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l'Allemagne nazie et les Juifs, de la haine au meurtre (1933-1945)

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Présentation de documents ressources par Alban PERRIN, formateur au Mémorial de la Shoah et chargé de cours à Sciences Po Bordeaux.

Le terme « antisémite » est à utiliser avec des guillemets car il a été inventé par les antisémites eux-mêmes pour faire oublier que c'est d'abord la haine qui guide leur raisonnement. L'antisémitisme allemand se forge progressivement pour rendre les Juifs responsables des difficultés de l'Allemagne : crise économique, défaite allemande (figure du Juif traître). Le patriotisme allemand des Juifs allait assez loin avant la Première guerre mondiale. Or ils ne sont pas payés en retour. Saul Friedländer rappelle les accusations d'embusqués. En 1918, la défaite apparaît inexplicable (comme ce sera le cas en 1940 en France). Donc le Juif est responsable. C'est facile car la figure du Juif traître est déjà véhiculée par l'Eglise. Le fait que les Juifs apparaissent comme les principaux bénéficiaires de la République de Weimar fait penser que c'est un régime juif. L'émancipation totale
des Juifs sous la République de Weimar est vécue par une partie des Allemands comme une récompense de la traîtrise jetant ainsi le discrédit sur le nouveau régime. Cela provoque un développement de la haine anti-juive.

Cet antisémitisme virulent, épine dorsale du nazisme, va devenir une politique entre 1933 et 1945. La première génération d'historiens considère que l'idéologie est première (c'est-à-dire qu'on trouve la destruction des Juifs d'Europe dès le départ). Les mesures sont de plus en plus violentes. La formation de ces historiens provient d'Hegel, c'est la Geistesgeschichte, l'Histoire des Idées. La deuxième génération d'historiens rappelle qu'il y a différents centres de pouvoir (polyarchie) en concurrence donc prenant des mesures de plus en plus radicales pour prendre le contrôle, le pouvoir sur cette politique antisémite. Dans les années 1930, la politique anti-juive est menée par tout le monde. Ces historiens fonctionnalistes parlent de radicalisation cumulative. Il n'y a donc pas réellement d'idéologique nazie initiale mais une juxtaposition de slogans et d'actions qui conduisent à une aggravation continue des mesures contre les Juifs. C'est à partir de 1933 qu'une suite de décisions amène progressivement à un basculement vers le génocide. Celui-ci n'est pas inscrit originellement dans le régime nazi. C'est un choix qui se construit progressivement dans une Allemagne nazie prise en otage par ces différents centres de pouvoirs qui vont rivaliser d'inventivité pour mettre en oeuvre ces mesures anti-juives. La conférence de Wannsee le 20 janvier 1942 n'est pas la prise de décision du génocide mais elle marque la prise de contrôle définitive des SS sur la question juive. Ce débat est aujourd'hui dépassé. Il faut étudier cela comme un basculement progressif, surtout en 1939-1941 (années charnières). Cf. Christopher Browning, Des Hommes ordinaires, sur les crimes perpétrés par les soldats allemands et notamment le 13 juillet 1942 avec l'exécution de Jozefow (1500 Juifs). C'est à 30 km de Belzec mais il n'y a pas de voie ferrée. Il montre la force du groupe. Des débats historiographiques ont lieu sur ce livre. Le commandant fait le parallèle avec le bombardement des villes allemandes. L'idéologie est donc présente. On retrouve cela dans les lettres des membres des Einsatzgruppen. Cf Christian Ingrao, Croire et détruire. Ce ne sont pas des fous. Par exemple, les Juifs de Bade et du Palatinat sont expulsés d'Allemagne vers le camp de Gurs (Pyrénées), puis déportés vers Auschwitz. Cela prouve donc que ce n'était pas prévu dès le départ. Cf David Cesarini dans sa biographie d'Eichmann. Le parcours de celui-ci permet de reconstituer toute l'histoire de la Solution finale. En 1938, il est à Vienne, chargé du regroupement des Juifs, puis jusqu'en 1941, il s'occupe de leur expulsion. Après 1942, il gère l'acheminement vers les centres de mise à mort. Cf Saul Friedländer, L'Allemagne nazie et les Juifs. Tome 1 : Les années de persécution (1933-1939), Tome 2 : Les années d'extermination (1939-1945).
NB : les trois génocides du XXème siècle (arménien, juif, tutsi) le sont dans des contextes de guerre.
A partir de 1933, cet antisémitisme virulent prend une nouvelle forme avec l'accession au pouvoir des nazis. Comment les slogans nazis se concrétisent-ils ?


I. " Les années de persécution " (1933-1939)

« Juden raus » = Les Juifs dehors (idée scientifique de purification avec à ce qui s'apparente à de la saleté). C'est le slogan en 1933. Leur arrivée au pouvoir en janvier 1933 n'avait pas été prévue par les nazis. Les autres slogans utilisés sont : « Judenfrei » = libéré des Juifs, et « Judenrein » = nettoyé des Juifs. Ils sont encore plus antisémites car ils correspondent à l'idée que les Juifs sont une maladie qui se développe sur un corps malade.
En 1933 est organisée une campagne de boycott des magasins tenus par des Juifs, d'exclusion des Juifs de la fonction publique, d'interdictions professionnelles, de mesures anti-juives. Attention de ne pas dire « magasin juif » : un magasin n'est pas « juif ».
En septembre 1935 sont proclamées la loi pour La Défense du sang et de l'honneur allemand (elle reprend l'idée de la pureté du sang, condition de la survie du peuple allemand) et la Loi sur la citoyenneté du Reich où l'on trouve la définition du Juif par le religion des grands-parents (afin de savoir qui est Juif pour savoir qui peut être persécuté), ce sont les lois de Nuremberg. Les tueurs rendent responsables leurs victimes de ce qu'ils sont en train de leur faire avec l'idée qu'ils ne font que répondre à une agression.
Le texte montre que les nazis n'arrivent pas à définir le fait d'être Juif, la « race juive », ce qui est normal puisqu'elle n'existe pas. C'est plus facile en Allemagne car il n'y a pas séparation de l'Etat et de la religion et de ce fait, chaque individu choisit à quelle religion il verse une partie de ses impôts. Pour parvenir à définir qui est Juif, les nazis ont l'obligation de revenir à l'appartenance religieuse des grands-parents. Les 500 000 Juifs sont alors exclus de la Citoyenneté et sont considérés comme des étrangers qui ont vocation à partir. Et on instaure une séparation biologique avec des règles sur le mariage et les relations sexuelles. Par ailleurs, on identifie 250 000 personnes de « sang-mêlé » (métissage) considérées comme juives. C'est donc l'appartenance raciale qui prime dans l'esprit des nazis. Exemple : Viktor Klemperer est ainsi défini comme Juif, or il est protestant (converti) et marié à une protestante. Dans son journal, Je veux témoigner jusqu'au bout, il fait la liste de toutes les interdictions imposées aux Juifs. Le but est véritablement de leur rendre la vie quotidienne impossible pour leur faire comprendre qu'il faut quitter ce pays mais en y laissant leurs biens. 50 000 Juifs allemands viennent ainsi en France. Dans ces mesures anti-juives, ils sont ainsi exclus de la citoyenneté, de la communauté allemande et de la politique. Cf. Diagramme schématisant le contenu de la loi raciale promulguée à Nuremberg (Deutsches Historisches Museum, Berlin). Des documents tirés de la brochure de la conférence de Wannsee montrent par exemple l'humiliation des couples mixtes, avec une photo des « souilleurs de race » au pilori.
En 1938 avec l'annexion de l'Autriche, cela change la donne car la proportion de Juifs est trois à quatre fois plus importante qu'en Allemagne qui ne comptait que 1% de Juifs. Certains sont très importants, font partie de la bourgeoisie (Stefan Zweig, Sigmund Freud), d'autres, venant de Galicie, plus pauvres (200 000 personnes). Les résultats des expulsions liées à la politique nazie sont annulés par l'annexion de l'Autriche. Il est décidé la création d'un centre d'émigration juive à Vienne dirigé par Adolf Eichmann qui met en place un départ à l'étranger autorisé en échange des biens, donc d'une « aryanisation » des biens, qui pour les nazis appartiennent de façon indue aux Juifs. Ce modèle est ensuite appliqué à Berlin en janvier 1939 car jugé efficace.
Le pogrom de novembre, du 9 au 11 novembre 1938, (la Nuit de cristal = terme nazi, qui fait joli) provoque 91 morts, des viols, des milliers de blessés et l'arrestation de 30 000 hommes. Il s'agit d'une vague de violence orchestrée par les nazis comme une manifestation spontanée de colère des Allemands contre l'assassinat d'un conseiller militaire au sein de l'ambassade d'Allemagne à Paris par un jeune Juif dont les parents juifs polonais sont victimes de persécutions en Allemagne. En effet, le gouvernement polonais qui a succédé à celui du Général Pilsudski en 1935 ne renouvelle pas les passeports des Juifs polonais à l'étranger. Les nazis les expulsent dans un no man's land à la frontière. Les époux Grinspan en font partie. Pour protester, leur fils qui vit à Paris tue un officier allemand à l'Ambassade de Paris.
Les hommes arrêtés sont envoyés à Dachau, camp créé en 1933 pour emprisonner les opposants au régime, les militants de gauche (camp conçu pour la rééducation par le travail à son origine d'où le slogan « Arbeit macht frei » = le travail rend libre). Le système concentrationnaire et l'extermination des Juifs ne se croisent qu'en 1938 et en 1945. Sinon, l'extermination se fait en dehors des camps.
Les camps servent à « purifier » le corps social allemand. Or les Juifs sont considérés en dehors de ce corps social, donc n'ont pas vocation à y aller. C'est la première fois que des Juifs y vont en tant que Juifs. En effet, les prisons sont pleines. Ils y subissent des violences particulières, de la brutalité, mais l'immense majorité est libérée dans les semaines qui suivent avec l'engagement de quitter l'Allemagne en abandonnant tous leurs biens. On est toujours dans l'idée de contraindre les Juifs à partir mais où ? Cf. Robert Jan Van Pelt, Deborah Dwork, Fuir le Reich. On y trouve une photo du départ des Juifs de Baden-Baden pour le camp de concentration de Dachau, le 10 novembre 1938.

Le 30 janvier 1939, le discours d'Adolf Hitler devant le Reichstag est un discours très important qui est la conclusion du film Le Juif éternel. La pose d'Hitler en position messianique explique que si « la juiverie financière internationale » conduit encore une fois (comme en 1914-1918) à la guerre, alors la conséquence serait « l'anéantissement de la race juive en Europe ». Les Juifs sont donc rendus responsables par avance d'une guerre qu'il est en train de préparer. L'antisémitisme est ainsi un mythe, un langage, une explication du monde. Le but des Juifs (les forces occultes) serait de détruire les Nations. Hitler leur promet alors l'anéantissement (Vernichtung = réduction à rien). Ce discours est-il une expression directe d'une menace de mort ou sa logorrhée habituelle ? Les historiens ne peuvent pas le trancher. Cf Philippe Burrin, Hitler et les Juifs, ou Saul Friedländer.
On retrouve cette idée messianique avec la mise en scène dans Le triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl où au début l'avion du Führer qui descend du Ciel pour se rendre au Congrès de 1934 forme une croix avec son ombre.


II. « Les années d'extermination » (1939-1945)

A) La recherche d'une solution territoriale (1939-1941)

En septembre 1939, avec l'invasion de la Pologne, où un habitant sur dix est Juif, on est en contradiction avec la volonté de construire un territoire sans Juif. Cela représente trois millions de personnes, soit un Polonais sur dix et un Juif sur cinq dans le monde. Donc conquérir des territoires à l'Est et se débarrasser des Juifs est contradictoire. Une partie du territoire est annexée (avec deux millions de Juifs), l'autre partie correspond au Gouvernement général administré par les Allemands. Les Juifs sont victimes de persécutions puis progressivement enfermés dans les ghettos (quartiers d'habitations juifs justifiés par des raisons sanitaires, de quarantaine). Il existe une volonté de les expulser. Cela correspond au projet Nisko (ville près de Lublin) d'Adolf Eichmann. Les ghettos sont donc une solution provisoire avant l'expulsion des Juifs vers l'Est mais celle-ci est refusée par Hans Frank, le gouverneur de Pologne, qui ne veut pas les accueillir. Donc on arrête au printemps 1940.
En 1940, Adolf Eichmann envisage donc un deuxième projet qui n'aboutira pas : envoyer les Juifs d'Europe vers Madagascar, après la défaite française. C'est un échec car le Royaume-uni garde la maîtrise des océans et celle du canal de Suez. Cette idée est définitivement abandonnée début 1942.
On envisage alors un troisième projet, les envoyer en URSS dans la République autonome juive (le Birobidjan, près de la Chine) et en Ukraine occidentale. On le sait par une lettre des Offices de Berlin et de Vienne à l'URSS. Refus de l'URSS qui expulse déjà des Juifs russes au-delà de l'Oural ou du cercle polaire. Ce refus peut expliquer l'invasion de l'URSS en 1941.

En juin 1941 est déclenchée l'opération Barbarossa et sont mis en place les Einsatzgruppen pour sécuriser les territoires à l'arrière du front et donc éliminer les partisans et les Juifs qui représentent une menace. Au début on élimine seulement les hommes puis la guerre se prolonge et à partir de septembre 1941, à Kiev, cela concerne également les femmes et les enfants. Sont ainsi exécutés 33 771 Juifs à Babi Yar. Cf Anatoli Kouznetsov, Babi Yar. Le terme de « Shoah par balles » n'est pas adapté car la Shoah est un tout quel que soit le moyen utilisé pour tuer. Il n'y a qu'une politique générale dont le but est unique. Cf Tal Bruttmann. Il ne faut pas focaliser sur les techniques.

A quel moment a été décidée la « Solution finale » ? Quel est le processus de décision ? Il y a beaucoup de discussions chez les historiens. La solution est prise entre septembre et décembre 1941 dans le contexte d'une victoire paraissant de plus en plus lointaine. Ce serait un « génocide par angoisse » selon Philippe Burrin qui se base sur la parole d'Hitler qui dit qu'il n'y aura pas d'autre novembre 1918. C'est donc la peur d'une défaite organisée en sous-main par les Juifs comme en 1914-18. Et s'il y a défaite, il ne faut pas que les Juifs puissent faire la révolution après. C'est donc un génocide par vengeance. C'est différent de l'hypothèse de Christopher Browning qui évoque un « génocide par euphorie » après la victoire contre l'URSS. On estime aujourd'hui qu'il s'agit plutôt d'une série d'ordres progressifs à l'automne 1941 qui ont amené au génocide. En octobre 1941,
Hitler interdit l'émigration des Juifs hors d'Europe (changement total de logique). En novembre 1941, le premier centre de mise à mort est créé à Belzec, puis ensuite le 7 décembre à Chelmno (Premiers gazages à Auschwitz en septembre 1941). On a donc le début du massacre des Juifs allemands déportés vers l'Est devant l'impossibilité de leur trouver un lieu d'accueil. En effet, décembre 1941 avec Pearl Harbor renforce l'angoisse de perdre la guerre et de devoir lutter sur deux fronts comme en 1914-18. On trouve de fait une concordance avec le lancement du massacre systématique des Juifs (pas d'ordre d'Hitler écrit, mais juste un mot d'Himmler dans son agenda suite à une entrevue avec Hitler). Par ailleurs, la conférence de Wannsee est décalée de décembre 1941 à janvier 1942 à cause du contexte. On trouve cette idée également dans un rapport d'Hans Frank où il écrit qu'à Berlin, on leur a dit d'exterminer les Juifs.

B) La mise en oeuvre de la « Solution finale » (1942-1945)

En janvier 1942 on trouve dans le compte-rendu de la Conférence de Wannsee rédigé par Adolf Eichmann le total des Juifs dans toute l'Europe et dans les colonies, par pays (p. 6). Ces onze millions de personnes concernées montrent qu'il y a bien une dimension planétaire à cette extermination. Ce qui constitue le génocide, c'est donc l'intention de tuer onze millions de personnes dans le monde, pas le fait qu'il y ait six millions de victimes. La mise en oeuvre est l'Aktion Reinhard. Attention, Wannsee n'est pas le lieu de la décision, la réunion ne dure que 1h30 et ni Hitler, ni Himmler ne sont présents. La décision a déjà été prise. C'est le lieu de l'organisation, de la planification et c'est la SS qui en est chargée.
Il faut parler de centres de mise à mort. Cf Raul Hilberg et la carte de Tal Bruttmann. Ce ne sont pas des camps, les Juifs ne sont pas destinés à rester. Ce sont juste des centres temporaires destinés à exterminer les Juifs d'un même territoire et qui sont destinés à être démantelés rapidement.
Exemple : Treblinka fonctionne entre août 1942 et août 1943 puis le centre est liquidé car il n'y a plus de Juifs dans la zone. Il existe deux catégories de prisonniers juifs, car il en faut pour gérer les bagages et se débarrasser des corps. Mais ceux-là sont exterminés régulièrement. Auschwitz est le seul lieu où les Juifs n'étaient pas tous exterminés dès leur arrivée, ni régulièrement puisque certains sont utilisés dans les usines par exemple. On a en mémoire les images des corps charriés par les bulldozers du camp de Bergen-Belsen mais ce ne sont pas des victimes du génocide. Les photos des ruines du ghetto de Varsovie (Robert Capa) ou celles du parc élaboré sur l'ancien quartier juif de Lublin, ville qui comportait 40 % de Juifs avant la guerre, sont intéressantes car dans ces territoires on a une disparition totale du peuplement juif.

 

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