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étudier la Troisième République à partir d'un tableau (3)

mis à jour le 26/04/2013


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Le tableau Devant « le Rêve » de Paul Legrand, conservé au Musée des Beaux Arts de Nantes,  évoque la défaite face à la Prusse en 1870.

mots clés : République, 1870, presse, nationalisme, amitié franco-russe


II) La mémoire d'un événement traumatique : la défaite face à la Prusse (1870-1871)

Plusieurs éléments du tableau évoquent implicitement la défaite de 1870-71 face à la Prusse, événement traumatique originel qui a fortement marqué la Troisième République jusqu'en 1914 et orienté les politiques menées par les différents gouvernements républicains à partir de 1879.
 

1- L'image qui fascine les enfants : « Le Rêve » d'Edouard Detaille


Edouard Detaille, Le Rêve, 1888, Paris, musée d'Orsay

Édouard Detaille, Le Rêve, 1888, Paris, musée d'Orsay
Huile sur toile 300 x 400 cm

Voir l'Histoire par l'image
la biographie d'Édouard Detaille


 « La place de Detaille dans la mémoire collective se résume, pour les générations anciennes, à un tableau emblématique, le Rêve, longtemps reproduit dans les livres d'histoire et les dictionnaires encyclopédiques. » Robichon p. 5

« [Detaille devint le] chef de file d'un nouveau réalisme qui synthétisait représentation fidèle et expression d'un sentiment patriotique.» Robichon p. 7


 
La gravure en couleur d'après Le Rêve de Detaille figure en bonne place sur le kiosque ; c'est elle qui attire l'attention des écoliers et donne son titre au tableau.
Édouard Detaille fut après 1870 l'un des grands spécialistes de la peinture militaire dont il renouvela le genre. Durant toute sa carrière - il est mort en 1912 - il connut un important succès en France et à l'étranger.
La partie inférieure décrit une scène de bivouac pendant des grandes manœuvres (en Champagne?). Les premières lueurs de l'aube commencent à pointer sur une vaste plaine où des conscrits, roulés dans leurs couvertures, dorment à même le sol. Le tableau ne serait qu'une scène de la vie militaire parmi beaucoup d'autres réalisées par Detaille s'il n'y avait, dans la partie supérieure, au milieu des nuées, la vision des glorieux régiments de la Révolution et de l'Empire défilant dans le ciel. L'œuvre de ce fait dépasse la simple anecdote et acquiert une portée symbolique : quelques années après la défaite contre la Prusse, à laquelle le tableau ne fait pas directement référence, les soldats de la Troisième
République rêvent collectivement de campagnes victorieuses à l'exemple de leurs aînés de la Révolution et de l'Empire. Avec Le Rêve la défaite se transforme en espoir.
Si aujourd'hui le tableau est tombé dans l'oubli, il fut très célèbre en son temps. Présenté au Salon de 1888, il y obtint une médaille d'honneur et fut aussitôt acheté par l'État pour le Musée du Luxembourg. Il est aujourd'hui au Musée d'Orsay.
Peint à l'époque du Boulangisme triomphant, un an avant la nouvelle réforme de 1889 sur le service militaire, il témoigne de l'esprit patriotique et revanchard qui prévalait en France à la fin des années 1880.
Le Rêve acquit d'emblée, une très grande popularité qu'amplifia sa très large diffusion par la gravure, la carte postale et l'illustration de livres scolaires. Il fut aussi reproduit sur des portes plumes d'écoliers et inspira une célèbre chanson patriotique, le Rêve passe, créée par Bérard en 1906. Pendant la Première Guerre mondiale, le sujet du Rêve a été détourné par des caricaturistes à des fins de propagande (caricatures d'Hérouard et de Ferchaux, repr. in Robichon p.10 et p.11). Le tableau est ainsi devenu une « icône du nouveau catéchisme laïc et patriotique » (P. Georgel, A.-M. Lecoq, p. 215).
L'exorcisme de la défaite

 
« Le Rêve était un autel où l'on communiait pour la défense de la Patrie, dans un état d'esprit encore très marqué par l'amertume de la défaite de 1870 qui suscitait encore ces fantasmes collectifs d'une grande armée française. [...]
Le Rêve de Detaille fut aussi gravé et la planche notamment offerte en supplément du Monde illustré. Le peintre Legrand fit d'ailleurs de la popularité de cette gravure le sujet d'une œuvre intitulée Devant « Le Rêve », où l'on voit des enfants l'admirant à l'étal d'un kiosque »

B. Tillier, La Commune de Paris. Révolution sans images ? , Champ Vallon, 2004


« Du tableau d'Alphonse de Neuville [Bivouac après le combat du Bourget, 21 décembre 1870] au Rêve de Detaille, une conversion de la défaite s'opère, visant à exalter le sentiment patriotique, à appeler à la revanche et à fonder le nationalisme. L'idéologie de la défaite repose sur un abattement moral que contrebalance un idéalisme exaspéré. Ce processus n'est possible que par une série de glissements de l'historique vers l'anecdotique - les sujets ne sont plus nécessairement localisés dans le temps et dans l'espace [...] ils renvoient de moins en moins à un événement historique précis pour privilégier la scène dramatisée - ou du collectif à l'individuel - les actes d'héroïsme favorisant des attitudes et des expressions stéréotypées l'emportent sur l'élan collectif. L'exorcisme de la défaite sera d'ailleurs l'une des préoccupations de la République dans les décennies 1870 à 1900. »


 
La critique d'Octave Mirbeau sur le Rêve

 « Jusqu'ici nous nous imaginions que les soldats, abrutis de disciplines imbéciles, écrasés de fatigues torturantes, rêvent -quand ils rêvent - à l'époque de leur libération, au jour béni où ils ne sentiront plus le sac leur couper les épaules, ni les grossières et féroces injures des sous-officiers leur emplir l'âme de haine. Nous croyions qu'ils rêvaient à de vagues vengeances contre l'adjudant et le sergent-major, qui les traitent comme des chiens. [...] À voir le petit soldat se promener si triste, si nostalgique, il était permis d'inférer que, après les dures besognes et les douloureuses blessures de la journée, ses rêves de la nuit n'étaient ni de joie, ni de gloire. M. Detaille nous prouva que tels, au contraire, étaient les rêves du soldat français. Il nous apprit, avec un luxe inouï de boutons de guêtres, en une inoubliable évocation de passementeries patriotiques, que le soldat français ne rêve qu'aux gloires du passé, et que, lorsqu'il dort, harassé, malheureux, défilent toujours, dans son sommeil, les splendeurs héroïques de la Grande Armée, Marengo, Austerlitz, Borodino. [...] Il fallut bien s'incliner devant cette œuvre, qu'on eût dite - selon le mot d'un juré - peinte par la Patrie elle-même"... »

Octave Mirbeau, « Les peintres primés », L'Écho de Paris, 23 juillet 1889.
Extrait du Dictionnaire Octave Mirbeau

 

2- La figure de l'ancien combattant


La transmission des valeurs patriotiques

La figure de l'ancien combattant relève d'une rhétorique de la transmission des valeurs patriotiques chère à la Troisième République *. Legrand avait déjà exploité cette idée dans un tableau intitulé Une leçon de stratégie présenté au Salon de 1890 (Château de La Boissière, Yvelines) dans lequel il mettait en scène un pensionnaire de l'Hôtel des Invalides faisant à de jeunes garçons une démonstration de tactique militaire à l'aide de leurs petits soldats.
Cette thématique se retrouve dans deux gravures de presse de l'époque publiées dans des suppléments illustrés du Petit Parisien de l'année 1896.
La première, parue le 18 janvier 1896, est intitulée Le Salut des vieux soldats à la jeune armée. Elle décrit le 200e régiment d'infanterie, tout juste revenu de Madagascar, qui défile avec son drapeau dans la cour des Invalides. Les jeunes soldats sont salués par les vieux pensionnaires au garde-à-vous alors que des enfants de troupe battent le tambour.
La deuxième, intitulée Le Jour des Morts, publiée le 8 novembre 1896, juste un mois après la visite du tsar, se situe au Père Lachaise. Elle met en scène un pensionnaire des Invalides accompagnant un conscrit en uniforme devant le monument commémoratif du siège de Paris au pied duquel un adolescent, membre d'une association patriotique, dépose une couronne.
Dans ces gravures, les trois générations en présence représentent le passé, le présent et l'avenir. Le message est le suivant : les jeunes générations doivent prendre modèle sur les générations qui les ont précédées (voir l'article ci-dessous qui accompagnait la gravure le Jour des Morts).
Le même message se retrouve dans le tableau Devant « Le Rêve » même s'il est exprimé de façon moins démonstrative : on y trouve les figures du passé (l'ancien combattant et, dans un passé plus lointain, les soldats de la Révolution et de l'Empire de la gravure de Detaille), les figures du présent (les conscrits de la gravure) qui servent d'exemple aux garçons scolarisés qui sont les figures de l'avenir. Ici cependant, l'invalide tourne le dos à la scène et semble sortir de l'histoire, c'est donc avant tout une image, celle du Rêve, qui sert de vecteur à la transmission des valeurs patriotiques.

* C'est aussi le message que l'école de la République délivre à travers les programmes d'histoire avec les figures de grands personnages historiques comme Charles Martel, Jeanne d'Arc ou Bayard.
 
Le Jour des Morts,
Le Petit parisien, supplément littéraire illustré
8 novembre 1896



Le Jour des Morts, Le Petit parisien, supplément littéraire illustré, 8 novembre 1896

(Source :gallica.bnf.fr)
Article accompagnant la gravure Le Jour des Morts, supplément littéraire illustré du Petit Parisien, dimanche 8 novembre 1896

Devant le monument des Combattants de 1870-71 au cimetière du PERE-LACHAISE

Chaque année, le Jour-des-Morts, on couvre de fleurs les tombes des soldats tombés pour la Patrie, les monuments érigés à leur mémoire.
Ce qui caractérise tous ces monuments, c'est qu'ils ne comportent aucune distinction entre les braves ; ils glorifient aussi bien les chefs que les soldats. Nous avons été plus justes que nos pères. Jadis, au temps des grandes guerres de l'Empire, c'est aux seuls généraux que tous les honneurs étaient consacrés ; on négligeait les héros plus modestes. [...]
Comprenant que le premier acte de virilité d'une nation est d'exalter l'esprit de sacrifice et l'amour du drapeau, nous avons voulu associer les soldats à la gloire de leurs officiers et nous avons confondu dans un même hommage toutes les victimes du dévouement patriotique, tous ceux qui ont servi avec héroïsme cette commune idée : la défense de la patrie !

Notre gravure de première page représente un pèlerinage au monument du cimetière du Père-Lachaise. Ce mausolée est un des plus importants. Il porte l'inscription suivante

Monument
Élevé par l'État
À LA MÉMOIRE DES SOLDATS MORTS
Pendant le siège de Paris
1870-1871

Un vieux militaire pensionnaire de l'Hôtel-des-Invalides, un jeune soldat et un membre d'une société patriotique, se sont rencontrés devant le monument. C'est le passé, le présent, l'avenir. Ils se sont unis dans un même hommage aux morts de 1870-71, dans un même acte de foi patriotique devant ce monument où s'incarne l'idée de dévouement national.
Chaque année, il semble que la foule soit plus nombreuse autour des mausolées où reposent nos soldats qui, rigides dans la verdure des cimetières ou des carrefours des routes, disent : « Souvenez-vous ! ».
Les visites qu'on y fait prennent le caractère d'une manifestation unanime. On vient là, oubliant les discordes, unis dans un sentiment commun, mêler aux regrets du passé les espérances pour l'avenir, et on s'en va, le coeur triste certainement, mais réconforté à l'idée de la grandeur présente de la patrie.
Maintenant que la patrie, réorganisée, reconstituée, rajeunie, certaine de sa force et de son avenir, poursuit fièrement sa marche d'incessant progrès, ces pierres, ces mausolées, tous ces restes sacrés de dévouements sublimes et glorieux trépas, n'en sont pas moins un enseignement profond, car au-dessus des ossuaires, au-dessus des morts jetés comme une semence de régénération dans les champs de bataille, au-dessus des combattants qui luttent et qui tombent au-dessus de ce qui se passe et qui disparaît, s'élève comme un impérissable égide, le Génie de la France immortelle ! »

 


L'enseignement du devoir patriotique selon Ernest Lavisse

 « Les devoirs, il sera d'autant plus aisé de les faire comprendre que l'imagination des élèves, charmée par des peintures et par des récits, rendra leur raison enfantine plus attentive et plus docile. Tout l'enseignement du devoir patriotique se réduit à ceci : expliquer que les hommes qui, depuis des siècles, vivent sur la terre de France, ont fait, par l'action et par la pensée, une certaine oeuvre, à laquelle chaque génération a travaillé ; qu'un lien nous rattache à ceux qui ont vécu, à ceux qui vivront sur cette terre ; que nos ancêtres, c'est nous dans le passé ; que nos descendants, ce sera nous dans l'avenir. Il y a donc une oeuvre française, continue et collective : chaque génération y a sa part, et dans cette génération tout individu a la sienne. Enseignement moral et patriotique : là doit aboutir l'enseignement de l'Histoire à l'école primaire. (...) Il s'agit ici de la chair de notre chair et du sang de notre sang. Pour tout dire, si l'écolier n'emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales ; s'il ne sait pas que ses ancêtres ont combattu sur mille champs de bataille pour de nobles causes ; s'il n'a point appris ce qu'il a coûté de sang et d'efforts pour faire l'unité de notre patrie, et dégager ensuite du chaos de nos institutions vieillies les lois sacrées qui nous ont fait libres ; s'il ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son drapeau, l'instituteur aura perdu son temps ».

Ernest Lavisse, cité par J.-P. Minaudier, La République des opportunistes, 2005
 
auteur(s) :

Bruno Hérody, chargé de mission au Musée des Beaux-arts de Nantes

éditeur(s) :

Claudie Ferchaud

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