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des groupes mobiles de tueries aux centres de mise à mort

mémorial shoah

Tal BRUTTMANN revient sur le processus génocidaire qui a conduit les responsables de la Shoah à passer progressivement des groupes mobiles de tuerie aux centres de mise à mort, à partir de juin 1941. Puis il dresse une typologie des centres de mise à mort.


Questions et introduction.

Que sont les groupes mobiles de tueries ? Qu’est-ce qu’un centre de mise à mort ? Pour réussir à répondre, il est nécessaire de déconstruire pour reconstruire.

Déconstruire la représentation du génocide souvent faite à partir d’un lieu, d’expressions, de quelques documents et images.  

-Un lieu :

C’est trop souvent à partir d’Auschwitz incarnant le camp de concentration et les chambres à gaz que le génocide est représenté. Même la photographie aérienne du camp parce qu’elle est de 1944 est réductrice et empêche de comprendre la particularité de l’histoire longue du lieu et de la « solution finale ».

-une définition :

Shoah est un terme qui renvoie souvent à des fonctionnements : gazage et exécution par balle des Juifs. La représentation de la Shoah est associée à des solutions techniques. Ainsi la « solution finale » dont la mission est d’assassiner les Juifs est souvent définie par des moyens techniques alors que beaucoup de Juifs ne sont pas morts dans les chambres à gaz.

- une expression :

« Shoah par balle » ne peut convenir pour décrire ce qui a été accompli par des groupes mobiles de tueries mais aussi dans les centres de mise à mort, deux méthodes mises en œuvre lors de la « solution finale ». Jusqu’à la fin de la guerre, ce sont ces deux méthodes qui ont fonctionné de façon complémentaire, l’une ne remplaçant pas l’autre.

- des documents :

Les manuels scolaires entre autres, représentent souvent la « solution finale » à travers l’image iconique de l’album d’Auschwitz qui ne montre qu’une partie du processus et qui plus est sous l’angle des SS. Deux points posent problème concernant cet album : l’arrivée de la majorité des convois se fait de nuit et ces convois n’ont pas été photographiés la nuit car à cette époque on ne sait pas faire de photos nocturnes ; non seulement ces photos sont prises en mai 1944 en plein jour mais elles mettent en scène des arrivées sur une rampe récemment construite pour amener les Juifs au plus près des lieux d’exécution. Si pour compléter son récit l’enseignant utilise ensuite les photographies du Sonderkommando il accentue alors la représentation de la Shoah par la « fin » de l’Histoire. Il faut donc sortir d’Auschwitz pour comprendre la solution finale.

 Première période : juin 1941- janvier 1942

La Shoah à l’Est, première vague :

A l’été 1941, avec l’invasion des territoires soviétiques se mettent en place les politiques d’assassinat. La plus importante est incarnée par les groupes mobiles de tueries : les Einsatzgruppen constitués de membres de la SS, de SD et de la police, étroitement associés à la Wehrmacht.

Cette tuerie est largement documentée par les Allemands avec des photographies, prises par les soldats, qui montrent des exécutions de masse, constituant un « véritable album de tourisme » lors de l’invasion de l’Est. Ces photos sont l’occasion de constater qu’un grand nombre de personnes assistent à ces exécutions, que beaucoup de gens sont au courant et qu’il y a de nombreux témoins de ces tueries.

En un mois, du 22 juin 1941 au 31 juillet 1941, soixante mille hommes essentiellement des Juifs de 15 à 45 ans sont assassinés dans le cadre du déroulement de la guerre à l’Est. Après le 31 juillet 1941, certaines de ces unités se mettent de leur propre chef à adjoindre des femmes juives aux groupes d’hommes exécutés et deux semaines plus tard, le 15 août 1941 des enfants sont aussi tués. Ces assassinats généralisés découlent de la seule volonté des hommes sur le terrain sans qu’aucune instruction ne soit reçue concernant la typologie des victimes. Mi-août, Himmler fait une tournée d’inspection et après chacun de ses passages constatant que les hommes sont prêts à passer à l’acte, il généralise les exécutions massives faites par ses unités.

Entre août 1941 et décembre 1941, six cent mille Juifs sont exécutés dans le territoire soviétique par les groupes mobiles de tueries.

 Ces opérations suscitent cependant des difficultés d’ordre psychologique puis logistique.

Première difficulté : Tuer des êtres humains en masse traumatise les tireurs, Himmler lui-même en fait l’expérience en perdant connaissance en assistant à des exécutions. Des membres des groupes de tueurs sont dépressifs. La SS traumatisée par sa mission demande au service technique de trouver le « meilleur moyen pour tuer ». Un mois plus tard, fin septembre 1941, des Einsatzgruppen utilisent le gaz d’échappement des camions pour assassiner.

Seconde difficulté : comme le reflète le rapport de Karl Jäger, responsable de l’un des commandos d’ Einsatzgruppen, l’URSS est un immense territoire et organiser des tueries est compliqué surtout lorsque les moyens sont réduits. Les Kommandos doivent se déplacer, procéder aux arrestations et exécuter. Parallèlement aux groupes mobiles de tueries qui vont vers les Juifs pour les tuer, apparaissent alors des centres de mise à mort qui sont des lieux investis de cette mission vers lesquels sont convoyés les Juifs. La ville de Kaunas va ainsi servir de cadre à des tueries de masse. Les forts militaires du XIXème siècle qui ceinturent la ville sont utilisés, les cellules servent à enfermer les Juifs, les entrepôts à stocker leurs affaires, les tunnels, lieux fermés permettent de fusiller à l’abri et les soutes à munitions d’y jeter les corps. Distants de quelques kilomètres de la ville, ces forts sont suffisamment éloignés pour qu’il n’y ait pas de témoin. Ces lieux deviennent des centres de mise à mort sans recours à une quelconque technique de la part des auteurs, les fusillades constituent l’une des techniques utilisées par les tueurs.. Autre exemple de lieu sédentaire qui facilite les tueries : Ponar à proximité de Vilnius où une base inachevée de stockage d’essence constituée de citernes, reliée à une voie ferrée et un schéma routier devient un lieu de mise à mort de masse. Les victimes acheminées dans ce lieu, descendent dans les fosses où elles s’allongent pour être tuées par deux tireurs. Quand la fosse est remplie, elle est fermée et les exécuteurs passent à une autre fosse. Quatre-vingt mille Juifs sont exécutés à Ponar en quatre mois.

 La Shoah à l’Est, deuxième vague.

En septembre 1941, Hitler ordonne l’expulsion des Juifs du Reich vers le ghetto de Lodz (Litzmannstadt) et vers le Gouvernement général. Les gouverneurs de ces territoires protestent et obtiennent après négociation la possibilité de se débarrasser des Juifs inaptes au travail qui se trouvent dans leurs territoires. Himmler recommande le gazage pour ces exécutions, cette méthode ayant prouvé son efficacité lors de son utilisation par des groupes mobiles de tueries et lors du programme T4. Deux centres de mise à mort sont ouverts : Chelmno (Kulmhof) près de Litzmannstadt (Lodz) et Belzec près de Lviv (Lemberg) qui utilisent des résidus de gaz moteur. Il s’agit pour ces deux cas d’une politique de décimation afin de se débarrasser des Juifs inaptes et non d’une politique généralisée.

Chelmno devient le plus meurtrier des sites, Herbert Lange met sur pied un centre adapté aux camions à gaz : étiré sur une dizaine de kilomètres, le site est articulé autour de plusieurs lieux, dont les principaux sont le manoir et la forêt. Dans le premier, un château à Kulmhof, les Juifs acheminés par voies ferrées se déshabillent et sont embarqués dans les camions qui rallient le second distant de six kilomètres. A l’arrivée, les corps des victimes sont enfouis par des détenus juifs temporairement gardés en vie. Environ cent soixante dix mille Juifs y sont tués par des camions à gaz en utilisant des structures existantes devenant centres de mise à mort.

Belzec : voir la conférence de Florent Brayard, « Le centre de mise à mort de Belzec : quelle place dans le complexe génocidaire ».

En même temps à Auschwitz une chambre à gaz est mise en place pour répondre à l’opération 14F13, décidée par Himmler, qui vise à exécuter les détenus jugés trop malades ou inaptes au travail. Cette opération doit être mise en œuvre dans tous les camps. Pour y répondre, Rudolph Höss, commandant d’Auschwitz fait des tests pour offrir un type d’exécution qui protège les bourreaux. Avec sa chambre à gaz mise en place en septembre 1941, ce camp devient dès lors un centre de mise à mort à dimension régionale, dévolu à la gestion de la « question juive » en Haute Silésie.

 Deuxième période : janvier 1942, une autre dimension : « la solution finale »

La décision de l’assassinat systématique des Juifs « la solution finale » intervient alors que dans nombre de territoires des tueries sont déjà en cours. Cependant le sort des « Juifs » est pour la première fois envisagé par les nazis non plus dans une dimension régionale ou nationale mais à l’échelle continentale lors de la conférence de Wannsee.

 Groupes mobiles de tueries et centres de mise à mort

Le processus s’étend à l’ensemble de l’Europe, il est réalisé avec les deux méthodes développées dans les mois précédents : groupes de tueries mobiles et centres de mise à mort dont le nombre s’accroît. L’organisation de ces derniers est avant tout régionale. Ils sont une quinzaine à fonctionner avec des modes différents de tuerie.

Belzec, Treblinka sont construits pour exécuter les Juifs du Gouvernement général, ils fonctionnent en trois parties sur un schéma identique : zone de vie/ de mort/d’exécution. L’exécution y est faite au moyen de gaz moteur. D’autres centres fonctionnent par fusillades comme à Babi Yar, où le site d’un ravin est utilisé pour exécuter les Juifs de Kiev. Les Einsatzgruppen de Paul Blobel y procèdent à l’élimination de 33 771 Juifs fusillés en deux jours les 29 et 30 septembre 1941. Ce site continue d’être utilisé jusqu’à l’été 1943 toujours par fusillades, l’utilisation de camion pour gazer ayant été un échec : les Einsatzgruppen n’ayant pas pensé à conserver des détenus juifs pour vider les camions.

Tous ces centres de mise à mort sont construits dans les territoires constituant la Grande Allemagne ou son empire. Les Juifs vivant dans les territoires alliés du Reich ou occupés par celui-ci à l’Ouest ne peuvent être assassinés là et doivent être déportés vers un site dédié à cette tâche. Auschwitz s’impose alors.

 Auschwitz, un centre de mise à mort international

Ce camp se voit confier la tâche d’exécuter les Juifs extérieurs au Reich et aux territoires coloniaux allemands. C’est d’abord une ville avec un nœud ferroviaire où un camp est implanté en 1940. A partir de 1942, l’ouverture de Birkenau donne à ce camp une centralité dans l’histoire des massacres des Juifs.

Les opérations s’articulent autour de trois points différents : la Judenrampe, littéralement le quai des Juifs situé à 500m du camp de Birkenau, point central de la politique antijuive à l’œuvre où se déroule la sélection. Le deuxième point est le camp de Birkenau où est acheminée la main d’œuvre juive, le troisième point est le centre de mise à mort : les Bunker, deux chambres à gaz distinctes aménagées dans des fermes à partir de février 1942.

Il est important de comprendre la progressivité du rôle d’Auschwitz dans le génocide dont l’image est souvent biaisée par le prisme de la technique à l’exemple du crématoire. Un crématoire est une chambre à gaz et un système de crémation, c’est pour les nazis un instrument prophylactique. La crémation étant quelque chose de très courant dans une Allemagne protestante, on assiste là en quelque sorte à un transfert de technologie. Aucune valeur criminelle n’est donnée à cet outil dont on dispose d’ailleurs de nombreuses photographies car aux yeux des nazis, il est anodin. En décembre 1940, Auschwitz 1 dispose d’un crématoire dont l’utilisation s’intensifie lorsque les assassinats sont plus nombreux, ailleurs dans les centres de mise à mort, on utilise des bûchers.

En 1942 :

Camp

Auschwitz

Treblinka

Belzec

Sobibor

Victimes

160 000

713 000

434 000

101 000

=>Les Juifs du Gouvernement général et des territoires soviétiques sont les premiers assassinés.


En 1943 :

Camp

Auschwitz

Treblinka

Belzec

Sobibor

Victimes

400 000

900 000

434 500

250 000


=> Treblinka cesse de fonctionner après décembre 1942, car les régions concernées par ce camp ont été vidées des Juifs qui y vivaient. En 1943, à Belzec ne se déroulent plus que des opérations d’incinération

En 1944 :
 

Camp

Auschwitz

Treblinka

Belzec

Sobibor

Kulmhof(Chelmno)

Victimes

900 000

900 000

434 500

250 000

160 000

Tous les Juifs de l’empire sont morts, il reste les Juifs de France de Roumanie… donnant à Auschwitz sa dimension internationale. Ce camp constitue alors le lieu de mise à mort des communautés juives périphériques, numériquement moins importantes que celles du Yiddishland.


Au début de 1944, l’usage des deux bunkers a été abandonné, Birkenau possède alors quatre crématoires. Le camp atteint au printemps 1944 son moment de rationalisation maximale avec l’arrivée des Juifs de Hongrie qui nécessite d’en accroitre les capacités homicides. Le Bunker 2, renommé Bunker 5, est remis en service, comme il est dénué de crématoires, les fosses creusées dans le pré à l’arrière du bâtiment sont rouvertes et aménagées pour permettre l’incinération des corps.

Auschwitz Birkenau est le centre de mise à mort le plus perfectionné et il n’a jamais cessé de fonctionner.

 Des politiques annexes :

Un centre de mise à mort a comme politique première l’assassinat, il est aussi le lieu de politiques annexes à l’image de celle de la gestion des corps ou des biens.

- L’opération 1005 décidée au printemps 1942 a pour objectif la destruction des corps des victimes de la « solution finale », elle est imposée après la résurgence des cadavres des fosses de Chelmno. L’« Aktion 1005 » est généralisée à toute l’Europe, elle ne vise pas que les fosses des groupes mobiles de tueries mais s’étend également aux centres de mises à mort. A la fin du mois de novembre 1942, les fosses de Birkenau sont aussi vidées. Dès lors, le fonctionnement du centre de mise à mort intègre la nécessité de la crémation des corps après l’assassinat. Les bûchers temporaires sont remplacés par des crématoires. Alors qu’à l’origine, un seul est envisagé à Birkenau, le projet est revu et en prévoit quatre.

- la gestion des biens : dès les premiers assassinats de masse, elle constitue un enjeu important dont la collecte des biens dans les centres de mise à mort achève l’entreprise de dépossession. Auschwitz est à partir de septembre 1942 associé aux centres de mise à mort du Gouvernement général, au sein d’une opération économique baptisée : Aktion Reinhard. Le traitement des biens et les opérations de tri ne sont pas uniquement l’apanage d’Auschwitz, Ravensbrück a développé des activités textiles et s’occupe des fourrures, Sachsenhausen est doté d’un atelier d’horlogerie.



Conclusion pour se décentrer d’Auschwitz :

- repérer la typologie des centres de mise à mort.

1- Centres de mise à mort primaires : Kulmhof(Chelmno), Babi Yar, Ponar (le fort de Kaunas) => sites existants investis par les SS

 2- Centres de mise à mort planifiée : Belzec, Treblinka, Sobibor.

3 -  Centre de mise à mort « rationalisée » :

- utiliser l’image

Il est possible d’utiliser les photographies, nombreuses, afin de réduire le prisme d’Auschwitz en proposant aux élèves une lecture d’un même fait en différents endroits:

-images de centres de mise à mort : Birkenau et Chelmno

-gestion et tri des biens à Babi Yar et Birkenau

-exécutions à Birkenau et Ponar.

 -extrait

" Car, si ce sont près d’un million de Juifs qui ont été tués là (à Auschwitz), le cœur du judaïsme européen a été détruit ailleurs, par l’action des groupes de tuerie mobiles et dans les centres de mise à mort qui avaient, avant tout, une vocation régionale : ceux de l’Aktion Reinhard dédiés au Gouvernement général, celui de Kulmhof pour le Wartheland, de Ponar pour Vilnius …" Extrait de Auschwitz de Tal Bruttmann, édition La Découverte, collection repères, mars 2015.

 Source : Auschwitz de Tal Bruttmann, La Découverte, 2015, et Les 100 mots de la Shoah, Tal Bruttmann et Christophe Tarricone, Que sais-je ? PUF, 2016


Compte rendu rédigé par Valérie Lejeune, Collège La Coutancière, La Chapelle sur Erdre

 

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