Contenu

histoire-géographie-citoyenneté

Recherche simple Vous recherchez ...

espace pédagogique > disciplines du second degré > histoire-géographie > approfondir

approfondir

enseignement de l’histoire et développement de l’esprit critique (3)

Le propos portera essentiellement sur l’enseignement de l’histoire bien que le professeur dispense un enseignement d’histoire-géographie.

esprit_critique_pt.jpg

... avant de s'interroger sur les postures professionnelles du professeur pouvant favoriser chez les élèves son appréhension et son développement.


4. Quelles sont les démarches et les gestes professionnels en histoire-géographie qui peuvent contribuer au développement de l’esprit critique chez les élèves ?

Pour permettre le développement de l’esprit critique chez les élèves, la posture du professeur est essentielle tant dans la manière d’appréhender le savoir que dans la manière de faire classe. En effet, l’esprit critique ne peut se développer que si le cours offre cette mise à distance nécessaire, ce qui conduit inévitablement à interroger la manière dont le savoir est dispensé.

a- Dans et hors la classe, pour offrir les conditions au développement d’un esprit critique, le professeur alliera modestie, honnêteté et réflexivité [25].

Être modeste :
- Avoir toujours en tête la fragilité de ses connaissances, reconnaître que l’on ne sait pas tout (d’ailleurs, qui pourrait prétendre une telle chose ?) et être en mesure face à une ignorance de montrer comment on peut chercher une réponse
méthodiquement. En effet, une information trouvée sur Internet n’est pas une connaissance ni même un savoir.
- Avoir conscience que l’histoire est « connaissance mutilée » [26]. L’histoire ne reconstitue pas tout le passé qui reste inaccessible dans sa totalité. Or, le discours du professeur est parfois trop fermé donnant une image close ou figée de la
discipline.

Manifester soi-même de la distance à l’égard de ses propres convictions :
- En classe, mettre entre parenthèses ses opinions personnelles, politiques ou religieuses et éviter toute relation d’influence partisane. L’enseignant travaille à l’émancipation de personnes jeunes et malléables. Il y a donc une impérieuse nécessité de respecter la laïcité.
- Analyser ses propres croyances pour tenter de mettre à jour les postulats qui les sous-tendent est faire preuve d’honnêteté intellectuelle.

Être au clair sur sa discipline et ses évolutions :

- Expliquer ce qu’est la méthode historique : comment l’historien écrit l’histoire ? [27] Comment expliquer par exemple que deux prisonniers des camps de concentration n’écrivent pas toujours la même chose sur ce qui leur est arrivé ?
Tout simplement, parce que l’expérience humaine est toujours singulière. L’historien essaie d’appréhender cette diversité des expériences humaines. Il reconstitue un passé révolu, usant parfois du conditionnel quand les sources
manquent ou que les traces sont infimes [28].
- Distinguer des faits de leur(s) interprétation(s) est un élément essentiel.
- Présenter le caractère historique et construit du savoir, son contexte historique d’élaboration : où en est la science sur un sujet donné ? Que sait-on à un moment donné d’une question ? Ce que l’on ne sait pas en histoire (les trous dans la
recherche), les différentes interprétations d’un même événement participent d’une discipline en évolution permanente. Le travail de l’historien est constant et sans cesse remis sur l’ouvrage. La science est une conquête qui ne peut jamais atteindre son terme. L’histoire a une intention de vérité mais cette vérité est celle établie à un moment donné. Ce n’est pas une vérité révélée. Il s’agit de faire prendre conscience aux élèves que nos certitudes sont toujours fragiles, provisoires et perfectibles (l’historien est en recherche constante de vérité). Il est même sain de dire à un élève que les historiens ne savent pas ou hésitent/débattent entre eux sur l’interprétation d’un événement.
- Présenter et décoder les présupposés idéologiques de tout document. L’historien écrit au regard des questions contemporaines qui le taraudent. L’auteur d’un document a une intention : c’est cette intention qu’il faut appréhender pour mieux en comprendre le contenu. C’est un élément essentiel caractérisant l’enseignement laïque de l’histoire.

Être honnête : avoir conscience que l’histoire enseignée n’est pas neutre.
- Être conscient que les questions contenues dans les programmes scolaires relèvent de choix politiques [29],
- Questionner les outils utilisés au quotidien dans la préparation de ses cours (manuel, internet, presse par exemple) en veillant à leur pluralité,
- Présenter la grille de lecture (le postulat de départ) qui va être proposée aux élèves dans le traitement d’une question.

Distinguer l’histoire de la croyance (elles relèvent de deux registres différents), l’histoire des mémoires tout en montrant comment ces dernières enrichissent notre compréhension du passé.

b- En classe, dans la relation aux élèves, le professeur veillera à :

- faire justifier les réponses et les propos des élèves donc ne pas se contenter d’un oui/non ; acceptation /validation ; il convient de permettre à l’élève de développer sa pensée pour pouvoir (faire) repérer les composantes et les éventuelles incohérences. L’expression orale offre l’opportunité de faire définir les mots employés et de clarifier leur emploi. Pour apprendre, il faut rompre avec les ombres de la caverne [30] et dépasser les préjugés et les stéréotypes.
- Amener l’élève à se poser des questions sur un document (plutôt que de répondre à une liste de questions orientées) permet de construire la capacité de « libre examen » [31]. Cette situation est encore trop rarement proposée aux élèves en cours d’histoire. Sortir du seul prélèvement d’information est une impérieuse nécessité.
- Poser aux élèves des questions ouvertes qui amènent à construire un raisonnement, une réponse organisée et cohérente. Distinguer hypothèse et démonstration étayée est également nécessaire [32].
- Faire connaître les procédés de l’argumentation pour apprendre aux élèves à argumenter. Pour argumenter, il est utile de faire travailler les élèves sur l’argumentation d’autrui (apprendre à décoder, à hiérarchiser les arguments, à repérer
les inférences dans un texte ; le travail sur les discours d’hommes politiques par exemple offre l’opportunité de faire repérer l’enchaînement des idées, les exemples, les transitions et les glissements d’une idée à l’autre). Ces décodages permettront aussi aux élèves de construire une argumentation et un raisonnement tout en enrichissant leur culture. L’histoire est une magnifique « pédagogie du détour » : l’étude du passé permet de construire des outils de réflexion intellectuelle qui seront précieux pour aider à décoder le monde d’aujourd’hui.
- Utiliser la confrontation de documents pour proposer des lectures différentes d’un même événement35. C’est l’une des pistes de travail les plus pertinentes pour le professeur.
- Différencier informations, savoirs et croyances. (Les réseaux sociaux ne diffusent pas du savoir mais d’abord des informations ou des opinions).


Conclusion

Aux côtés de l’enseignement des autres disciplines, l’enseignement de l’histoire contribue pleinement à l’apprentissage de l’esprit critique c’est à dire à la construction d’une posture intellectuelle chez les élèves leur permettant d’interroger le réel méthodiquement. Nulle réponse simple, nulle évidence aux questions posées mais une grande modestie. Les renouvellements et les questionnements qui caractérisent l’écriture de l’histoire constituent un exemple de posture critique que l’institution appelle de ses voeux.
À travers la discipline d’enseignement, le professeur apporte des connaissances, des outils intellectuels pour amener l’élève à construire, exprimer et relativiser son jugement et le transformer, les trois composantes de l’exercice du jugement critique. La posture distanciée du professeur constitue sans doute un élément facilitateur pour le développement par les élèves de l’esprit critique, le mimétisme constituant sans doute le plus puissant des vecteurs pour faire advenir l’honnête homme du XXIe siècle.
 
Françoise JANIER-DUBRY,
IA-IPR d’histoire géographie,
Académie de Nantes,
Septembre-octobre 2016 [34].

Bibliographie - sitographie

 lien de téléchargement d'un fichierl'article, téléchargeable au format .pdf

Notes

[25] Cette partie s’appuie sur l’ouvrage de Roland LE CLÉZIO, La neutralité, un défi pour l’école, PUR, 2006, 177 pages.

[26] Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire, Points Seuil, 1971, p. 26.

[27] L’ouvrage d’Yvan JABLONKA, Histoire des grands parents que je n’ai pas eus, Le Seuil, 2012 présente une histoire autoréférentielle dans laquelle le chercheur reconstitue sa démarche, ses objectifs, ses doutes.

[28] Cette démarche d’une histoire au conditionnel est celle d’Alain Corbin dans Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, dont l’ambition est de conduire « une recherche sur l’atonie d’une existence ordinaire » (Cf. Alain CORBIN, Le monde retrouvé de Louis François Pinagot, sur les traces d’un inconnu, Flammarion, Paris, 1998). D’autres auteurs se sont exercés à cette reconstitution : Lucette VALENSI dans Mardochée Naggiar, Enquête sur un inconnu, Stock, 2008 ; Patrick BOUCHERON dans Léonard et Machiavel, Verdier, 2013 ou encore Alain CORBIN dans Les conférences de Morterolles. (Hiver 1895-1896). À l’écoute d’un monde disparu, Paris, Flammarion, 2011.

[29] Patricia LEGRIS, L’histoire scolaire en France, les évolutions d’une discipline en tensions, In Pourquoi enseigner l’histoire ?, article in Revue internationale d’éducation, Sèvres, 2015, p.135-143.

[30] Roland LE CLEZIO, Ibid., page 53.

[31] Claude GAUVARD, Jean-François SIRINELLI, Dictionnaire de l’historien, PUF, 2015 ; Jean-Marie LE GALL, Article « critique historique », page 146.
[32] Ibid., p.147.

[33] À cet égard, l’ouvrage, Histoire de l’autre (paru en 2003 et publié en France en 2004 aux Éditions Liana Levi) relativement au conflit israélo-palestinien permet de prendre conscience de la dimension nationale qui caractérise l’écriture de l’histoire.

[34] J’adresse des remerciements sincères à mes relecteurs, Philippe JOUTARD (historien), Olivier GRENOUILLEAU (historien et Inspecteur Général de l’Education Nationale), Nathalie DUPRE, IAIPR d’histoire-géographie et Anne DUHAMEL, IA-IPR de philosophie (Académie de Nantes).
 
 

haut de page

histoire-géographie-citoyenneté - Rectorat de l'Académie de Nantes