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faire face à l'expression des préjugés antisémites en classe

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compte-rendu de la conférence de Iannis RODER, professeur agrégé d'Histoire, formateur au mémorial de la Shoah


A noter : des ressources sont disponibles en ligne sur le fait religieux sur le site du RELMIN : http://www.relmin.eu/index.php/fr/ et de l'IPRA : http://ipra.eu/fr/

Il n'y a rien de systématique dans les préjugés antisémites énoncés en classe. Les élèves qui tiennent des propos antisémites ne sont pas des idéologues. Le plus souvent, ils répètent des choses entendues dans des cercles familiaux, amicaux, culturels ou sur internet (YouTube, réseauxsociaux ...). Parfois les discours sont idéologisés. Ces propos peuvent être de plusieurs ordres :
- répétition de préjugés véhiculés à travers l'Histoire, c'est de l'antisémitisme « bête et méchant » sur les Juifs et l'argent, les Juifs qui s'entraident, parfois sur leur physique ;
- discours plus construit autour de l'influence supposée des Juifs (idée complotiste, autour du pouvoir) dans les médias, le monde politique. Parfois, la construction idéologique est plus solide, avec l'idée qu'il y a un but caché, conspirationniste ;
- antisémitisme dans la concurrence mémorielle dans la position de victime (comme Dieudonné, pour qui la mémoire serait monopolisée par les Juifs). Certes la Shoah est omniprésente dans les médias et dans les représentations liées à la situation politique. On en parle beaucoup mais mal. La Shoah est associée au génocide. Elle est l'alpha et l'oméga de la reconnaissance et de l'ouverture de droits (Cf. Alain Soral, Dieudonné). Une certaine idée peut se développer, celle qu’il faut être reconnu comme victime d’un génocide pour exister, et que sinon, on est « moins » victime. Les Juifs, qui « bénéficieraient » de cette reconnaissance, en profiteraient ;
- propos en lien avec les conflits au Proche-Orient (et les parallèles avec les crimes rituels du Moyen-Age). Les soldats de Tsahal tueraient des enfants. C'est aussi une référence aux crimes rituels amenant du sang pour le pain azyme (la matsa) de Pâques.

Les propos tenus ont, souvent, un lien étroit avec l'actualité amenant des pics de propos violents. Les élèves pensent connaître car ils ont beaucoup d'informations. Pour eux, l'image fait vérité. L'exposition médiatique de la Shoah (livres, TV, cinéma, radio ... ) conduit également certains à penser qu'on ne parle que de cela ; les élèves ne font pas exceptions. La réflexion " Il n'y en a que pour les Juifs " est directement liée à l'exposition médiatique à travers l'histoire des victimes. Nous, enseignants d’Histoire, devons avoir une approche différente de celle des médias. Eux entrent dans l’Histoire par l’histoire des victimes. Nous devons y entrer par l’histoire des bourreaux.

Il n'y a pas de solutions miracles pour lutter contre l'antisémitisme. Les démarches moralisatrices ou compassionnelles (ex : Visite à Auschwitz) ne sont absolument pas efficaces voire contreproductives. En effet, Auschwitz est un lieu d'Histoire et ces propos n'ont rien à voir avec l'Histoire, cela ne fonctionne pas comme ça. La morale a elle plutôt tendance à braquer les élèves. Il est préférable de faire parler l'élève pour entendre ses arguments et engager le dialogue, l'amener à « vider son sac ».

Alors, il faudrait basculer sur une entrée à travers les bourreaux, contrairement au monde médiatique. En effet, beaucoup d’oeuvres rentrent par les victimes (ex : La Rafle). Le génocide est mené par des gens, les acteurs principaux, ce sont les nazis qui mettent en place cette politique. On peut appliquer cela dans les titres (ex : « La politique génocidaire nazie : la Shoah » plutôt que « La Shoah »). il faut aussi « déjudaïser » la notion de génocide, en abordant les Arméniens, les Tutsis ou d'autres massacres de masse. Il faut montrer qu’il y a des processus historiques, intellectuels, qui ne concernent pas uniquement les Juifs. Cela se retrouve à d’autres moments de l’Histoire. Il faut replacer cela dans une histoire plus large du XXe siècle. « Déjudaïser » la notion de génocide est donc une réponse à cette question et permet de montrer qu'il y a des processus qui se mettent en place dans des cadres différents, à d'autres moments de l'Histoire, avec d'autres acteurs. La spécificité du génocide juif est la volonté de destruction partout, sur toute la surface de la Terre. Un tableau de lecture des génocides peut-être proposé aux élèves :

qu'est-ce qu'un génocide ?

- Une idéologie directrice (clef de lecture et de compréhension du monde)
- Un Etat constitué d'hommes, qui est responsable
- Un groupe cible « en entier » (hommes, femmes, enfants)
- Une décision d'annihilation
- Une mise en oeuvre (les étapes)

Il est préférable de rentrer dans le nazisme par l'idéologie (au contraire de ce que dit la fiche Eduscol qui veut entrer par la pratique et donc les victimes). Cela offre une grille de lecture en entrant par la lecture de l'humanité, la vision du monde des bourreaux. Il est important de ne pas omettre l'action T4 (assassinat des asociaux et handicapés mentaux, considérés comme source d’affaiblissement de la race) qui montre ce qu'est l'idéologie nazie, c'est-à-dire que cela concerne tout le monde et pas seulement la question juive. C'est là que se manifeste la vision de l'être humain pour les nazis. C'est de la gestion de cheptel humain, qui définit si un corps est utile ou inutile, dangereux ou pas. Les autres doivent être éliminés. En faisant cela, cela permet de disqualifier le nazisme aux yeux de tous. On évite ainsi les réflexions de type « Hitler n’a pas fini le boulot », « Hitler c’est mon cousin ! ».

Il faut ensuite utiliser l'Histoire pour déconstruire les préjugés. On peut ainsi utiliser les invariants de l'Histoire qui permettent de montrer aux élèves qu'il y a certaines permanences dans la vision du monde des différents groupes humains. On retrouve de fait ces invariants de l'idéologie nazie dans le parti Jeunes-Turcs ou le Hutu Power. Ce sont les mêmes ressorts intellectuels. Le discours du 30 janvier 1939 d'Adolf Hitler au Reichstag met en évidence trois points :
- une vision millénariste de type eschatologique (Hitler vu comme prophète), qui prévoit l'affrontement, les guerres de type « eux ou nous » ;
- une vision paranoïaque, assiégée, obsidionale (les lois antisémites sont considérées comme défensives) ;
- une vision antisémite.

On retrouve ces trois aspects dans Mein Kampf ou dans la lettre de Walter Mattner à sa femme. Mais on retrouve aussi cela pour les Arméniens ou le Rwanda, avec un processus de déshumanisation de l'Autre. Les mêmes ressorts intellectuels sont aussi présents chez Sayyid Qutb, Frère musulman radical, ou chez Oussama Ben Laden.

L'intérêt du nazisme est double. Premièrement, il nous oblige à prendre au sérieux les propos les plus dingues car ils ont fait ce qu'ils ont dit qu'ils feraient, ils sont allés au bout de leur démarche idéologique qui donnait sens à leur action, à leur vision du monde. Ils l'ont fait parce qu'ils y croyaient, leur idéologie faisait sens pour eux. Deuxièmement, on connaît le résultat, 50 à 60 millions de morts, l'Europe ravagée. Cela amène à faire réfléchir les élèves sur les ressorts idéologiques qui conduisent à passer à l'acte. Les crimes de masse sont des crimes idéologiques. Et il faut réfléchir à ces idéologies-là. Cela peut aussi permettre de détruire les discours conspirationnistes.

Cf. Denis Crouzet et JM Le Gall, Au péril des guerres de Religion.
Cf. interview de Ben Laden à Al-Jazeera en octobre 2001 (par Tayseer Alouni). On y retrouve les trois points mentionnés.


Questions

- Quel travail peut-on faire à partir des sources ?
Par exemple, sur Theresienstadt, on peut partir du film de propagande nazi puis travailler sur ce qu'en disent les historiens.

- Quel est le point commun entre les complotistes et les négationnistes ?
C'est l'hypercriticisme. Toutes les critiques sont des prétextes à remettre en cause les faits historiques.

- N'y a-t-il pas danger à laisser s'exprimer les élèves qui tiennent ce genre de propos ?
Non, au contraire, c'est une nécessité pour aller jusqu'au bout du raisonnement.

- N'y a-t-il pas danger à effectuer ce comparatisme entre les génocides ?

Non, la Shoah, c'est l'idée de supprimer les Juifs de la Terre, ce n'est pas le cas pour les Arméniens ou les Tutsis. La destruction des Juifs d'Europe de Raul Hilberg prête à confusion pour son titre (c'est le résultat, pas l'objectif qui lui, est mondial).

 

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