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sur l'écran noir de leurs nuits blanches

mis à jour le 21/02/2011


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Comment exploiter les films au programme de l'opération Lycéens au cinéma en vue d'une éducation aux écrans ? La question, d'actualité quels que soient les films sélectionnés, est peut-être plus criante lorsque le sujet abordé est difficile. Quoi qu'il en soit, ils sont une mine d'or pour accompagner les élèves dans l'acquisition et le développement d'une attitude de questionnement qui leur permet de comprendre et non de subir ce qu'ils voient, comme ce qu'ils ressentent.

mots clés : échanger, cinéma, écrans, esprit critique, interdisciplinarité


L'établissement challandais participe, depuis de nombreuses années, à l'opération académique Lycéens au cinéma. Quatre films sont proposés chaque année autour d'une problématique commune, intitulée cette année : "Retour de mémoire, secrets et dévoilements". Un film est obligatoire, Furie de Fritz Lang, et les enseignants en choisissent deux sur les trois restants. Les genres sont variés - fiction, documentaire, film d'animation - mais posent tous les questions de la mémoire et du rapport à la réalité. La programmation 2009-2010 a interrogé les enseignants sur la manière d'aborder certaines œuvres. Stéphane Davril, professeur de français et nouveau coordonnateur de cette action pour le lycée, a participé au stage de formation annuel organisé par Lycéens au cinéma. Il a accepté de faire le point pour Échanger sur la manière dont les trois œuvres proposées peuvent contribuer, au-delà de l'analyse de l'objet artistique en lui-même, à l'éducation aux écrans. Il faut dire que la réflexion a pris une acuité supplémentaire en raison de l'un des films au programme, S21 la machine de mort khmère rouge, dont le fond comme la forme demandent une préparation particulière. Ce documentaire traite en effet du génocide khmer, en organisant des retrouvailles entre une victime et l'un de ses bourreaux dans le centre d'extermination S21. La question s'est évidemment posée de savoir comment préparer les élèves pour qu'ils puissent tirer le meilleur profit de ce qu'ils allaient voir, sans être arrêtés par la violence du sujet. Question qui n'avait pas échappé au comité de sélection, qui note que : "le fait de choisir S21 dans la programmation des trois films Lycéens au cinéma peut susciter des questions, inquiéter, voire rebuter certains. Nous voulons tenter de dissiper ces doutes ou ces inquiétudes". Comment aider les élèves à dépasser l'affect pour s'approprier de manière lucide et avertie ce qu'ils allaient voir ? Au-delà des cas particuliers évoqués ici, les pistes proposées peuvent être appliquées à de nombreuses œuvres cinématographiques. Comment armer les jeunes spectateurs pour qu'ils puissent tirer le meilleur profit des œuvres, en toute connaissance de cause ? C'est la question à laquelle les enseignants ont tenté de répondre.

Entre fiction et documentaire,la frontière n'est pas si simple

L'avantage d'opérations comme Lycéens au cinéma est entre autres de fournir aux enseignants des pistes d'exploitation riches, que ce soit par la documentation papier ou internet (voir annexe) ou par le biais des stages de formation. Cette année, les films choisis sont liés par un fil conducteur particulièrement riche pour l'éducation aux écrans. En effet, les œuvres posent toute la question de l'articulation entre fiction et réalité, et donc celle de la subjectivité : même si le point de vue cherche à se présenter comme objectif, comme c'est le cas pour S21, il reste toujours un regard particulier qui oriente la perception du spectateur. Certains films de fiction présentent des éléments qui les ancrent dans la réalité ou traduisent la recherche d'un certain réalisme. Le procureur de Furie énonce des chiffres réels concernant les lynchages aux États-Unis. Festen est filmé d'une manière qui évoque les films vidéo personnels. Valse avec Bachir est un dessin animé qui se présente comme un documentaire. S21 en est un, est-il pour autant objectif ? C'est dans la mise en correspondance que peut se construire un regard averti et apte à saisir les spécificités d'une œuvre. Rien n'est totalement fictionnel et rien n'est totalement documentaire. Distinguer ce qui ressort de l'un et de l'autre est une clef qui permet aussi bien de n'être pas dupe que de comprendre les choix opérés par le réalisateur.


D'"Ubu roi" à "S21"

Dans le même ordre d'idées, pour mettre en relief les notions de subjectivité liée au traitement et au point de vue, cette mise en écho peut se faire autour d'un motif unique, traité dans des arts et des genres différents. Cette forme de mise en perspective a été appliquée dans le cadre de l'exploitation du film Furie, à partir du motif du procès. Suite à la projection du film et la lecture d'un texte évoquant le premier procès allemand d'anciens criminels, les élèves ont été concrètement confrontés aux notions de points de vue et de registres en (re)visionnant trois extraits de procès: celui de Furie, celui de M. le Maudit, autre film de Fritz Lang, et celui du téléfilm de Jean-Christophe Averty, Ubu roi, un téléfilm réalisé à partir de la pièce d'Alfred Jarry. Pour ce dernier, alors que les élèves avaient lu la pièce, ils ont refusé, dans un premier temps, d'admettre qu'il s'agissait d'un procès. Une fois posé le fait que procès et justice sont souvent loin d'être synonymes, la mise en écho a été fructueuse. Pourquoi rit-on de ces têtes de silhouettes de papier découpées à la chaîne, aux ciseaux, sans voir qu'il s'agit d'une exécution de masse qui n'est finalement pas si lointaine du sujet de S21 ? Pourquoi s'apitoie-t-on sur le tueur en série de petites filles dans M. le Maudit, et en vient-on à être effrayé de la victime qu'est Joseph Wilson dans Furie ? Une chose est sûre, le réalisateur oriente la perception du spectateur, par le jeu des acteurs, bien sûr, mais aussi par le placement de la caméra, les décors et les éclairages, le choix des plans, le montage du film... Le lien avec les registres étudiés en français se fait naturellement. Les outils du cinéma ne sont pas ceux de la littérature, mais le résultat est là : un même sujet peut être ressenti comme comique, épique, tragique ou pathétique, suivant le traitement qui en est fait.

De l'Histoire à l'histoire

Comment filmer, et regarder, l'insoutenable ? Cette double question va se poser particulièrement pour la projection de S21, qui n'a pas encore eu lieu à l'heure où nous écrivons cet article. Le premier accompagnement va se faire par une approche pluridisciplinaire du sujet abordé, pour que les élèves comprennent le contexte historique de cette tragédie. Le génocide khmer est d'actualité avec le procès de Duch 1. Histoire-géographie, ECJS (éducation civique juridique et sociale) ou français trouvent leur place pour permettre aux élèves de mesurer la réalité de ce qui s'est passé. Pour d'autres films, les langues vivantes, comme l'anglais pour Furie, peuvent également apporter des éléments de compréhension, linguistiques ou culturels. Cette approche pluridisciplinaire fonctionne bien lorsque les enseignants concernés s'impliquent, et ne considèrent pas que l'exploitation des films est réservée au français. Pour S21, ces données historiques seront mises à profit pour faire ressortir la spécificité de l'approche du film. Si l'Histoire présente les faits dans leur ensemble, le film adopte un point de vue particulier. Le témoignage aide à comprendre le système génocidaire, il humanise, en quelque sorte, ce qui peut rester très abstrait et froid. Dix-sept mille personnes ont perdu la vie dans ce camp, le film ne présente que deux individus qui ont vécu cette tragédie. Le visionnement d'un extrait avant la projection du film présente concrètement cette individualisation du drame. Il peut s'agir, par exemple, de celui visionné dans le cadre du stage de formation des enseignants. Au cours d'un long plan séquence, le bourreau refait les gestes qui étaient les siens, en les expliquant. Le décryptage des choix opérés par le documentariste est alors un moyen de maîtriser ce qu'on voit, d'avoir une prise sur l'image pour ne pas se laisser déborder par l'affect. Quels choix a fait le réalisateur pour informer le spectateur ? Certes, les lieux sont vrais, les personnages sont réels, le film est un documentaire. Mais est-il totalement neutre ? Le documentariste s'efface derrière le rescapé. Où est placée la caméra ? Quelle parole entend-on ? La caméra ne prend-elle pas du tout parti ?

Image et mémoire ne sont pas réalité

Ce questionnement du statut de ce qu'on voit à l'écran amène alors à une réflexion sur le statut de l'image. Est-elle une preuve irréfutable ? La question trouve une réponse dans le film Furie, où ce sont les images filmées par les journalistes qui vont confondre les coupables. Une observation plus précise met en évidence leur caractère factice. Des journalistes n'auraient pas pu les filmer ainsi de leur caméra sur pied. L'image est trompeuse à qui ne sait s'extirper de la fascination crédule. La place et la fonction des documents d'archives, réels ou fictionnels - films, photos ou souvenirs personnels - constituent également une voie riche à explorer avec des élèves, particulièrement dans la sélection opérée autour du thème du "retour de mémoire". L'image de la réalité, même prise sur le vif, n'est pas la réalité, de la même manière que le souvenir n'est qu'une image de ce qui a été vécu. Cette question, outre la présence nombreuse de documents d'archives dans les films, est explicitement abordée dans Valse avec Bachir. Un psychologue explique au protagoniste combien la mémoire est chose fragile. Quand on présente à des gens quatre photos d'enfance, dont une est fausse, quatre-vingts pour cent d'entre eux se construisent a posteriori un souvenir correspondant, parfaitement fictif, en étant persuadés de l'avoir réellement vécu. À l'inverse, l'image peut contribuer à la vérité et à la mémoire. S21 en est un exemple. Éduquer aux écrans, c'est d'abord apprendre à recevoir ce qu'on y voit avec une salutaire suspicion. Les exemples que proposent les films sélectionnés sont l'occasion d'enclencher une posture de distanciation critique qui ne demande qu'à être appliquée en toute circonstance.

Une mise en question pour comprendre et non subir

L'éducation aux écrans, dans le cadre d'une opération comme Lycéens au cinéma, est facilitée par le fait que plusieurs films sont proposés. Leur mise en écho favorise l'acquisition d'un regard averti et peut être prolongée par l'analyse d'autres images, mais aussi par l'apport de différentes disciplines, ou par la mise en correspondance de genres différents. Dans tous les cas, il s'agit d'une mise en question de ce qu'on voit et ressent en tant que spectateur. Dépasser l'affect pour en comprendre la cause, qui relève des choix artistiques autant que du sujet abordé, est essentiel, d'autant plus s'il s'agit de films évoquant des réalités insoutenables. La préparation en amont est alors déterminante. L'approche fragmentaire, tout en atténuant le choc, a pour but de donner envie de comprendre, non seulement le sujet, mais aussi la manière dont il est abordé. Ce qui demande une attitude de mise en question de l'image : il s'agit de comprendre et non de subir. Ce décryptage de l'effet est le moyen de ne pas être manipulé, tout en mesurant peu à peu l'art de ces salutaires manipulateurs que sont les grands cinéastes. Tout le plaisir du cinéma n'est-il pas de se laisser consciemment manipuler ? Le tout est de ne pas en être dupe. Comme tout, cela s'apprend.

1. Duch est l'ancien directeur de la prison de Tuol Sleng et un haut responsable de la dictature communiste des khmers rouges au Cambodge. Il a dirigé sous la dictature de Pol Pot (1975-1979) la prison Tuol Sleng, aussi connue sous le nom de S-21.
 
auteur(s) :

D. Grégoire

contributeur(s) :

S. Davril, Lycée François-Truffaut, Challans [85]

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information(s) technique(s) : pdf

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ressource(s) principale(s)

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