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approfondir
Cette conférence de Philippe Gombert a été donnée dans le cadre de la formation REP+ en novembre 2016.
Sa thèse de doctorat traite de l’évolution du rapport des familles à l’école dans le contexte de la banlieue parisienne, dans une étude plus large des interactions entre dynamiques scolaires et dynamiques urbaines. Une deuxième thèse porte sur les comportements stratèges des comportements des familles (Gombert Philippe. L’École et ses stratèges, Les pratiques éducatives des nouvelles classes supérieures).
Il a mené une recherche-action sur 3 ans, dans 4 établissements pour étudier l’évolution des représentations de la violence en ITEP. Le fil rouge de son parcours est de mieux comprendre le vécu et les représentations des familles et des jeunes, via une démarche d’entretiens.
Face au rapport du CNESCO piloté par Nathalie Mons, le président de l’observatoire des zones prioritaires a émis quelques réserves : les problèmes décelables à l’école n’en émanent pas forcément.
Cependant les études PISA montrent que notre système favorise les élèves les plus à l’aise à l’école sans réussir à aider les élèves en grande difficulté. Le système éducatif français n’a pas réellement changé par rapport à celui de l’Allemagne par exemple face aux mauvais résultats dans les tests PISA.
Un levier possible : les familles. L’action auprès des familles est payante sur le moyen/long terme. Comment mieux comprendre l’attitude des familles des classes populaires, fragilisées sur les dernières 20/30 dernières années, avec une disqualification symbolique des classes populaires ?
Il s’agit d’un rapport de soumission. Pour Jules Ferry, seul l’Etat a le droit d’éduquer. Les familles sont considérées comme un obstacle à la mise en place du projet laïc. Dans cette période rurale, les familles sont associées aux patois, aux croyantes, aux dialectes… L’enfant occupe alors une place assez dérisoire.
Les associations de parents d’élèves se mettent en place sous des formes de résistances par rapport aux projets de l’état : il s’agit des classes aisées :
C’est une période de changements profonds dans la société. Les parents arrivent petit à petit à un statut de partenaires.
Influences :
Le statut de partenaire reste cependant assez formel, entrainant des désillusions pour les parents. Le caractère politisé de ces associations crée des tensions internes. Une demande d’autonomie se développe au sein des associations de parents d’élèves. Cette désillusion collective mène les parents à des stratégies individuelles.
Le 1er septennat de Mitterrand constitue un tournant. Les parents deviennent stratèges. Antoine Prost (Éducation, société, politique) analyse par exemple le tournant de l’année 1984 avec le projet de loi Savary. Savary est chargé en coulisse de négocier avec les différents acteurs. Une grande manifestation s’y oppose et ce projet est retiré. Le projet était assez flou (imposer la carte scolaire au privé ? ). Savary voit cependant beaucoup de tensions des deux côtés, le côté public se sentant humilié par les lois antérieures, le privé craignant la nationalisation.
Les années 1983/1984 sont celles du néolibéralisme. Avant 1984 : les familles militantes du privé et du public étaient en opposition (« guerre scolaire », peut-on lire dans les journaux). Après 1984 : dans un contexte de chômage de masse, d’inquiétude, la compétition scolaire s’accroît. Les parents deviennent pragmatiques, veulent choisir l’école qui correspond le mieux à leur enfant non plus sur des critères militants mais sur des critères :
La forme actuelle de ces stratégies est la mobilité spatiale (fausses adresses, déménagements). A contrario, les classes populaires n’ont pas le choix, ce qui influence leur rapport à l’école. Le choix de l’habitat devient conditionné au choix de l’école pour les classes moyennes, mais on observe aussi une prise de conscience très forte de ces questionnements du côté des classes populaires. Cependant, ces classes disposent de très peu de capitaux (au sens de Bourdieu) permettant de mettre en place des stratégies efficaces.
On est passé d’un rapport d’adhésion au système éducatif à un rapport de défiance. Comment restaurer le lien de confiance avec les familles ? Cette défiance est liée au le problème de déclassement : les élèves ne sont plus en mesure de reproduire la place sociale de leurs parents, ce qui crée une anxiété importante chez les élèves français en particulier. La compétition se resserre entre les classes moyennes et les classes populaires. Les entretiens mettent à jour beaucoup de sentiments de ressentiment et d’humiliation.
La famille longtemps fonctionné comme une institution. Les repères étaient plus stables. Depuis quelques dizaines d’année, les formes familiales se diversifient : c’est la famille plurielle qui est plus déstabilisante quand on est peu équipé en capitaux culturels.En France, François de Singly préfère parler de la famille moderne 2. La famille construisait les individus, désormais ce sont les individus qui identifient la famille.
Autre fait marquant : l’apparition d’une culture jeune : « la culture de la chambre » renvoie au degré d’autonomie dont les jeunes disposent au niveau de la cellule familiale. Ce phénomène est accéléré par les médias. Aux deux niveaux traditionnels de socialisation, l’école et la famille, s’en ajoute un troisième, le groupe de pairs. Le temps passé avec les parents est en diminution : le groupe de pairs prend le relais. Cette culture jeune apparaît dans l’après 68. Internet en est une manifestation, avec une demande de partage des savoirs, ce qui crée des changements dans le rapport au savoir.
Cf. Farhad Khosrokhavar, spécialiste des trajectoires de radicalisation : on voit aussi des jeunes filles de classe moyenne se radicaliser, ce qu’on peut comprendre par des motifs professionnels, et par la phase d’autonomisation de la jeunesse.
Le fait d’avoir deux familles mène les enfants à la découverte de l’arbitraire des rôles parentaux.
Cf. Céline Rothé, les jeunes en errance : jeunes accueillis dans les structures d’urgences, trajectoires liées au contexte politique et social mais aussi aux recompositions familiales avec un revenu minimal tardif en France (le RSA n’est versé qu’à partir des 25 ans).
Pour les parents, le domaine de la négociation a remplacé l’autorité. La famille moderne 2 est traversée par deux types de normes :
D’où la multiplication des phénomènes de médiation familiale (Irène Théry appelle cela la judiciarisation de la famille). Ces changements récents et rapides sont ressentis de façon assez violente au niveau des classes populaires.
Jusqu’aux années 50-60 : le mode de socialisation est dit à « composante » scolaire, le diplôme est important mais pas incontournable : on peut se passer de l’école au niveau des classes populaires et de certaines classes aisées.
Depuis, l’identité de la famille est traversée par des questions scolaires et éducatives dans toutes les classes sociales. Désormais, on parle de mode de socialisation à « dominante » scolaire. Le rapport de dépendance aux diplômes s’est considérablement accru en quelques dizaines d’années. Les changements sont la création des bacs pro et l’objectif des 80% au bac. Quand la norme devient 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, que ressentent ceux qui n’y arrivent pas ?
Dans la famille, on note l’apparition d’un devoir moral de prolongement de la scolarité, auquel correspond un allongement de la jeunesse. Cf. Bourdieu La jeunesse n’est qu’un mot : il montre que les jeunes des classes moyennes ont une certaine désinvolture dans les études, ce que les classes populaires n’ont longtemps pas connu. Mais cela est aujourd’hui en train de changer. Stéphane Baud, dans retour sur la condition ouvrière, montre le décalage générationnel entre les jeunes qu’on pousse à faire des études et l’identité des classes populaires.
C’est l’époque des premières formes de révoltes dans « les quartiers », ce qui connote négativement les classes populaires. On passe brutalement d’une logique d’exploitation à une logique d’exclusion avec la fin de l’industrie. Dans la galère, (François Dubet), l’exploitation donnait un sentiment d’intégration, avec des formes de solidarité (associations, partis politiques des banlieues rouges, syndicats). Désormais le sentiment d’exclusion domine.
Les classes populaires :
=> Il s’agit de formes d’isolement
Christophe Guilly décrit cette France rurale à l’abandon. Sentiment d’abandon spatial, idée de ghetto (même si les formes sont différentes de celles des Etats-Unis).
La multiplication des CDD, et l’effritement des protections sociales sont des conséquences de la dérégulation du marché du travail.
On observe dès lors une désynchronisation des rythmes de travail des classes populaires (ex. travail dans la restauration), ce qui a des conséquences directes sur le rapport à l’enfant. Les femmes sont très concernées vu l’explosion des familles monoparentales depuis les années 80 (qui sont majoritairement des familles composées d’une femme et des enfants). Les pères ont peu vu leurs enfants depuis la séparation, les mères travaillent beaucoup.
Tout cela concoure à une perte d’estime de soi des classes populaires (à l’opposé de l’idée de fierté de la classe ouvrière par exemple).
La crise de 2008 a eu un grand impact.
Des années 80 aux années 2000, changement de climat : le degré de tolérance par rapport à la pauvreté est en diminution. On est passé d’un climat de bienveillance à un climat de suspicion à l’encontre des classes populaires avec la fin des années 90.
Années 80 : RMI, resto du cœur, lutte contre le racisme
Fin années 90 : critique de l’assistanat (480€/mois seulement pourtant) ! C’était auparavant un marqueur idéologique de la droite, qui s’est développé aujourd’hui au-delà des frontières gauche/droite. Stigmatisation des classes populaires.
Des tensions internes dans le groupe entre les travailleurs pauvres et ceux qualifiés d’assistés émergent.
Cela est visible dans le traitement médiatique : dès les années 90, Bourdieu, dans l’émission Arrêt sur images, critique fortement le traitement du mouvement des cheminots et des chômeurs dans les années 90. Les médias jouent un grand rôle dans la dévalorisation des classes populaires.
Cf. récemment dans l’affaire d’Air France : les premières images sont celles de la violence. Cf. Baud : traitement médiatique des joueurs de foot.
Double violence faire aux classes populaires :
=> Désorientation des familles, sentiment d’humiliation.
Il y a donc rupture entre les jeunes des années 80 et ceux des années 2000 : les jeunes n’ont plus de modèle de grands frères qui ont pu bénéficier de l’ascenseur social, plus d’espoir. Pierre Perrier utilise la notion de différend (au sens de Lyotard) pour caractériser le rapport des parents de classes populaire. C’est plus qu’un malentendu, c’est une profonde opposition d’intérêt. On observe aujourd’hui trois tendances dans les rapports à l’école des familles de milieu populaire :
Le modèle des classes moyennes ou supérieures est dit « contractuel », c’est un modèle d’échanges et de dialogues. Le modèle des classes populaires est plus « statutaire ». Ce modèle entre en concurrence et en compétition avec le partenariat. Mais il y a une forme d’impensé du partenariat : le présupposé est que les parents détiennent une certaine confiance en soi, des compétences pédagogiques dans la prise de parole par exemple… Ce qui n’est pas forcément le cas pour les familles de milieu populaire. Le modèle pédagogique scolaire est centré sur une abstraction et non une autorité proche de la soumission et de la discipline, un travail concret et utile (d’où le fait que certains parents retirent leurs enfants de dispositifs d’aides qu’ils jugent inutiles, pas assez concrets).
Quelles formes peut prendre le lien avec les familles ? Ces suggestions sont basées sur les observations en ITEP :
Compte-rendu par E. Goujard, collège Jean Lurçat, Angers.
histoire-géographie-citoyenneté - Rectorat de l'Académie de Nantes