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nouvelles écritures 1 : le cinéma élargi

mis à jour le 05/12/2019


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Cinéma d'exposition et réalité virtuelle

mots clés : nouvelles écritures, VR, espace, temps, narration


Stan Douglas, Doppelgänger, 2019
 

Document sans nom

Le cinéma est-il un « art essentiellement plastique », selon la formule d'Henri Langlois reprise par Dominique Païni (Le Cinéma, un art plastique) ? Les recherches contemporaines d'un grand nombre de plasticiens comme de réalisateurs montrent la porosité de la délimitation entre les deux arts. Lorsque le cinéma est exposé ou lorsque la vidéo se fait récit, des questions apparaissent qui nourrissent, par leur richesse, notre réflexion sur le cinéma et ses spécificités.
Quelques expériences récentes d'oeuvres à la frontière nous confirment dans l'intérêt de travailler avec des élèves ces nouvelles écritures cinématographiques. Installations vidéo à la Biennale d'art contemporain de Venise ou « expériences mono-utilisateur » de réalité virtuelle au festival Électrons libres à Nantes, les œuvres découvertes mettent en place des récits cinématographiques qui viennent se confronter aux spécificités des formats choisis.
Retours et questionnements.

 

1. Pourquoi aborder le cinéma d'exposition avec des élèves, en particulier dans le cadre de la réflexion sur les nouvelles écritures cinématographiques (programme de 1e option) ?

Si on peut parler d'art «  essentiellement plastique  » des origines, du fait principalement de son inscription dans une histoire des recherches sur l'image, il faut noter que la présentation foraine des films ne s'est pas immédiatement accompagnée d'un dispositif de séance fermée. La perception fragmentaire des films posait probablement d'autant moins de problème que les premières œuvres avaient été courtes, les plans laissant une impression suffisamment forte pour satisfaire la pulsion scopique du spectateur.
Aux questions qui découlent de telles conditions de rencontre et de présentation (l'éclairage, le fragment et la continuité), s'ajoutent aujourd'hui celles de l'écran et de sa place dans l'espace, directement issues des recherches plasticiennes sur l'installation.


A Venise, cette année, nombreuses étaient les vidéos présentées. Et parmi celles-ci, beaucoup s'intéressaient plus qu'auparavant aux conditions de projection et à la nature de l'écran.
L'une particulièrement m'a semblé riche dans la réflexion qu'elle posait sur ce sujet : Doppelgänger de l'artiste canadien Stan Douglas.

 stan douglas, doppelgänger © yellowtrace

L'oeuvre était projetée dans une salle qui lui était entièrement consacrée, sur un écran suspendu au milieu de l'espace. Comme l'écran laissait traverser l'image, les spectateurs pouvaient donc s'installer de part et d'autre pour regarder le film projeté.
Or l'artiste a décidé de jouer avec ce dispositif. Le film raconte l'histoire d'une astronaute envoyée sur une planète inconnue et qui pense, à l'instar de son équipe, que le transfert a échoué alors qu'elle vient en réalité d'échanger sa place avec celle qui lui correspond dans un monde où tout est à peu près identique mais globalement inversé. L'écran est divisé en deux parties, parfois dissemblables, parfois opposées par une symétrie axiale :

stan douglas, doppelgänger © yellowtrace

Le jeu sur les inversions fonctionne d'autant mieux que pour les spectateurs placés d'un côté de l'écran, l'image représentant l'autre réalité ne correspond pas à celle qu'imaginent ceux qui sont placés de l'autre côté. C'est d'autant plus efficace avec ce plan d'un papier typographié. Chacun verra la phrase correctement écrite sur la partie droite du split screen, mais ça ne correspond pas à la même moitié de l'écran.
Le dispositif de projection renforce donc le travail sur la dualité du récit. Mais on peut aussi dire que c'est ce choix fictionnel qui lui donne sens. Les réflexions sur l'espace de présentation et la nature de l'écran entrent complètement dans l'ensemble des choix narratifs du réalisateur, même si elles ne sont pas a priori de nature cinématographique. Elles jouent directement sur le spectateur en lui proposant des impressions physiques d'autant plus prégnantes qu'il n'est pas assis dans le noir d'une salle de projection, le regard fixé dans une seule direction, à oublier l'existence de son corps.
 

Lawrence Abu Hamdan, Walled Unwalled

Lawrence Abu Hamdan, Walled Unwalled, 2018

Lawrence Abu Hamdan, avec Walled Unwalled, pousse un peu plus loin cette intégration du spectateur dans l'oeuvre. Le film est en effet projeté sur une paroi transparente mais dont les contours, massifs, ne peuvent se faire oublier. D'un côté de ce «  mur  », un espace rapidement identifié comme un couloir, un lieu de passage, du fait de son étroitesse mais aussi de son emplacement entre les marches qui permettent d'accéder à la salle et l'ouverture qui permet d'en sortir. Bien que là encore il soit possible de voir l'image de chaque côté de l'écran, c'est du côté sombre et large que ceux qui veulent regarder et s'y attarder vont choisir de se placer.
Ils perçoivent donc en plus de l'image projetée la présence des autres visiteurs du lieu qui passent derrière l'écran. Le mur transparent fait alors non seulement écho aux recherches développées par l'auteur dans son film – il traite d'affaires juridiques dans lesquelles des preuves ont été obtenues à travers des murs ou des planchers et examine dans quelle mesure des structures solides sont de moins en moins en mesure d'empêcher le flux d'informations ou de maintenir la barrière entre les espaces privé et public – mais il associe par la présence du corps de l'autre notre propre corps de spectateur à la projection.

Larissa Sansour, HeirloomLarissa Sansour, Heirloom

Larissa Sansour, Heirloom, 2019

Une troisième œuvre, enfin, joue pleinement sur le corps physique du spectateur et le conditionne dans sa réception du film. Il s'agit d'Heirloom de Larissa Sansour, exposée au pavillon du Danemark. L'oeuvre est en deux parties. L'une d'entre elles est un film à deux écrans projetée dans une salle certes moins confortable qu'une salle de cinéma traditionnelle mais qui en partage cependant les caractéristiques essentielles (l'obscurité, la direction de regard unique). L'autre, située devant l'entrée du pavillon, est une sculpture sphérique gigantesque. Une sorte de boule au noir mat qui semble, par son dispositif d'éclairage, absorber toute lumière et nous suivre dans nos déplacements. Du son s'en dégage, troublant. Cette boule apparaît à la fin du film et constitue un symbole fort des peurs de l'héroïne. Elle s'accorde évidemment à l'esthétique et à l'atmosphère générale du film mais ces dernières sont rendues d'autant plus prégnantes que nous avons été confrontés réellement à son double physique avant d'entrer dans la salle de projection.

Abel Gance, J'accuse, 1937

Abel Gance, J'accuse, 1937

Dans ces trois œuvres, si on retrouve les réflexions spatiales et narratives du multiécran déjà développées par Abel Gance pour Napoléon (1927) ou J'accuse (1937), c'est surtout la place accordée au corps du spectateur qui nous paraît riche de potentialités pour une évolution possible du cinéma. Le spectateur partage l'espace physique et sensible du film, c'est en lui que se joue l'interprétation. Si on s'est appuyé longtemps sur ses facultés de perception temporelle et sur la disjonction fondamentale entre temps du récit, temps de la projection et temps perçu par le spectateur, il est intéressant d'aborder désormais pleinement la dimension spatiale : où se trouve le spectateur ? L'écran ? Quel espace l'image suggère-t-elle ? Que se passe-t-il quand se rencontrent pour le spectateur l'espace physique auquel il appartient ainsi que l'écran, l'espace suggéré du récit et celui perçu par ses sens quand il croit essentiellement voir et entendre ?
 
 

2. Peut-on penser un cinéma pour un seul spectateur ?

 

 

Parce que tout se joue finalement dans la conscience et la perception de chaque spectateur, le pas est vite franchi de proposer des dispositifs qui s'adressent à chacun d'entre eux individuellement. S'agit-il encore de cinéma si la caractéristique de ce dernier est d'abord d'être une projection collective ?

A l'heure du débat sur la reconnaissance cinématographique d'oeuvres développées par des plateformes de vidéo à la demande comme Netflix et où ressurgit l'opposition fondamentale sur l'invention du cinéma, des frères Lumière chez les Français et leur projection publique, ou de Thomas Edison chez les Américains avec son Kinétoscope à usage individuel, la question se pose.



The Visitors, living by numbers de Luc Courchesne (2001), un exemple d'expérimentation de dispositif de projection à 360° pour un seul spectateur.

 

La réalité virtuelle ou VR, directement issue des recherches sur le jeu vidéo, ne s'embarrasse pas de ces hésitations. Au contraire du cinéma d'installation qui fait la part belle aux différents sens du spectateur, elle s'évertue à occulter vue et ouïe, faisant disparaître presque complètement l'espace réel. Le temps qu'elle propose est donc un temps captif, beaucoup plus proche de celui proposé par le cinéma traditionnel. Impossible de s'échapper pour vagabonder d'un écran à un autre ou à l'installation d'à côté. Elle nous plonge dans un espace fictif à 360° que nous pensons pouvoir explorer.
Peut-on pour autant réellement choisir le point de vue qu'on adopte sur cet espace ? Les deux œuvres « cinématographiques » présentées lors du festival Électrons libres laissent sceptiques. Traditionnellement, la VR joue avec le son pour attirer le regard du spectateur à l'endroit où doit se dérouler un élément important du récit, contrairement à l'usage qui en est fait au cinéma où il permet bien souvent l'existence d'un hors champ. Ici, c'est au contraire une manière de circonscrire de façon plus limitée le champ, de le ramener à des dimensions plus facilement exploitables.
Force est de reconnaître en effet que la plupart des films fonctionnent le plus souvent avec le même point de vue. Dans 7 lives de Jan Kounen, Charles Ayats et Sabrina Calvo, les personnages apparaissent quasi systématiquement au même endroit de l'écran. La direction du regard y est guidée d'ailleurs par moments par des effets de flou ou de noir circulaire, un peu comme une fermeture à l'iris.

Jan Kounen, Charles Ayats et Sabrina Calvo, 7 lives

Jan Kounen, Charles Ayats et Sabrina Calvo, 7 Lives, 2019

Le point de vue adopté est subjectif mais finalement, seule une scène assez effrayante d'encerclement par des chiens utilise réellement la totalité des 360° possibles et donc une véritable liberté de regard au spectateur.

Dans l'oeuvre de Heewon Lee, La Pluie, le documentaire s'appuie sur la confrontation paradoxale entre des images magnifiques et empreintes de poésie de paysages de rivières et de montagne et sur les témoignages oraux extrêmement précis de torture et d'horreur de femmes coréennes, anciennes esclaves sexuelles des Japonais pendant la seconde guerre mondiale. Le spectateur, comme un fantôme, flotte au-dessus de l'eau qui coule, la plupart du temps à contre-courant. Il peut choisir de s'abandonner à la beauté des paysages autour de lui ou au flux de la rivière qui l'emporte avec l'inéluctable des mots prononcés. C'est de ce choix que naît la plus grande force, poétique, du film. Et c'est aussi ce qui en fait les limites : les témoignages sont en coréen, il existe donc des sous-titres pour permettre à ceux qui n'en maîtrisent pas la langue de les comprendre. Or ces sous-titres sont toujours placés au même endroit de l'image, dans la direction du déplacement. La liberté de regard est illusoire.

Heewon Lee, La Pluie

Heewon Lee, La Pluie, 2017

Néanmoins, et pour reprendre la question initialement posée, ces deux oeuvres constituent véritablement des propositions cinématographiques. La première est une fiction qui s'appuie sur la mise en scène, le travail des images et des sons, la direction d'acteur, le décor, la deuxième un documentaire dont la forme n'est pas très éloignée de certaines pistes développées par Rithy Panh. Qu'elles soient présentées sous la forme d'expériences mono-utilisateur – pour reprendre la terminologie adoptée par le festival – interroge surtout la perception toujours singulière d'un récit et le temps de la narration qu'elle implique. On constate en effet une tendance au ralentissement de la succession des actions, pour laisser le temps au spectateur de regarder ailleurs que toujours au même endroit et justifier l'utilisation de cette VR à 360°. La narration devient facilement flottante, distendue.


Quelques pistes pédagogiques :

 

- travailler à partir de la mise en espace (par exemple une histoire à développer sur plusieurs écrans ou dans différentes salles)
- travailler sur la nature de l'écran
- travailler sur le temps de la narration et le temps de la perception
- travailler sur l'histoire et les formes narratives (chapitres identifiables ou non, boucles, construction de points narratifs forts – climax, basculement)
- travailler sur le son et sa spatialisation

 

Bibliographie, sitographie :

- Raymond Bellour, La querelle des dispositifs : Cinéma, installations, expositions, P.OL., 2012
- Philippe Dubois, La question vidéo : entre cinéma et art contemporain, Yellow Now, 2012
- Dominique Païni, Le cinéma, un art plastique, Yellow now, 2013
- François Albera, Le Cinéma au défi des arts, Yellow now, 2019
- Gene Youngblood, Expanded Cinema, 1970 (texte complet à télécharger ici)
- Expanded Cinema, Collectif sous la direction de Luc  Vancheri, coll. revue Ecrans, Classiques Garnier, 2015
- A.L. Rees, Duncan White, Steven Ball, David Curtis, Expanded Cinema: Art, Performance, Film, Tate Pub., 2011
- Riccardo Venturi, «  Repenser le cinéma élargi  », Critique d’art [En ligne], 2015

Des documents à télécharger à destination des enseignants :
- introduction à la vidéo sur le site de Vidéoformes
- sur la réalité virtuelle
 

 
auteur(s) :

marie decelle-bissery

information(s) pédagogique(s)

niveau : 1ère

type pédagogique : article

public visé : enseignant

contexte d'usage : non précisé

référence aux programmes : cinéma et nouvelles écritures

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