innovation pédagogique

Le regard porté sur les élèves de Segpa a énormément changé depuis une dizaine d'années et par voie de conséquence, leur estime d'eux-mêmes également. Ce qui influe énormément sur leur implication dans leur scolarité et leur relation aux adultes. En effet, l'établissement a fait le choix de mettre en place des passerelles entre la Segpa et les classes du collège. Il existe, par exemple, une véritable collaboration et intégration des élèves dans la tenue de projets menés de la sixième à la troisième et dans l'organisation des voyages. Ceci a été grandement facilité par le fait que l'équipe enseignante (soulignons-le, composée de professeurs des écoles, de professeurs de lycée professionnel et de professeurs du collège) s'était déjà intéressée aux compétences avant la mise en place du LPC. L'évaluation par compétences est en cohérence avec les pratiques du premier degré. Elle est réellement un ressort pédagogique central pour l'équipe, et pas seulement un outil. Finalement, seuls les items diffèrent en fonction du palier visé. Le palier 2 est le minimum à atteindre pour ces élèves, mais rien n'interdit d'évaluer des items, voire de valider des compétences du palier 3, pour ceux qui en sont capables. L'ambition scolaire qu'ils retrouvent passe par une nécessaire individualisation des parcours. Dès que cela s'avère possible, l'équipe des professeurs encourage et accompagne certains d'entre eux au-delà du CFG (Certificat de formation générale) en les inscrivant au DNB série professionnelle 2 qui s'adresse habituellement aux élèves de troisième prépa pro. La Segpa peut alors être la base d'envol vers d'autres horizons.

Les professeurs ont la particularité d'être, pour certains, des professeurs des écoles intervenant auprès d'élèves évoluant dans un collège. Ces élèves sont affectés en Segpa à la fin du CM2 (sur décision d'une commission qui propose une inscription avec l'accord des familles). Certains sont en grande difficulté scolaire (ils n'ont pas acquis l'intégralité des compétences du palier 2). À cela s'ajoutent souvent des difficultés sociales et familiales. C'est pourquoi ils sont intégrés dans les locaux d'un collège, mais en effectif réduit, avec un mode d'organisation spécifique et une forte présence enseignante. L'équipe Segpa du collège Georges-Gironde de Segré est principalement composée de sept enseignants qui interviennent auprès de soixante-quatre élèves répartis en quatre classes (quatre professeurs des écoles spécialisés et deux professeurs du lycée professionnel, ici pour les champs professionnels "Habitat" et "Espace rural et environnement"). Au sein de l'établissement, les professeurs de lycée et de collège contribuent à la mise en œuvre des projets individuels de formation des collégiens de la Segpa. L'ambiance, dans la partie des locaux réservée aux classes de Segpa, est sereine. L'effectif des groupes y est, certes, pour beaucoup, mais c'est la réflexion pédagogique et son extension informatique qui l'ont rendue possible.

Les soixante-quatre élèves peuvent intégrer des groupes de travail aux effectifs et aux objectifs très variables. Ils peuvent, par exemple, travailler sur de nouvelles notions liées à la classe de cinquième ou bien choisir avec le professeur d'intégrer un atelier de remédiation auquel des élèves de la cinquième à la troisième peuvent participer si le besoin s'en ressent. Pour cela, il fallait un outil d'analyse des résultats de chaque élève. C'est là que le logiciel développé par Jean-Marc Legrand prend toute son ampleur : il permet notamment de regrouper plusieurs arbres de compétences : celui du LPC 3, proposé au niveau national, celui de la Segpa, défini par une commission départementale (sur la base d'un "référentiel enseignants" partagé par les différentes Segpa du département), mais aussi celui de l'équipe toute entière (sur les compétences transversales principalement) et, enfin, de chaque enseignant dans ses disciplines (voir ci-contre).

Pour l'instant, les élèves et leur famille ne peuvent pas consulter leur page individuelle (ce qui ne saurait tarder et qui s'inspirera du fonctionnement du B2i), mais les enseignants peuvent extraire les évaluations propres à chaque élève, imprimer une fiche-bilan individuelle et réfléchir avec lui à ses besoins ou aux stratégies à mettre en place. C'est également un très bon outil de préparation aux conseils de classe ou aux rencontres parents - professeurs, puisqu'il permet de mettre en perspective les résultats de l'élève, non pas en fonction du groupe auquel il appartient comme le ferait une moyenne chiffrée, mais en fonction de sa marge de progression et des stratégies mises en place après avoir identifié ce qui n'allait pas. Le logiciel permet de mettre en réseau des indicateurs atomisés et de les matérialiser par des tableaux récapitulatifs faciles à décrypter.

Quel enseignant n'a pas ressenti un sentiment d'insatisfaction à la correction de copies ? La note sur vingt ne reflète pas toujours la performance atteinte dans chaque partie de l'évaluation. De plus, les notions peuvent être sues, mais leur mise en application n'est pas maîtrisée. Ou bien la mise en application n'est pas possible puisque une ou plusieurs notions ne sont pas comprises. Souvent, une appréciation tente de résumer le problème sur la copie, mais une fois celle-ci rendue, même si elle s'accompagne d'explications à l'oral, elle disparaît littéralement dans le classeur de l'élève. Au mieux, l'enseignant prévoit une séance de remédiation au cours suivant en formant des groupes de besoins. Mais il lui sera difficile de garder en mémoire cette analyse fine surgie au moment de la correction. Il lui sera surtout compliqué de mettre en place un véritable travail de fond pour aider ses élèves sur la durée, et de pouvoir en faire part au reste de l'équipe pédagogique. L'avantage de "Gestcomp" est la gestion à proprement parler des évaluations. Chaque enseignant est en mesure de créer l'évaluation de son choix en la reliant à une compétence, un domaine ou un item d'un des quatre arbres de compétences présentés plus haut. Il peut surtout opter pour plusieurs représentations du résultat : NA-EC-EC+-A (non-acquis, en début d'acquisition, en fin d'acquisition, acquis), mais aussi faire apparaître un pourcentage de réussite ou le nombre d'évaluations restant à effectuer. Ces deux dernières représentations se couplent d'un code couleur identique à celui des différents niveaux d'acquisition (rouge, orange, jaune et vert) quand elles apparaissent dans le tableau des résultats de l'élève, ce qui rend possible une traduction rapide en termes d'acquisition de compétences quel que soit le mode de notation adopté. Il permet ainsi une analyse fine des besoins de l'élève en prévoyant une rubrique d'explicitation du résultat. Comme le montre le tableau ci-dessous, une des évaluations ayant été sanctionnée d'un zéro est annotée et permet de garder en mémoire ce qui a posé problème. Les résultats de toute la classe étant regroupés, le professeur peut aisément former des groupes de besoins (voir ci-dessous).

En effet, tout cela ne prend du sens que si on garde bien à l'esprit que le résultat ne sert pas à positionner les élèves les uns par rapport aux autres, mais à identifier avec chacun ses besoins en termes de remédiation ou de stratégie à adopter. Ainsi, des groupes de besoins peuvent être formés et le décloisonnement est véritablement possible. Le logiciel prévoit d'ailleurs que chaque évaluation soit d'abord décrite, puis associée à une ou plusieurs compétences / domaines / items. Elle est ensuite attribuée à des élèves (par groupes ou individuellement). Les élèves comprennent vite qu'ils bénéficient d'un traitement individualisé. Les développements futurs du logiciel prévoient qu'élèves et familles aient accès à une version simplifiée comprenant d'une part les résultats (codés en couleur) et, d'autre part, un plan individuel de travail associé à un échéancier. Ce plan aura l'énorme avantage de comporter des liens vers les ressources pour se préparer en autonomie à l'évaluation, et fonctionnera sur le système de validation type B2i. Il sera également conçu pour être pluriannuel et finira ainsi de faire voler en éclats toute idée de redoublement.

Il ne restera donc plus qu'à aider l'élève à gérer son temps personnel de travail. Cette année, le ressenti des élèves a été évalué : ils apprécient l'intérêt que l'équipe leur porte personnellement et ils comprennent mieux leurs résultats aux évaluations, ainsi que la marge de progression qui leur est laissée. De plus, grâce à "Gestcomp", les enseignants spécialisés de la Segpa peuvent être sollicités pour soutenir la scolarisation des élèves du collège présentant des besoins éducatifs. Ils évaluent les élèves en les intégrant à la base de données du logiciel. Ainsi, le relevé de compétences renseigné dans le cadre de ces accompagnements personnalisés ne confronte pas les élèves à un décalage de notation. Pour finir, leurs enseignants disposent d'une trace papier utile. Malheureusement, ces élèves en difficulté ponctuelle, à qui le passage en Segpa a permis une respiration, souffrent très rapidement de retrouver une classe aux effectifs trop nombreux et l'amélioration observée est donc très fragile : au-delà d'un certain nombre d'élèves, l'utilisation de "Gestcomp" devient lourde, car ce type d'individualisation du parcours et de l'accompagnement personnalisé demandent des effectifs réduits, de nombreuses coanimations et une localisation des élèves dans l'établissement en fonction de leurs besoins et non en fonction d'un emploi du temps prévu à l'année. Une révolution des pratiques et des modes d'organisation. Mais si le constat montre que ce logiciel, en l'état, ne conviendrait pas à toutes les classes et tous les niveaux, la démarche observée est, elle, tout-à-fait transposable. Tout un programme, en somme !

1. Section d'enseignement général et professionnel adapté.
2. Si l'on observe les derniers résultats, le nombre de candidats au DNB dans la Segpa augmente.
3. Livret personnel de compétences.