Document n° 2. Notre mission au Kosovo : un jeune Malouin raconte
Ce qui frappe, quand on arrive au Kosovo, ce sont les stigmates de la guerre. Des maisons incendiées et rasées qui m'ont fait tout de suite penser à Oradour-sur-Glane. Dans certains cas, c'est tout un village qui a été rayé de la carte. Tout de suite après, ce qui saute aux yeux, c'est le nombre de cimetières, surtout Albanais. Ils ont été creusés très récemment depuis l'arrivée des forces de l'OTAN, c'est-à-dire depuis que les populations sont protégées et qu'elles peuvent récupérer les corps de leurs proches. Enfin, ce qu'ont ressent, de plus en plus fort au fur et à mesure que les jours passent, c'est une tension permanente, une menace latente.
Je suis dans le matériel. Cela veut dire que nous entretenons et réparons le matériel du Génie français, qui refait les routes, reconstruit les écoles. Mais nous travaillons aussi pour les ONG et pour les civils. Nous avons installé une parabole de 3 mètres de diamètre sur la mairie de Mitrovica, pour les communications ; nous enlevions les carcasses des véhicules détruits par les roquettes, nous aidions à retaper les véhicules. Nous réalisions des choses concrètes, dont le résultat est visible. C'est rassurant. Et nous avons eu de bons contacts avec les deux populations. Tout avait bien commencé. On était logé dans un atelier de réparation de l'armée serbe. Nous avions le chauffage. [...]
Mais il y a des événements qui vous rappellent à la réalité. L'atelier que nous occupions est situé juste devant le pont de chemin de fer qui relie les deux parties de la ville, serbe et albanaise, à 200 mètres du pont principal dont tout le monde a entendu parler. Un soir, alors que je sortais téléphoner à la cabine qui est juste au pied de l'atelier, une bombe a explosé sous le pont [...]
Il n'y a quand même pas que le trafic et la contrebande. Les deux principaux donneurs de travail, ce sont les ONG, et nous pour quelques dizaines de personnes. Les ONG sont nombreuses - j'en ai compté au moins une quarantaine à Mitrovica - mais elles butent sur le même problème que nous : Serbes et Albanais refusent de travailler ensemble. L'armée française a pourtant fait le maximum. Par exemple, elle a voulu aider à reconstituer le corps des pompiers, qui était très mixte. Mais il n'a pas été possible de mettre tout le monde d'accord.
Je ne sais pas comment les choses pourront évoluer. Serbes et Albanais refusent de revivre ensemble, alors que c'était le premier objectif de l'ONU. Dans le quartier où nous logions, il n'y avait comme non-Serbes que quelques Bosniaques. Des musulmans. Des gens qui vivent dans des conditions de pauvreté épouvantables, qui sont terrorisés, et qui ne s'éloignaient jamais de nous.
Imposer la paix, ce serait déjà bien. Mais ce sera difficile. Nous avons tous bien senti là-bas que les gens étaient d'abord pressés de retaper leur maison pour passer l'hiver sans trop de dégâts. La suite ? Quand on discute avec eux, ils ne parlent que de la guerre, que de revanche, et déclarent qu'ils régleront l'affaire après notre départ. Il semble, au vu des derniers événements, qu'ils n'attendront même pas ça. Il faudra vraiment beaucoup de temps pour que ces gens-là réapprennent à vivre ensemble.
Extraits d'un article de Jean-François ERCKSEN, Ouest-France, 9 février 2000