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la dictée à l'envers

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Une tablette numérique dotée d'une application de transcription automatique aurait-elle la moyenne à la dictée du brevet ? C'est de cette question lancée comme une boutade en salle des profs au collège Les Roches de Durtal qu'est née l'idée de cette expérimentation d'outils numériques en lien avec la maîtrise de la langue.

Contexte du projet

Une flotte de tablettes en prêt pour expérimenter en classe de français
A la rentrée 2014, un des enseignants de l'équipe de lettres avait vu son projet de prêt de tablettes numériques sélectionné par les ateliers Canopé d'Angers. 

Cette flotte de tablettes fut majoritairement utilisée dans le cadre d'un Projet Education Média (PEM) en classe de 5ème, durant deux mois environ, entre les vacances de la Toussaint et Noël mais l'occasion était belle d'utiliser cet outil également dans d'autres classes, au service d'autres activités, ici pour préparer de façon originale des élèves de 3e à l'épreuve de la dictée du Brevet des Collèges, et partant de développer chez eux à proprement parler une compétence orthographique.


Les fulgurants progrès du TAL (traitement automatique du langage)
On observe depuis plusieurs années une place de plus en plus importante accordée à la voix dans les usages du numérique. Les machines obéissent désormais à la parole dans de nombreux secteurs d'activité. Ces logiciels et applications, permettant de commander un smartphone, une automobile, un ordinateur par la voix, sont déjà passés dans les mœurs, et ce ne semble être qu'un début. De plus en plus, on parle à son GPS, ses appareils domestiques, on fait une requête sur son moteur de recherche à l'oral après avoir appuyé sur la petite icône figurant un micro.
 
Certains vont même plus loin et considèrent qu'après le texte, puis l'image, c'est bien la voix qui constituerait la nouvelle frontière d'internet.

Les progrès de la transcription automatique du discours oralisé ont également été fulgurants. Il fallait encore hier calibrer son logiciel de transcription, le dresser en l'habituant à sa propre voix, dicter lentement et de façon très articulée. Aujourd'hui, plus besoin d'un tel paramétrage; la prise en mains (voir plus loin) ne prend que quelques secondes et l'accès à des bases de données illimitées par la connexion Internet rend la transcription considérablement plus précise et juste.
 

Le dispositif

L'équipe de lettres du collège Les Roches met en place le dispositif, destiné aux élèves de deux classes de troisième, les 3 A et les 3 C, respectivement de 25 et 27 élèves :
 
- Les élèves vont tout d'abord se livrer à l'épreuve de la dictée (voir plus bas) dans sa forme certificative, classique, donnée dans les mêmes conditions dans les deux classes, sans préparation préalable. Ces dictées sont corrigées par les enseignants dans les mêmes conditions et selon le même barème préconisé par les instructions de la commission d'harmonisation à laquelle a d'ailleurs participé un enseignant de l'équipe. La moyenne obtenue lors de cette première épreuve est de 1.5/6 en 3A et 2/6 en 3C.

- La cohorte est alors divisée en 2 groupes et a la chance de refaire la dictée, de la retravailler et donc de s' inscrire dans une perspective de progression.
 
 
1) La 3a va suivre une séance "classique" de correction : les élèves reçoivent leur évaluation, font le bilan des erreurs, passent par la "règle" (institutionnalisation des savoirs par leur professeur pendant une séance de 45 minutes environ), retentent la même dictée une dizaine de jours après. Notons qu'il y a tout de même dans cette classe un recours au numérique dans la mesure où l'enseignante se sert du vidéoprojecteur (non interactif) pour projeter et "discuter" avec les élèves le texte support de la dictée. 


Ce travail avec les 3A est finalement assez proche de ce qu'on appelle "dictée négociée" ou "dictée discutée" déjà décrite dans cet espace pédagogique et qui s'avère tout aussi efficace (voire davantage ?) que la médiatique twictée : 
http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/maitrise-de-la-langue-francaise/scenarios-pedagogiques/dictee-discutee-190198.kjsp?RH=1398171711015



La 3C va, quant à elle, pouvoir utiliser des tablettes numériques dotées de l'application androïd "Discours au texte" dédiée à l'enregistrement et la transcription automatique d'un message oralisé : les élèves reçoivent leur évaluation notée sur 6 sans annotations particulières de la part de leur professeur. Ils ont pour consigne, après une rapide présentation de l'outil, de dicter le texte original de Kessel à la machine puis d'envoyer la transcription au courriel académique d'un des enseignants, ce qui permettra de partager par videoprojection les travaux.

L'application utilisée

Il existe beaucoup d'applications et de logiciels dédiés à la transcription. Nous avons choisi l'application "Discours au texte bloc-notes", (titre assez peu heureux, vraisemblablement une traduction mot à mot de l'anglais "Speech to text notepad"), et ce, pour trois raisons : 

- elle est gratuite, mais à condition de supporter, pendant son utilisation, un bandeau publicitaire intempestif en bas d'écran, ce qui pose un vrai problème éthique, voir plus bas,

- elle est disponible via le "play store" de Google, les tablettes fonctionnant sous androïd,

- elle est assez impressionnante : paramétrage inutile, fonctionnement extrêmement simple et instantané, l'outil n'a aucun souci bien-sûr avec l'orthographe lexicale mais pas plus non plus avec les accords, même difficiles. L'accès via Internet (airport wifi connecté via le réseau de l'établissement) permet à la machine de déjouer quelques pièges posées par l'homophonie, fréquente dans notre langue. Ainsi, la machine fait la différence entre "patte" et "pâtes" grâce au contexte : "pâtes à la bolognèse", "pattes de poulet", "tu m'épates avec tes pattes ...". De même, on a pu remarquer que "Le compte est bon" devient "Le conte est bon" si dans la proximité de cet énoncé sont dictés les noms propres tels que "Blanche Neige", Barbe Bleue", "Cendrillon" ...

Le corpus

La dictée du brevet 2014

Notons que cette dictée extraite de l'Armée des ombres de Joseph Kessel fait 608 signes et correspond bien aux consignes données dans la note de service du 24 février 2012 marquée par un allongement de la dictée : "La maîtrise de la langue et de l'orthographe est évaluée [...] par la dictée d'un texte de 600 à 800 signes, de difficulté référencée aux attentes orthographiques des programmes." 


 
 

Observations lors de la séance de transcription de la dictée par les élèves

On remarque d'emblée que la prise en mains de la tablette et de l'application se fait très rapidement. L'ergonomie de la tablette permet une mise en route et en activité rapide et s'oppose en cela à une séance en salle multimédia avec installation, démarrage des postes, ouverture de session, .... L'effet "nouveauté" d'un tel appareillage joue également dans cette rapidité de mise au travail. De même, cet outil partagé à plusieurs (une tablette pour 4 élèves, installés 2 face à 2), semble favoriser le travail de négociation, de collaboration. Un s'enregistre, les 3 autres observent en temps réel le texte s'écrire seul comme par magie sur l'écran, et comparent le texte produit avec le texte original distribué en photocopie en début de séance. Une séance en classe entière à l'aide d'un vidéo projecteur (non interactif) permet en fin de séance une mutualisation, un échange entre les différents groupes et les deux enseignants.
 
Une étude exhaustive mot après mot des dictées obtenues par transcription serait nécessaire, mais les points suivants ont été relevés dans les différents groupes :
 
  • la machine a tendance à écrire le mot "Résistance" avec majuscule. C'est intéressant : Kessel utilise la minuscule dans le texte original. Qui a raison ? La machine ou l'écrivain ? Et toi, lecteur, pencherais-tu pour la majuscule ou la minuscule ? Notons sur ce point que l'application utilisée n'utilise pas la majuscule en début de phrase, faute qui reste difficilement compréhensible, la machine dans le même temps retranscrit fidèlement les virgules et points dictés. Cette absence de majuscule pose problème au correcteur. Combien de points doit-il retirer à la machine ? On peut également, face à cette situation, réagir comme certains élèves qui ont décidé de "retoucher" le texte obtenu en réintroduisant les majuscules en début de phrase et ainsi "aider la machine à ne pas se tromper".
 
  • dans la dernière phrase, la machine transcrit la tournure présentative "c'est" plutôt que le présent du verbe savoir, "sait". Quelques élèves lors de la restitution ont semé le doute jusqu'auprès de leurs enseignants en tentant d'expliquer et de justifier l'emploi de "c'est". En relisant à plusieurs reprises la phrase -et là, c'est gagné ! - le texte de Kessel est vraiment interrogé, étudié, lu avec une grande attention- cette faute en arriverait en effet à ne plus en être une.
  
  • la classe a pu relever également une erreur commise à plusieurs reprises par certains élèves cette fois, consistant à dicter à la machine le pluriel "exigent" de la quatrième phrase comme un participe présent "exigeant". Là, ce n'est pas la machine qui se trompe, mais la personne qui lui lit le texte ... Et cette erreur est entraînée par une difficulté de compréhension du texte. Pendant toute la séance ont ainsi été relevés de gros efforts de la part des élèves pour "bien dicter" le texte à la machine. Encore une fois, cette posture est bénéfique en ceci qu'elle entraîne une attention importante au grain du texte, et partant, au sens de l'extrait.
  
  • l'application hésite entre singulier et pluriel dans l'énumération ternaire de la la deuxième phrase : "On ne peut rien confier au téléphone, au télégraphe, aux lettres". Pourquoi un passage au pluriel pour le dernier terme ? L'auteur, Joseph Kessel, a-t-il souhaité garder l'effet d'écho "au", "au" qui aurait été rompu par un singulier "à la" lettre" ? ... C'est peut-être aller trop loin; ce qui est certain, c'est que le texte ainsi travaillé, dicté, se livre dans toute sa dimension prosodique et poétique, en ce sens où il y a un travail sur le langage et sa dimension sonore. Ainsi, les élèves remarquent vite les limites du logiciel qui va confondre logique grammaticale et logique littéraire, préférer la grammaire de phrase au détriment de la grammaire du texte et "se tromper" puisqu'il lui manque des informations con/cotextuelles qu'il ne peut traiter. Un groupe s'est même, par jeu et goût de la transgression, amusé à essayer justement de systématiquement tromper la machine, afin qu'elle obtienne la note la plus basse possible. Mais, même en adoptant cette posture, les élèves ont tout autant progressé dans leur maîtrise de la langue car ils se sont penchés sur le sens du texte et de tous ses possibles au niveau grammatical et orthographique.
 

Bilan et perspectives

Les résultats de la 2ème dictée chez les élèves de la 3C
Ce travail de "dictée à l'envers" proposé en 3C s'est avéré particulièrement efficace. Tous les élèves se sont rapidement mis en activité et les échanges ont été très riches lors de la conclusion des encadrants qui ont tenté d'institutionnaliser rapidement les savoirs de la séance, sans passer par une "leçon de grammaire".
Une dizaine de jours après cette séance, rendez vous fut pris pour une future tentative manuscrite de cette fameuse dictée de Kessel. La moyenne des notes est dans cette classe passée de 2/6 à 4/6; En 3A, la moyenne a progressé de 1.5 à 3 sur 6. 
                     
 

Alors, la tablette obtient-elle oui ou non la moyenne à la dictée du brevet ?
On l'aura compris : tout dépend de la méthode adoptée pour lui dicter le texte de Kessel. Si on retient le texte obtenu par l'élève 1 (voir plus haut), il s'avère que la machine obtiendrait la note de 2.75/6, en s'entendant sur un retrait de 0.5 point pour toutes les majuscules oubliées. La moyenne n'est donc pas très loin et on peut raisonnablement imaginer que l'outil pourrait dans un futur proche obtenir un score plus élevé. Mais la question est-elle finalement si importante ? Ne nous leurrons pas, il ne faudrait pas s'imaginer vouloir tout convertir du son vers le texte; ceci reviendrait à programmer l'abandon de la version audio au profit du texte, à finalement penser que le seul matériau légitime est le texte, ce qui est pour le moins discutable dans la mesure où le son (la voix) comporte une quantité infiniment supérieure d'informations.
De même, l'expérimentation qui semble avoir entraîné une amélioration des résultats en dictée chez les élèves de 3C a surtout contribué à véritablement développer chez eux la compétence orthographique, ce qui, au fond, apparaît à l'équipe de lettres plus important que de réussir son brevet.


Les limites de cette expérimentation
La dimension scientifique de cette expérimentation est plus que discutable. Les échantillons ne sont pas représentatifs. Les conditions d'expérimentation ne sont pas rigoureuses. Il n'y a pas de protocole sérieux mis en oeuvre. Il faudrait sans doute utiliser le très intéressant tableur mis au point par Olivier Barbarant, inspecteur général de lettres, pour corriger les dictées de façon plus juste et positive. 
Néanmoins, l'expérience a paru intéressante tant aux enseignants qu'aux élèves de la 3C. Ces derniers semblent bien avoir ainsi bénéficié d'une "médiation" supplémentaire dans l'acception média/support du terme, d'une pratique réflexive en sus qui leur a permis d'arriver également de manière inductive à la règle.  L'utilisation d'un tel outil de transcription régulièrement en classe n'est pas non plus vraiment envisageable. Se posent en effet rapidement des problèmes techniques (nécessité notamment de mettre en place une connexion internet par une liaison wifi, ici un boitier airport d'une vingtaine de mètres de portée, équipement prêté par les ateliers CANOPE, installation qui peut poser problème dans l'établissement pour des raisons de sécurité des données), financiers (il faut doter l'établissement d'une dizaine de tablettes) et éthiques (publicité intempestive apparaissant en bas d'écran, utilisation de services commerciaux privés et de droit étranger pour mener à bien l'expérimentation ... pratique pour le moins "gênante pour un enseignant censé faire preuve de neutralité commerciale", comme le rappelle à juste titre Christelle Guillot dans son récent article sur la twictée). 
 

 

Pour aller plus loin

 

Sur ce thème de la reconnaissance automatique de la parole, on pourra lire à profit l'article de wikipedia, fourni sur l'historique de cette technique.

Quelques romans évoquent cette technique, naturellement dans le domaine de la science-fiction, notamment dans la Trilogie des Prophéties de Pierre Bordage ou des oeuvres en lien avec les services secrets, la police, les régimes où la répression est systématique, comme le Premier Cercle d'Alexandre Soljenitsyne.
Science-fiction ? Répression ? Surveillance ? On pourra bien-sûr relire 1984 de George Orwell, en faisant porter son intérêt non plus sur l'image de Big Brother mais sur sa voix, comme l'avait entrepris une classe de 3e du collège Reverdy de Sablé-sur-Sarthe (Cf. article).

Ainsi, on ne se privera pas avec sa classe de travailler sur la lecture à voix haute et sur la dimension sonore des textes, à la façon de la classe d'Aurélie Palud au lycée Gabriel Touchard du Mans, "une bande-son pour un roman bruyant : Madame Bovary".

On pourra enfin lire dans la même encyclopédie collaborative les articles consacrés à la dictée ainsi qu'à la cacographie.

 
 

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