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histoire des Juifs de France (2)

enseigner l'histoire de l'antisémitisme en Allemagne et en France,

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Deux mille ans de judaïsme en France par Philippe BOUKARA, historien et formateur au Mémorial de la Shoah. ...suite

Trois siècles « creux »

La coupure de 1394 et de 1501 n’en est toutefois pas tout à fait une, car les Etats du Pape, autour d’Avignon, n’expulsent pas leurs Juifs, même si, sur le modèle italien du ghetto, ils les enferment dans des rues nommées carrières, dans les quatre villes d’Avignon, Carpentras, Cavaillon et L’Isle-sur-Sorgue. Cette population, dont les patronymes attestent des origines familiales situées dans tout le Midi (par exemple Milhaud, Lunel, Carcassonne...), n’a jamais dépassé un effectif de 3000 personnes, qui devaient subir patiemment le prosélytisme de l’Eglise comme contrepartie du droit de résidence.

Par ailleurs, l’Alsace et la Lorraine, incorporées au royaume entre le XVIème et le XVIIIème siècles, comportent d’importantes communautés juives. C’est d’abord Metz qui devint française en 1552 et où les Juifs se virent attribuer un rôle important dans la logistique de la garnison - en matière de chevaux et de fourrages essentiellement. Seule communauté urbaine importante dans la région (son effectif culmine à 2000 âmes au 18ème siècle), elle est aussi la seule à être le siège d’une yechiva (école talmudique supérieure), qui accueille plusieurs rabbins prestigieux d’Europe centrale. Metz est ville d’imprimerie hébraïque, comme l’est Lunéville, capitale pour un temps du duché de Lorraine. Ce dernier est rattaché à la France en 1766 seulement, l’Alsace, elle, l’ayant été en 1648. Ce sont des dizaines de petites communautés rurales qui constituaient l’essentiel de la population juive de l’est du pays à la veille de la Révolution : 20000 âmes en Alsace d’après le Dénombrement de 1784, et environ 10 000 en Lorraine à la même époque.

Le XVIe siècle fut aussi marqué par l’arrivée dans le Sud-Ouest du pays des Nouveaux Chrétiens d’origine portugaise, admis officiellement par Henri II en 1550, qui renouèrent ouvertement avec le judaïsme à la fin du XVIIème siècle après plus d’un siècle de fréquentation de paroisses catholiques où, il est vrai, la pratique du crypto-judaïsme était généralisée. Une première pierre tombale porte une inscription en hébreu en 1659 à Labastide-Clairence, un premier mariage selon le rite juif est célébré en 1673 à Saint-Esprit les Bayonne. En 1723, Louis XV confirme les Lettres patentes de 1550 et officialise ainsi un retour graduel au judaïsme opéré en quelques décennies. La Nation portugaise du Sud-Ouest a compté à son apogée une population de 5000 âmes, réparties à parts égales entre Bordeaux et Bayonne.

Les Juifs du Sud-Ouest sont ceux dont le niveau de prospérité matérielle fut le plus élevé : grand commerce transatlantique, surtout pour ceux de Bordeaux, reliés aux réseaux de marchands "portugais" installés à Amsterdam, Londres, Hambourg ainsi qu’aux Amériques, spécialisation chocolatière pour ceux de Bayonne. Le roi les n’hésite pas à entretenir des relations avec les familles les plus riches et les protège contre l’hostilité des puissants, dans l’intérêt bien compris de l’économie et des finances publiques. A l’inverse, la masse des Juifs de l’Est sont de très modestes colporteurs, ou des marchands de bestiaux, éventuellement petits prêteurs d’argent pour des paysans encore plus pauvres qu’eux - tandis que le rôle de banquiers étant joué par des protestants. Le commerce des grains était plutôt une spécialité des Comtadins, de niveau économique intermédiaire entre celui des Portugais et celui des « Allemands ».

Un petit nombre de familles riches obtiennent l’autorisation de s’installer dans quelques grandes villes, dans les décennies qui précèdent la Révolution, comme celles de Cerf Berr à Strasbourg et de Berr Isaac Berr à Nancy. Dans le Comtat, la surpopulation des carrières incite les plus fortunés à payer le prix nécessaire pour s’installer, par dérogation, à Lyon, Montpellier, Marseille notamment. 500 Juifs habitent la capitale dans la même période, subdivisés en une série de micro-communauté ayant chacune un statut différent : Portugais, Comtadins, Messins, « Allemands » d’Alsace et du reste de la Lorraine. Les premiers à obtenir, en 1780, le droit d’enterrer leurs morts dans un cimetière parisien reconnu sont les Portugais conduits par Jacob Pereire, philanthrope connu pour sa méthode d’enseignement aux sourds-muets, le cimetière ashkénaze de Montrouge étant ouvert à partir de 1785.

La visite de Louis XIV en 1657 à la synagogue de Metz symbolisait une forme de connivence nouvelle entre les rois de France et leurs sujets juifs, vérifiée encore lorsque l’accusation de crime rituel portée en 1669 contre Raphael Levy, habitant de Boulay en Lorraine mort sur le bûcher en 1670, fut par la suite démentie par un arrêt de la justice royale, qu’avait facilité l’intervention du savant oratorien Richard Simon. On ne s’étonne pas de voir Louis XVI, dans le même temps où il rétablit la tolérance en faveur des protestants, envisager un changement du statut des Juifs et créer pour cela la commission Malesherbes en 1787.En 1785, l’Académie royale de Metz mettait en concours la question suivante, en consonance avec l’esprit des Lumières : "Est-il des moyens de rendre les Juifs plus heureux et plus utiles en France ? ". En 1788, soit un an après la date prévue, les trois lauréats furent désignés : l’avocat Thiery, le Juif polonais Zalkind-Hourwitz, et surtout l’abbé Grégoire, curé non-conformiste d’Emberménil fortement influencé par le jansénisme ; son Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs décrivait les Juifs en termes d’autant plus négatifs qu’il rendait la société chrétienne responsable de leurs défauts, et faisait confiance à la liberté religieuse pour permettre une insertion harmonieuse des minoritaires et, in fine, la reconnaissance de la vérité de sa propre religion. Les idées du philosophe Moses Mendelssohn sur l’émancipation nécessaires des Juifs dans une société éclairés commençaient à être connues en France à travers la traduction française du commentaire de C.G.Dohm (Sur la réforme politique des Juifs, 1782) et surtout un opuscule de Mirabeau (Sur Moses Mendelssohn, 1787).

L’Émancipation - en principes et en faits

Les Juifs de Bordeaux ont participé aux élections des Etats-Généraux et l’un des leurs, David Gradis, a manqué de peu y être élu député ; par contraste, les Juifs de l’Est ne furent pas électeurs et durent rédiger des Cahiers de doléance distincts de ceux de leurs provinces. Après les plaidoiries éloquentes de l’abbé Grégoire et du comte de Clermont-Tonnerre ( qui distinguait soigneusement les droits des individus juifs du statut de leurs communautés traitées comme des corporations périmées ), il fallut attendre le 28 janvier 1790 pour que l’Assemblée nationale confirme les droits déjà acquis par les Juifs du Sud-Ouest (y compris les quelques Comtadins installés parmi eux) et seulement le 27 septembre 1791 pour que l’ensemble des Juifs du pays se voient reconnaître l’égalité civique. Entre ces décisions de principe audacieuses et la levée complète des obstacles juridiques à une pleine citoyenneté, à peine plus d’un demi-siècle s’écoula, délai remarquablement court à l’échelle de l’Histoire.

Contrairement à l’optimisme libéral qui avait inspiré les décrets d’émancipation ( pourquoi l’Etat devrait-il s’inquiéter si certains citoyens suivent un régime alimentaire spécial ou font des choix matrimoniaux particuliers, demandait plaisamment Clermont-Tonnerre ), Napoléon Ier fut sensible aux plaintes des paysans alsaciens débiteurs des Juifs et posa douze questions assez peu bienveillantes aux notables juifs de tout l’Empire réunis en Assemblée le 26 juillet 1806 à Paris : en matière de mariage et de divorce, de patriotisme, d’autorité reconnue aux rabbins, de préférence pour les métiers d’argent ou pour ceux du travail, étaient-ils plus proches de leurs concitoyens non-juifs ou de leurs coreligionnaires non-français ? L’Assemblée, transformée en Sanhédrin le 7 février 1807 par l’adjonction d’un fort contingent de rabbins, formula des réponses denses qui exprimaient clairement son allégeance à l’Empereur et à la patrie, mais s’efforçaient de préserver la possibilité d’un culte juif libre. Napoléon ne fut pas convaincu, puisque parmi ses décrets de 1808 figuraient, outre celui qui créa les Consistoires israélites chargés d’encadrer le culte, et celui qui demandait aux Juifs de fixer leurs patronymes à l’état civil, le décret dit « infâme » qui permettait l’annulation des créances dues aux Juifs de l’Est, restreignait pour ceux-ci la liberté d’installation et supprimait la possibilité, alors reconnue, de se faire remplacer au service militaire. Prises pour une durée de dix ans, ces mesures ne furent pas reconduites par la monarchie restaurée.



La marche en avant de l’Emancipation reprit alors et s’accéléra, comme le symbolisent fortement deux décisions prises sous la Monarchie de Juillet. En 1831, le culte israélite se vit attribuer pour la première fois un budget sur fonds publics, d’égal à égal avec les cultes catholique et protestant. En 1846, la Cour de Cassation abrogea l’humiliant serment more judaico que les Juifs devaient prêter avant de comparaître devant un tribunal français : jusque-là, ils devaient se rendre spécialement dans une synagogue, prendre dans les bras les Rouleaux de la Torah, et appeler longuement sur eux-mêmes le châtiment divin pour le cas où ils ne répondraient pas loyalement aux questions du tribunal... L’avocat Adolphe Crémieux, qui gagna cette longue bataille de procédure, était le plus représentatif des nouveaux dirigeants israélites appartenant à la première génération émancipée et autorisée à fréquenter les universités : il est en 1842 un des trois premiers députés juifs élus à la Chambre , puis en 1848 un des deux premiers à siéger au gouvernement (charge qu’il retrouva en 1870), en assumant parallèlement de hautes responsabilités dans sa communauté ( présidence du Consistoire central, puis de l’Alliance israélite universelle ). La France fut au XIXe siècle le pays
occidental qui ouvrit le premier et le plus largement aux Juifs toutes les portes des carrières publiques et privées. Dans l’Etat, ils purent très tôt être préfets, généraux, magistrats, professeurs d’université jusqu’au niveau du Collège de France. Jamais la conversion à une autre religion ne leur fut imposée comme une condition, comme ce fut le cas, de facto, dans les pays anglo-saxons.

Dans le modèle méritocratique, c’est l’excellence scolaire seule qui devait être la clé de l’accès aux élites. La contribution des savants et des artistes juifs fut particulièrement brillante à l’époque même où le rayonnement français était à son apogée : dans une sorte d’équilibre harmonieux, ils ont donné beaucoup à une société qui avait été particulièrement généreuse à leur égard. Certes, un pamphlétaire comme Alphonse Toussenel pouvait dénoncer, en 1845, Les Juifs rois de l’époque. Mais ses avis n’étaient pas suivis et la jeune Elisa Felix pouvait triompher, à la Comédie française, sous le nom de Mademoiselle Rachel. Les israélites français étaient intensément patriotes, mais la francophilie était généralisée parmi les Juifs du monde entier, et une immigration régulière commença à concrétiser ces sentiments dès le milieu du XIXe siècle : d’abord, à une petite échelle, celle de Juifs allemands conscients des différences de situations des deux côtés du Rhin ; puis des Russes fuyant les pogromes et les discriminations à partir de 1881, travailleurs modestes mais aussi étudiants ou peintres souvent talentueux, ainsi que des Sépharades des Balkans scolarisés en français dans les écoles de l’Alliance israélite universelle. Flux migratoire qui compensa la coupure de 1870 entre le judaïsme français et celui d’Alsace et de Moselle - dont une partie, toutefois, choisit de migrer vers la France de l’intérieur. lire la suite...
 

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