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enseigner l'histoire de l'antisémitisme en France, de l'affaire Dreyfus au régime de Vichy

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compte-rendu de la conférence de Christophe TARRICONE, professeur agrégé d'histoire, formateur au mémorial de la Shoah


Ce n'est pas une question en soit dans les programmes de l'Éducation nationale. Mais, c'est une question assez récurrente, au moment de l'affaire Dreyfus (Terminale), de l'étude de Vichy ou des crises de la République (Première). Cela peut être problématique car on évoque la question juive uniquement lors de l'étude de crises, donc cela risque d'induire les élèves en erreur puisque la question de l'assimilation n'est jamais évoquée. Cela construit l’idée de Juifs comme boucémissaires, mais il faut prendre le temps de leur dire que ce n’est pas toujours le cas.

Des choses toutes simples peuvent être dites aux élèves :
- les bouc-émissaires ont été multiples dans les crises politiques : les lépreux pendant la Grande peste en 1348, les immigrés dans les crises économiques (Italiens à Aigues-Mortes à la fin du XIXème siècle), etc. Ce ne sont pas toujours les Juifs qui sont ciblés ;

- pourquoi les Juifs ?
Réponse assez simple autour du mythe conspirationniste. En effet, il y a un lien dans les sociétés européennes à la fin du XIXème siècle entre l'antisémitisme et le mythe conspirationniste. Il y a une diffusion du complot tout au long du XXème siècle. Le complot est le moteur de l'Histoire pour l'extrême-droite (cela passe notamment par le Protocole des sages de Sion, à envisager de façon critique). Il faut aussi faire le lien avec les évolutions économiques au XIXème siècle. Le Juif est considéré comme le grand bénéficiaire qui s'accapare les richesses et est donc le responsable de la paupérisation, des crises, des malheurs du temps. De l'autre côté de l'échiquier politique, il est accusé d'être un agent de propagation du communisme. Aujourd'hui, nos sociétés sont très mixées, très mélangées, ce n'était pas le cas par le passé où les Juifs représentaient l'altérité dans des sociétés chrétiennes. Les autres étrangers, quand ils existent, (par exemple, les Africains en France dès la Première Guerre mondiale) sont détectables alors que « les Juifs par ruse se sont fondus dans la société », on considère qu'ils essaient de dominer de façon indirecte par une fausse assimilation. Ce sont donc eux qui représentent un danger pour les sociétés européennes. En parallèle, on développe une propagande sur les caractères « raciaux ». On perçoit donc l'irrationalité de cet argumentaire antisémite dès l'Affaire Dreyfus.


I. Le temps de l'affaire Dreyfus

Il faut montrer aux élèves que c'est le temps de la mutation, du passage de l'anti-judaïsme traditionnel à un antisémitisme moderne qui dépasse le rejet de la religion juive. A partir de 1880, on a une évolution de la définition du Juif qui puise ses racines dans la tradition médiévale et moderne. Cette mutation d'une haine religieuse à une haine raciale n'est pas spécifiquement française, elle concerne l'Europe (Allemagne, Grande-Bretagne,...). Elle est liée à l'assimilation qui a conduit de nombreux Juifs à abandonner les caractéristiques religieuses qui permettaient de les repérer aisément. En Allemagne, beaucoup sont convertis au protestantisme. Toute la propagande
antisémite va combiner cette idéologie raciale et le mythe conspirationniste. Le Juif est dangereux car c'est une race (sémite) à part. Dans les discours, on ne parle plus de Juif mais de Sémite. La religion n'a donc rien à y voir. Cf Edouard Drumont, Maurice Barrès, Jules Soury. Le Français est même appelé l'Aryen. L'affaire Dreyfus est la traduction politique de ce mouvement culturel qu'est l'antisémitisme.

Edouard DRUMONT, La France juive , 1886 (réédité 114 fois cette année-là).

« L’antisémitisme n’est pas une question religieuse, la question antisémitique a constamment été ce qu’elle est aujourd’hui, une question économique et une question de race ». Édouard Drumont est le père de l'antisémitisme français. Il a une volonté d'ancrer sur le long terme, d'enraciner dans une longue histoire le conflit avec les Juifs et le sortir de la question religieuse à un moment où la religion n'est plus conflictuelle. Pour Drumont, c'est avant tout une question raciale (les Juifs sont des êtres qui ne sont pas assimilables car d'une race différente) et économique (rôle des Juifs dans l'économie). Cela invalide les politiques anti-juives menées auparavant. L'assimilation est une ruse des Juifs pour nous tromper et nous envahir de façon silencieuse en se mélangeant aux populations européennes et en les dominant économiquement. L'assimilation est un leurre car on ne change pas le sang. Comme la violence a échoué, le Juif change de stratégie. Soit il domine économiquement, soit il tente l'assimilation. Cela rend également les politiques de ségrégations (ghettos, juiveries) illusoires car le Juif est un dominant et ne se laissera pas mettre à l'écart. Seule l'expulsion est envisageable, suggestion qui revient de façon récurrente (avec l'idée de les expulser dans les colonies lointaines, comme Madagascar).

Source : Gallica, BnF

Jules SOURY, Le système nerveux central , 1899

C'est un archiviste, grand inspirateur de l'antisémitisme français. Il se passionne pour le système nerveux. Il pense que chaque race est dotée d'instincts particuliers. Selon lui, le Juif est dangereux car il possède un instinct particulier propre à sa race, qu'il laisse s'exprimer à chaque crise politique. Pour lui, cet inconscient ethnique et racial guide les réactions des peuples (grand succès de cette thèse à la fin du XIXème siècle). Les antidreyfusards s'en servent constamment. C'est un livre de 1866 pages ! Ce postulat scientifique est validé par les autorités scientifiques, avalisé par la science de l'époque, il obtient le prix de la Faculté de Médecine. Cela conduit à une lutte ancestrale entre les Sémites et les Aryens qui justifie de poursuivre le combat (Cf. la couverture de la France juive). C'est bien entendu le Juif qui est considéré comme l'agresseur. Cette lutte est légitime car elle est pluriséculaire. Dans les écrits antisémites, on trouve des références constantes à la Révolution française présentée comme le moment où les Juifs ont détruit la tradition ancestrale de la France en s'en prenant à l'Eglise, à ses trésors, à son héritage (toujours la thèse complotiste dans laquelle judaïsme et franc-maçonnerie sont liés et se superposent). La franc-maçonnerie est donc l'outil du judaïsme pour lutter contre le Christianisme. Drumont parle de la « République juive » alimentant le sentiment antirépublicain notamment au moment de l'affaire Dreyfus. Il assimile donc la République et le judaïsme. Celle-ci se met en place au moment de l'Affaire Dreyfus. Elle est donc condamnable car elle est menée par les Juifs.

Maurice BARRES, Scènes et doctrines du nationalisme , 1902

Le Juif est un étranger, un apatride à l'opposé des Aryens enracinés sur leur territoire. On a une opposition enracinés/déracinés. C'est donc dans leur essence même d'être des traîtres. A l'opposé, certains antisémites (dont Soury) considèrent qu'il ne peut pas être un traître car il n'a jamais appartenu à la société française, qu'il déteste. Accuser les Juifs de trahison est donc un faux débat. Il faut donc les exclure de l'administration, de l'armée, pour ne pas qu'ils donnent des informations à l'étranger.

Caricatures de Zola et Dreyfus

On peut aussi utiliser des documents iconographiques, dessins, affiches, cartes postales (Ex : Musée des Horreurs, une série de six caricatures dessinées par Victor Lenepveu). Le contexte de leur création en 1900, c'est au moment du second procès de Dreyfus à l'issue duquel il est grâcié. Mais sa grâce n'achève pas le mouvement antidreyfusard. On a un dessin très réaliste des portraits pour que le public identifie immédiatement les protagonistes.
- Caricature n°6 : Dreyfus en serpent très particulier (à sept têtes dont celle de Dreyfus) avec des pattes crochues. La multitude des têtes exprime l'idée du complot juif (seule la tête de Dreyfus est identifiable mais il n'est pas seul, d'autres têtes sont prêtes à frapper mais on ne reconnaît personne). Cette symbolique trouve ses racines dans le serpent de la Bible où l'animal symbolise le péché (la présence des Juifs sur une terre chrétienne est une insulte à Dieu). Le slogan « le traître » renforce cette idée. Le serpent est traversé par une épée qui légitime l'utilisation de la violence contre les Juifs, elle est nécessaire. C'est l'épée des officiers mais aussi des chevaliers (donc un enracinement pluriséculaire.
- Caricature n°4 : Zola en porc. C'est une image très négative depuis toujours (ex : Louis XVI après la fuite de Varennes). Il est assis sur ses livres (donc la mauvaise situation de la France est due à des oeuvres comme celles de Zola qui ont corrompu la société française). Zola commet un acte antipatriotique avec du « caca international » (toujours la référence au complot international auquel Zola participe en défendant un Juif). Il salit la carte de France. La carte est aussi un instrument fort de l'enseignement et de la dimension symbolique portée (avec l'Alsace et la Moselle peintes en noir, référence aux cartes de l'époque utilisées dans l'Ecole de la IIIème République). Le sous-entendu est que si la France a perdu ces territoires, c'est la faute au complot juif.

Affiche de l’Action française, 1 ère année, n°3, 23 mars 1908.
Elle est révélatrice de l'idée que le régime républicain est détestable car il est étranger du fait de sa création par les Juifs ; Les Juifs ne sont pas tout seuls, il faut y ajouter le rôle des pédagogues, fameux hussards noirs de la République. L'Affaire Dreyfus est finie mais en 1908, c'est la panthéonisation de Zola. Et cela intervient aussi après la loi de 1905 sur la laïcisation de l'Etat et des relations familiales (loi sur le divorce).


II. Le temps des années 1930


On a un pic d'antisémitisme en France dans un contexte de crise économique et sociale mais aussi de crise politique européenne qui conduit à l'arrivée de nouveaux réfugiés juifs (la France accueille 150 000 Juifs allemands soit la moitié de ces réfugiés, mais aussi de Pologne et de Hongrie). Pour certains, c'est un transit. Les Juifs polonais et hongrois fuient des régimes antisémites. Cf. Ivan Jablonka, Histoire des grands-parents que je n'ai pas eus. On est aussi à partir de 1935-1936 dans la perspective de la prise de pouvoir par le Front populaire, c'est-à-dire la victoire du judéobolchevisme et l'arrivée au pouvoir d'un Juif, avec Léon Blum. Cette propagande antisémite connaît un pic mais n'est pas innovante. On y retrouve les mêmes arguments qu'au XIXème siècle, avec les mêmes allusions au judéo-maçonnisme, au complot, au cosmopolitisme des Juifs, à leur domination économique, à leur rapacité, etc.. Il se structure autour de quatre franges de la société française :

1°) Les ultras de l'antisémitisme : ceux qui font de l'antisémitisme le point nodal de leur idéologie politique. On les retrouvera comme ultras de la collaboration sous Vichy (exemple : Henry Coston, qui ressuscite en 1930 le journal La Libre parole de Drumont, après deux décennies de sommeil, Louis Darquier de Pellepoix, qui fonde le journal L'Antijuif et le parti le Rassemblement antijuif de France en 1937). Leurs thématiques sont la domination juive mondiale, l'invasion, le judéobolchevisme, l'anti-républicanisme (Cf Frente Popular en Espagne). On retrouve cela dans une caricature de deux poilus de la Grande Guerre qui met en avant des caractéristiques physiques (qui n'existent pas en réalité !), sur la thématique du Juif embusqué. On est en 1937, après la remilitarisation de la Rhénanie. Il s'agit de suggérer que les Juifs pousseraient à faire la guerre sans y participer eux-mêmes. On retrouve cela dans l’antisémitisme allemand d’ailleurs. En pleine guerre, l'armée a recensé les soldats juifs (leur proportion s'avère identique à celle dans la société allemande). Mais ce recensement n'a pas été publié, donc on dit qu'il y a complot pour cacher ce lien. Pour l'armée française pendant la Première Guerre mondiale, c'est différent car c'est alors un moment de fraternisation. Mais les antisémites réutilisent quand même ce thème.

2°) La Droite nationaliste (l'Action française, le Francisme) : l'antisémitisme est un élément important de leur idéologie mais d'autres revendications sont jugées plus importantes comme la fin de la République. Ce n'est donc pas un point nodal. Le moteur de l’histoire ne peut pas être seulement la lutte contre les Juifs. Ils n’ont pas fait toute leur carrière en étant antisémite. Ex : Marcel Bucard, qui ne l'est pas dans les années 1930 et même s'y oppose. Le basculement a lieu vers 1936. Ces hommes ont une sorte d’admiration du nazisme dans sa capacité à soulever les foules, chez Hitler, comme chez Mussolini d'ailleurs. Ils pensent que c'est l'antisémitisme en tant qu'argument politique qui permet de gagner une plus grande audience et de soulever les foules. La propagande du francisme fait allusion à diverses caractéristiques des Juifs qui sont cosmopolites, exploiteurs, embusqués, capitalistes, etc. Elle rejette l'assimilation. Cf. série de six cartes antisémites éditées par le parti fasciste de Bucard. Cf. aussi l'affiche de l'Action française liée à la présence de Blum à la tête du gouvernement ce qui marque que tout en étant Juif, il est français. En effet, en 1937, Blum est attaqué et Marx Dormoy a cette réplique « un Juif vaut bien un Breton » qui hérisse le poil des antisémites. Il dit en fait que Léon Blum est aussi compétent que d’autres. Cela suscite l'ire des antisémites qui considèrent que les Juifs ne sont pas français (les chiffres sur les embusqués en bas de l'affiche sont faux : il n'y a pas 1 500 Juifs mobilisés mais 40 000 et 7 500 sont morts, 3 500 sont décorés pour faits de bravoure). 1,35 million de Français en tout ont été tués.

3°) Montée de l'antisémitisme occasionnel dans certaines professions dans un contexte de crise économique.

4°) contamination d'une partie de la gauche française (SFIO et Parti radical), gagnée par la crise, notamment au moment des accords de Munich. On a ainsi de nombreux discours antisémites, comme celui de Ludovic Zoretti, socialiste du Calvados : « On va pas prendre le risque de détruire la civilisation française pour défendre 100 000 juifs des Sudètes » . Il conteste la position de Blum qui n'est pas d'accord avec Daladier sur le Sudètes.


III. L'a
ntisémitisme durant l'occupation

L'antisémitisme durant l'occupation a une double origine : il est lié à la présence des Allemands mais également le choix des Français dans un contexte de surenchère entre le régime de Vichy et certains partis politiques qui reprochent à Vichy de ne pas aller plus loin. Cela concerne des partis extrêmes, collaborationnistes (le PPF de Doriot, le RNP de Déat, la Ligue française de Costantini). Cette propagande est très irrationnelle. Ainsi, avec deux affiches de Michel Jacquot totalement contradictoires : en septembre 1941, pour l'exposition « Le Juif et la France », il dessine un Juif très reconnaissable selon les caractéristiques antisémites. On a donc une vision raciale, de domination. A l'été 1942, pour soutenir la 8ème ordonnance prise par les Allemands pour le marquage par l'étoile jaune des Juifs de la zone occupée, le Juif est caché, non reconnaissable. L'image est inquiétante. D'où la nécessité de les marquer. Le discours est contradictoire. En France, il est difficile d'identifier les Juifs, contrairement à la Pologne ou la Russie. Il est donc difficile à la propagande antisémite de tenir un discours rationnel.
 

 

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