éducation artistique et action culturelle

Nous avons accueilli une nouvelle fois l'artiste Micha Derrider. L'année précédente, son intervention avait interpellé les élèves car elle leur avait proposé de se créer un personnage dans un «bric à brac » d'habits-sculpture composés de vêtements de récupération. Ils avaient ainsi créé des jeux de rôles par l'intermédiaire d'une prise filmique en extérieur. C'est donc avec un public conquis que l'artiste proposait cette année aux élèves de témoigner de la création d'un espace intime dans un espace collectif. Les notions d'intimité, de contrainte et aussi d'unité, devaient se retrouver dans un volume textile in situ dans l'établissement...

Cependant, nous avons été obligées de revoir ce projet faute de temps. Nous avions décidé en introduction à ce travail collectif, de faire réfléchir les élèves sur des notions de «vêtements identitaires». Il nous semblait plus judicieux de partir de l'intime afin de relier les différentes formes et idées qui se dégageraient du premier travail. Les élèves étaient ainsi interrogés sur le rapport à leur corps, et à celui des autres, et à cette frontière entre l'intime et le public. Ainsi, nous étions convaincues que le travail collaboratif serait de meilleure qualité en partant de leur travail personnel, et qu'il était important qu'ils s'entendent à trouver des solutions pour lier de manière communautaire leur travail. Des questions se seraient soulevées au sujet de l'organisation des différentes formes des vêtements, de prise en compte la disposition des matières et couleurs, mais aussi de la symbolique de chaque pièce. Cette première étape du travail plastique a été chronophage et nous avons du repenser le projet en amont.

L'artiste a commencé au mois de janvier à raison de trois heures le mercredi après- midi. Nous avions déterminé cette plage horaire en fonction de l'emploi du temps de l'artiste qui ne nous permettait pas d'organiser plus tôt son action au sein de l'atelier. Les élèves avaient donné leur consentement en prévenant de leurs indisponibilités sur certains mercredis. 

Dés la première séance, nous avons demandé aux élèves de réaliser de manière individuelle, un « vêtement/parure identitaire » constitué de matériaux de leur choix. Ce volume devait être portable, donc prendre en compte leurs mesures corporelles et témoigner du reflet de leur personnalité. Nous ne parlerons jamais de « costume » avec les élèves, pour qu'ils évitent de s'identifier à un personnage.

Au préalable, nous avons proposé aux élèves d'effectuer un « brainstorming » sur les mots clés : Vêtement, Identité, Parure, Tente, Cabane, Refuge, Abris, Roulotte, Enveloppe, Matrice , etc... Cette demande allait donc prendre les allures attendues sur l'identité vestimentaire car chaque élève évoquait des sentiments face à ces mots. Ils ont également identifié et quantifié leurs besoins, étape importante, car elle allait déterminer les formes de leur volume textile.

Ce travail préliminaire nous a permis d'établir une liste de matières et matériaux à prévoir pour la semaine suivante : cordes et cordages, magazines, sacs plastiques et aiguilles à tricoter, peluches, feutrines, aiguilles à tissu, scotch, colle etc...


Pour d'autres, des univers commençaient à apparaître comme le conte de fée, ou les supers héros, le but était de s'en inspirer mais d'éviter l'identification à un personnage existant... Ils ont donc cherché sous forme de planche de tendance des pistes de recherches en partant d'une thématique. Le travail d'une élève m'a particulièrement étonnée dans son choix de matériau et de la portée symbolique de celui ci. Cette élève extrêmement introvertie a construit son vêtement en sacs plastiques. La composition légère du plastique fin lui a permis de réaliser du tressage s'apparentant à de la broderie. Elle a réussi à créer une esthétique décorative à partir d'un matériau pauvre et très connoté. Ce travail questionne évidemment des sujets comme le portrait, l'autoportrait, la fiction mais aussi le souvenir et l'enfance.

Un deuxième travail de croquis s'est mis en place pour la conception et la mise en forme des structures textiles. Micha a mis au service des élèves ses compétences techniques en stylisme pour la construction des volumes identitaires. Les pièces de vêtements ou photocopies, ont été découpées, collées, agrafées, assemblées, cousues..... selon les possibilités techniques des matières et matériaux utilisés. Les élèves ont cherché à créer d'une séance sur l'autre des matières à réexploiter avec de la laine et de la colle, ou du sable encollé, ou encore du plastique crocheté... Ce travail très intimiste a permis aux élèves de se découvrir mutuellement selon leurs centres d'intérêts ou questionnements.

Une élève n'a pas osé utiliser directement ses peluches, par nostalgie et par gêne vis à vis du regard de l'autre. Elle a préféré les photocopier en nombre, en variant les positionnements et compressions dans la photocopieuse. Ce dispositif a donc crée un nombre important de motifs pouvant varier dans les échelles et dans l'assemblage.

Le travail a été plus long que prévu car des questions d'organisation technique de pièces sont apparues. Les élèves ont aimé ce travail introspectif où ils partent de leur propre univers pour créer un habit de présentation, un véritable costume de scène. La problématique de Micha permet aux élèves de jouer à travers un rôle vestimentaire, tel des acteurs. Mais les élèves ne se dévoilent jamais totalement; ils jouent ,toujours un peu, un personnage qui leur ressemble.

Le bilan de la collaboration avec Micha est toujours positif et le groupe répond toujours bien à notre demande. Nous travaillerons différemment l'année prochaine pour la création d'un « vêtement-Tente collectif » dans lequel chaque élève devra témoigner de son espace intime dans l'espace commun. Dans l'idée que le costume est un ensemble de vêtements fait pour être portés ensemble, il définit l'appartenance d'une personne ou à un groupe. Il sera donc question de la réalisation d'une forme textile tissant les liens d'un réseau social.

En 1962, le sculpteur Etienne-Martin (1913-1995) crée le Manteau, cinquième pièce de la série des Demeures, réalisées à partir de la fin des années 1950 dans l'idée de « quelque chose dans lequel on pourrait entrer comme dans une hutte, comme dans une caverne ». Inspiré des costumes de théâtre chinois, le Manteau est une sculpture à part entière, réalisée dans la lignée des Passementeries, sculptures en étoffe des années 1940, assez différente cependant du reste de sa production, qui combine des formes abstraites ramassées et des matériaux de récupération. Le Manteau, considéré comme la première sculpture-vêtement de l'art du XXe siècle, est une œuvre étrange et énigmatique, constituée d'un assemblage de tissus, toiles, cuirs, galons et cordes possédant son propre « couvre-manteau » en bâche. Associé par l'artiste à « une sorte d'armure », cet objet totémique archaïque évoque à la fois par sa forme générale les crucifix chrétiens, et par l'accumulation de formes secondaires la statuaire africaine ou vaudou.