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méthodes et pratiques humanistes

mis à jour le 18/06/2014


echanger dossier 4

Lorsque philosophie, lettres et histoire-géographie s'associent pour croiser leurs regards, leurs approches complémentaires démontrent à l'envi la richesse et la force des études littéraires et ses apports pour décrypter le monde actuel. Cette convergence s'avère d'autant plus efficiente lorsqu'elle s'applique au domaine vaste et varié des images.

mots clés : échanger, lycée, images, presse, histoire de l'art


nauguré à la rentrée 2010 en classe de seconde, l'enseignement d'exploration intitulé "Littérature et société" a pour finalité première de rendre leurs lettres de noblesse aux sciences humaines dont l'utilité semble de moins en moins tenue pour acquise dans notre société menée par les sciences et les technologies. Depuis quelque temps, du Capital Lettres 1 à L'avenir des Humanités 2, de nombreux essayistes s'emploient à reconsidérer les Humanités pour préserver l'avenir de l'humanité. Selon le bulletin officiel, cet enseignement d'exploration "vise à renforcer l'attractivité de la voie littéraire en montrant aux élèves l'intérêt, l'utilité sociale et la diversité des débouchés d'une formation humaniste au sens large et moderne du terme 3". Réfléchir sur le pouvoir des pratiques lettrées en général dans la société tout en initiant à l'apprentissage de méthodes d'analyse et d'interprétation, telle est l'ambitieuse problématique qu'a élaborée un trio d'enseignants du lycée Ghist'hau. En effet, aux deux disciplines dévolues à cet enseignement, soit les lettres et l'histoire-géographie, comme l'implique son appellation, s'est adjointe une troisième à laquelle les élèves sont de plus en plus tôt initiés. La philosophie, puisque c'est d'elle qu'il s'agit, est de plus en plus tôt invitée à la table des autres matières et ce bien avant l'année de terminale.

L'introduction d'un geste philosophique

Hormis l'originalité de la situation, en quoi la présence de la philosophie imprime-t-elle une orientation nouvelle à cet enseignement ? Fédérant les contenus autour d'explorations communes, les notions abordées se trouvent questionnées à partir de l'étonnement philosophique. En parlant de "geste philosophique", Stéphane Petrocchi évoque l'identification d'une illusion à dénoncer et d'un principe de vérité à défendre pour s'en libérer. Il faut préciser que ce professeur est également enseignant en histoire des arts. De ce fait, l'équipe pédagogique, coprésente seulement à certains moments stratégiques de l'année devant la classe, a défini des thématiques communes que chaque discipline a ensuite abordées en fonction de sa spécificité. Parmi les six domaines d'exploration spécifiés dans le BOEN cité ci-dessus, l'un des thèmes étudiés a été Images et langages: donner à voir, se faire entendre. Ainsi, l'année a débuté en traitant la notion transversale de discours pour rendre sensibles les élèves aux types de discours qui les entourent dans la société, mais surtout pour leur apprendre à les maîtriser eux-mêmes, notamment en termes d'argumentation. C'est ensuite l'image qui est interrogée dans son rapport au texte. N'est-elle qu'une illusion ? L'image nous détourne-t-elle de la réalité ?

Livre d'images

Sous de multiples formes, les images sont omniprésentes dans notre société. Quels discours tiennent-elles et quels effets suscitent-elles ? Le professeur de philosophie lance la réflexion sur l'image au moyen de l'incipit de La Métaphysique d'Aristote : "Tous les hommes désirent naturellement savoir ; ce qui le montre, c'est le plaisir causé par les sensations, car, en dehors même de leur utilité, elles nous plaisent par elles-mêmes, et, plus que toutes les autres, les sensations visuelles. En effet, non seulement pour agir, mais même lorsque nous ne nous proposons aucune action, nous préférons, pour ainsi dire, la vue à tout le reste. La cause en est que la vue est, de tous nos sens, celui qui nous fait acquérir le plus de connaissances et nous découvre une foule de différences". Dans ce passage, Aristote établit donc pourquoi voir est déjà synonyme de savoir.

Images du monde

Mais pour autant toute image est-elle porteuse de vérité ? Parallèlement au travail du professeur d'histoire qui s'est penché sur les images d'actualité, d'autant plus qu'en ce printemps arabe 2011, celle-ci était brûlante, il s'agit de formuler une problématique sur laquelle on puisse travailler en commun : Peut-on mettre l'histoire en images sans la trahir ? Les élèves sont confrontés à deux Unes de quotidien. On leur demande d'imaginer qu'ils sont directeur artistique dans le comité de rédaction d'un journal et qu'ils doivent justifier le choix de l'une ou l'autre. Cet exercice d'argumentation est ainsi lié à une mise en situation créative. En première page du Monde du 23/02/2011, on voit une foule d'hommes sur une place (voir ci-dessous). Certains piétinent un panneau d'affichage à terre dont il est difficile de dire, à partir de l'image, ce qu'il représente. La Une du International Herald Tribune datée du lendemain montre en plongée les jambes d'un homme piétinant un panneau d'affichage à terre, lequel représente clairement le dirigeant lybien contesté Khadafi (voir ci-dessous). Les deux images n'ont pas la même lisibilité. Informant du même événement, elles le font d'une manière très différente. La première informe sur la densité de la foule présente. Elle donne à voir, par le point de vue choisi, la place sur laquelle l'événement se déroule. La lumière sature le haut de l'image qui est, par ailleurs, dans son ensemble, globalement floue. Elle donne l'impression au lecteur de participer à la manifestation qui se déroule. Mais, en elle-même, elle est très peu lisible. Il pourrait s'agir de tout autre chose qu'une manifestation politique, un jour de marché ou une fête populaire ou religieuse, par exemple. Seule la légende nous indique le lieu, Tobrouk, et l'identité de la personne représentée sur l'image piétinée. La deuxième image est, en revanche, beaucoup plus lisible. Kadhafi est immédiatement reconnaissable et la force symbolique prévaut clairement et efficacement sur la dimension informationnelle. Prise en plongée, la photographie ne permet pas d'identifier l'homme qui piétine, dont on ne voit que les jambes. Mais son geste iconoclaste est très fortement saisi, car le visage du "guide" est brisé en morceaux tout en restant parfaitement détaillé et expressif.

Une du Monde du 23 février
Une du International Herald Tribune

 

Images en abîme

On voit parfaitement l'image de propagande, et on voit en même temps son caractère factice, le contreplaqué brisé apparaissant sous l'image de surface et révélant une matérialité fragile qui entre en contraste avec la dimension immatérielle du visage représenté. L'image brisée au sol perd son pouvoir et on marche dessus comme si elle n'était plus rien que vile matière. L'image du guide est humiliée par l'homme qui la piétine et donc aussi par la photographie qui en témoigne. Il y a comme une inversion des rôles et c'est le quidam de la rue qui se trouve dominer celui qui est censé le diriger. Mise en abîme de l'image qui révèle ses ressorts, sa puissance et son impuissance, la fin de la légende et le début de l'histoire. D'ailleurs, la légende de cette deuxième image est presque redondante par rapport à l'image. Elle indique le lieu, Al Labraq, mais on devine qu'un manifestant piétine un portrait mural de son dirigeant et la légende joue ici le rôle de renforcement, de confirmation, d'officialisation de ce qu'il faut voir dans l'image. Les élèves soulignent la valeur artistique de la photographie qui semble avoir été volontairement composée, même si elle vise à donner l'impression d'un moment vécu saisi par le photographe dans sa spontanéité, sa vérité authentique. Le professeur d'histoire intervient pour préciser le statut de ce type d'image pour l'historien. À quel titre vaut-elle comme document historique possible ? Il fait un travail avec les élèves pour rendre sensible le fait que toute image suppose une intentionnalité. Le second exercice demandé est le suivant : à partir d'images photographiques, les élèves doivent inventer diverses légendes possibles qui en changent le sens.

Images et texte

Le professeur de lettres apporte à son tour son éclairage sur l'inscription de l'image photographique dans la page du journal par rapport au texte qui l'entoure. Il travaille sur un autre type d'image qui comporte du texte, soit l'affiche. Son but est bien de communiquer une information, mais elle n'a pas le même rôle de témoignage que celui de la photographie journalistique. Il y a ici plus explicitement un travail de mise en forme artistique. L'affiche d'une manifestation littéraire a pour fonction d'inciter à y participer. Différences de format, de temps de publication, de lieu de diffusion qui induisent une relation très différente du spectateur à l'image par rapport à la photographie. L'affiche, à visée publicitaire, intervient dans l'espace public qu'elle occupe souvent de manière répétitive comme pour annoncer que l'événement annoncé concerne tout lieu et mérite d'être connu partout.

Images du pouvoir

La séance dédiée à la peinture d'histoire commence au musée des beaux-arts de Nantes avec une fiche d'analyse (voir annexe). L'œuvre est choisie pour la relation pertinente qu'elle entretient avec la problématique. C'est Lucrèce sur la place publique de Collatie d'Auguste-Hyacinthe Debay, qui date de 1831 (voir ci-contre). Les élèves doivent d'abord chercher à comprendre l'image à partir d'elle-même sans le secours d'aucun texte, pas même l'inscription donnant le titre du tableau. L'action représentée est complexe. Brutus profite du suicide de Lucrèce pour soulever le peuple contre la monarchie des Tarquins, responsables du viol qui conduit la victime à ce geste irréversible. Le tableau nous dit "Prenez les armes". C'est une révolution qui conduira à la République dont le tableau nous donne à voir l'action initiale, conjointement à celle de Lucrèce, de Brutus et du peuple. L'action de Brutus est un discours puisque, au moment de la péroraison, il brandit le couteau taché de sang et transforme ainsi l'émotion du deuil privé en une colère qui devient publique ; le discours devient image. Tous les détails du tableau deviennent parlants, symboliques ou picturaux. Le professeur d'histoire intervient pour approfondir la question historique de l'articulation entre monarchie et République. À travers le filtre de l'Antiquité, est relu l'acte révolutionnaire de 1789, mais le contexte est celui, particulier, de ce roi bourgeois qu'est Louis-Philippe. L'œuvre de Debay est confrontée à La liberté guidant le peuple de Delacroix, exposée au même salon. Delacroix inverse le mouvement, utilise une allégorie, mais accomplit l'acte décisif de produire une image d'actualité des Trois Glorieuses de juillet1830. Son tableau éclipsera celui de Debay. Il donne à la France une image d'elle-même au lieu d'avoir recours au passé antique. L'œuvre d'art engage ici une conscience de l'histoire qui ne peut être directement accessible à la photographie d'actualité. Le professeur de lettres travaille sur la dimension littéraire du texte de Tite-Live qui a inspiré Debay. S'il y a bien, dans le texte, l'histoire originale, la transposition picturale est bien autre chose qu'une illustration. C'est une interprétation. Il est également philosophiquement important de souligner la part d'imaginaire qui agit dans l'histoire, son besoin de se refonder dans des images fortes, symboliques, qui donnent souvent à l'art le premier rôle. S'il y a des images qui restent marquantes pour l'Histoire, n'est-ce pas qu'elles donnent à penser l'Histoire se faisant dans l'ambiguïté même des actes qui la transforment ?
 

Pouvoir des images

La synthèse de cette longue étude sur les images, leurs formes et leurs fonctions, s'appuie sur un texte philosophique. Dans le livreVII de La République, Platon écrit : "Figure-toi des hommes dans une demeure souterraine, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière ; ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés, de sorte qu'ils ne peuvent bouger ni voir ailleurs que devant eux, la chaîne les empêchant de tourner la tête; la lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin, derrière eux ; entre le feu et les prisonniers passe une route élevée : imagine que le long de cette route est construit un petit mur, pareil aux cloisons que les montreurs de marionnettes dressent devant eux, et au-dessus desquelles ils font voir leurs merveilles... de tels hommes n'attribueront de réalité qu'aux ombres des objets fabriqués". Les élèves dessinent, à partir du texte philosophique complet, le dispositif optique qui préside à l'allégorie qu'il s'agit ensuite d'interpréter. Le mythe platonicien de la caverne a d'abord modestement pour objet de montrer le mécanisme causal qui préside aux images et la manipulation des ignorants qu'elle peut produire. L'image apparaît alors autant comme un moyen d'apprendre que comme un moyen d'asservir l'esprit, une illusion. C'est l'occasion de revenir avec les élèves sur les enjeux de la notion de discours qu'ils ont travaillée par ailleurs. Enjeu de pouvoir pour les Sophistes, le discours est enjeu de vérité pour le philosophe qui, via l'allégorie, en fait un usage de nature à développer une pensée démonstrative. Il est alors nécessaire de reconnaître en conclusion qu'un travail sur l'image est indispensable pour que celle-ci passe du pouvoir de montrer au pouvoir de démontrer.

Évaluation

La priorité est donc donnée à l'activité de l'élève qui se trouve en position de réalisation de productions diverses, écrites et orales, à partir d'analyses menées en commun. L'élève garde trace de ses travaux personnels ou faits en classe dans un dossier individuel organisé. Une part importante de l'évaluation est mesurée par l'engagement de l'élève, sa participation volontaire aux activités. De manière plus précise, quatre compétences sont évaluées : la démarche personnelle de l'élève, son autonomie et son investissement dans la conduite et la réalisation d'un projet ; la capacité à rechercher et à traiter des informations en réponse à une problématique d'étude ; la capacité à analyser et à synthétiser des documents ; la qualité de la présentation finale de la production. L'autonomie est donc encouragée. Ainsi ce panorama d'images étudiées de manière transdisciplinaire prépare-t-il les élèves à décrypter les messages véhiculés par notre société tout en affinant leurs qualités d'analyse et d'interprétation.

1. Le Capital Lettres, Des littéraires pour l'entreprise, Alain Etchegoyen, 1990, Éditions Bourin.
2. L'Avenir des Humanités, Économie de la connaissance ou cultures de l'interprétation?, 2011, Yves Citton, Éditions de La Découverte.
3. Bulletin officiel spécial n°4 du 29avril 2010.
 
auteur(s) :

J. Perru

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