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mon métier est un art

mis à jour le 30/05/2013


echanger dossier 5

C'est pour redonner confiance à ses élèves de lycée professionnel et fierté pour leur métier qu'une professeure de lettres-histoire a conçu un projet autour de l'art et de la poésie... un détour inattendu, pour des élèves de section industrielle, mais qui a été mené à son terme avec succès.

mots clés : échanger, lycée professionnel, valorisation, art, poésie, photographie


ans la classe, de nombreux élèves ont, malheureusement, eu un parcours scolaire un peu chaotique et ont souvent intériorisé une image négative d'eux-mêmes et du monde du travail. En effet, cette classe était une classe particulièrement difficile avec de nombreux élèves décrocheurs. "Nous, on est nuls !" était une réplique souvent entendue... "Comment donc leur redonner confiance ? Comment leur redonner la fierté de leur futur métier ? Comment concilier analyse d'image et étude de la symbolique des couleurs ? Comment permettre l'expression de soi et l'affirmation d'un jugement artistique de la part des élèves ?". Telles étaient les questions que se posait la professeure en début d'année. Ainsi est né le projet "Mon métier est un art" qui devait aboutir à la création de tableaux-poèmes et à leur accrochage dans l'atelier. Cette idée a deux origines dans l'esprit de l'enseignante. D'une part, elle connaît le peintre Florent Maussion qui a bâti son atelier dans une friche industrielle (des mines de schiste) de Segré et qui a fait de l'industrie le sujet de sa peinture. C'est ainsi l'occasion de montrer aux lycéens le patrimoine culturel des générations précédentes lié aux sociétés minières. Par ce biais direct, les élèves peuvent relativiser la nouveauté de leurs propres goûts. D'autre part, lors d'une visite dans l'usine Scania d'Angers, usine de fabrication de camions, elle avait été frappée par la propreté des chaînes de montage où l'on trouvait plantes vertes et tableaux accrochés aux murs, de même que dans le foyer des ouvriers, à l'étage. Le monde du travail et celui de la décoration artistique n'étaient donc pas incompatibles !

Un regard neuf sur les machines

Au départ, un appareil photo suffit, car il s'agit tout simplement de commencer par prendre une photo d'un élément de l'atelier. Mais pas n'importe comment. Quel intérêt, en effet, y aurait-il à photographier une machine et à y ajouter en légende le nom et les caractéristiques ? Il ne s'agit nullement de produire une documentation technique. C'est le regard habituel sur ces machines qu'il faut modifier, transformer. La photo doit détourner la machine ou l'objet pour les transformer en supports de rêve et révéler tout un autre monde. Pour cela, il fallait évidemment jouer sur le cadrage, la lumière, l'angle de prise de vue. Toutes ces notions avaient été abordées précédemment en cours lors de séances sur l'analyse de l'image. La professeure leur avait présenté très concrètement la plongée en montant sur une table avec l'appareil pour prendre un objet et faire comprendre combien il était ainsi réduit, diminué au sens propre et figuré et elle s'était couchée par terre pour photographier un élève et lui faire comprendre qu'elle était littéralement "à ses pieds" et que lui était grandi et valorisé ! Chacun s'est donc mis à regarder son atelier avec un nouveau regard. Certains ont vite pris leur photo comme le montre ce fût de recyclage rouillé, rouge foncé, rempli de poussières métalliques luminescentes qui se transforme en image poétique (voir ci-contre). Pour d'autres, il a fallu plus de temps et s'y reprendre à plusieurs fois avec un peu d'aide, essayer le zoom, le contre-jour, isoler l'objet de son environnement connu... Une contrainte supplémentaire avait aussi été donnée : l'image ne devait pas comporter d'éléments humains, occasion de faire le point sur la législation et le droit à l'image. Quarante photos ont été prises, vingt ont été sélectionnées par l'enseignante et présentées à la classe. Chacun des seize élèves en a choisi une.

D'abord un titre !

Ce travail a été l'occasion d'aborder la poésie par la pratique plutôt que par la lecture et l'analyse de textes, difficiles avec cette classe ! Mais se lancer avec eux dans une écriture poétique nécessitait de très bien cadrer le projet pour ne pas leur laisser trop de temps de recherche solitaire. Il faut au contraire les relancer très régulièrement, les uns après les autres, et vite aboutir à une production, même minimale ; un mot, une liste de mots, une expression. Une fiche-guide leur permet de repérer les différentes étapes de l'écriture. La première tâche a consisté à trouver un titre pour la photo et pour cela choisir de préférence un seul mot choc ou plusieurs mots, mais formant alors une phrase nominale, tout en leur demandant d'éviter le vocabulaire courant, fade (être, avoir, dire, très, grand, beau, intéressant...). La ponctuation forte (le point, le point d'interrogation, d'exclamation . ? !) est aussi une contrainte imposée. Ainsi la photo représentant un instrument de mesure circulaire a d'abord eu pour titre "L'œil de l'horloge" ; puis à la suite d'un échange autour de la personnification et des mots pour dire le temps, l'élève, sur la base du noyau du mot chronologie, a trouvé le nom du dieu du temps, Chronos. Son titre est devenu "L'œil de Chronos". Cela a été l'occasion, en cours, de revenir sur des reproductions de sculptures ou de peintures de Chronos. Pour une autre photo, partant du mot "main", le travail a abouti à "Manu-tension".

Le quatrain

Pour la rédaction du texte, hors de question de laisser libre cours à une sorte d'épanchement lyrique! Il faut encore fixer des étapes et des consignes très précises. On commence par se constituer un matériau de base, du vocabulaire. À partir du mot central du titre, l'élève doit aligner une dizaine de mots de la même famille ou du même champ lexical, et choisir, non le mot courant, mais "le petit frère qui est sur le coussin doré", c'est-à-dire en langage soutenu, comme le dit la professeure ! "Main" conduira à phalange, ongle, doigté... Tous les moyens sont bons pour trouver le mot un peu plus recherché, on peut avoir recours à internet pour trouver "kaléidoscope" ! Mais le choix du mot ne suffit pas, une nouvelle recherche s'oriente sur des figures de style : la métaphore, évidemment, en comparant le thème de la photo avec un autre élément et en trouvant les mots qui expriment le point commun entre les deux mondes. La chaîne métallique articulée devient serpent, cobra, python et colonne vertébrale... L'alignement des minces tiroirs devient rail, route... On y inclut quelques rimes, assonances ou allitérations. On joue aussi sur les rythmes binaires, ternaires ou accumulatifs à partir du ressenti. Le travail peut aller très loin dans le détail mis en évidence graphiquement, (ainsi la structure embrassée: "Au cœur du temps, l'artisan crée son œuvre"). Il ne reste plus qu'à conclure avec ingéniosité, malice, humour, tragédie comme le conseille la professeure. La dernière phrase doit en effet produire "un effet de surprise" (voir ci-dessous).

Le tableau-poème

Le texte composé va être réécrit avec l'ordinateur en travaillant sur la police de caractère et sur les couleurs. Les élèves retrouvent alors le travail de début d'année et leur tableau sur la symbolique des couleurs. La réflexion avait été appliquée alors au choix des couleurs des peintures des bâtiments, ou celles des vêtements, et leur influence lors d'un entretien d'embauche... La professeure avait même provoqué leur réaction par son propre choix de couleurs de vêtements, pour ce cours ! (Mais c'est une habituée des mises en scène pour accrocher les élèves voir Échanger n° 90 "Motiver : un enjeu pédagogique"). À leur tour, lors d'une visite au musée des beaux-arts d'Angers, les élèves allongés devant le tableau La danseuse jaune, d'Alexis Jeanneau, dessinent et réfléchissent à la portée de cette couleur solaire, guidés par un médiateur : pastel, fusain, crayon gras, les mains usineuses deviennent créatrices. Le texte peut glisser du sombre au clair, du noir au rouge, évoquant le dégoût ou le danger. Des mots apparaissent en relief. Une lettre peut simplement être écrite d'une autre couleur pour souligner une allitération, le V de volatile repris dans âme vivante, et l'on ressent par ce glissement phonétique l'envol de l'oiseau ! Ensuite le poème ne va pas être placé simplement en-dessous ou à côté de la photo, mais celle-ci va être enchâssée dans le poème pour former un tout indissociable, un tableau-poème. Le texte est alors découpé et collé autour de la photo. Le spectateur ne peut être passif, il doit pencher et tourner la tête, et l'interaction est réussie. Cela nécessitera un effort pour lire l'ensemble, mais l'accès au sens d'un poème n'est jamais donné d'emblée ! L'effort physique métaphore de l'effort intellectuel ! Découpage, centrage, collage sont des opérations qui nécessitent concentration et minutie. Ce n'est pas le plus facile. Dans le même temps, les élèves déambulent au musée Robert Tatin et s'essayent au modelage et à la sculpture. Le parcours de ce génial créateur, peintre industriel à l'origine, résonne de proximité avec ces élèves en voie professionnelle. Ce qu'a réussi un peintre-maçon, ne peuvent-ils aussi y parvenir ? Décomplexés, ils finalisent eux-mêmes l'accrochage de leur tableau. Alors les verticales penchent parfois un peu, des encadrements cassent... mais chacun produit son œuvre avec ses propres mains. Il peut arriver que la colère prenne le dessus et qu'un élève ne supporte pas le résultat et "explose" son tableau ! Même ceux qui ont pris du retard produisent un texte manuscrit tandis que ceux qui travaillent plus vite ont réalisé deux œuvres.

L'exposition

Les tableaux-poèmes terminés ont été exposés dans certaines classes et dans l'atelier. Ils y sont toujours accrochés. Dans un espace occupé par des machines, des fils et des matériaux divers, on ne s'attendrait pas à voir exposées des œuvres d'art ! Et pourtant les deux mondes, celui de la technique et celui de la culture artistique, ne vivent pas, dans ce lycée professionnel, sur des planètes éloignées. Les deux regards complémentaires sur le monde se côtoient. La photo autant que le texte intriguent et invitent à percevoir le monde du travail avec un autre œil. "Mon métier est un art", peuvent vraiment se dire ces élèves, et c'est avec justesse que le proviseur a pu leur exprimer sa gratitude : "Vous avez participé à revaloriser l'image du lycée professionnel", leur a-t-il dit, et aussi certainement à revaloriser leur propre image. Ce projet, simple dans sa réalisation, peut être aisément mis en place dans un autre établissement pour inciter les élèves à regarder d'un autre œil leur collège ou leur lycée et en parler avec d'autres mots. Les professeurs d'arts plastiques et de français peuvent s'associer autour de l'histoire de la riche rencontre de ces deux modes d'expression artistique.
 
Ce projet a été renouvelé sous une autre forme l'année suivante, mais avec la participation d'un photographe professionnel. Cette fois, ce sont les élèves de tertiaire qui ont mis la main à l'objectif ; après tout, les passerelles entre industriel et tertiaire, ce n'est pas un vain cliché. Le festival du Scoop a même sélectionné leur mini-galerie. Depuis lors, elle agrémente le réfectoire où l'ensemble des élèves et adultes peut s'interroger et laisser son imagination perler devant ces étranges productions.
 
auteur(s) :

M. Le Bihan

contributeur(s) :

C. Coquereau, Lycée professionnel pIerre-et-Marie-Curie, Château-Gontier [53]

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