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Le retour de la classe ouvrière

mis à jour le 16/08/2007


L'oubli de la question ouvrière dans la sociologie française ou pourquoi le monde ouvrier est-il devenu invisible ? Formation avec un intervenant extérieur : M. BEAUD Stéphane, Maître de conférence à l'Université de Nantes.

mots clés : sociologie, classe ouvrière, famille, école, logement, mobilité sociale, beaud


Journée de formation continue du 12 / 03 / 2001 à l'I.U.F.M. de Nantes.

Animateurs: DESSIOUX Jacques et GÉHANNE Jean-Claude - Responsables et animateurs de la formation continue dans l'académie de Nantes.

Intervenant extérieur: BEAUD Stéphane, Maître de conférence à l'Université de Nantes, travaillant pour l'heure au CNRS au sein du laboratoire de Sciences Sociales et auteur, avec Michel PIALOUX de « Retour sur la condition ouvrière », Éditions Fayard.

Le parcours universitaire de Stéphane BEAUD

Economiste de formation (à l'Université de Dijon entre 1976 et 1979), Stéphane BEAUD poursuit ses études à Sciences Politiques (Paris). Il se découvre alors une vocation de sociologue, qui lui viendra notamment de la confrontation des mondes sociaux entre Paris (son lieu d'études) et la Province (son milieu d'origine). Sous la houlette de H. PERETZ (maître de conférence à Paris VIII), il s'imprégnera des écrits de P. BOURDIEU et des articles de la revue Actes de la recherche en Sciences Sociales (ARSS). Il effectuera ensuite une thèse, à partir d'une étude de terrain, sous la direction de H. CHANMBOURDON.

Introduction:Aperçu rapide sur les changements de la sociologie au sein de la société contemporaine

Il est à noter qu'une part croissante de la sociologie se fait désormais en dehors des facultés : écoles de commerce, écoles d'ingénieurs,...

1) L'héritage des quatre fondateurs contemporains

  • P. BOURDIEU (dans les années 60 / 70, a fortement contribué à la refondation de la société européenne, professeur au collège de France depuis 1982). On observe une absence de débat critique sur les écrits de BOURDIEU en France, alors même qu'il est très reconnu au niveau international tant par les sociologues que par les anthropologues.

B. LAHIRE a essayé de débattre avec P. BOURDIEU. Il en ressort deux ouvrages:

·   L'homme pluriel (Nathan, 1997)

·   Le travail sociologique de P. BOURDIEU: Dettes et critiques (La Découverte, 1999)

Notons que depuis la création de la revue ARSS, les bourdieusiens n'écrivent plus pour la Revue Française de Sociologie (RFS).

  • R. BOUDON dispose également d'une forte reconnaissance internationale (cf individualisme méthodologique). Toutefois, son héritage semble très faible au sein des institutions par rapport à cette reconnaissance. Depuis quelques années, BOUDON s'est replié sur la sociologie des valeurs ainsi que sur la sociologie de la science.
  • M. CROZIER est fondateur à Sciences Politiques de l'Observatoire des organisations (aujourd'hui sous la direction de FRIEDBERG). Son objectif est de comprendre le changement organisationnel (managérial).
  • A. TOURAINE a développé une sociologie du mouvement social. Ses élèves (F. DUBET et M. WIEWORKA pour ne citer que les plus célèbres) sont aujourd'hui des sociologues très dynamiques, proches du pouvoir socialiste. Leurs recherches portent principalement sur les violences urbaines.

2) La recomposition théorique de la sociologie

  • En France, on assiste à une redécouverte de N. ELIAS (à la fois comme théoricien et comme empiriste). Rappelons que celui-ci a fait éclater le vieux débat entre individualisme méthodologique et holisme en montrant qu'il n'y a pas de réelle contradiction.

Il s'agit de comprendre, dans la durée, la construction historique de l'individu.

  • Dans le même temps, on assiste à l'apparition de nouveaux courants:
    • Courant porté par L. BOLTANSKI qui apparaît comme un dépassement de P.BOURDIEU.

       On redécouvre la sociologie de l'action: l'acteur est réintroduit, il s'agit de comprendre comment l'acteur pense et agit.

  L. BOLTANSKI sort donc du déterminisme propre à DURKHEIM ou BOURDIEU par exemple.

    • L'apparition d'une sociologie historique.

  Citons quelques ouvrages: C. TOPALOV (Naissance du chômeur), G. NOIRIEL (Le creuset français) ou encore D. CHAPOULIE (Les collèges du peuple).

3) Le tournant qualitatif

Depuis le début des années 80, la sociologie française s'est largement détournée des enquêtes statistiques. Pour quelles raisons?

·         Les enquêtes statistiques font l'objet de critiques virulentes: les statistiques seraient socialement construites. Faisons ici référence à l'article de D. CHAPOULIE (La statistique comme activité et comme représentation, RFS, 1979): celui-ci montre que les statistiques correspondent  au travail de construction des institutions elles-mêmes. Les enquêtes statistiques produiraient donc un écho déformé de la réalité sociale.

·         Le refus d'une sociologie déterministe : une grande importance est accordée aux phénomènes d'interactions (cf école de Chicago avec l'ouvrage majeur de H. BECKER, Outsiders, 1984). À noter également les travaux de E. Goffman, E. Hugues, A. Strauss (« miroir et masque »).

A terme, se profile un danger: celui de la désertion d'une sociologie quantitative.


Le monde ouvrier aujourd'hui

1)       L'oubli de la question ouvrière dans la sociologie française ou pourquoi le monde ouvrier est-il devenu invisible ?

Le monde ouvrier est globalement très peu décrit sauf quand les ouvriers sont soupçonnés de « comportements bizarres » (exemple : vote semble-t-il important des ouvriers en faveur du Front National au cours des élections municipales et présidentielles de 1995).

On observe donc un contraste prononcé entre une intense mobilisation collective et un certain désintérêt des médias. Quelles explications peut-on avancer ?

  • Des raisons d'ordre sociopolitique : cf effondrement du mur de Berlin et de l'espoir communiste avec ses conséquences diffuses, à savoir délégitimation des porte-parole traditionnels du monde ouvrier alors qu'il y avait auparavant une visibilité sociale produite par les porte-parole tel le P.C.
  • Des raisons d'ordre idéologique : cf thème de la réhabilitation de l'entreprise (à partir de 1983, politique de rigueur menée en France). L'objectif est de faire en sorte de coopérer davantage, de perdre cette culture d'opposition traditionnelle entre le monde ouvrier et le monde du patronat è cela produira un effet sur les faiseurs d'opinions : les ouvriers apparaissent comme passéistes et opposés à la modernisation (cf : revue « Expansion »).
  • Cette explication est à mettre en parallèle avec la lente et inexorable montée du taux de chômage. N'y aurait-il pas disparition de l'ouvrier dans le monde social ?
  • On assiste à l'apparition de nouveaux découpages dans la réalité sociale. Se posent désormais d'autres questions :
    • La question des inclus / exclus (cf thématique de l'exclusion) ; les ouvriers se sont retrouvés dans les « IN » (cf le film « Ressources humaines ») au moment même où se développe une « nouvelle pauvreté » (S.D.F.,...) ;
    • Le débat français / immigrés (cf progression du vote en faveur du FN au cours des années 90).

2) L'enquête de terrain (1988 à 1996)

L'enquête a été initialement menée par M. PIALOUX. Celui-ci a rencontré à Sochaux un ouvrier spécialisé du nom de Christian COROUGE travaillant aux usines Peugeot. On trouvera dans la revue ARSS (numéros 52 / 53 / 54  / 57 / 60) un compte-rendu de ces enquêtes.

La question que se sont posés M. PIALOUX et S. BEAUD est la suivante : que signifie être militant au jour le jour ? Cela nécessite donc une présence longue sur place auprès de nombreux ouvriers, les deux sociologues s'interrogent sur les relations sociales existantes et effectuent de nombreux entretiens au domicile des salariés dans la mesure où la « parole ouvrière » est le plus souvent privée (coupure usine/domicile).

Un point important est mis en avant: celui de la relation d'enquête, l'objectif étant de faire comprendre à l'enquêté que l'enquête a du sens pour lui. Nous sommes ainsi en présence d'un travail d'enquête de type anthropologique par le fait que les sociologues essayent  de penser le monde à partir des catégories de perception des enquêtés, en repérant ce qu'ils souhaitent et ce qu'ils refusent.

3) Les transformations du monde ouvrier

  • La rupture avec le taylorisme grâce à une robotisation croissante, tel était l'objectif initial de la direction.

En fait l'automatisation sera moindre (20%) que ce qui était prévu (40%) car le constat de la direction sera amer : la machine coûte plus cher que l'homme.

  • Conséquence : il a fallu faire pression sur les ouvriers en réduisant de la porosité du temps de travail è logique des flux tendus avec rétrécissement du temps de pause. On observe donc une intensification du travail.

Quelques indicateurs significatifs :

    • Les vieux ouvriers (35-40 ans) sont remplacés par des « jeunes » sur des « postes durs ». D'où un recrutement massif d'intérimaires, sur lesquels on opère des tests de recrutement complet, mettant en évidence leur bonne santé physique et leur rapidité d'exécution des tâches. Pourtant on assiste au retour d'un important turn over (15 à 20%).
    • L'obsession de la qualité (cf chasse aux défauts). De 1990 à 1994, se trouvait devant chaque ligne un tableau de mérite et de démérite. D'autre part, on est passé d'une logique de primes individuelles à une logique de primes collectives (75 francs par semaine pour une « équipe de travail »).
    • L'invention du moniteur : pour pallier aux difficultés, on a créé un échelon supplémentaire : les moniteurs dont l'objectif est de dynamiser les vieux ouvriers. Des jeunes bacheliers sont ainsi recrutés pour la circonstance

En théorie, le moniteur devait soutenir le moral des ouvriers mais en pratique, on assiste à un conflit de générations par rapport au travail.


Aujourd'hui, on trouve désormais deux catégories d'ouvriers :

  • Les anciens, formés en 1960 / 1970. Ils vivent le travail dans une culture d'opposition, « le monde ouvrier et les chefs ».
  • Les jeunes (25-30 ans), anciens intérimaires et embauchés à l'usine dans un contexte différent de celui de leurs aînés. Ils adoptent un profil bas en considérant d'une part qu'ils ont eu la chance d'être embauchés, d'autre part en partant du principe que l'usine est un lieu où chacun peut avoir sa chance (cf obtention d'un CDI, symbole d'une vie stabilisée).


 

Conclusion

Les relations famille / école

Du milieu des années 80 au milieu des années 90, l'usine a été perçue par les familles comme un pôle répulsif. Dans cette optique, elle ne constitue plus un débouché è encouragement à la poursuite d'études. En 1985, l'obtention du niveau bac (entendu au sens général) a été proclamé par les gouvernants ; le message a été bien entendu, notamment par les familles ouvrières. A l'époque déjà sont apparues deux questions majeures :

·         Quid des 20% restants (qui n'accèderaient pas à ce fameux « niveau bac ») ?

·         Quid du lycée professionnel ?

On assiste donc à l'arrivée en lycée d'enseignement général d'enfants d'ouvriers poussés par la vague de la démocratisation scolaire.

Cette poursuite massive d'études engendre deux conséquences :

·         Un sentiment de supériorité sociale donnée aux élèves (notamment par rapport à leurs parents), certains expriment même leur honte d'avoir une famille « sous-diplômée »;

·         Les parents sont inquiets pour l'avenir de leurs enfants (ils constatent l'absence de travail scolaire en classes de première et terminale).

Au total, c'est donc toute la transmission de l'héritage ouvrier qui s'effrite.

Logement / violences urbaines

Quant aux violences urbaines, elles sont le fait d'une minorité de jeunes des banlieues, socialement identifiables (voir l'article de L. Bonelli « Renseignements généraux et violences urbaines »). Schéma :



Nb : c'est au public intermédiaire qui peut basculer par le haut ou par le bas que s'intéresse plus particulièrement S. BEAUD.

 

Notes ordonnées de et par DESSIOUX Jacques, GÉHANNE Jean Claude et WOLFF René

 

information(s) pédagogique(s)

niveau : tous niveaux, Terminale ES, 1ère ES

type pédagogique : connaissances

public visé : enseignant

contexte d'usage : travail autonome

référence aux programmes : Programme de terminale: la dynamique de la stratification sociale
Enseignement de spécialité: conflit de classe et changement social
Programme de première: Individu et groupes sociaux

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