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la twictée, un outil pédagogique pour l’orthographe ?

vignette lettres
capture vidéoLa dictée aurait une nouvelle vie grâce à Twitter. Les médias et parfois l'institution elle-même se font le relais d'expérimentations de plus en plus nombreuses sur le réseau social de microblogging.

Voir reportage de France 3 : http://www.francetvinfo.fr/societe/education/video-la-twictee-la-dictee-high-tech-seduit-les-eleves_749439.html


Mais, l'usage préconisé par les twictées est-il si innovant du point de vue de la didactique ? N'y a-t-il pas d'alternatives possibles aussi intéressantes pédagogiquement et plus respectueuses du droit et de l'éthique professionnelle ?


Où l'on voit comment on apprend l'orthographe dans les classes...


Aujourd'hui, dans les classes la dictée prend des formes multiples : négociée, collective, dialoguée, discutée, préparée, auto-dictée, dictée à l’adulte, la phrase du jour ...

La durée de ces différentes modalités varie en fonction des objectifs. Certaines peuvent s’apparenter à des rituels ne dépassant pas 20 minutes, d’autres à de véritables ateliers de recherche. Cette pluralité de l’exercice est une richesse. Elle permet de travailler différentes compétences, et de remobiliser les élèves autour d’une question peu engageante pour beaucoup et, souvent synonyme d’échec.

Mais, n’oublions pas que la dictée n'est qu'un pendant de cet enseignement de la langue. Ainsi, l'écriture de textes à contraintes, de textes personnels plus ou moins longs, participent totalement de cet apprentissage. C’est en écrivant ses propres textes que l’on apprend à écrire. Et encore davantage quand il y a une visée communicationnelle.

Or, la mise en lumière du service de microblogging Twitter et notamment les articles de presse qui se font l’écho de cette pratique enfoncent encore le clou sur l'idée que la dictée est un passage obligé pour apprendre l’orthographe et donnent une vision parcellaire de la façon dont un enseignant travaille cette question en classe.

Où l'on voit que la twictée est une dictée négociée ni plus ni moins...


Quand on fait un tour du côté des twittclasses pour voir en quoi consiste le principe, voici ce que l'on découvre : les enseignants lancés dans les twittclasses s'emparent d'une modalité : la dictée négociée, qui existait bien avant Twitter et même internet, mais bénéficiait de moins de publicité, restait une pratique confidentielle, connue des enseignants de lettres et enseignée dans les anciens IUFM.

photographie pratique élèvesLa vidéo ci-dessous  - qui date de 2004 - montre en quoi consiste une dictée négociée.
http://www.ac-grenoble.fr/ml38/spip.php?article140



La dictée négociée procède par étapes successives : 

1/ une phase de travail individuel,
2/ une phase de travail en groupe : confrontation et négociation autour des versions individuelles,
3/ une phase collective : échanges avec la classe et l'enseignant pour avoir la version définitive, pour se mettre d’accord sur le méta-langage,
4/ une phase individuelle : vérification de l’appropriation.

Une telle démarche prend du temps, celui-ci est d’ailleurs nécessaire pour faire émerger les représentations des élèves. Cette activité s’apparente à un atelier de recherche, cité plus haut.

On retrouve les mêmes principes dans les twictées : les élèves parlent de l'orthographe, s'interrogent sur la langue, manipulent le méta-langage grammatical et donc se l'approprient. La nouveauté consiste à poster sur le web les trouvailles des élèves et à faire correspondre des classes entre elles. En effet, dans le principe des twictées, l'élève doit attendre une validation de sa dictée  de la part d'un élève issu de « la classe miroir ».

Pourquoi pas ? Mais surtout pourquoi ? Pourquoi passer par cette étape qui rallonge encore une démarche nécessairement longue alors que l’enseignant ou un élève expert de la classe pourrait donner la réponse immédiatement à l’élève demandeur ? Quels sont les avantages ? Quel est l'intérêt ici de repousser temporellement la réponse ? De la chercher ailleurs que dans une interaction dans la classe ?

Les arguments avancés par les « twictonautes » pour justifier le recours au réseau social sont que ce dispositif permet la collaboration, et la mise en activité des élèves.
Or, la vidéo précédente montre que tout cela est déjà présent dans une disposition classique. La plus-value du service Twitter n’est pas flagrante. Au contraire, il semble alourdir le dispositif et allonge le temps de réponse.

L’autre interrogation tourne autour du format de la dictée : la brièveté, poussée à l'extrême, celle-ci n’étant d’ailleurs pas un choix pédagogique mais une contrainte commerciale liée au service du micro-blogging.
Que fait un élève ayant déjà de bonnes bases orthographiques avec une twictée de 140 caractères ? Le format limité n'est-il pas trop contraint pour prendre en compte les écarts réels entre les élèves ? Pour créer une véritable négociation ?

En fait, il semble que la twictée oscille entre deux modalités : celle du rituel - qui doit être par définition limité dans le temps - du type « la phrase du jour »* nécessairement courte (elle conviendrait donc du point de vue des 140 caractères) et la démarche plus complexe de la dictée négociée, qui est une activité de recherche comme on l’a vu précédemment.
Cette absence de choix pédagogique clair crée une confusion sur les objectifs de l’exercice.

* A partir d’une phrase d’élève extraite d’une dictée ou d’une production écrite, on cherche collectivement ou individuellement à expliquer l’écriture des mots.


Où l’on voit que la twictée ne reflète pas les possibles du numérique...


photographie pratique élèvesDans le discours des médias, la twictée est présentée comme l’exemple type de l’usage du numérique à l’école, car le réseau social est à la mode. Mais, le numérique ne se limite pas et ne doit pas se limiter à cela.

Ainsi, dans le cadre de la question orthographique, qui nous préoccupe dans cet article, le numérique peut être utilisé par les enseignants comme un moyen pour mettre en place des stratégies d’apprentissage différentes, prenant en compte la diversité des élèves ; à l'image des dictées enregistrées - avec les baladeurs numériques. Le numérique n’est qu’un outil parmi d’autres, un facilitateur pour la gestion de l’hétérogénéité.

Voir le témoignage d'une enseignante et des élèves sur l'expérimentation menée en 2011 dans l'académie de Versailles

Cette modalité permet de varier les textes en fonction des facilités ou des difficultés des élèves, par la longueur, par les points orthographiques ciblés ....

Cette pratique est moins connue, moins visible sur le web pourtant elle est facile à mettre en place et pertinente pédagogiquement puisque chaque élève travaille et avance à son rythme.

Rien n'empêche d'ailleurs de faire des groupes de besoin ou de niveau et de passer ensuite par une phase de négociation. Ici, les possibles sont multiples et c'est ce qui fait la richesse du dispositif.

photographie pratique élèvesL’exemple suivant propose un autre type de négociation.
http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/maitrise-de-la-langue-francaise/scenarios-pedagogiques/dictee-discutee-190198.kjsp?RH=1398171711015

Les élèves, à tour de rôle, écrivent une phrase sur l’ordinateur de la classe. Celle-ci est projetée et doit être justifiée par l’élève lui-même devant ses camarades. Le numérique permet un traitement en temps réel de l’erreur orthographique grâce à la vidéo-projection. Le correcteur orthographique du traitement de textes peut aussi servir d’appui pour engager une discussion.




Où l’on voit qu’il existe des alternatives aux gazouillis...


Les « twictonautes » (et leurs défenseurs comme E. Davidenkoff) avancent comme argument que Twitter permet, en plus de travailler l'orthographe, d'entrer en contact avec d'autres élèves, d'autres personnes et par là même de donner du sens aux écrits. Certes, Freinet le disait déjà en son temps ; on écrit toujours mieux quand c'est pour un autre. Dans le cadre d'une dictée, exercice purement scolaire, cet argument ne tient pas vraiment. Il serait par contre recevable dans le cadre d'une correspondance,  ou d’une communication vers autrui, qui implique la création de « vrais «  textes comme Freinet parlait de « vrai » travail.

Le web 2.0 a grandement facilité cet invariant de sa pédagogie et a contribué à ce que des enseignants se lancent dans la publication  des travaux de leurs élèves pour les valoriser. Le web a ainsi vu fleurir des sites de classe, d’école et ensuite des blogs.

Des plateformes institutionnelles, académiques, ont alors vu le jour pour répondre aux attentes des enseignants engagés dans ces méthodes. Ceci dans le but d'offrir un espace sécurisé aux enseignants et à leurs élèves. Les ENT contribuent d'ailleurs à cette démarche sécurisée de publication.

Et dans ce cadre, pourquoi ne pas envisager de réaliser des « défis dictées » entre deux classes ? Pourquoi ne pas donner à L’ENT une dimension de réseau social ?

Assurément, dans un tel environnement, le travail de la classe n'est pas vu dans le monde entier mais est-ce là l'objectif principal ? Correspondre avec l'école de la ville d'à côté, du village d'à côté, n'est-ce pas non plus une richesse ? Et si on repartait aussi sur des circuits courts ? ... des circuits sécurisés, éco-responsables ?
 

Où l’on se pose des questions éthiques…


document écolePour terminer, deux questions se posent, toutes d'eux d'ordre éthique quant à l’utilisation en classe du service privé qu’est Twitter.
Tout d'abord, mentionner une publicité pour un service web dans un exercice de classe ne s'avère-t-il pas gênant pour un enseignant censé faire preuve de neutralité commerciale ? On ne parle plus d'outils grammaticaux dans une "twittclasse" mais de "twoutils" (des twitts qui expliquent les erreurs). 

Pourquoi cette nouvelle terminologie ? Quel intérêt ? Pourquoi ne pas parler d'outils tout simplement ? Que dirait-on si Twitter s’appelait Coca cola ?

En outre, selon les politiques de confidentialité de Twitter : "[leurs] services ne s’adressent pas aux personnes âgées de moins de 13 ans."

Les enseignants doivent alors savoir qu’ils enfreignent deux règles dès l'instant où ils ouvrent un compte Twitter pour leur classe. La grande majorité d'entre eux prend des précautions en faisant signer une charte de bonne utilisation et de bonne conduite. Mais, quelle est la valeur juridique de cette dernière ?



Où l’on conclut…


La pratique de la twictée, valorisée dans la presse, montre cet intérêt toujours croissant pour l’orthographe. Néanmoins, cette démarche qui se dit innovante car mobilisant les élèves sur un réseau social ne doit pas faire oublier les autres stratégies pédagogiques ni occulter les problèmes éthiques liés à cette entrée, dans une classe, d’un outil privé, porteur d’une certaine vision de la société.

L’objectif de cet article est justement d’en débattre.


Christelle Guillot, chargée de mission à la Délégation Académique au Numérique, suivi des expérimentations pédagogiques



Sitographie


sur la twictée
http://www.vousnousils.fr/2015/03/27/twictee-lenseignement-de-lorthographe-combine-a-la-puissance-dun-reseau-social-565936

http://www.vousnousils.fr/2015/02/20/twictee-la-dictee-collaborative-et-active-en-140-caracteres-563318

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2014/09/22092014Article635469677278124449.aspx

http://rue89.nouvelobs.com/2014/12/08/twictee-dictee-140-signes-cest-ca-lavenir-lorthographe-256461

http://www.ressources91.ac-versailles.fr/uploads/Docs%20divers/doc-twictee.pdf


sur la phrase du jour
http://www.partagerdespratiques.be/helha/resources/La_phrase_du_jour.pdf


sur l’apprentissage de l’orthographe
http://www.langages.crdp.ac-creteil.fr/rubriques/pdf/contributions_reflexion/dictee.pdf interview de Jean-Pierre JAFFRE "Dictée et apprentissage de l’orthographe"

http://www.ac-versailles.fr/public/upload/docs/application/pdf/2014-11/dictee-negociee-partie-2.pdf

http://www.meirieu.com/ECHANGES/bernardin_orthographe.pdf
un article très intéressant qui présente une démarche testée en classe pour apprendre aux élèves à faire preuve de vigilance orthographique et à construire des savoirs sur la langue
 

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1 commentaire

  • 1

    De Emmanuel Vaslin
    13/05/2015, 14:08

    Cette brièveté, poussée à l'extrême, qui "n'est pas un choix pédagogique mais bien une contrainte commerciale liée au service du micro-blogging", contraste également avec la décision de l'allongement du texte donné à la dictée au brevet.

    La note de service n° 2012-029 du 24 février 2012, explique que : "La maîtrise de la langue et de l'orthographe est évaluée [...] par la dictée d'un texte de 600 à 800 signes, de difficulté référencée aux attentes orthographiques des programmes." L'allongement de la dictée (ainsi que la réintroduction d’un sujet de réflexion) constituaient bien les deux nouveautés majeures de l’épreuve 2013 de français au brevet.

    L'extrait choisi de Joseph Kessel, donné en juin 2015, faisait, non pas 140, mais 608 caractères.

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