunes devant leur télévision. Il s'agit de faire acquérir une véritable culture télévisuelle favorisant un esprit curieux et critique, et une position non aliénante face aux images". Trois enseignants du lycée René-Couzinet font partie de ce dispositif : deux enseignants de lettres-histoire, Sylvie Marquer et Éric Vrignon, et l'enseignante-documentaliste, Frédérique Bioche. Ils en sont à leur deuxième année d'une action qui met bien en lumière les difficultés et la nécessité d'une éducation aux écrans. Qu'en est-il exactement ?

Un riche matériau de travail

Quatre documentaires de télévision sont sélectionnés par le comité organisateur. Une journée de formation-débat regroupe les enseignants inscrits dans le dispositif. Éric Vrignon s'est ainsi rendu à Paris au nom de l'équipe et, à l'issue de la journée, chaque établissement choisit le documentaire sur lequel il va travailler. L'an dernier, l'équipe du lycée Couzinet avait choisi un documentaire intitulé Danse avec un tueur en série, histoire d'une enquête criminelle. Ce film de Nigel Williams relate l'enquête menée par l'inspecteur Abgrall qui a permis l'arrestation du tueur en série Francis Heaulme, et montre les relations entre les deux hommes. Cette année, leur choix s'est porté sur le documentaire de Frédéric Tonolli intitulé La mort d'un peuple qui évoque la disparition d'un peuple sibérien, les Tchouktches. Réalisé sur dix années, il montre l'agonie d'un peuple qui ne survivra pas aux efforts conjugués du régime stalinien et de la société capitaliste russe. L'association se charge de l'obtention des droits de diffusion, l'action fonctionne en partenariat avec les chaînes de télévision France 2, France 3 et Arte. Les enseignants peuvent donc projeter en toute légalité le film choisi, et ils disposent en plus d'une mallette contenant un thésaurus qui regroupe toute la documentation au sujet du film : synopsis, analyses, présentation des auteurs, documents de travail, dossier de presse... De l'émergence de l'idée à la réception de l'œuvre, toutes les étapes de la création sont présentes dans ces dossiers, grâce à de "vrais" documents de travail. Il est également prévu, dans le dispositif, une rencontre avec un des professionnels ayant contribué à la réalisation du film, qui vient débattre avec les élèves dans l'établissement. L'an dernier, les classes du lycée Couzinet ont ainsi dialogué avec le monteur de Danse avec un tueur en série.

Ne rien faire !

Les deux classes concernées par cette première année sont les secondes BEP (brevet d'études professionnelles) commerce (Éric Vrignon) et électrotechnique (Sylvie Marquer). Chaque enseignant se saisit comme il l'entend des matériaux fournis tout en s'inscrivant dans le cahier des charges du projet Télémaques. Le premier critère est paradoxalement... de ne rien faire ! Pas évident pour un enseignant, note Éric Vrignon, on a tendance à culpabiliser, à se dire qu'on doit accompagner les élèves. Le jour de la première projection de Danse avec un tueur en série, il avait préparé un petit questionnaire pour guider le visionnement, autant à des fins pédagogiques que par acquis de conscience. Et puis, au dernier moment, il ne l'a pas photocopié. Les élèves découvrent donc le film, sans aucun commentaire préalable. Les réactions sont d'autant plus vives. On n'est pas dans le cadre d'un exercice scolaire, on regarde ensemble un film, comme on le ferait chez soi, sans arrière-pensées. Il faut dire que le sujet du documentaire est particulièrement porteur. Le débat est animé, et les commentaires concernent le fond. Rien sur la forme. L'enseignant reste en retrait : il canalise les prises de parole et prend en note ce qui se dit. Le but de cette
éducation aux écrans est de mettre les élèves en position de réfléchir par eux-mêmes, et non d'orienter leur analyse dans le sens prévu par l'enseignant, aussi noble soit-il. Ce qui frappe le plus les élèves, c'est que les assassins sont parmi nous ! Ils sont effarés et fascinés de voir que la monstruosité est présente chez un homme ordinaire qui mène une vie commune, dans un monde qui est celui de tous les jours, le leur. Ils peuvent croiser des individus de cet acabit tous les jours... On est loin de l'image finalement rassurante du tueur des fictions américaines, trop évidemment méchant, qui évolue dans un univers qui n'est pas celui de leur vie réelle. L'homme les interpelle : entre horreur et compassion, ils peinent dans un premier temps à analyser ce qu'ils ressentent. La question de la frontière entre le monstre et l'humain est concrètement posée, ainsi que celle des valeurs morales. La réflexion sera ensuite approfondie en cours, nous ne développons pas ici les activités mises en place, aussi importantes que celles consacrées à l'éducation aux écrans qui font l'objet de cette analyse.

Une décantation du ressenti

La suite de la séquence vise à accompagner les élèves dans cette analyse d'un ressenti où l'affectif et les questions de fond occupent toute la place. La méthode adoptée consiste en un empilement de réactions qui s'affinent progressivement en menant du fond vers la forme. Déjà, au cours de ce premier débat, l'enseignant suscite le questionnement : Pourquoi réagit-on ainsi en tant que spectateur ?... À l'issue de cette séance, chaque élève met par écrit ses premières impressions en notant cinq points positifs et cinq points négatifs. La consigne est volontairement vague pour, là encore, ne pas influencer l'analyse des élèves. Un second débat permet ensuite de revenir sur le sujet, après les premières impressions à chaud. Le premier choc est passé, la mise par écrit a permis une première prise de recul qui se poursuit dans ce nouveau débat. Là encore, l'enseignant prend des notes et incite à approfondir, au besoin. Les élèves tentent de comprendre le pourquoi de leurs réactions premières. Ils ont réagi à une réalité, certes, mais transmise par un objet médiateur, ce film qui est un produit artistique construit d'une certaine manière. Des éléments formels apparaissent : sur la relation entre les deux protagonistes principaux, l'inspecteur et le criminel, mais aussi sur la musique, le rythme, le choix des documents d'archives, le montage. Ce sont encore des pistes sommaires, que l'étape suivante va permettre de creuser. Il s'agit d'un devoir en classe. L'enseignant a sélectionné vingt remarques faites par les élèves. Chacun doit en choisir quinze et y apporter son commentaire personnel : d'accord, pas d'accord, justifié, pas justifié (voir annexe). À partir de ce qui apparaît maintenant comme une analyse ayant largement dépassé les premières réactions épidermiques, l'enquête continue.

Un film est une création qui n'est pas neutre

Le retour sur des extraits, nettement facilité par les outils modernes que sont l'ordinateur et le vidéoprojecteur, aide à une analyse plus distanciée. Les élèves, par ce processus de décantation, se sont mis sur la voie de la forme. Ils ont compris qu'un film est un objet créé de toutes pièces, même s'il s'inspire de faits réels, qui oriente la perception et les réactions du spectateur. Par quels moyens ? C'est ce que ces jeunes décryptent en observant de près des séquences du film. Les outils formels répondent maintenant à une réelle demande d'élucidation. La séquence initiale du film est passée au crible. Pourquoi filmer longuement cette plage (où a eu lieu l'un des crimes) si gaie et rassurante, toujours pleine de monde et bien peu adaptée pour commettre un meurtre ? Et comment se fait-il que le fait de voir ce lieu tellement anodin et paisible s'accompagne d'une vague impression d'inquiétude ? La musique, le rythme, le point de vue, le montage, ont leur importance. Le fait qu'il y a des gens, derrière la caméra et le produit final, qui ont fait des choix, n'est pas apparu d'emblée aux élèves, loin de là. Le leur dire n'aurait pas eu le même intérêt qu'en les laissant découvrir par eux-mêmes ce qui n'est pas une évidence dans leur esprit. L'étape suivante est logiquement la rencontre avec le monteur de Danse avec un tueur en série. Un entretien riche qui a permis de montrer concrètement qu'un film se construit, qu'il n'est jamais neutre et qu'il oriente le regard et la perception du spectateur. Le professionnel a par exemple expliqué qu'il pouvait y avoir des désaccords entre le réalisateur et le monteur, chacun défendant des choix qui impliquent des intentions différentes.

Dépasser la fascination

La phase suivante va permettre d'appliquer ce qui a été acquis sur un autre support. Les élèves choisissent librement une émission télévisée, en dehors du journal télévisé et des films de cinéma, et en font une analyse pour dire ce qu'ils en pensent (voir annexe).
La forme est libre, ils peuvent réaliser une note écrite ou une courte vidéo (voir annexe). Qu'ils soient déçus ou qu'ils aient apprécié l'émission, l'essentiel est de donner des arguments pour expliquer leur impression, en s'appuyant sur des éléments formels. Les élèves se sont particulièrement bien investis dans l'ensemble de cette action. Le sujet du téléfilm était particulièrement porteur, ce qui sera peut-être moins évident avec celui de cette année (l'action en est à ses débuts au moment où nous écrivons cet article, le documentaire vient juste d'être choisi). Quoi qu'il en soit, forts de l'expérience de l'an passé, les enseignants souhaitent la reconduire cette année en gardant les grandes lignes de la démarche adoptée. Les élèves apprennent à dépasser la fascination et la réaction émotionnelle. Le fait de proposer une première projection brute, sans avertissement ni préparation, est essentiel à cet égard. L'équipe enseignante s'interroge sur le moment et la manière d'apporter les outils formels qui pourront permettre d'approfondir l'analyse. S'il est capital de partir des réelles réactions des élèves, dans des conditions qui se rapprochent de la manière dont ils regardent la télévision, la place de l'enseignant n'est pas toujours facile à accepter, il doit perdre en partie la mainmise sur la situation. Mais c'est ce retrait vigilant qui permet de laisser les élèves avancer dans ce qui est finalement une enquête sur leurs propres réactions. L'effet mène à la cause comme le fond mène à la forme. Et c'est dans cette prise de conscience progressive que s'effectue l'éducation aux écrans.

Une petite pierre pour un long chemin

Mais l'élaboration d'un réel esprit critique ne peut se suffire d'un seul exemple. On analyse toujours en fonction d'un corpus préexistant. La spécificité d'une œuvre se définit au regard d'autres œuvres, dans une mise en écho productrice de sens. On mesure mieux les choix opérés dans un documentaire si l'on peut les mettre en perspective avec d'autres. Or les élèves ont peu de références dans ce domaine. Les mises en relation qu'ils effectuent se font avec d'autres genres. Ils ont par exemple comparé Danse avec un tueur en série avec l'émission Faites entrer l'accusé, où ce sont des comédiens qui jouent des scènes reconstituant un fait divers réel. Cela ne manque par d'intérêt en soi, puisque c'est l'occasion d'aborder les distinctions entre les genres et les ambiguïtés de certains, comme les docu-fictions. Aucune image n'est une vérité absolue et objective, il convient d'être au clair avec ce que l'on regarde, et cela ne va pas toujours de soi dans l'esprit des élèves. Une telle action contribue sans aucun doute à l'éducation aux écrans, mais ce n'est qu'une pierre sur le long chemin de l'apprentissage d'un réel esprit critique.
 
auteur(s) :

D. Grégoire

contributeur(s) :

É. Vignon, LP René-Couzinet, Challans [85]

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echanger dossier 91 l'éducation aux écrans 26/10/2010
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