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Indiana Jones et la dernière croisade : un roman de chevalerie ?

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En classe de cinquième, les programmes prévoient l'étude des romans de chevalerie, textes ancrés dans une culture qui, sans être tout à fait étrangère aux élèves, peut leur sembler loin de leur univers. Pour aborder ces textes, parfois difficiles, je me suis appuyée sur une œuvre cinématographique contemporaine, souvent connue des élèves : "Indiana Jones et la dernière Croisade", de Steven Spielberg. Les fans d'Indiana Jones ne s'imaginent sans doute pas qu'on puisse établir une parenté entre leur héros et les romans de chevalerie du XIIème et XIIIème siècle. Pourtant, le héros de la superproduction américaine est véritablement présenté dans ce film comme l'héritier des chevaliers du Moyen-âge.
La séquence proposée en annexe s'efforce d'amener les élèves à prendre conscience de cette parenté qui repose à la fois sur le personnage d'Indiana lui-même, sa mission dans ce film et ses aventures.

Consulter le descriptif de la séquence.


INDIANA : UN H
ÉROS DANS LA LIGNÉE DES CHEVALIERS

L'armure ne fait pas le chevalier
La parenté entre le héros de Spielberg et les chevaliers du Moyen Age est suggérée par le film lui-même. Dans une scène qui précède de peu le dénouement, Indiana Jones se trouve, après avoir surmonté diverses épreuves, face à face avec un chevalier vieux de 700 ans.  Celui-ci lui fait remarquer qu'il est étrangement vêtu pour un chevalier. Le vieux chevalier vêtu de son haubert en cotte de mailles et d'une tunique aux armes des croisés, maniant difficilement un lourd glaive, a en apparence peu de choses en commun avec l'aventurier au chapeau, en jean et blouson de cuir, fouet au côté. Pourtant, cette remarque montre que le dernier des trois frères  s'étonne du costume mais tient pour une évidence qu'il a affaire à un chevalier : seul un preu a pu venir jusqu'à lui pour le relayer dans la garde du Graal. A partir de ce constat, on peut reconstruire le portrait, non plus physique, mais moral d'Indiana Jones ce qui nous amène à redéfinir la notion de chevalerie. En effet, si l'habit ne fait pas le moine, l'armure ne fait pas non plus le chevalier ...

Un héros adoubé

Les élèves, après un temps de recherches et lectures documentaires,  retrouvent très facilement les qualités d'un chevalier : force et adresse physique, courage, désintéressement, générosité... Il n'est pas difficile de leur faire remarquer alors que ces qualités sont aussi celle d'un héros de façon plus générale et par voie de conséquence d'Indiana lui-même. Pour le montrer de manière plus claire, l'étude de la séquence inaugurale du film est particulièrement intéressante. Dans cette séquence, on voit le tout jeune Indiana qui découvre, lors d'une excursion, un groupe d'aventuriers à la recherche d'une relique, la croix de Coronado. Aussitôt, Indiana dont le cœur est pur et désintéressé, décide de prendre cet objet pour le remettre à un musée. S'ensuivent une course poursuite et une bagarre. Les élèves identifient très vite les qualités dont fait preuve le héros à cette occasion et peuvent les mettre en relation avec celles des chevaliers.  La fin de cette séquence du film permet aussi d'établir un lien plus direct encore avec l'univers chevaleresque. Indiana, qui a réussi à regagner la maison paternelle, se voit finalement contraint de restituer la croix. Cette première aventure se solderait donc par un échec ? Pas vraiment, puisque l'aventurier, auquel il avait dérobé l'objet, reconnaît sa valeur humaine, l'encourage et lui remet son propre chapeau - qui deviendra l'attribut du personnage - dans une scène qui rappelle les cérémonies de l'adoubement au cours desquelles le suzerain du jeune chevalier lui remettait une épée.

Des valeurs morales

Par ses qualités, Indiana s'apparente donc aux chevaliers. Certes il a peur des serpents et fait parfois naïvement confiance  à des gens prêts à le trahir. Mais cela même n'empêche pas d'en faire un chevalier. En effet, l'humanité d'un Lancelot ou d'un Perceval est sans cesse rappelée dans les romans : ils font des mauvais choix, sont parfois naïfs comme Perceval, éprouvent la peur. Cet aspect imparfait du héros de chevalier interpelle d'ailleurs toujours les élèves en les renvoyant à leurs propres fragilités et en les rassurant : ce qui fait d'eux des chevaliers, c'est justement leur capacité à surmonter leurs peurs et à assumer leurs choix, même mauvais. En cela Indiana est bien leur héritier. Ainsi, l'étude de ce film permet aux élèves de passer d'une définition superficielle des chevaliers - souvent réduite à la description de leur équipement - à une définition plus complexe, basée sur l'identification de valeurs morales notamment.


LA DERNI
ÈRE CROISADE : L'HISTOIRE D'UNE DOUBLE QUÊTE 

La quête du Graal
Le titre du film place directement l'aventure d'Indiana dans la continuité des croisades du Moyen âge. Il n'est pas question ici de délivrer le tombeau du Christ  mais de retrouver un objet tout aussi symbolique : le Saint Graal, coupe censée avoir recueilli le sang de Jésus crucifié. Ainsi Indiana Jones se situe-t-il dans une double tradition. Il s'agit d'abord d'une tradition historique puisque la référence aux croisades le place dans une position analogue à celle des chevaliers -réels- qui ont fait le voyage en Palestine au nom de leur foi. Ces chevaliers sont représentés dans le film par les trois frères et notamment le survivant rencontré par le héros. Donovan, commanditaire de l'expédition, raconte leur histoire - et ici la fiction à travers la légende vient se superposer aux références historiques : partis en croisade au Moyen-Orient, les trois frères, après avoir livré bataille aux musulmans, auraient découvert le Graal, dont la trace avait été perdue depuis que Joseph d'Arymathie l'avait emporté, et ils en seraient devenus les gardiens. Deux d'entre eux seraient revenus au pays quelques 150 ans après, puis seraient morts en laissant des indications pour retrouver la coupe sacrée. Voilà la quête lancée, et avec elle, c'est une autre tradition qui  émerge, littéraire cette fois : celle du cycle arthurien.  En effet, la légende du roi Arthur, qui  est reprise dans les romans de chevalerie, fait de la quête du Saint Graal un enjeu majeur. N'est-ce pas la mission qui lui a été confiée, celle à laquelle travaillent  les chevaliers qu'il a réunis autour de la table ronde ? Lorsqu'Indiana arrive finalement dans la salle où repose le Graal, le dernier des trois frères, encore en vie, grâce au pouvoir merveilleux du Graal, voit aussitôt en lui l'élu qui avait été annoncé et doit le remplacer. Cet élu, dans la légende d'Arthur, ce sera Galaad, le fils de Perceval, chevalier au cœur pur. Avec le Graal, Spielberg introduit également dans son film le merveilleux chrétien des romans arthuriens puisqu'on attribue à cet objet le pouvoir de donner la vie éternelle et qu'on assistera à une scène - spontanément qualifiée de "fantastique" par les élèves - de vieillissement et mort accélérée lorsque Donovan boira dans le faux Graal. Nous sommes bien ici en présence du merveilleux chrétien puisque les autres personnages sont certes médusés mais pas autrement surpris par ce phénomène qu'ils interprètent comme la manifestation du pouvoir de Dieu. C'est donc de manière très explicite que  la quête du Graal  rattache l'aventure d'Indiana à l'univers des romans de chevalerie.

Une quête plus personnelle
Cependant, cette quête ne doit pas occulter la deuxième quête du personnage qui s'avère être plus essentielle pour lui. En effet, si l'aventurier au chapeau s'engage dans les pas des chevaliers du cycle arthurien, sa motivation première n'est pas véritablement de retrouver le Graal. Il n'a accepté la mission que parce que c'est le seul moyen de retrouver son père, disparu pendant qu'il était lui-même à la recherche de l'objet sacré. Indiana s'engage donc dans une quête beaucoup plus personnelle. Cela éloigne-t-il le film des romans de chevalerie ? En réalité, je pense que non. On peut comparer ici Indiana au personnage de Lancelot qui, dans le roman de Chrétien de Troyes, part à la recherche de Guenièvre, la femme d'Arthur. Les similitudes sont nombreuses. En effet, il s'avérera en fait que  le père d'Indiana a été enlevé par les nazis comme Guenièvre par Méléageant,  le chevalier félon, et qu'il est retenu, comme elle, dans un  château. Certes les relations des personnages sont très différentes mais à l'amour courtois qui lie Lancelot à Guenièvre et le pousse à partir à sa recherche, on peut superposer l'amour filial d'Indiana pour son père. Par ailleurs, le gain que les héros espèrent en accomplissant leur mission est très similaire : reconnaissance de leur valeur par la personne qu'ils veulent sauver, respect et réciprocité du sentiment. A aucun moment il ne s'agit donc de gains matériels. Retrouver la dame, ou le père, c'est chaque fois l'occasion de prouver son mérite et de manifester ses sentiments par des actes plus que par des mots. Le parallèle entre Lancelot et Indiana ne s'arrête pas là puisque le profil de leurs opposants est aussi très similaire.

Le combat de la lumière contre les ténèbres
Dans l'univers chevaleresque le monde est bipolaire : d'un côté les bons chevaliers, le chevalier blanc qui se bat pour la bonne cause, protège les faibles et respecte le code chevaleresque, de l'autre les mauvais chevaliers, les  félons, qui ne méritent qu'à peine le nom de chevalier. Ce combat de la lumière contre les ténèbres, on le retrouve évidemment ici avec le combat d'Indiana contre les nazis qu'il hait.  Repère des nazis, le château de Brunwald, château fort rempli d'armures, de tapisseries, de meubles d'époque et de passages secrets, est un nouveau clin d'œil à l'univers chevaleresque mais c'est surtout un lieu symbolique qui clarifie les forces en présence. Il est ainsi placé sous le signe du mal et de l'ombre, comme celui de Méléagant. Le château nazi est en effet situé à l'écart, dans une zone montagneuse difficile d'accès. Lorsque le professeur Schneider et Indiana arrivent, le ciel est très noir et un orage éclate. A l'intérieur, le décor est fait de teintes sombres avec une dominante de gris, où les bannières nazies tranchent de manière violente, le faible éclairage vacille. C'est dans ce cadre qu'Indiana découvre successivement la trahison d'Elsa Schneider et de Donovan qui, par leur statut de traîtres manipulateurs et leur alliance avec les nazis, passent du côté de l'ombre et de la félonie.
La mise en perspective de la double quête d'Indiana Jones et des quêtes chevaleresques, sous forme de schémas actanciels par exemple, justifie  la comparaison aux yeux des élèves qui, au delà des références historiques et des clins d'œil humoristiques, identifient ainsi des structures et des rôles narratifs similaires.


UN RÉCIT D'AVENTURE : UNE SÉRIE  D'ÉPREUVES CHEVALERESQUES

Des combats
C'est bien connu, Indiana Jones est un aventurier qui manie avec adresse le fouet et, à l'occasion, sait se servir de ses poings ou d'une arme. Il sait donc se battre et les scénaristes lui en donnent plusieurs fois l'occasion dans ces diverses aventures. Dans la dernière Croisade, Indiana se bat ainsi à Venise sur un hors-bord, puis dans le château des nazis, pendant sa fuite, et sur le char nazi peu avant de découvrir le sanctuaire du Graal. Cette violence qui s'exprime à l'écran n'est pas sans évoquer à nouveau les romans de chevalerie qui comportent toujours eux aussi de nombreux combats où le sang jaillit de toutes parts, où les coups d'épées tranchent jusqu'à l'os  et où les ennemis du chevalier meurent  nombreux. Les récits de combat dans les romans de chevalerie n'hésitent pas à faire dans la surenchère et utilisent abondamment hyperboles et images fortes. La vaillance du chevalier est d'autant plus grande qu'il supporte sans murmurer les pires blessures et continue à se battre malgré tout. D'une certaine manière, la mise en scène des combats d'Indiana ressemble à ces récits puisque le héros montre une forte ténacité et vient à bout - tout seul - de plusieurs ennemis à chaque fois. L'exagération est évidente mais acceptée par le spectateur, comme par les lecteurs de romans de chevalerie, parce que son statut de héros confère au personnage une supériorité indéniable sur ses adversaires - même à dix contre un. D'ailleurs, l'un des combats fait explicitement référence au combat de chevalier. Dans une très courte scène, alors qu'Indiana fuit le château des nazis avec son père à bord d'un side-car, poursuivis par des soldats à moto, il se retrouve en face d'un motard qui fonce vers lui et arme sa mitraillette. Indiana est désarmé, s'en est-il fini de lui et de sa quête ? Plein de ressources, il arrache un mât au poste frontière et s'élance à la rencontre de son adversaire en se servant du mât comme d'une lance : le motard est désarçonné, Indiana a gagné. Le clin d'œil aux joutes du Moyen-âge est clair, même s'il se fait sur un mode parodique. Les élève sont généralement heureux d'identifier seuls - pour peu qu'on leur ai au préalable fait lire des textes ou montrer des représentations iconographiques - cette référence culturelle déguisée.

Des épreuves symboliques : du réalisme au merveilleux chrétien
Mais les combats sont loin de constituer le seul type d'aventures d'Indiana. On trouve en effet dans la fin du film des épreuves basées sur des énigmes à résoudre. Les énigmes ont été données par le professeur Jones père et suggèrent une interprétation merveilleuse :
1)    Le souffle de Dieu : Seul le pénitent pourra le passer.
2)    Le nom de Dieu : Uniquement dans le mot de Dieu devra avancer.
3)    Le saut de Dieu : Uniquement dans le saut depuis la tête du lion pourra-t-il prouver sa valeur.
Les formulations ne prennent véritablement sens qu'une fois que le héros se trouve confronté aux obstacles. Il s'agit alors pour lui d'en comprendre la signification pour passer les trois obstacles qui se présentent sous des formes plus ou moins surnaturelles. Une fois chaque épreuve passée, on découvre finalement qu'il s'agissait d'un trucage : des lames dont le mouvement faisait de l'air avant de décapiter, des dalles sans fondations qui s'effondrent quand on pose son pied dessus, une passerelle rendue invisible par un effet d'optique. Le merveilleux chrétien, suggéré par les énigmes, se trouve de fait annulé. Mais le temps de l'épreuve, on est dans une situation digne des romans de chevalerie. Le personnage de Lancelot est ainsi plusieurs fois confronté à des énigmes/prophéties : lorsqu'il soulève, dans le Lancelot en prose, la dalle du tombeau de la Douloureuse Garde "qui ne pourra être levée que par celui dont le nom est inscrit dessous" ou dans l'épisode du Chevalier de la charrette, où il se couche dans un lit périlleux réservé à un élu malgré les mises en garde de son hôtesse. En accomplissant ces épreuves, Lancelot prouve chaque fois qu'il est justement l'élu, comme le fait Indiana en réussissant les siennes. On  peut  rapprocher de manière plus précise encore la dernière épreuve franchie par Indiana de l'épisode du "Pont de l'épée" dans  Le chevalier de la charrette. Outre le motif du franchissement d'un gouffre noir et sans fond et du pont périlleux, on retrouve la thématique de l'illusion d'optique puisqu'avant de passer le pont de  l'épée, Lancelot et ses compagnons voient des lions féroces de l'autre côté, lesquels disparaîtront une fois le pont franchi. Bien sûr, il n'y a pas d'explication dans le roman de Chrétien et le merveilleux est préservé, mais on constate tout de même des correspondances. D'ailleurs  on retrouve les deux lions qui montent la garde, statufiés par Spielberg à l'entrée du passage où se succèdent les différentes épreuves. Le pont de l'épée permettait d'accéder, en franchissant la frontière qui le sépare du monde réel, à un territoire, souvent associé à l'au-delà par les médiévistes. D'une certaine manière, les épreuves franchies par Indiana assurent la même fonction symbolique puisque c'est de l'autre côté que se trouvent le Graal et son pouvoir de guérison et de vie éternelle. Le chevalier rappelle d'ailleurs à Indiana que la relique ne doit pas franchir cette autre frontière que constitue la dalle scellée  à l'entrée du sanctuaire.  D'une certaine manière, les épreuves ont servi de transition pour faire glisser les personnages - et le spectateur - d'un univers réaliste et familier à un univers merveilleux, surnaturel, où la rencontre avec un croisé vieux de 700 ans, la vie éternelle, le vieillissement et   la décomposition  instantanés sont possibles.  Ils permettent en définitive de rendre acceptable le merveilleux chrétien en apparence très éloigné de l'univers plus réaliste du film.

L'élu

A la fin du film, le héros a prouvé sa valeur en réussissant les épreuves. Le vieux chevalier reclus ne s'y trompe pas - les élèves non plus - lorsqu'il voit en Indiana l'élu destiné à lui succéder. La remarque sur laquelle la séquence a pris appui se trouve pleinement légitimée puisque Indiana Jones incarne alors une forme moderne de la chevalerie.


EN GUISE D'ÉPILOGUE


Mettre les élèves en situation de mobiliser des savoirs pour apprécier des filiations artistiques
Indiana Jones et la dernière croisade est un film d'aventures et en cela il se rapproche bien évidemment du genre du roman d'aventures. Mais on voit que de nombreux éléments permettent de tisser des liens avec le genre plus ancien des romans de chevalerie. En réalité cela n'est pas très surprenant puisque le roman de chevalerie du Moyen-Age, issu des chansons de gestes et de l'épopée, élabore  un certain nombre de structures narratives qui seront reprises par les formes romanesques plus modernes.  D'une certaine manière, étudier les romans de chevalerie, c'est revenir aux origines du roman d'aventures, genre très apprécié des jeunes  lecteurs qui peuvent ainsi en appréhender la filiation. Étudier ce film,  c'est leur permettre dans le même temps d'appréhender les interactions nombreuses entre ces deux grandes formes d'expression que sont la littérature et le cinéma. C'est surtout utiliser un univers référentiel qui leur est proche pour leur permettre d'entrer en contact avec des œuvres anciennes, apparemment éloignées d'eux.


 

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