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enseignement explicite

enseigner à distance : vers une adaptation de gestes professionnels dans de nouveaux espaces

un exemple en éducation prioritaire pour une classe de CE1 dédoublée en confinement

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Geneviève Vaz, professeure des écoles, à mi temps, dans une classe dédoublée de CE1, à l’école Jules Ferry du Mans (en éducation prioritaire) et formatrice académique pour l’Education Prioritaire, raconte comment, malgré la distance que la situation de confinement oblige, elle continue à enseigner à ses élèves dans le but qu’ils apprennent et développent de nouvelles compétences. Elle a transféré des gestes professionnels qu’elle mettait en œuvre, dans sa classe, dans de nouveaux espaces où l’éloignement entre ses élèves et elle ont remplacé les situations de face à face.

 « L’élève est certes un esprit, mais il est également un corps habité et mû par des émotions » (Zanna, 2010)(1).  Certains peuvent être déstabilisés par de nouveaux apprentissages et ces émotions désagréables peuvent les empêcher d’apprendre (Boimare, 2016)(2). Pour les aider à passer ces caps difficiles et à progresser, les enseignants sont encouragés à développer des postures professionnelles « empathiques » (Guéguen, 2018)(3) telles que créer des espaces de parole en classe, faire preuve d’écoute active, observer les élèves, choisir ses mots, moduler sa voix, être explicite et être connecté à ses propres émotions en s’impliquant affectivement. Ils développent ainsi leurs capacités d’empathie émotionnelle. Cette résonance empathique se déclenche dans « les situations de face à face, de vis-à-vis. Elle passe par les corps en présence, car le corps n’est pas qu’un corps, il est aussi langage… Elle est en jeu chaque fois que des personnes sont en interaction » (Zanna, 2010)(1). Quand l’enseignant s’intéresse au niveau de réception et de compréhension de son discours chez ses élèves, il active l’empathie cognitive, complémentaire de l’empathie émotionnelle.  C’est ce que, finalement, pour le professeur, enseigner veut dire.

Dès le premier jour de confinement, ma problématique a donc été la suivante : « Comment vais-je pouvoir rester une enseignante à part entière, c’est-à-dire comment vais-je pouvoir faire preuve d’empathie émotionnelle et cognitive envers mes élèves, pour qu’ils progressent, alors que je ne les verrai plus, que la « distanciation sociale » est à présent le mot d’ordre mondial, que les échanges, via le numérique, ont remplacé les interactions  entre eux et moi  ? ».
 C’est ainsi que, dès le deuxième jour,  j’ai appelé chacune des familles des élèves de la classe afin d’évaluer leurs capacités numériques pour recevoir le travail de leurs enfants. J’ai alors eu beaucoup de « chance » car chaque foyer avait un ordinateur ou un téléphone portable avec une connexion internet. Tous les parents, sans être experts dans la maîtrise des outils, pouvaient alors avoir accès aux documents que j’envoyais. A mon sens, ce premier coup de téléphone a été fondamental. Il a été celui qui a permis aux parents de se dire que la relation avec la maîtresse, malgré l’éloignement, n’était pas rompue. Ma stratégie pédagogique a donc été de faire parvenir des fiches de travail aux élèves, suivant une progressivité des notions que j’avais élaborée. Petit à petit, j’ai ciblé de nouveaux objectifs à atteindre, même lors de cette période un peu particulière. Alors que certaines des tâches demandées aux élèves étaient des révisions, j’avais tout de même l’ambition qu’ils développent une nouvelle compétence en conjugaison, une autre en grammaire, et une autre en calculs et problèmes. J’ai enfin décidé de tout envoyer par mails afin d’être le plus simple possible pour les parents. Cependant, il fallut attendre quinze jours afin que mes gestes professionnels, développés en classe, restent sensiblement les mêmes, mais à distance.

L’empathie émotionnelle et cognitive pour différencier

Compte tenu de l’éloignement, les espaces de parole en classe pour les élèves, tels que « le coin des émotions » ou « le carnet des émotions », se sont transformés en discussions avec les élèves et les familles, par téléphone, textos et mails. Je souhaitais savoir, à présent, si les exercices que je proposais n’étaient pas trop longs, trop complexes, si les parents avaient des difficultés à porter le poids de ce nouveau rôle que l’Institution leur allouait, si les enfants devenaient des élèves sur des temps dédiés à l’école, dans cet espace non dédié à l’école qu’est la maison ou l’appartement. Enfin, la question que je posais régulièrement, aux élèves et aux parents, était « Comment tu te sens ? Comment vous sentez-vous ? ». Parce que le face à face des corps n’existait plus, seuls les mots, les phrases, les intonations de voix me permettaient de percevoir les émotions et les ressentis de chacun. Comme en classe, je prenais le temps d’écouter. Les échanges téléphoniques duraient alors, pour certains, jusqu’à une heure ! Lors d’un de ces échanges, la maman de D. m’a très vite confié qu’elle découvrait que son fils était très lent et que son écriture et sa lecture étaient très malhabiles, que, par manque de concentration, il oubliait des lettres, des mots, à l’écrit et à l’oral.  Cette difficulté avait été évoquée lors de la remise des résultats des évaluations CE1, mais peu disponible pour des raisons professionnelles, sa maman ne s’en était pas rendu compte. Le vendredi de la première semaine, D. m’a envoyé un mail dans lequel il disait « C’est difficile ». Dès le soir même, j’ai appelé D. et sa maman et il m’a dit qu’être dans l’appartement, avec ses deux frères de 5 et 16 ans, tous deux bruyants, l’empêchait de travailler. Il était pris dans une tempête émotionnelle intense, créée par cette promiscuité familiale quotidienne et un cadre scolaire bouleversé. D. est néanmoins un élève qui a de très grandes capacités cognitives, tant en français qu’en mathématiques. Lentement, D. décrochait et sa mère était très inquiète ! Nous travaillons alors en vidéo Whatsapp. Afin de restaurer sa confiance en lui, il a, en plus, des fiches d’exercices plus courtes. Ainsi, ensemble, nous pouvons les finir et il est très fier d’arriver au bout de sa tâche. La semaine passée, sa maman m’a dit qu’elle ne le reconnaissait pas. Il était attentif et motivé pour travailler même à travers l’écran ! J’ai aussi instauré cette organisation pour un autre élève, I.  Derrière l’écran du téléphone, il s’est mis en activité. Durant nos séances, sa maman reste présente, pour lui indiquer où écrire, lui fournir son matériel pour manipuler en maths, …. Elle est indispensable pour l’aider à progresser ! L’ alliance éducative devient alors ici une vraie réalité !

L’empathie émotionnelle et cognitive pour expliciter/expliquer

Les jours passant, j’ai tissé des liens de confiance avec toutes les familles et des questionnements plus « pédagogiques » ont émergé. Les parents s’octroyaient ainsi le droit de m’interroger sur « comment les élèves apprennent », par exemple la notion de moitié, en classe parce que, au moment de faire l’exercice, ceux-ci ne s’en souvenaient plus. Dès lors, des parents ravivaient des souvenirs de leurs propres apprentissages et essayaient d’expliquer des démarches qui devenaient  déstabilisantes pour les enfants. D’autres familles ne savaient tout simplement pas faire et n’avaient pas le langage et les connaissances pour pallier les difficultés de leurs enfants. Quelle pression et quelle culpabilité pour certaines familles qui sont alors « surresponsabilisés avec une somme conséquente de tâches scolaires à faire faire et à réussir » (Périer, 2020)(4) ! Par conséquent, comme le dit Stéphane  Bonnery (5), je me suis demandé, en me mettant à la place des élèves et des familles, c’est-à-dire en faisant preuve d’empathie cognitive, « ce que je pouvais raisonnablement supposer que l’élève sait déjà, sait déjà faire et qui ne nécessite pas l’accompagnement d’un adulte». Cette autonomie nécessite des supports explicites, dans leurs consignes, mais aussi dans l’institutionnalisation des savoirs car il ne suffit pas que les informations soient en ligne pour que les élèves identifient, dans une profusion d’éléments, ce qu’est le savoir. La place de l’enseignant est donc fondamentale ». Dans cette perspective, j’ai expérimenté plusieurs outils, afin d’aider mes élèves à apprendre, malgré la distance. D’abord, j’ai envoyé, aux familles et aux élèves, une grille des objectifs à atteindre et des compétences à acquérir durant cette période. Ainsi, ils peuvent suivre la progression des tâches à accomplir régulièrement et surtout comprendre pourquoi, elles sont à réaliser. D’autre part, sur les fiches de travail envoyées par mail, je « parle » aux élèves, en rouge et leur donne, petit à petit, les connaissances à acquérir, par exemple, le concept d’adjectifs qualificatifs. Les familles reçoivent aussi régulièrement les corrigés des exercices réalisés par les élèves et peuvent ainsi voir les progrès de leur enfant. J’essaie de rendre aussi mes propos plus explicites en proposant des liens vers de petites vidéos, « Les Fondamentaux » de Canopé, qui sont ludiques mais surtout très claires, en quelques minutes, pour expliquer une notion.  Par ailleurs, j’enregistre des capsules audio, qui accompagnent les fiches de travail. Les familles les reçoivent en pièces jointes. Ainsi, les élèves peuvent, d’un côté, entendre ma voix et restaurer alors un contact qui s’est éloigné et de l’autre, j’explique le travail à réaliser et je « formule les savoirs pour éviter que cette charge incombe aux parents au risque que beaucoup d’enfants passent à côté » (Bonnery, 2020)(5). Enfin, les élèves peuvent m’appeler quand ils ne comprennent pas.


Forte de ces multiples et longs échanges avec les familles, je suis convaincue, comme  l’affirme Pierre Périer (6), que celles- ci ne sont pas « démissionnaires ». Elles veulent toutes que leurs enfants réussissent même lorsqu’elles n’ont pas les connaissances, les codes et le langage. Mon but est alors de décharger  les parents de la pression scolaire en mettant, à disposition des enfants, des fiches et des temps de travail différenciés, ainsi que des outils ritualisés qu’ils peuvent utiliser de manière autonome, au moment où ils le souhaitent, au moment où ils le peuvent. Dans ses écrits, Pierre Périer dit que l’école doit s’adapter aux familles et faire avec des parents « réels ».  C’est plus que jamais nécessaire dans cette situation « extraordinaire ».
 
Références :
(1) Zanna, O. 2010. Apprendre à vivre ensemble. Dunod
(2) Boimare, S. 2016. Ces enfants empêchés de penser. Dunod
(3) Guéguen, C. 2018. Heureux d'apprendre à l'école. Robert Laffont
(4) Périer, P. 2020. Dans le silence de l'Ecole, la montée des inégalités. Café pédagogique, l'Expresso du lundi 30 mars 2020
(5) Bonnery, S. 2020. La continuité pédagogique et les mensonges. Café pédagogique, l'Expresso du vendredi 27 mars 2020
(6) Périer, P. 2005. Ecole et familles populaires, sociologie d'un différend. PUR


 

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