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liens hypertextes, zone hypersensible

mis à jour le 01/08/2018


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Comment utiliser le numérique, et plus particulièrement le lien hypertexte, pour aider des adolescents à parler d’eux, à approcher l’écriture poétique et à jouer avec l’image (iconographique comme métaphorique) ?

mots clés : expression personnelle, lien hypertexte, image


Le projet

Parler de soi

Cette séance a été menée avec quatre classes de 15 élèves de Seconde Bac Pro SEN/MELEC /COM. L’autoportrait numérique, en guise de séance inaugurale, doit inviter les élèves à se dire, s’écrire, s’inventer.

Pour des adolescents, en particulier des garçons dont on connaît la grande pudeur, ce travail de traduction des ressentis/émotions/sentiments, cette mise à distance de soi-même et du monde sont loin d’être évidents. La séance doit les inviter à aller se glisser dans les interstices, dans les marges, là où se niche le texte poétique, à aller explorer des zones plus vulnérables de soi tout en se sentant davantage protégé qu’on ne le serait probablement avec des mots. C’est un premier pas, un engagement attendu, vers le partage de ce qu’il y a de précieux en soi.

D’où l’idée d’un forage du langage par l’écriture/image qui permette, pour reprendre les mots de Beckett, que "quelque chose se mette à suinter au travers."

Ce "selfie" en mots est mené en tout début d’année car il permet de se rendre au cœur de questions d’écriture (et de lectures) de mon point de vue fondamentales. Faire prendre conscience aux élèves par cette expérience notamment, qu’écrire c’est bien davantage se poser la question du comment que celle du quoi.


 




Transformer le lien hypertexte en outil de création

Alors que les liens hypertexte mènent quotidiennement les élèves de page Internet en page Internet, on leur propose d’en faire un outil de création. Plus tard dans l’année, un travail sera effectué autour des médias et de l’écriture journalistique, l’une des trois séquences au programme de la Seconde Bac Pro. Les liens hypertexte seront alors envisagés pour leur caractère informatif. Une réflexion sera menée sur ce qu’ils ont modifié dans le travail du journaliste et du lecteur, sur la place prépondérante qu’ils occupent sur la toile, sur leur rôle économique lorsqu’ils deviennent buzz feeders… Pour l’instant, c’est bien un autoportrait qu’on cherche à écrire.

Le défi est le suivant : le lien attendu ne doit pas mener à une information mais à une image. Et tout l’intérêt de l’image réside dans son aspect symbolique ou métaphorique plus qu’illustratif.



Objectifs

Compétences disciplinaires :

  • être capable d’écrire un texte (autobiographique)
  • être capable d’élaborer des métaphores, des jeux de mots et d’exploiter la polysémie
  • S’interroger sur le cliché et l’originalité dans la création
  • Interpréter une image, faire des hypothèses sur son sens, dégager sa symbolique

Compétences transversales :

  • être capable de créer un lien hypertexte.
  • s’inscrire dans une démarche de recherche, s’investir dans un projet individuel
  • (re)penser notre rapport à l’outil de recherche informatique
  • être capable de parler de soi, de se dévoiler aux autres, de leur faire confiance
  • S’ouvrir aux autres (écoute, bienveillance, intérêt pour le travail d’autrui)
 

 

Modalités de mise en oeuvre du plan de travail


Étape 1 : Enoncer la consigne et fixer des contraintes

Afin de donner tout son sens à l’exercice, on établit une contrainte : le lien hypertexte mènera à une image (une photo, un dessin, un tableau). Ni article, ni son, ni musique ou vidéo qui rendent le retour au texte-source compliqué en raison de la longueur du détour qu’ils requièrent.

Cette contrainte s’explique par la puissance évocatrice de l’image qui parle aux sens autant qu’à l’intellect, qui se donne dans son immédiateté tout en exigeant un travail d’observation et de déchiffrage. En un sens, l’image entre plus nettement en adéquation avec l’objet poétique qui montre, suggère mais ne raconte pas.

Deuxième contrainte : le lien hypertexte ne sera ni une explication, ni une illustration du mot-source. Pas de redite superflue ou de paraphrase : l’image doit être personnelle, originale et offrir un accès à quelque chose d’intime.

 

Étape 2 : Dépasser le cliché en repensant notre rapport à l’outil de recherche informatique

L’activité commence par des tâtonnements : parce que c’est la facilité, les attendus contre lesquels on a mis en garde arrivent…

On dit "le judo" avec la photo de Teddy Riner, on dit "la douceur" avec celle d’une plume, le mot "lycée" renvoie sur le site internet de l’établissement, celui de "maison" sur la photo d’une maison (et peu importe finalement que ce soit celle où vit l’auteur du texte), le prénom sur un profil Facebook, etc … Il faut reprendre et expliquer la différence entre un renseignement et l’écriture, entre une image et un cliché.

Les nouvelles propositions relèvent parfois de photos improbables. Il faut de longues explications orales pour que l’élève parvienne tant bien que mal à justifier son choix. Il arrive aussi que les élèves jouent avec le son des mots, les syllabes, leur ambiguïté sémantique. L’enseignant encourage mais met en garde : on attend autre chose que du spectacle, de la surprise ou du jeu. On attend du je, on attend un engagement dans sa vision du monde. Une bonne métaphore emprunte des voies détournées pour prendre la réalité à revers, pour poser sur le monde un regard oblique.

L’activité permet alors de mettre en perspective notre usage des moteurs de recherche. Il n’est pas certain que lancer une recherche d’images à partir du mot-source soit le chemin le plus court pour arriver à ce que l’on voudrait dire. Il faut donc casser les réflexes et prendre les choses à rebours : élaborer, penser le projet, concevoir l’idée avant de taper un mot-clé dans la barre du moteur de recherche. Ce travail préalable de réflexion demande de l’intériorisation, un dialogue avec soi-même. C’est un travail d’écrivain.

En somme, l’exercice vise à sensibiliser les élèves à l’idée de résistance : résistance à la parole sans adresse et sans émetteur qui quotidiennement nous bombarde, résistance à la facilité, à la passivité, à la tentation du zapping, à la précipitation, à la médiocrité, à l’uniformisation, au décentrage, résistance à la fascination que l’image sur nous exerce.

 

Étape 3 : Vers la prise d’initiative













Peu à peu, les clichés sont mis de côté au profit de propositions plus originales, plus métaphoriques. Le mot "Lycée" ne renvoie plus sur le site internet de l’établissement, ou sur une page Google Street View, mais fait surgir l’image d’une porte de prison, ou, à l’inverse, celle d’un trèfle à quatre feuilles… La tension vers l’exactitude conduit naturellement vers l’écriture poétique, l’allusif, le symbolique. Les images qui émergent deviennent peu à peu singulières et stimulantes.

L’un des élèves a modifié le lien hypertexte qui était déclenché à partir du mot "mère". Cette fois-ci, en lieu et place du cliché d’une maman-poussant-un-landau-dans-un-parc, on a la photo ci-dessus.


Étape 4 : Du "je" engagé au "nous" impliqué

Dès la projection de l’image, l’élève explique : "C’est parce que ma mère s’appelle Anne !". Le lien hypertexte atteste ici de la malice de l’élève, qualité qu’il faut valoriser tant l’humour oblige à faire un pas de côté. Instaurant une relation de proximité avec le lecteur, il donne une forme à l’écriture, il désarme, désamorce, détend. C’est un regard sur la vie et le monde, pour peu qu’il s’accompagne de cette bienveillance qu’on voudrait que l’école développe davantage chez les enfants.

Mais au-delà du jeu de mot, de l’effet de surprise, de la drôlerie, que nous dit cette image ? Les élèves évoquent la relation en duo, l’absence d’un père, le côte-à-côte, les regards qui portent dans la même direction, les différences, les ressemblances… Afin d’aller plus loin, on recherche sur Internet d’autres photos d’une ânesse avec son petit. La plupart des images montrent un ânon frottant sa tête contre celle de sa mère, la tétant. En quoi l’image qui a été retenue se distingue-t-elle des autres? Que dit-elle en particulier de la relation mère-fils? Il faut un peu de temps avant que des lectures soient proposées : "c’est une mère avec son petit, mais pas si petit que ça. Il est à côté de sa mère mais on voit qu’il n’est pas collé à elle. C’est un petit qui ne va pas tarder à devenir grand et à prendre son indépendance. Ce n’est plus un bébé. C’est plutôt un ado. Il a encore besoin d’elle mais ça ne va pas durer, il a l’air décidé…"

 

Étape 5 : Réfléchir aux enjeux de la création et de la communication

L’auteur de ce lien hypertexte, quant à lui, n’avait pas vu tout cela. Certes, on est toujours dépassé par ce que l’on écrit, le projet de départ n’est jamais plus le même à l’arrivée, le travail de lecture vient forcément remodeler celui de l’écriture. En soi ce n’est pas une gêne. Écrire, c’est du lâcher prise…

Mais - et il faut insister sur ce point -, c’est aussi beaucoup de contrôle, l’obligation d’aller examiner à la loupe les moindres détails. Se laisser guider uniquement par son instinct, par de vagues impressions, par une "inspiration", c’est prendre le risque du malentendu, c’est aller presqu’à coup sûr du côté de l’informe, de l’inaudible. Maîtriser son écriture, c’est maîtriser son devenir, son pouvoir et son savoir.

Comment y arriver ? Une fois le texte confié au lecteur, il lui appartient d’en évaluer la qualité, d’en déterminer le sens. "Il faut que l’auteur se relise plusieurs fois, il faut faire comme si quelqu’un d’autre avait écrit le texte ou se faire lire par quelqu’un d’extérieur. Il faut attendre, laisser passer du temps avant de se relire pour retrouver un regard plus distant, plus neuf. Il faut essayer de changer des choses dans le texte pour voir si c’est mieux." L’activité permet donc de rappeler les enjeux d’une relecture / réécriture minutieuse.

 

Bilan

Le travail avec le lien hypertexte conduit, pour peu qu’il soit accompagné, à une mise à distance de soi-même et du monde, et à une mise en mots des émotions. Le lien hypertexte met en jeu l’auteur autant que le lecteur. A l’élève-auteur, il offre des ressources pour explorer des zones intimes, pour suggérer des liens subtils, pour se dire avec humour ou poésie. La dimension ludique et interactive favorise l’envie de parler de soi en image et par l’imaginaire. Pour le lecteur, le lien est un clin d’œil, un paquet-cadeau à haut pouvoir d’attraction, un appel à deviner le contenu ou à cliquer pour le découvrir.

Propédeutique à l’écriture poétique et à l’étude du texte poétique, l’activité permet de penser le fonctionnement des images : métaphores, comparaisons, personnifications. Plus encore, elle invite à refuser l’écriture morte, à condamner le prêt-à-porter, à se défaire du langage "cuit" qu’attaquait Robert Desnos.

Outre le langage verbal, cette activité sensibilise les élèves à la fascination et la facilité à laquelle l’image peut conduire. L’échange collectif rappelle l’importance du temps d’observation, étape nécessaire à une phase de décodage, de décryptage. Eduquer le regard de l’élève, c’est éduquer le citoyen happé par les messages et l’individu responsable de son (de ses) image(s).

Prolongements

Le travail sur le lien hypertexte peut favoriser une réflexion sur nos usages numériques : question des images libres de droit et du partage d’images, pratique du buzz, notion d’écriture/lecture augmentée.

Mais cette activité est aussi un travail stimulant pour aborder différents aspects littéraires. Ainsi, le lien hypertexte de création trouvera idéalement sa place lorsqu’on travaillera sur le souvenir. Pourquoi ne pas, au moins pour les élèves dont le cheminement a bien avancé, monter d’un cran encore le niveau de contraintes ?

Si l’on voulait que les liens/images se répondent, se fassent écho, résonnent entre eux, qu’ils aillent jusqu’à conduire le lecteur vers une narration autonome, on pourrait envisager une contrainte supplémentaire : aller puiser ses images/liens uniquement au sein d’un mouvement pictural prédéfini, ou chez un photographe, ou encore parmi un choix de cartes postales anciennes. Un travail qui amène au tri, à l’identification, à la reconnaissance.

Ce travail sur le lien hypertexte peut introduire une séquence sur le discours direct. Tous les deux ont pour même caractéristique de provoquer une rupture énonciative très forte. On pourrait analyser ce qu’il produit dans l’écriture et la lecture, aller jusqu’à entendre et écrire le dialogue en sourdine que l’hyperlien introduit entre lui et son lecteur.

Enfin, l’activité peut amorcer un travail sur l’utilisation des outils digressifs (parenthèses, renvois, notes de bas de page, nota bene, etc…) dans la littérature moderne et contemporaine : Claude Simon et Proust pour la parenthèse, Chevillard, Nabokov, Joyce ou Pratchett pour leur usage si particulier de la note de bas de page.
 
 
auteur(s) :

Pierre-Antoine Brossaud, Lycée Saint Felix Lasalle, Nantes.

information(s) pédagogique(s)

niveau : Lycée tous niveaux

type pédagogique : scénario, séquence

public visé : enseignant

contexte d'usage : classe, salle multimedia

référence aux programmes : BO spécial n°9 du 30 septembre 2010

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