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Rossovermiglio di Benedetta CIBRARIO

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Benedetta Cibrario

Benedetta Cibrario est née à Florence. On sait encore bien peu de choses d'elle, sinon qu'elle partage sa vie entre Oxford, Milan et la campagne toscane où elle cultive ses passions : quatre enfants, l'écriture et un jardin. Une campagne toscane dont elle connaît la moindre pierre et le moindre relief, à en juger par l'évocation précise, chaleureuse et souvent bouleversante des collines du Chianti, un décor à couper le souffle placé au cœur de Rossovermiglio, son premier roman.

L'histoire en bref... et nos impressions de lecteur


Lequel roman s'ouvre justement sur un chapitre aussi bien écrit que tout le reste et entièrement consacré à l'histoire d'un domaine : La Bandita. Un coin de terre toscane entre Sienne et les tours de San Gimignano d'où, comme par miracle ou par esprit de revanche sur un destin plutôt contraire, au fil des siècles passés, les hommes ont arraché mètre après mètre, motte après motte, à l'horizon touffu de bois environnants infinis comme seules semblent l'être les vagues de la mer, une terre où a pris corps le miracle du Rossovermiglio, un grand vin rouge dont l'enchantement aujourd'hui ne réside pas que dans le nom. Un vin si prestigieux, en effet, que les meilleures tables d'Europe et des Etats-Unis s'en arrachent à prix d'or quelques caisses. Sans parler des collectionneurs prêts à jouer des mois durant les courtisans, dans l'espoir d'acquérir une demi-douzaine de bouteilles. Bref, un nectar encensé par les meilleurs œnologues et les critiques les plus sévères.


Chaque fois que le transporteur s'en vient charger les caisses de vin en partance pour le vaste monde sous le regard quasi jaloux du contremaître Dino, la narratrice se remémore comment a commencé toute l'histoire qu'elle s'apprête à nous conter. S'ouvre alors au lecteur, enivré dès les premières lignes par la grâce d'une écriture harmonieuse et précise qui sait néanmoins ne jamais perdre en fluidité, une série d'allers et retour permanents dans un ordre aléatoire, au gré des caprices d'une mémoire toujours très précise. Une oscillation perpétuelle comme entre autant de pièces d'un puzzle habilement construit pour aider le lecteur à retracer peu à peu, sans qu'à aucun moment la lassitude ou un quelconque ennui ne le gagnent, une existence de femme marquée par trois moments phares. Celle de la narratrice dont nous ignorerons jusqu'au bout le prénom.

1928, année d'un mariage arrangé

1946, éclosion d'une passion amoureuse avec en arrière-plan la fin de la guerre, l'avènement de la République italienne et la chute d'une aristocratie avec les habitudes de laquelle notre héroïne a rompu ;

et enfin, un présent de narration indéfini dans lequel la narratrice reprend pied régulièrement pour mieux aboutir à un final riche (sur le fond comme sur la forme) en surprises et autres coups de théâtre.


Turin, 1928. L'élégance et la rigueur de l'aristocratie piémontaise vouent une jeune femme de dix-huit ans, notre narratrice donc, à l'infortune d'un mariage arrangé par un père auquel elle n'a su s'opposer. Sur sa route, le destin la met cependant très vite en présence pour la première fois, à l'occasion d'un dîner ennuyeux au cours duquel son époux ne sait que parler chevaux, d'un fascinant et énigmatique jeune homme au patronyme allemand imprononçable. Résignés, tous ont fini par le baptiser Trott.

Tout est alors en train de changer, dans la société italienne comme à l'intérieur d'elle-même, comme si Trott, en la prenant fugacement par la taille, l'avait brutalement réveillée lui permettant tout à coup d'ouvrir les yeux sur la réalité. Trop moderne pour accepter docilement de marcher dans les pas des femmes de la famille qui l'ont précédée, elle est alors toutefois encore trop fragile pour vivre pleinement sa rébellion en germe.


Elle choisit quand même bientôt d'aller seule dans la campagne siennoise à San Biagio, s'installer dans la propriété familiale de La Bandita, destinée en héritage à son frère Enrico, mort accidentellement quelques années plus tôt en Afrique. Tout autour d'elle, la tempête de la seconde guerre mondiale fait rage puis s'achève, alors que dans les collines alentour, la chute du fascisme est marquée par les représailles allemandes. Notre jeune femme accueille alors dans son domaine une maîtresse d'école héroïque avec ses élèves puis Nina, l'amie de toujours, capable de toutes les exubérances et accompagnée pour la circonstance de deux membres du réseau de résistance qu'elle a rejoint.


C'est alors qu'en 1946, alors que le domaine de La Bandita renaît de ses cendres au sortir de la guerre, Trott refait surface après avoir disparu, cinq ou six ans auparavant, au détour d'une première rencontre amoureuse furtive, sans laisser ni traces ni adresse.

S'ouvre alors à son retour une brève mais intense saison amoureuse, vécue pleinement au mépris des conventions et des potins. C'est de Trott, d'ailleurs, que viendront alors et l'idée et la force de transformer San Biagio en une moderne entreprise vinicole. Benedetta Cibrario nous offre en la circonstance des pages d'une grande beauté, notamment celle d'une escapade matinale à cheval qui, sans que jamais son Rossovermiglio ne soit le moins du monde coupé à l'eau de rose, s'achève sur ces mots d'une sincérité simplement bouleversante : « Soudain j'ai la certitude, l'absolue certitude, que c'est là le moment le plus heureux de toute ma vie ».


C'est sans compter sur une nouvelle disparition brutale et définitive d'un Trott plus mystérieux que jamais dont nous ne comprendrons, comme l'héroïne elle-même, qu'à la toute fin du roman les motivations réelles. Et, comme nous l'avons déjà laissé entendre, le dernier tiers du roman multiplie les tours de passe passe et les coups de théâtre que la vie se fait fort parfois de nous réserver. A l'heure où son mari à l'agonie l'aura rejointe à San Biagio pour régler une question d'héritage, un courrier tombé d'un livre de chevet nous fera entrer peu à peu dans une correspondance d'un genre très particulier mais fort instructive.

Captifs de la grande habileté littéraire de Benedetta Cibrario, nous comprendrons alors la disparition mystérieuse de Trott et, ultime coup du sort, le lien de parenté insoupçonné entre Dino, le contremaître du grand domaine vinicole, et la narratrice.


Elle aura eu toute une vie pour comprendre (et nous avec elle) que l'existence est dramatiquement plus complexe que tout ce qu'elle avait bien pu imaginer, que la frontière entre tort et raison, mensonge et vérité, réalité et apparence, bien et mal peut être vraiment bien ténue au point de nous sembler au bout du compte quasi imperceptible.


Un premier roman très prenant d'une qualité et d'une maturité littéraire proprement exceptionnelles. Une intrigue qui évite le double écueil de nous offrir, comme l'on aurait pu le craindre à la lecture de la quatrième de couverture, le prétexte à une incursion érudite dans le monde fermé de l'œnologie ou de tomber dans le récit rebattu d'une énième belle histoire d'amour de plus.


Dans un registre et dans un style heureusement très différents, ce roman s'apparente quelque peu à Soie d'Alessandro Baricco.

Confiants dans sa capacité à séduire un très grand nombre de lecteurs francophones, nous lui souhaitons le même succès.

 

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