Chapitre 1 A la recherche du prolétariat (XIX° siècle)
L'image d'Epinal d'un prolétariat souffrant, broyé par la révolution industrielle, devenu l'esclave des gigantesques machines, vivant avec un salaire de misère dans des habitats insalubres des grandes villes industrielles, cette vision existe mais n'est pas majoritaire dans le pays.
Les ouvriers en chiffres
A la fin de la monarchie de Juillet, 1,2 millions d'ouvriers travaillent dans les manufactures sur un total de 4,4 millions, les ouvriers de l'artisanat sont toujours les plus nombreux.
Même au début de la troisième République, on remarque la faiblesse du prolétariat d'usine.
En 1881, les ouvriers constituent 41,3% de la population active, contre 40,8% pour les patrons et 14,4% pour les employés.
A cette date, les ouvriers agricoles sont les plus nombreux (3,4 millions pour 3 millions de travailleurs industriels).
Répartition par secteur d'activité :
1840 - 1850 : sur les 1,2 millions d'ouvriers embauchés dans les établissements de plus de 10 salariés, 58% appartiennent au secteur du textile, 10% à la métallurgie, 2% dans les houillères.
Troisième caractéristique de la classe ouvrière : la place importante des femmes, des enfants et des étrangers (emplois de domestiques, dans le textile...) L'emploi des enfants est plus général dans la grande industrie (textile, métallurgie...) A Carmaux, ils forment 20% du personnel en 1850.
En 1880, on compte un million d'ouvriers immigrés dans le pays.
Un monde ouvrier aux multiples visages
Le prolétaire pour les historiens marxistes : c'est la machine qui définit le prolétariat. Etant donné la faiblesse de son salaire, le travailleur est dans l'incapacité d'acquérir des moyens de production d'où une rupture avec l'Ancien Régime où l'ouvrier était en général propriétaire de ses outils. Il ne dispose de rien d'autre que de sa capacité de travail.
L'irruption de la machine dans le travail du textile a beaucoup frappé les contemporains. Avec la mécanisation, c'est la machine qui crée et la mécanique qui impose le rythme. (D'après l'enquête du Dr Villermé)
L'enquête d' A. Blanqui évoque aussi la pénibilité physique du travail dans les manufactures : les maladies graves sont pour les trois quarts, à Rouen, des affections pulmonaires liées à l'insalubrité des ateliers. Les grands établissements métallurgiques sont aussi un lieu de prédilection pour les accidents du travail.
De plus, l'insuffisance des logements oblige les nouveaux venus à s'entasser parfois à plusieurs familles dans une seule pièce.
Le rapport Villermé dresse un inventaire rapide : habitat dans les caves de Lille : quelques outils, un réchaud en terre cuite, un poêle pour tenter de réduire l'humidité constante de ces endroits, des paillasses en guise de lit.
Quand à la nourriture : pomme de terre et soupe représentent les trois quarts de l'alimentation quotidienne.
Tout cela explique l'énorme mortalité dans ces quartiers populaires. Un quartier du nord de la France à Wazemmes : 70% des personnes meurent avant l'âge de 40 ans.
Les salaires sont peu élevés, les contrats de travail inexistants : le travail ne dure que le temps que l'ouvrier convient au maître.
Cette population souffre du déracinement, de la désarticulation de la famille traditionnelle, consécutive à l'afflux d'hommes seuls dans les grandes villes.
Autre figure de la classe ouvrière :
La fabrique se compose de deux parties : la première rassemble les établissements situés à l'intérieur de la ville, la seconde comprend l'ensemble des unités de travail dispersées dans la campagne alentour, par exemple, dans le Calvados, 90% de la main d'œuvre travaillant dans les filatures sont en fait des ruraux.
Le bien être de l'ouvrier en chambre n' est pas forcément meilleur que celui de l'ouvrier travaillant dans les grandes entreprises. L'ouvrier en chambre respire toute la journée les émanations malsaines du charbon et de l'huile nauséabonde qu'il chauffe ; une famille entière est ainsi à demi asphyxiée dans un espace de quelques mètres carrés. Dans les fabriques, au contraire, les ateliers sont chauffés, suffisamment aérés et bien éclairés.
Mais ce qui caractérise les classes populaires de ce temps, c'est la polyvalence des activités exercées pour faire face aux aléas de l'existence : le travail en manufacture n'est souvent qu'un complément pour le paysan pendant la morte - saison.
Chapitre 2 Le « gigantesque paradoxe »
Les raisons de l'attachement des ouvriers aux formes traditionnelles d'activités économiques
Les classes populaires restent prisonnières des contraintes propres à une économie de subsistance ; le souci de la vie quotidienne est toujours de lutter contre l'insécurité et la précarité des revenus. Le travail dépend du volume du travail à effectuer : à Paris, au milieu du XIX° siècle, la période d'inactivité s'étend pour les tailleurs parisiens du 15 juin au 15 septembre et du 15 février au 1er avril. Le chômage n'est qu'une forme d'insécurité, la maladie, l'âge en sont d'autres.
L'ouvrier peut effectuer plusieurs activités : l'ouvrier, surtout s'il est peu qualifié, ne survit qu'en pratiquant plusieurs métiers successifs dans l'année : par exemple, un cordonnier de Malakoff se livre à la culture maraîchère pendant les périodes de chômage, ou cet autre cordonnier exerçant aussi la profession d'instituteur.
Il existe des ressources complémentaires pour la famille : la mère et les filles font des travaux de broderie, distribués dans tous les villages de la région par des marchands - fabricants. Il existe aussi une complémentarité du travail agricole et du travail industriel, cela permet d'échapper à la misère. La diffusion du travail industriel dans les campagnes est aussi intéressante pour les paysans soucieux d'échapper au déracinement.
Jusqu'au début de la III° République, pour les classes populaires, le travail industriel est vu comme une modalité du travail rural : dans les sucreries de Picardie, le paysan se loue uniquement pendant l'hiver.
Lorsque la pluri - activité n'est pas possible sur place, elle est obtenue grâce aux migrations saisonnières. On voit, à travers cet exemple, l'énergie collective pour conserver leurs modes de vie traditionnels Les activités sociales des ouvriers sont elles aussi liées au monde rural (sociétés à boire, carnaval...)
Dans les formes de production industrielles traditionnelles, l'autonomie professionnelle est préservée : les connaissances professionnelles de ces ouvriers de métier sont comparables aux savoir - faire de type artisanal. Le mode d'acquisition d'un tel savoir est essentiellement un contact permanent entre un maître qui sait faire et un apprenti qui apprend à faire.
Autre phénomène qui favorise la dispersion du travail ouvrier dans l'espace rural, c'est la législation qui, depuis 1841, limite le travail des enfants dans les établissements de plus de 10 employés.