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décider et détruire, histoire de la « Solution finale »

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Compte rendu d'une conférence donnée par Tal Bruttmann, historien, chercheur associé à l'EHESS

Conférence du 5 mars 2015, à l'occasion d'un séminaire sur l'enseignement de la Shoah organisé par le Mémorial de la Shoah.


Introduction

Ce sujet est omniprésent dans nos sociétés. La société pense le connaître or il est souvent mal compris,car victime de représentations qui font perdre de vue des aspects fondamentaux. Parmi eux, il est Ce sujet est omniprésent dans nos sociétés. La société pense le connaître or il est souvent mal compris, car victime de représentations qui font perdre de vue des aspects fondamentaux. Parmi eux, il est fondamental de replacer la solution finale dans des chronologies plus longues (comme tout ce qui a trait à la Seconde Guerre Mondiale, l’ancrer dans l’histoire nazie, l’histoire allemande, l’histoire européenne. Il n'y a pas de déterminisme, le Sonderweg (chemin spécial) est absurde. (i.e. : l’opération T4 n'est compréhensible que si on la replace dans l'histoire de l’eugénisme de la fin du XIXème siècle). Les nazis n’ont rien inventé, ils ont récupéré des théories, des pratiques inventées par d’autres (cf : Afrique du Sud dès 1927).
Le terme de solution finale est un terme qui a muté, il y a plusieurs significations, plusieurs solutions finales dans l’esprit des nazis. Cela se découpe en quatre périodes : de 1933 à septembre 1939, de septembre 1939 à l'été 1941, de l'été 1941 à la fin 1941, de la fin 1941 à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. La dernière période correspond à l'assassinat systématique des Juifs. Cela montre qu'il n'y a pas eu de politique unique qui aurait débouché sur ces assassinats systématiques.
Le fondement est l'antisémitisme qui a une part très importante dans l'idéologie nazie. Il ne peut pas y avoir de nazisme sans antisémitisme, le nazisme n’existe que par l’antisémitisme. Pour les nazis, c'est une lutte pour la domination du monde entre les Aryens, qui représentent la race pure, et les Juifs, qui représentent une race impure. Ils ne les considèrent pas comme une sous-humanité (comme les Slaves, les Arabes, les Noirs, etc. qui, eux, sont réduits en esclavage). Les Juifs sont perçus comme des non-humains mais qui sont puissants. Ils représentent donc un danger et, pour les nazis, la lutte entre les deux - races pure et impure - est inéluctable. L’idée de combat est essentielle. C'est ce qui se passe à partir de 1933. Il s’agit de combattre les Juifs pour s’en débarrasser, mais pas encore de les tuer.
La géographie est fondamentale puisque l’objectif des nazis est de reconstituer la grande Allemagne (Gross Deutschland) avec un empire colonial traditionnel allemand, le Lebensraum, composé de l’Ukraine, la Pologne, les Pays Baltes, voire la Russie. Cet espace est pensé comme allemand et doit être au service du Reich. La dimension géographique est un socle qui permet de comprendre ce qui va se passer pendant la guerre.

1ère étape = 1933-septembre 1939 : isoler les Juifs

 En 1933, 500 000 Juifs vivent en Allemagne. Il s’agit de "pourrir" la vie des Juifs (par la voie législative,juridique, les interdictions professionnelles, les violences physiques faites par les SA). Il faut isoler les Juifs au sein de la société. Selon la législation, un Juif ne peut pas être allemand (= aryen), les nazis vont d’abord mener une guerre économique en appelant au boycott, avec des campagnes contre les magasins juifs dès avril 1933.
Le résultat de cette politique est double :
        1- L’émigration est massive (en 1939, 250 000 juifs ont quitté le territoire allemand) vers les Etats-Unis, l’Australie, l’Argentine, le Canada mais émigrer dans les années 1930 pose problème car les frontières se ferment, sauf en France qui accueille 150 000 Juifs étrangers, provenant aussi d'Europe centrale.
        2- Les Juifs se retrouvent isolés au sein de la population allemande et, résultat inattendu, de petites communautés juives (déménageant de leurs villages) se rassemblent massivement à Berlin qui passe de 160 000 à 200 000 Juifs. Ils peuvent alors vivre en autarcie, ayant atteint une masse critique, et faire face à la violence physique et sociale. Les Juifs ne sont donc pas seulement des victimes passives.

 En 1938, l'Allemagne commence à réaliser ses revendications territoriales. Hitler revendique la création d’une grande Allemagne pour constituer le Reich, c’est à ce titre qu’il réalise l’Anschluss en mars 1938. Pour les Allemands, ce n’est pas considéré comme une annexion mais plutôt comme une réunification. Ce succès est inestimable mais a un pendant négatif, 190 000 à 250 000 Juifs vivent en Autriche à cette date. Le succès de l’émigration se trouve alors annulé par l’annexion puisqu'en Allemagne en mars 1938, le nombre de Juifs s’élève à 500 000, la situation est alors identique à celle de 1933. Avec l’annexion des Sudètes en novembre 1938, le problème ne fait que s’aggraver. Chaque conquête augmente le nombre de Juifs (et donc le problème). Jusqu’en septembre 1939, le nombre de Juifs ne cesse d’augmenter en Allemagne et l’émigration devient de plus en plus problématique parce que les frontières se ferment.

2ème étape : septembre 1939 – été 1941 : les Juifs, obstacles à la pureté du Reich

 Le déclenchement de la guerre en septembre 1939 accroît encore le phénomène. La conquête de la Pologne permet la prise d’un territoire allemand (et non d’un territoire « poubelle » qu’est le gouvernement général), mais 2 millions de Juifs supplémentaires sont à gérer en Pologne occidentale. Auschwitz est en Haute Silésie donc en Allemagne pour les Allemands. Avec la conquête des Pays-Bas, de la Belgique et de la France durant l’été 1940, le problème s’accentue avec 500 000 Juifs de plus. A l’été 1940, au moins 3 millions de Juifs sont sous le contrôle direct du IIIème Reich. Le cauchemar s’amplifie dans un contexte d’omniprésence de l’antisémitisme qui se confirme.

 A partir de septembre 1939, il n’y a pas de politique centralisée en ce qui concerne les Juifs c’est à dire que différentes politiques sont mises en oeuvre aux différents échelons administratifs : politiques d’expulsion, de déportation, de ghettoïsation, de travaux forcés. Ces différentes politiques sont mises en oeuvre au gré des situations et des pouvoirs : armée, pouvoirs civils, (municipalités), régime nazi, SS.

1- Politique d’expulsion (soit se débarrasser de ces populations) : en octobre 1940 dans le Bade et le Palatinat, les Juifs sont expulsés par Eichmann vers la zone libre en France (soit 7000 Juifs allemands). Vichy les envoie au camp de Durs. A l'été 1940, les Juifs d’Alsace sont expulsés vers la zone libre, comme ceux de Bordeaux. Il en est de même dans le Gouvernement Général de Pologne vers la zone soviétique, où les Juifs vont construire les autoroutes pour permettre l’invasion de l’URSS.

2- Politique de déportation : en septembre 1939, le plan Nisko est planifié par Eichmann, les Juifs du territoire allemand sont déportés vers le territoire de Nisko (village près de Lublin). De septembre 1939 à la fin 1939, 100 000 Juifs vont être dirigés vers cette « réserve » mais cette opération est mal pensée, mal réalisée et fin 1939, le projet est abandonné par le régime nazi. Les Juifs encore en vie rentrent chez eux. Donc rien n’est décidé à cette date.

3- Politique de ghettoïsation dans l’ancien territoire polonais avant tout, c’est une politique menée à l’échelle locale des municipalités. L’objectif est de regrouper les Juifs dans un quartier dédié mais il n’y a pas qu’un seul type de ghetto. Varsovie = 400 00 juifs dont 100 000 y sont morts entre 1940 et 1943 ; Cracovie = ville juive la plus importante en Europe en 1939, c’est le ghetto le plus grand de tous et où les conditions sont les plus dures. Les conditions diffèrent d’un ghetto à l’autre. A Kaunas, Lodz, Riga, les conditions sont plus souples. Les ghettos ne sont pas fermés en Basse et Haute Silésies jusqu’à la fin de 1941, début 1942, les rues peuvent être larges, ils ne sont pas nécessairement surpeuplés, certains ont des terres agricoles, cf Lodz, Kaunas. A Riga la séparation est matérialisée par des fils de fer et non un mur. Il n'y a donc pas de coordination au niveau de l’Etat.

4- Travaux forcés en Haute Silésie Orientale dans les ZAL (Zwangarbeitslager für Juden = camps de travaux forcés pour Juifs) créés par la SS. L’organisation Albrecht Schmelt emploie les Juifs pour construire routes et autoroutes, chantiers hydrauliques, centrales, usines de munitions.

 Plan Madagascar : après Nisko, Eichmann organise le plan Madagascar (c'est loin, considéré comme vide (les Noirs ne comptent pas), français (or ils ont été battus). L’idée est récupérée par les nazis mais elle existe déjà dans les années 1920 et 1930 en Europe, en particulier en Pologne et en France. L’avantage de cette localisation, c’est que Vichy ne pourra pas s’y opposer. 4 millions de juifs pourraient être concernés. Cependant ce ne sont pas les Allemands mais les Britanniques qui dominent les mers, le projet est donc irréalisable et abandonné au printemps 1941.

 Préparation du plan Barbarossa parallèlement et donc on envisage des déportations vers la Sibérie. Les politiques meurtrières ont pour but premier de se débarrasser de ces populations. La politique de solution finale connaît un nouveau déploiement quand le plan Barbarossa est planifié et pensé, c’est une guerre très particulière pour les Allemands, envisagée comme une guerre d’anéantissement : pour les Allemands l’affrontement contre le régime soviétique ne peut se finir que par la victoire d’un des deux camps et donc l'anéantissement de l'autre Empire. Il faut anéantir l’ennemi, détruire l’URSS au risque de se voir soi-même détruit. Ils pensent qu'en cas de défaite, ils seront exterminés. Au printemps 1941, l'invasion est pensée comme un triomphe, et c'est fondé car, depuis 1939, ils ne connaissent que des victoires (la France était pensée comme la première puissance militaire du monde en septembre 1939, or la France a perdu et de façon humiliante, balayée en 3 semaines, avec 100 000 soldats tués). De septembre 1939 au printemps 1941, l’Allemagne a vaincu tous ses ennemis. Plus personne ne leur tient tête, à part les Britanniques sur leur île. Les Soviétiques ne peuvent que subir le même sort (d’autant plus que l’URSS est perçue comme le symbole du judéo-bolchévisme).

 Des ordres appelés les « ordres criminels » vont poser les cadres de violences très élevées. Ordres qui s’adressent à la SS, aux policiers réguliers et aux Einsatzgruppen (mis sur pieds dès l’Anschluss) dont le rôle est de se saisir des opposants identifiés au régime nazi. A chaque nouveau déploiement, le degré de violence augmente (Autriche : quelques dizaines d'exécutions, Sudètes : quelques centaines, Pologne : plus de 40 000 exécutions en 3 mois). A partir du printemps 1941, l’armée se voit obligée de coopérer très étroitement avec les Einsatzgruppen. Un autre ordre concerne la loi martiale. Les soldats allemands pourront tuer, voler, violer … du moment qu’ils ne mettent pas en danger les troupes allemandes (et pas de sanctions lorsqu’ils sont au repos). De plus, l'ordre est donné à l’armée allemande de tuer tous les saboteurs, communistes, Juifs, perçus comme une menace. De fait avec le plan Barbarossa s’écrit une nouvelle page des politiques antisémites. Au début, c'est le triomphe, avec des images de succès. Mais la propagande allemande ne montre pas les combats d’uneextrême violence, ces combats sont totalement inattendus, parfois même on réitère la guerre de tranchée (donc le modèle honni de 1914-1918 en opposition avec le modèle idéal, la Blitzkrieg). Les Soviétiques préfèrent mourir plutôt que de reculer ou se rendre. Cela engendre même parfois des reculs (dans le Nord, près de Leningrad). Après un mois de combat (22 juin à août 1941) sur le front de l’Est, il y a plus de pertes dans l’armée allemande que lors de toutes les campagnes précédentes cumulées. Cela entraîne alors une mutation dans l'appréhension du cours même de la guerre et parallèlement cela confirme que le pire des dangers est le judéo-communisme puisque c’est la guerre la plus difficile à mener. La fin juin 1941-août 1941 constitue un tournant qui se traduit par des mutations dans le comportement des hommes de troupes, on se rend compte que le régime avait raison de les mettre en garde. Les Einsatzgruppen (environ 1000 hommes pour une unité) sont chargés de cette « besogne » mais d’autres unités également, bataillons de police (cf :101ème bataillon de réserve étudié par Christopher Browning, "Des hommes ordinaires"), et divisions de sécurité.

Mutations
 Jusqu’en août 1941 on enregistre 60 000 morts surtout des hommes juifs âgés de 15 à 45 ans. A partir d’août 1941 s'opère une première mutation puisque sont assassinées aussi les femmes juives, puis à partir de la mi-août 1941, les enfants également dans certains secteurs du front soviétique (en Lituanie notamment). Cela signifie que les hommes de
« base » commencent à mettre en place cette politique d’assassinat. Mi-août, dans son agenda, Himmler précise ses déplacements, il fait une tournée et va voir chaque groupe d'Einsatzgruppen. Après son passage, les assassinats de Juifs se généralisent, le pouvoir central (Hitler et Himmler) a compris que les hommes étaient prêts à passer à l’acte.

 De mi-août 1941 à la fin 1941, 700 000 Juifs soviétiques sont assassinés, c’est le début du génocide des Juifs dans les territoires soviétiques. Ces assassinats ne sont pas cachés.

 Dans le même temps et pour d’autres raisons, d’autres politiques d’assassinats de Juifs sont perpétrées ailleurs, les auteurs sont différents :
- La Wehrmacht en Serbie à l’été 1941 commet des représailles contre les partisans yougoslaves en assassinant des hommes juifs. Ils sont tous fusillés, sauf ceux qui sont passés dans la clandestinité.
- Dans le Gouvernement Général, en Haute Silésie et dans le Warthegau (à Lodz notamment), il est demandé entre septembre et novembre 1941 de se débarrasser des Juifs inaptes au travail qui se trouvent dans les ghettos. Sont créés deux centres d'assassinat :
      o Belzec pour les Juifs du gouvernement général
      o Chelmno pour le Warthegau

On utilise alors le gazage, comme pour l'opération T4. Un dixième des Juifs est décimé. Dans ces cas, les responsables des camps de travaux forcés de Haute Silésie (organisation Schmelt) demandent au pouvoir central la possibilité de se débarrasser des Juifs inaptes sur leur territoire. Berlin donne son accord et recommande le gazage à partir de l’automne 1941. Les Juifs sont transférés vers une chambre à gaz à côté du camp de concentration d'Auschwitz.

- Pouvoir national : en Croatie la politique d’assassinat systématique est mise en place par le régime oustachi. Serbes, Tziganes et Juifs sont concernés. A noter qu'à la fin de l'été 1941, Himmler demande qu'on arrête de prendre des photos. On trouve ainsi des photos de soldats en permission (photos de « touristes ») dans des albums photos familiaux. Dès l'été 1941, on est au courant en Occident de ces massacres. Mais on peut faire le parallèle avec 1994 et le génocide rwandais : on sait mais on ne comprend pas. Idem aujourd'hui avec les massacres des Yézidis.
Winston Churchill dit à l'été 1941 : « Un crime sans nom est en train d'être commis ».

4ème période : Tournant fin 1941-début 1942 : la montée du péril juif dans l’imaginaire nazi et l’accélération de la politique exterminatrice

 Selon l’historien allemand Christian Gerlach, le passage à la Solution finale s’explique par un événement majeur lié au cours de la guerre soit l’attaque de Pearl Harbor qui déclenche l’entrée en guerre des Etats-Unis. Les hauts dignitaires nazis, anciens combattants de 14-18 traumatisés par la défaite alors qu'ils occupaient la Belgique, une partie de la France et de la Russie, craignent le retour du cauchemar de 1918 et la transformation du rapport de force, puisque malgré tout un armistice a été signé – coup de poignard dans le dos par les Juifs. Parallèlement circule l’idée que si les Etats-Unis entrent en guerre et que la guerre devient véritablement mondiale, c’est à cause des Juifs de Wall Street (idée d’un complot juif mondial) et donc il faut tuer tous les Juifs partout où ils se trouvent. Mais le « problème juif » ne peut se régler partout de la même manière d’où une chronologie différente qui se met en place dans l’application de la Solution finale. Différence en effet entre l'Est où les Allemands dominent et sont aidés par les nationalistes, et l'Ouest où cela ne fonctionne pas de la même façon (par exemple en France).

 Pour Raul Hilberg coexistent deux méthodes différentes pour la Solution finale :
       1- Les groupes mobiles de tuerie (été 1941 jusqu’au printemps 1945) qui parcourent le territoire pour tuer les Juifs mais ces groupes mobiles de tuerie rencontrent des problèmes de logistique. Cf le rapport Jäger.
       2- Les centres d’assassinat : une quinzaine à Riga, Vilnius, Sobibor, Treblinka, Ponary, Babi Yar, Belgrade, Chelmno, Kaunas, Maïdanek, etc., où convergent les Juifs de la région qui y sont tués immédiatement par gazage ou fusillade. On ne peut donc pas parler de «Shoah par balles». La Shoah ne se subdivise pas.

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Catherine Bousseau, Lycée Guist'hau, Nantes
Emmanuel Oger, Collège Anjou-Bretagne, Saint-Florent-le-Vieil 
Michaël Guihard, Lycée Marguerite Yourcenar, Le Mans 

 

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