Contenu

Lettres

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > disciplines du second degré > Lettres > enseignement

“à l’école des petits écrivains”

mis à jour le 09/04/2014


echanger dossier 1

Gravir les marches du ministère de l'Éducation à quinze ans, et être reçus en personne par la ministre déléguée à la Réussite éducative, il y a de quoi rester coi. Pourtant, c'est ce qui est arrivé aux élèves du collège Paul-Émile-Victor à Azé, en Mayenne, le 14 novembre 2012. Détails et mystères dévoilés autour de cette opération littéraire nommée "À l'école des écrivains, des mots partagés".

mots clés : échanger, compétences, atelier d'écriture, lectures, rencontre écrivain, collège


epuis 2007, ce dispositif de l'Éducation nationale permet à des classes volontaires de vivre une année dans le sillage d'un livre et de son auteur. Il faut "mettre en lumière la littérature". Selon George Pau-Langevin, ministre déléguée à la Réussite éducative, "ceux qui ont le bonheur d'aimer la lecture démultiplient leur vie quotidienne". Ainsi, cette opération "se fixe pour objectif de donner le goût de la lecture et des mots à des élèves parfois éloignés de la littérature". Elle leur permet de travailler la lecture, l'expression écrite et orale. Un écrivain parraine chaque classe engagée, élèves de quatrième ou de troisième des collèges Éclair 1 et ruraux. En 2012-2013, une centaine d'établissements sont concernés. Dès 2010, Valérie Menut, enseignante de français au collège Paul-Émile-Victor à Azé, en zone rurale de la Mayenne, décide d'inscrire ses élèves. Cette première participation s'attache à la poésie contemporaine, Sur la musicalité du vide 2 2 : vertige et plaisir ! Puis, en septembre 2011, ce sont vingt-six adolescents de la troisième 1 qui sont ciblés : treize garçons, treize filles. Dans cet établissement, le principal, Vincent Février, et ses équipes veillent toujours à la mixité des classes pour une juste diversité des voix. L'enjeu majeur, pour la professeure, consiste à "leur mettre des livres entre les mains". Une gageure...

Et l'auteur ?

Quel auteur ? Quand ? Comment ? Telles sont les premières questions émanant des vingt-six élèves curieux auxquels l'enseignante annonce le projet. Cette année, ce sera Éric Pessan, auteur de Une très très vilaine chose, roman édité en 2003 aux éditions Robert Laffont. Dix heures d'entrevues, réparties sur trois rencontres au collège, sont prévues. Et justement, c'est ce travail accompagné au long cours qui séduit l'enseignante. "C'est déjà une expérience rare d'accueillir un écrivain dans sa classe", les contraintes temporelles des auteurs et le coût engagé pour le collège ne le permettant pas forcément. Or, le dispositif ministériel embrasse et aplanit toutes ces difficultés. "C'est un cadeau d'être choisi par ce dispositif", estime Vincent Février, principal du collège. "Son caractère le plus précieux ? Il y a un fort espace de liberté dans la complicité qui se crée entre l'écrivain, la classe et la professeure". D'expérience, celle-ci narre à quel point, à l'issue du projet précédent, les adolescents se sont sentis valorisés par la présence à leurs côtés d'un "vrai écrivain". Aussi étonnant que cela puisse paraître, l'une de leurs premières réactions est d'apprendre qu'"un écrivain, ce n'est pas forcément quelqu'un qui est mort". Chacun va pouvoir, tel que le préconise le socle commun, s'engager dans un projet personnel : l'écriture d'une nouvelle recomposée (mélange de l'œuvre initiale et de passages créés par l'élève), avec l'assurance d'être doublement guidé par l'écrivain et la professeure. Par ailleurs, selon celle-ci, les ateliers d'écriture imaginés au cœur des trois séances de rencontre permettent de "dépasser le caractère exceptionnel du début pour se livrer au travail de façon naturelle". Selon Nolwenn et Théo, interviewés sur les marches du perron du ministère pour lancer l'édition 2013, "on est un peu impressionnés, au début", mais finalement, "un écrivain, c'est un homme ordinaire". Un homme ordinaire, grâce auquel ils vont lire et pratiquer les différents langages littéraires avec envie.

Une très très vilaine chose

Ainsi s'intitule l'œuvre énigmatique d'Éric Pessan que les adolescents vont découvrir courant octobre. D'entrée, chacun se questionne sur "cette très très vilaine chose" : un bon titre en somme, puisqu'il engendre la curiosité naturelle et l'envie de parcourir les premières pages du roman. En préambule, lors de la première séance, l'enseignante leur présente les tenants et les aboutissants du projet : lecture de l'œuvre sélectionnée jusqu'en mars, puis trois rencontres-ateliers d'écriture avec l'écrivain. Elle distribue sans commentaires les ouvrages aux élèves pour en conserver le mystère. En effet, selon les propres dires de l'auteur, ce roman est construit comme un jeu des sept familles dont une carte aurait disparu": la carte de la mère. Restent le fils, la fille, les grands-parents et le père. La mère a commis une très très vilaine chose. Et chacun s'entoure de silence pour la masquer. La consigne de départ demande aux élèves de lire le roman entre novembre et janvier : une lecture personnelle d'abord, chez soi, simplement aidée par un accompagnement du rythme de lecture. Pour stimuler la curiosité de ses élèves, l'enseignante leur lit les trois premières pages du roman et s'arrête à un moment fort en suspens": "Je ne pensais qu'à mon erreur, ma lamentable erreur". Puis, à cet endroit particulier qui suscite l'envie de poursuivre la lecture, elle leur demande de terminer le roman en autonomie, chez eux. Pour guider leur rythme, elle fixe des dates intermédiaires, auxquelles chacun devra être arrivé à tel ou tel chapitre. Globalement, ce sont des lecteurs "faciles", qui ne rechignent pas devant une œuvre à parcourir. Néanmoins, pour vérifier le suivi des uns et des autres, Valérie Menut conserve un temps de discussion au sein de ses quatre heures trente hebdomadaires pour permettre leurs réactions libres en cours de lecture. Au final, elle vérifie leur capacité à rendre compte de leur lecture littéraire intégrale, validant ainsi une capacité du socle commun pour ceux qui prennent la parole. Dans l'ensemble, les élèves ont lu l'œuvre plutôt rapidement, intrigués par le dénouement qui tarde à lever les nombreuses parts d'ombre : "Qui est-elle ? Qu'a-t-elle fait ? Mais qu'est-ce donc que cette très très vilaine chose ?". Une fois le roman terminé, ils font aussitôt part de leur déception, puisque tout reste irrésolu. Comment cela ? On peut parcourir tout un roman et ne pas obtenir la solution à l'événement perturbateur ? Les lecteurs sont désemparés. Alors seulement, signale l'enseignante, une fois le roman lu sans interférence, son étude analytique peut commencer.

Offrir des clefs au mystère ?

De prime abord, les élèves posent une kyrielle de questions à propos de la mise en page, l'étrangeté des paragraphes. Il faut dire que dans ce roman, rien n'est construit de façon traditionnelle : certaines phrases débutent sans majuscule, se finissent sans point. De quoi déstabiliser les collégiens. C'est l'heure de reprendre les fondements de la construction de la phrase et les structures syntaxiques fondamentales. Pourquoi Éric Pessan s'affranchit-il des majuscules, de certains points ? (voir annexe) Page treize, même les points d'interrogation disparaissent : "Comment faire ? comment gommer ce 2 honteux elle l'a oubliée". Peut-être justement parce que c'est une fausse question, ou qu'il n'y a pas de réponse qui vaille, pas plus que de point d'interrogation... La professeure laisse les élèves étayer leurs pistes, dans un débat oral. Les élèves s'approprient une autre capacité du socle : celle d'analyser les éléments grammaticaux d'une phrase afin d'en éclairer le sens. À force d'hypothèses, les petits enquêteurs finissent par supputer que lorsque les pensées des personnages s'entremêlent, se mélangent, que l'on passe de l'un à l'autre sans dévier du sujet central (la mère absente), alors le point à la fin de la phrase ne s'impose pas. Puisque l'obsession de son départ jamais ne cesse, qu'il n'existe pas de rupture, la grammaire s'en fait l'écho. Les esprits s'échauffent, la syntaxe et la grammaire, parfois si immatérielles, s'animent d'un sens profond.

Reconstituer le puzzle

Ensuite, sur plusieurs heures de cours, en février, l'étude des personnages, comme pièces du puzzle fragmenté, est travaillé. Les élèves ont à remplir, chez eux, un tableau à partir d'annotations repérées dans le livre. Sa correction en classe suscite alors des échanges passionnés entre les élèves, et leur permet, à partir des faits et gestes des actants, d'éclaircir leur compréhension du roman. Ainsi, c'est le personnage de l'absente, la mère, qui produit les interventions les plus riches : ils imaginent à partir d'indices du roman ce qu'elle a bien pu faire, et s'aperçoivent que beaucoup de pistes sont fermées par le roman lui-même. C'est l'occasion d'argumenter, de contrecarrer, d'écouter l'autre. Chacun complète et rectifie son tableau en prise de notes. Puis, une autre séance vise les paroles rapportées, les monologues intérieurs et les focalisations, qui parfois ne permettent pas de distinguer narrateur et personnages. L'objectif est d'inciter les élèves à se questionner sur la justesse de leur lecture, d'approfondir les pronoms personnels, la cohérence du discours. Page 155 (voir annexe), la classe se penche sur cette phrase serpentine : "je prends ma respiration et je me lance, en apnée, mon cœur bat, J'ai cru que c'était elle, j'avoue mes pensées". L'enseignante pointe du doigt les "je" minuscules qui chevauchent les "Je" majuscules ; étrange mariage typographique autour d'une rupture. Les élèves apprennent à repérer le narrateur, en soulignant les indices lexicaux : c'est le père qui parle. Puis, voici "la grand-mère désolée au téléphone, elle décryptera peut-être le mensonge au ton de ma voix, mais sera interrompue par les cris du vieux, Quoi ? Quoi ?" Pourquoi ce "Q" majuscule ? C'est le grand-père qui vocifère : est-ce pour accentuer la colère et la violence tonitruante de ses propos? La lecture analytique du passage permet aux élèves d'aborder l'écriture même du roman. L'impatience et la frénésie s'accentuent à l'idée de rencontrer l'auteur en chair et en os, celui qui pourra seul, croient-ils, mettre fin à leurs questions sans réponses... autour de cette fameuse vilaine chose. En vue de la première rencontre avec l'écrivain le 22 mars, Valérie Menut invite ses élèves à lister toutes leurs questions en attente. Et elles sont fort nombreuses

Offrir un espace de réflexion

"À l'école des écrivains, des mots partagés" : l'intitulé du dispositif insiste tout particulièrement sur le partage, l'interactivité entre l'auteur et le jeune lecteur. Le premier entretien avec Éric Pessan se déroule dans le cadre normal de la salle de cours. Valérie Menut a disposé les tables des rangées droites et gauches en épi. De la sorte, la salle étant exiguë, les élèves les plus proches conservent une visibilité du tableau confortable, sans trop tourner la tête. Pour les échanges verbaux au sein du groupe, elle constate aussi que chacun peut se parler en se regardant. L'écrivain entame la rencontre par un dialogue à propos de son roman. Les avis sont partagés, les questionnements fusent sur l'origine de ce roman et le pourquoi du non-dénouement. L'enseignante remarque que les adolescents adaptent leur attitude et leur niveau de langue à leur invité. Certains, un peu gênés, avouent poliment qu'ils sont déçus de la fin obscure et mystérieuse. "Selon eux, le roman est un peu raté. À leur âge, on lit des livres dans lesquels le mystère est résolu" (voir annexe). Pour l'auteur, c'est l'occasion d'expliciter deux notions essentielles : les textes-paysages et les textes-machines 3. Dans les uns, "il y a juxtaposition d'éléments discontinus", sans dépendance nécessaire. Dans les autres, "l'avancement de l'action se fait par enchaînements de cause et d'effet", succession de péripéties et d'actions logiques. Or, Une très très vilaine chose est un roman-paysage, donc volontairement diffus, hétéroclite, livré à la lecture d'élèves habitués à la narration du cinéma-machine. Cela les perturbe, même si c'est un excellent moyen de les faire progresser sur l'analyse de la construction temporelle. Parallèlement, Éric Pessan fait écouter en direct aux élèves la chanson de Chris Isaak Baby did a bad bad thing et leur explique qu'en somme, elle est à l'origine de son roman. Concentrés, les collégiens écoutent les paroles en anglais et quelques-uns tissent le sens du refrain : une femme a fait une très très vilaine chose, son amoureux a le cœur brisé, il pleure, mais on ne sait pas pourquoi. Ce qui retient l'attention de l'écrivain dans cette rengaine, c'est justement l'ellipse temporelle, le vide chronologique inexpliqué. Il justifie ainsi le titre de son roman, mêlant son quotidien (la chanson écoutée) à de la pure fiction (son roman), à un espace de réflexion imaginaire. Le croisement du refrain musical mêlé à l'intrigue romanesque amène les élèves à la notion d'intertextualité. Il argumente : "Lorsque j'écris, je fais feu de tout bois !". Les collégiens pénètrent dans la sphère des écrivains, avant de le devenir un petit peu eux-mêmes...
 

Faire feu de tout bois

Au programme de ces trois rencontres avec l'écrivain, des ateliers d'écriture sont prévus. Réalisée au sein de la classe à la fin de l'année, une enquête traduit que si les adolescents ont effectivement accueilli le projet de lecture avec enthousiasme (sept élèves) et curiosité (treize), la proposition d'écriture était plus redoutée : écueils de leurs difficultés en français, peur du manque d'inspiration, difficulté de la tâche (voir annexe). Pour cette première tentative, trois exercices leur sont proposés : raconter un souvenir à partir de l'œuvre, inventer une projection d'un vieux film de la famille en super huit, insérer un paragraphe personnel au milieu du roman (voir annexe). Quelques élèves restent perplexes : "On ne va pas savoir quoi dire !" Éric Pessan circule entre les rangs et les rassure : "Mais si, vous allez voir. Un roman appartient à ses lecteurs ; s'il manque un élément, rien n'empêche de l'imaginer". C'est un habitué des ateliers d'écriture en milieu scolaire ou carcéral, et il encourage chacun à prendre la plume. Alors les élèves se lancent, simplement concentrés sur leur feuille de brouillon. Grâce à la présence de l'écrivain, les élèves vont accepter de faire ce qu'ils ne feraient pas forcément en temps normal : se concentrer, produire une écriture personnelle, faire confiance à leur capacité créatrice. De temps en temps, ils questionnent l'enseignante ou l'auteur sur une tournure, une formulation, un blanc. L'enseignante rappelle la nécessité d'une information importante par phrase, pas plus, pour conserver une syntaxe fluide. Elle propose de souligner les points au fluo, pour dégager des espaces de pauses respiratoires au lecteur. Elle engage à la construction de paragraphes, comme autant d'étapes temporelles. Par ailleurs, le CDI (Centre de documentation et d'information) a fait l'acquisition, dans le cadre du dispositif, d'une dizaine de dictionnaires de synonymes, d'analogies, proposés en accès libre aux élèves pendant les séances d'écriture. Les adolescents s'en emparent lorsque le besoin s'en fait sentir : comment éliminer les répétitions du verbe "faire", par exemple. La feuille d'écriture se développe petit à petit, s'entoure de cercles pour les expressions à garder, se triture de ratures pour les détails à éliminer, l'élève produit du sens. La durée prévue est d'une heure trente environ à l'issue de laquelle chacun devra lire sa production à haute voix devant les autres. Plaisir d'imaginer en silence, d'écrire avec lenteur, de lire. De se lire. L'enseignante valide cette capacité à rendre compte de son travail individuel, avec prise de parole en public. Voici le scénario qu'elle utilise" : tout d'abord, elle énonce la consigne d'écriture dans un temps donné. Les élèves sont prévenus qu'ils auront à lire à voix haute leur production une fois le temps écoulé. L'enseignante circule dans les rangs, repère les textes qui semblent intéressants à lire à la classe (parce qu'ils traitent la consigne d'une façon originale, parce qu'ils contiennent une erreur intéressante - énonciation ou compréhension, par exemple -). à la fin, elle interroge les élèves des textes repérés ; on écoute, on discute, il s'agit d'une réflexion dialoguée collective où chacun voit comment il paraît possible d'améliorer les productions écrites. Au-delà des premiers élèves volontairement ciblés par l'enseignante, des volontaires peuvent lire à voix ouverte. La professeure demande aussi s'il y a des élèves qui ont l'impression que leur texte est "en dehors des rails". Alors, certains silencieux lisent, on voit ensemble ce qui éventuellement ne va pas, mais souvent c'est une fausse impression : le texte, en fait, convient. Par ailleurs, si le texte écrit est long, la professeure fait lire seulement des passages clés : le début, telle articulation. Cela donne des idées à tous, voire remet en piste d'inspiration ceux qui peinent un peu. Avec Valérie Menut, cette démarche de lecture oralisée se réalise régulièrement en cours depuis la sixième, les élèves la connaissent bien. Dans ce cadre serein, il est alors possible de valider la compétence mentionnée. Aucun élève ne refuse ce passage oral devant les autres, même les plus timorés, ragaillardis peut-être d'énoncer leur production devant un "vrai" écrivain. L'heure file, et déjà les consignes pour la prochaine rencontre, fixée au 21 mai, sont données.

Lire encore et toujours...

Pour cette date, les élèves auront à rédiger une critique de l'un des romans qu'Éric Pessan leur a personnellement choisis. Il propose sept romans courts, certains à structuration "paysages", d'autres "machines" : L'Étourdissement de J. Egloff, le Traité sur les miroirs pour faire apparaître les dragons de M. Page, Le club des inadaptés de M. Page, Face de cuiller de L. Hall, Bleu de rose de M. Chartres, J'apprends de B. Giraud, et le dernier, Plus haut que les oiseaux, de lui-même. Dans la salle de classe, la professeure installe une mini-bibliothèque où chacun peut se servir à sa guise. En plus des dictionnaires, le dispositif ministériel permet l'acquisition des sept ouvrages périphériques, ainsi que Une très très vilaine chose pour chacun des participants au projet, adultes compris. Intra muros, l'enseignante espère développer leur culture humaniste par la fréquentation d'œuvres littéraires variées. Dès les jours suivants, les élèves commencent à les emprunter. Valérie Menut se charge du suivi logistique sous forme de fiches cartonnées traditionnelles. Le bilan de ces lectures complémentaires se révèle tout-à-fait positif, car il montre qu'en deux mois, tous ont emprunté au moins trois des romans proposés, ce qui n'est pas rien pour ces adolescents parfois éloignés des livres. Mieux encore, les collégiens ont souvent prêté ces ouvrages à des amis ou à leurs parents ; une manière de prolonger et faire partager leur émotion littéraire. "L'accès au livre, plus que tout, réclame des passeurs : on vient au livre parce que quelqu'un vous y conduit. Et cela durant toute la vie. Combien de fois avons-nous lu, et souvent aimé un livre parce qu'il nous venait de quelqu'un que nous aimions, en qui nous avions confiance ?". Ainsi, à l'instar de ce que Danièle Sallenave 4 préconise dans son ouvrage sur la relation à la lecture des adolescents, les collégiens de l'école des écrivains deviennent des passeurs de littérature.

Écrire sans note

L'enseignante valorise cette acceptation de lire, et de lire beaucoup : "gratuitement", sans note, sans obligation. À aucun moment, en effet, les travaux d'écriture ne sont notés, laissant une liberté imaginative sereine aux "petits écrivains". Stimulés par les conseils de lecteurs avides, les plus réticents finissent à leur tour par emprunter un ouvrage, puis un autre (voir annexe). Ils en rédigent les critiques sur leur temps personnel, quelques lignes sur leur cahier qu'ils soumettent à l'enseignante sur une heure de cours consacrée à cet échange. Celle-ci insiste sur le caractère primordial des justifications, mais sans aucune censure. Les uns étayent un peu plus leur argumentation, d'autres peaufinent leur style. Ils conservent soigneusement leurs travaux, car au final, ces paragraphes devront être intégrés dans une nouvelle de plus grande envergure. Le 21 mai, lors de la deuxième rencontre, chacun lit son texte appréciatif ou dépréciatif sur les sept romans parcourus, en adaptant son niveau de langue au destinataire présent. Simultanément, Éric Pessan donne son avis, autant sur les livres que sur les critiques rédigées. Pour quelques élèves de la classe, la professeure précise que ce projet a permis la validation du socle commun 5, ce qui n'aurait pas été possible par les exercices classiques. L'acquisition de certaines compétences (capacité à lire et comprendre des textes variés, la maîtrise de l'expression orale) rentre directement en jeu lors des trois rencontres avec l'écrivain.

Patiemment tisser sa toile

Pour préparer la dernière rencontre, prévue le 5 juin, l'écrivain fait don à la classe d'un texte inédit, une pépite qu'il rédige juste pour eux (voir annexe). Dans ce fragment rajouté, l'auteur donne voix à la mère, enfin. Par hasard, celle-ci vient de trouver et parcourir, telle une mise en abyme, l'œuvre qui parle d'elle-même. "Signée par cet homme qu'elle ne connaît pas, Éric Pessan. Elle n'aime pas ce livre...". La consigne consiste à enrichir ce passage par l'ajout de nouveaux paragraphes (création de l'élève), tout en respectant la cohérence du scénario, la concordance des temps et pronoms personnels, le vocabulaire des émotions. On précise que la mère sera la narratrice. Deux heures de cours sont consacrées à cet exercice, dictionnaires toujours à l'appui. Il est intéressant d'observer le soin grandissant apporté par les élèves à la réécriture de leur texte initial. D'eux-mêmes, ils rédigent un premier jet, assez illisible et brouillon, et parfois le griffonnent totalement. On peut remarquer cette toile d'araignée mystérieuse sur la feuille d'un élève, évocatrice sans doute de ses méandres réflexifs à la recherche de l'inspiration... Puis certains de ces petits écrivains vont même jusqu'à reprendre patiemment le stylo pour proposer une calligraphie plus claire et lisible sans difficulté. Ils ont bien compris que chaque rencontre avec l'écrivain débute par une lecture collective de leurs productions, il n'est donc pas question de bafouiller ! "Accepter la lenteur, ne pas se fier au premier jet, mais accepter que ce ne soit pas bien tout de suite. Et refaire son texte", c'est important pour nos élèves, affirme Valérie Menut. D'ailleurs, leur autonomie et la volonté de bien faire (qualité de l'expression écrite, lisibilité) se sont grandement affirmées au fil des semaines écoulées.

Ultimes collages

Le 5 juin, tous les élèves font part de leur création de texte remanié en direct par le duo complice écrivain-enseignante, selon les incohérences constatées (pronom à la troisième personne, erreur sur la concordance des temps). Les autres élèves participent également, en prenant part à ce dialogue et en faisant part de leurs propositions correctives. La suite de la rencontre est consacrée au collage de l'ensemble des textes produits par chaque élève depuis le début du dispositif ! Sacré exercice de synthèse et de concentration pour organiser cette kyrielle de strates narratives. Pourtant, le puzzle prend forme... de quelques paragraphes justement ficelés à plusieurs pages (voir annexe), chacun se constitue sa nouvelle originale. Plus tard, elle sera réécrite une dernière fois par l'élève à l'ordinateur. Une différence de graphie permet de distinguer les passages inventés par l'élève de ceux de l'écrivain. Au final, l'ensemble des écrits constitue un recueil des productions de la classe. L'enquête menée en juin traduit que, sur ce point, beaucoup d'élèves ont évolué : plus de la moitié avoue écrire avec davantage de plaisir. Quant à l'enseignante, son enthousiasme est tel qu'elle est déjà engagée sur le dispositif 2013. De quoi tourner encore quelques belles pages de littérature !


1. Classe Éclair : dispositif pour zone d'éducation prioritaire.
2. Sur la musicalité du vide 2 : diptyque poétique de Matthieu Gosztola paru en 2003.
3. Théorie citée dans Écritures dramatiques de Michel Vinaver, auteur de théâtre.
4. Danièle Sallenave, membre de l'Académie française, Nous, on n'aime pas lire, 2009.
5. La compétence 1, soit La maîtrise de la langue française, et la compétence 5, portant sur la culture humaniste, sont particulièrement concernées.
 
auteur(s) :

C. Coquereau

contributeur(s) :

V. Menut, Collège Paul-Émile-Victor, Azé [53]

fichier joint

information(s) technique(s) : pdf

taille : 496 Ko ;

ressource(s) principale(s)

echanger dossier 1 construire, évaluer des compétences 11/01/2011
La question de la construction et de l'évaluation des compétences prend aujourd'hui une nouvelle actualité avec la mise en œuvre du socle commun de connaissances et de compétences. Désormais, ...
évaluation, évaluer, compétences, livret, socle commun

haut de page

Pour faire un lien, saisissez l'adresse complète du site web (http://www.siteweb.fr) ou du mail.


écoutez le mot à saisir

Lettres - Rectorat de l'Académie de Nantes