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question de posture

mis à jour le 22/11/2010


echanger dossier 92

Une directrice d'école élémentaire revient sur sa pratique d'enseignante de cycle trois, que ce soit dans des secteurs dits favorisés ou non. Elle a, au fil du temps et des postes, fait de l'entretien un temps intégré à la gestion de ses classes au quotidien. Elle interroge aujourd'hui cette pratique à la lumière de son poste de directrice et de son expérience de formatrice.

mots clés : échanger, entretien, gestion du temps, cycle 3, pratique pédagogique


Lorsque la correspondante d'Échanger prend contact avec Florence Leray, c'est, a priori, pour parler de l'entretien tel qu'il se trouve formalisé pour la mise en place des programmes personnalisés de réussite éducative, connus sous le sigle de PPRE. Mais de fait, le cadre se trouve élargi, puisqu'à partir de sa pratique d'enseignante et de directrice d'école, elle en vient à redéfinir la place que prend l'entretien dans sa conception de la pédagogie ainsi que les enjeux d'une telle posture.

Une pratique dans "le flot de la classe"

D'emblée, elle place son travail de professeure sous le signe de l'apprentissage de l'élève qu'elle tient à distinguer de la simple activité. Une lapalissade ? Peut-être... mais il n'est sans doute pas inutile de le rappeler. En effet, quand l'enseignant se trouve dans le flot quotidien des activités, quand il doit gérer non pas un individu, mais une classe, quand il a le souci des connaissances et des programmes, il peut alors vite oublier l'essentiel : conduire et accompagner au plus près les apprentissages de chaque élève. Dans cette perspective, elle pose, de manière affirmative, la gestion de l'erreur comme un acte fondateur de sa conception de l'enseignement. Et dans ce cadre, si l'évaluation va de pair avec l'autoévaluation, elle rime aussi avec remédiation et différenciation. C'est donc pour cela que l'entretien lui apparaît comme une posture professionnelle fondamentale et privilégiée.

Un rituel...

L'entretien se trouve donc indissociablement lié à l'ensemble de ses gestes professionnels d'enseignante. Au fil des années, elle l'a organisé comme un passage obligé. Quelquefois, il se décline au quotidien. Dans la journée, elle prévoit un temps individualisé où elle va pouvoir se consacrer à un entretien personnel. Cela peut devenir progressivement un rituel que de poser, à chaque fin de journée, une plage réservée à cette démarche. Une autre possibilité réside dans le fait d'accorder une demi-journée, en fin de semaine, à ces moments spécifiques qui prennent alors l'allure de bilan d'étape entre l'enseignante et l'élève. Mais il peut aussi arriver que ce temps se joue entre l'enseignante et un groupe d'élèves. Cette pratique de l'entretien se trouve facilitée par le fait que Florence Leray organise sa classe sous forme d'ateliers.

... constructeur d'autonomie

Un peu comme dans les classes de maternelle, elle garde des espaces d'apprentissage différenciés : ici, mathématiques ; là, apprentissages liés au langage, ou encore, activités de découverte, etc. En cycle trois, donc, l'objectif visé est bien que l'élève construise ses apprentissages dans tous ces domaines, mais avec sa part d'autonomie. L'entretien entre dans le processus d'individualisation qui va aider chacun des élèves à construire justement cette autonomie, trop souvent, à son gré, conçue comme un prérequis. Pour elle, être enseignante, ça n'est pas "faire classe", avec ce que cette expression peut comporter de directivité et même de risque de "formatage". Il lui apparaît essentiel de tout mettre en place en amont pour que les activités proposées permettent à chaque élève d'acquérir les compétences exigées. Mais pour cela, il faut du temps, et une véritable attitude de dialogue. Dans le cadre de l'entretien, l'élève comme le maître échappent, un moment, à la hiérarchie scolaire, chacun se retrouvant dans une posture de questionnement.

Déranger des attitudes...

À partir des vacances d'automne, les pratiques d'autonomie et de travail se sont construites, et le temps de l'entretien du vendredi après-midi ou du samedi matin peut prendre sa mesure et se dérouler avec un maximum d'efficacité. En effet, pour que l'enseignante puisse consacrer un temps spécifique à un élève ou à un groupe d'élèves, il faut que personne n'ait, à aucun moment, la sensation de se trouver abandonné. Chacun, à cette période, a appris comment gérer ce qu'il a à faire. Il a son contrat de travail qui peut inclure ce fameux moment d'entretien. C'est donc dans ce climat que tel ou tel élève est amené à parler avec l'enseignante pour revenir sur une expérience, un apprentissage ou une attitude. Lorsque l'on insiste sur la démarche singulière, cela signifie que personne ne doit se trouver exclu de ce temps différent ; ni exclu, ni stigmatisé. Pas question donc de ne réserver ces moments qu'aux seuls élèves en difficulté. Il s'agit bien d'un temps différent où le dialogue peut se nouer avec quelquefois des mots qu'on ne pourrait pas accepter en grand groupe. C'est une opportunité, de part et d'autre, pour apprendre la justesse du mot, du diagnostic, et cela ne va pas sans difficulté lorsqu'il s'agit de déranger des attitudes. Un apprentissage qui requiert temps et patience, mais aussi respect.

... même des meilleurs

Pour donner un tour plus concret à cet entretien, prenons le cas d'un bon élève qui, depuis quelque temps, refuse de faire certains exercices. Sa démarche devient récurrente et se traduit par des phrases leitmotiv du type : "Je ne sais pas", "Je ne sais pas faire", "Je ne comprends rien". Un temps d'arrêt s'avère nécessaire pour qu'il ne s'ancre pas dans une spirale qui pourrait devenir, sinon celle de l'échec, du moins celle de la rébellion. L'entretien a permis, dans ce cas, de résoudre le problème. L'élève a pu entendre que l'enseignante se préoccupait de lui en particulier. Elle a su trouver les mots pour se montrer rassurante : "Je sais que tu peux réussir, je suis sûre que tu sais et je voudrais comprendre ce qui t'empêche de me le montrer". Savoir "que l'on vaut dans les yeux de sa maîtresse" 1 est un puissant levier et a, finalement, permis à cet élève de dénouer cet écheveau complexe qui le poussait à ne plus rien faire, puisqu'il avait la sensation que personne n'attendait rien de lui, puisqu'il réussissait !

Des mots, mais pas seulement

L'entretien est donc un temps privilégié pour apprendre à mettre en mots ses émotions, ses sensations ; apprendre à avoir une pensée réflexive sous le regard d'un adulte de référence. Souvent happé par le temps, on en vient à oublier cet apprentissage des compétences psychosociales telles qu'elles sont définies par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) (voir annexe) et reprises dans les piliers six et sept du socle des compétences. Mais dire ne suffit pas. Il faut aussi que l'entretien ait sa traduction dans l'action. À l'issue de cet entretien ou de cette série d'entretiens, c'est donc un nouveau contrat de travail et de réussite qui se trouve négocié et fixé comme une nouvelle exigence. Reprenons l'exemple de "notre bon élève" ; ses compétences vont se trouver confirmées et valorisées ainsi que son besoin d'autonomie, dans le cadre de travaux d'écriture longue qui auront une importance spécifique pour lui. Mais le cadre de l'entretien peut aussi être l'occasion de décider d'une prise de responsabilités ou tutorat pour aider tel ou tel camarade dans des domaines où il a des acquis. Il pourra être décidé de constituer un binôme avec un élève moins bon lecteur que lui pour l'aider, par l'oralisation, à améliorer une production écrite. Dans ce cas, on le sait, celui qui aide apprend au moins autant que celui qui est aidé. Dans ce cas encore, Florence Leray veille au respect de l'intégrité de chacun dans la différence et la difficulté de l'autre, et précise que ce type de travail ne peut être mené que lorsqu'un climat de confiance est véritablement instauré entre les élèves.

Un entretien pour apprendre, en groupe, à gérer son temps

Une autre façon de ne pas stigmatiser l'un ou l'autre consiste aussi à jouer la carte de l'entretien avec un petit groupe. Ceci est rendu plus évident au fur et à mesure que la classe a bénéficié de ces temps individuels. Prenons un exemple familier, dans les classes : des différences s'instaurent entre les élèves dans la façon de gérer leur temps. De nombreux élèves se trouvent, de ce fait, exclus parce qu'ils ne finissent rien. Or, la gestion collective de la classe impose de se rapprocher d'un temps moyen. L'enseignant peut alors de manière récurrente jouer avec eux la carte de l'entretien. Dans ce groupe, se retrouvent périodiquement ceux qui ont du mal à s'accorder à un rythme commun. Ils ne vont plus se retrouver en difficulté et vont prendre le temps, avec leur enseignante, de mettre à jour, dans un jeu de questions-réponses, de nouveaux gestes mentaux, de nouvelles procédures. Ils vont pouvoir expliciter la manière dont ils procèdent et prendre le risque de modifier leurs stratégies. C'est aussi ensemble qu'ils vont effectuer des jeux chronométrés ou autres jeux de Memory. À partir de ces temps d'activité, ils vont, avec l'aide de l'enseignante, vivre un temps de partage et d'échange dans lequel ils pourront dire leurs gênes et leurs habitudes. Cela nécessite de sa part qu'elle soit dans une posture d'attention et de disponibilité qu'elle qualifie de lâcher prise.

Entretien "in media res"

Mais si, la plupart du temps, les entretiens entrent, comme nous l'avons vu, dans une gestion réglée et programmée, comme un temps de prise de recul dans la classe, il n'en reste pas  moins qu'il peut être pertinent de considérer l'entretien "au pied levé", ou presque, comme un atout à jouer en des circonstances très précises. De fait, en interrogeant l'élève au plus près de la tâche, l'enseignante peut ainsi comprendre l'origine d'une erreur. À certains moments, il lui apparaît important d'interroger individuellement l'élève pour savoir si c'est telle connaissance en histoire qui lui fait défaut, si c'est tel problème mathématique qui le met en difficulté. Un entretien s'impose pour déterminer s'il ne s'agit pas plutôt d'un défaut de maîtrise en lecture qui est la cause de l'erreur. Encore une fois, on le voit, il faut, pour mener ainsi cet entretien sans se laisser déborder, que la classe ait compris l'intérêt de ces apartés et que l'enseignante soit en posture d'attention.

... et gestion de crise

En tant que directrice d'école, Florence Leray, est souvent amenée à conduire des entretiens dans des situations de crise. Pourtant, même si les circonstances imposent qu'elle intervienne rapidement, elle prend le temps de réfléchir au lieu, à la meilleure façon de conduire cet entretien. Une semaine ordinaire : deux exemples parmi d'autres ; deux élèves sont fauteurs de troubles par des incivilités à la cantine. Elle utilise le cadre directorial, et les convoque de manière officielle. L'entretien se déroule alors en situation frontale, de part et d'autre du bureau. Certes, ses propos les inviteront à comprendre leur geste et leur caractère délictueux, mais pas question d'échapper à la posture d'autorité. Un autre jour, un autre cas. Il s'agit d'un groupe d'élèves qui souhaitent rompre un contrat d'activité sur la pause méridienne, un contrat établi pour aider un élève dans la gestion de ses troubles du comportement, mais avec la participation volontaire des autres camarades depuis le début de l'année. Elle va donc les "inviter", et les mots ont un sens, à la rejoindre dans la bibliothèque. Ils vont pouvoir travailler dans un lieu plus convivial. S'asseoir avec eux, autour d'une table, permettra de prendre le temps de se poser pour comprendre leur motivation. Est-ce une décision qui émane du groupe ou de l'un d'eux ? Est-ce qu'il y a eu un incident ? Est-ce que cette décision ne cache pas autre chose ? Bref, il s'agit de les aider à y voir plus clair et à revenir, peut-être, sur ce moment de découragement.

Alors, heureuse ?

Cette expérience ne la laisse pas pour autant béate et satisfaite. Elle regrette, en tant qu'enseignante, de ne pas avoir accordé plus de place à ses traces écrites. Certes, elle faisait une prise de notes dans son cahier journal. Mais désormais, elle accentue cet aspect, insiste sur les reformulations, l'établissement d'un contrat assorti de signatures, d'un échéancier. Autant de balises qui permettent à chacun des partenaires de tenir le cap. Pourtant, quand elle revient sur sa pratique, elle voit, dans la place importante de l'entretien dans ses classes, un reflet de son éthique d'enseignante. Pour elle, ce n'est pas une technique, pas une panacée, mais une manière de se montrer en questionnement. Remettre en cause une erreur de cheminement, jamais un individu. Un signe d'exigence pour elle autant que pour ses élèves.

1. Échanger 61-62, Article de L. GRIMAUD, J'ai valu... dans le regard de ma maîtresse.
 
auteur(s) :

C. Riou

contributeur(s) :

F. Leray, École élémentaire, Angers [49]

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information(s) technique(s) : pdf

taille : 132 Ko ;

ressource(s) principale(s)

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