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l'image du " Juif " dans les films de propagande nazis

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compte-rendu de la conférence d'Ophir LEVY, docteur en histoire du Cinéma et chargé de cours à l'université Paris III – Sorbonne nouvelle

Les figures du Juif dans les films de propagande nazis sont multiples. On retrouve une essentialisation du Juif mais souvent des contradictions, des paradoxes et des idées reçues. C'est
aussi à mettre en perspective avec les rapports des nazis avec le cinéma. On a assez peu de films politiques (sauf ceux de Leni Riefenstahl). Walter Benjamin compare l'art communiste et l'art nazi. Mais on a une politisation de l'art chez les communistes alors qu'on a une esthétisation de la politique chez les nazis. Marc Ferro dit qu'à l'origine, les nazis ne sont pas des intellectuels, contrairement aux communistes. Ils puisent leurs références dans l'image (et non dans les livres comme les communistes). Hitler se faisait projeter un film chaque soir dans sa salle de cinéma privée. Et cela, même s'il y a de brillants élèves en cinéma. (Cf Johann Chapoutot ou Christian Ingrao). En 1933, on a 245 millions d'entrées au cinéma, 362 millions en 1936, 624 millions en 1939, 1,2 milliards en 1942 et 1,6 milliards en 1944, ce qui signifie que chaque Allemand y va 14 à 15 fois par an. (1 à 2 fois aujourd'hui). Les nazis sont conscients de l'influence que peut avoir le cinéma.
Il s'agit d'étudier les films nazis mais aussi les films sous influence nazie (par exemple, en France). Le Juif est vu comme fourbe, comploteur, omniprésent dans le monde politique, les médias, les entreprises, mais aussi misérable, répugnant, porteur de maladies ou riche bourgeois, indifférent à la misère de ses congénères. Une des questions est de comprendre pourquoi les nazis tournent (donc laissent des traces) sur ce qu'ils sont en train de détruire.

I. La place de la propagande antisémite dans le cinéma

On a affaire à un paradoxe : sur l'ensemble de la production cinématographique, une minorité de films sont des films de propagande et très peu sont ouvertement antisémites. Entre 1933 et 1945, 1094 films sont produits (beaucoup de comédies musicales, d'aventures, de montagnes) mais seulement 14% (150 films) sont des films clairement de propagande, même si les autres véhiculent aussi l'idéologie nazie (par exemple sur l'image de la femme). Seuls la moitié sont ouvertement antisémites. Les premiers sortent à partir de 1939 (Le Juif Süss, Les Rothschilds, Der Ewige Jude) : c'est une préparation des esprits à la guerre et aux persécutions antisémites.

1940 : Der Ewige Jude (le Juif éternel). Réalisateur : Fritz Hippler, responsable du cinéma au Ministère de Goebbels. Le film est conçu comme « une symphonie de dégoût et d'horreur » d'après le réalisateur qui passe par l'animalisation (ici des rats) des Juifs. Il le fait à travers un montage parallèle mettant en scène des rats qui grouillent et la vie des Juifs dans les ghettos.
A Varsovie et à Lodz, les compagnies de propagande doivent filmer des Juifs de toute sorte et mener des études de caractère sur la population très misérable des ghettos. Ils filment le résultat de leur politique de ségrégation comme si c'était l'état habituel des Juifs (misère, conditions de vie précaires ...). Le film a été peu diffusé et n'a pas marché (des spectateurs sortent même des salles) et on arrête sa diffusion. En effet, c'est contre-productif du point de vue nazi car le film suscite un sentiment de dégoût mais aussi de l'empathie ou de la pitié chez une partie du public.


II. La conservation des traces des juifs avant la Déportation.

Du 2 mai au 2 juin 1942, soit un mois avant le début des déportations vers Treblinka, une équipe de cinéastes dont Willy Wist vient tourner des rushs dans le ghetto de Varsovie mettant en scène de façon odieuse l'absence de solidarité entre les Juifs du ghetto et l'opulence dans laquelle certains vivent face à ceux qui sont dans le plus complet dénuement. Certains de ces rushs sont retrouvés après la guerre. Ce projet, « Nazis in Mittel Europa », met en scène des Juifs dans des situations caricaturales. L'image est pensée, conçue, mise en scène pour provoquer le rejet de la population vis-à-vis d'une population juive miséreuse mais dans le même temps elle enregistre des éléments importants et témoigne ainsi de la dureté des conditions de vie des Juifs au coeur du ghetto, de la maigreur des corps, des regards et des visages de personnes destinées à être assassinées. Des scènes sont refaites. Adam Czerniakow (qui dirige le Judenrat dans le ghetto de Varsovie), dans des extraits de son journal, raconte la mise en scène et le rôle qu'on lui a fait jouer. Le film ne sortira finalement pas par crainte des réactions empathiques contre-productives du point de vue des nazis alors que la solution finale a débuté. S'agit-il de garder une trace de ce qui va être détruit pour justifier le bien-fondé de cette destruction ? Un documentaire sort en 2010 sur ce tournage et part de ces rushs : " Un film inachevé " de Yahel Hersonski.

De 1942 à 1944, les nazis vont progressivement prendre une autre approche. Ils veulent montrer comment les Juifs vivent bien, dans de bonnes conditions, pour répondre aux rumeurs qui circulent et faire écran à la réalité de l'extermination. Il faut cacher la misère et les exactions. En effet, la plupart des Juifs ont déjà disparu mais il faut envoyer des contre-feux. A Theresienstadt est tourné un film par Kurt Gerron. Les Juifs sont mis en scène. Dans un camp du ghetto (à environ 100-150 km de Prague), on a mis des Juifs connus (rabbins, etc. ) Les nazis mettent en scène le camp avec des installations factices et obligent les Juifs à participer à cette falsification car Maurice Rossel y est en visite pour la Croix-Rouge. Claude Lanzmann le retrouve après et lui pose la question de sa responsabilité (il a été complètement mystifé). Il dément et accuse les Juifs de ne pas lui avoir fait signe. Le film de Kurt Gerron relate cet épisode, " Le Führer donne une ville aux Juifs ". Cela fait donc partie d'une stratégie de dissimulation des faits.


III. L'image du Juif dans les films produits en France sous l'occupation

En 1942-1943, en France a lieu l'exposition " Le Juif et la France " au Palais Berlitz, qui accueille 200 000 visiteurs. Elle fait usage de l'antisémitisme nazi adapté à la situation française. On retrouve cet esprit dans les émissions de radio et des films d'archives, ainsi que dans les actualités (4 à 5 millions de spectateurs par semaine). On retrouve aussi cela dans les propos d'Edouard Drumond sur cette exposition ou dans le petit dessin animé : Nimbus libéré (1943). On a également le film : "Les forces occultes" en 1943 contre les Juifs et les Francs-maçons mais avec un antisémitisme différent plus culturel que racial. En fait, peu de films sont ouvertement antisémites à cette période.
C'est plutôt dans les années 1930, avant l'arrivée des nazis (série de comédies : Lévy et compagnie).


IV. Le Juif Süss (1940)

Dans ce film, l'accent constitue une violence à la langue. Une campagne de publicité est organisée pour vanter la réalité historique du film lors de sa sortie, sa véracité. Le personnage, Joseph Süss Oppenheimer, a réellement existé à la fin du XVIIIe siècle. Il s’inscrit dans une tradition ancienne, sa mère est séductrice. Il voyage beaucoup, est cosmopolite, apatride et se détache du judaïsme. Sa famille est très en vue. Il devient un Juif de cour, conseiller du Duc Charles-Alexandre de Wurtemberg à Stuttgart. Il mène une vie opulente et incite à une hausse des impôts le rendant très impopulaire. Après la mort de son protecteur en 1737, il est arrêté, exposé dans une cage et condamné à mort. Après sa mort, beaucoup de pamphlets, notamment grivois, sortent contre lui. Il devient une figure utilisée par ceux qui luttent contre l'antisémitisme, à travers des nouvelles, des pièces de théâtre. Ainsi en 1925, la pièce Le Juif Süss sort qui le défend. Mais les nazis retournent l'histoire contre lui pour montrer le caractère abject du personnage. En 1939 ont lieu les premiers tournages. Mais Goebbels n'est pas satisfait et nomme Veit Harlan, ancien militant d'extrêmegauche, devenu nazi en 1933, pour le tourner. Le traitement du cinéaste allemand accentue le caractère antisémite du film par rapport au scénario original. Le tournage a lieu à Berlin et à Prague. Veit Harlan a regardé des films yiddish et a fait un voyage d'étude dans un ghetto d'où il ramène 120 Juifs comme figurants pour le tournage. Il utilise le stéréotype du Juif manipulateur, proxénète, bestial. Il accentue l'accent du personnage. Le même acteur, Werner Krauss joue plusieurs rôles pour montrer la duplicité des Juifs qui peuvent se dissimuler et avoir au final tous les mêmes caractères. On y trouve l'idée d'une invasion de Stuttgart par une horde de Juifs hommes, sans épouse, qui représentent un danger. L'acteur Ferdinand Marian (non Juif) qui joue le rôle du Juif Süss a reçu des centaines de lettres d'amour d'Allemandes. Le personnage de Dorothea Sturm (la femme violée) n'a jamais existé. Le film s'achève sur l'exécution de Süss accusé d'avoir couché avec une chrétienne et par l'exil des Juifs pour préserver le duché.
Le film a reçu 20 millions de spectateurs dont la moitié en Allemagne et a entraîné des scènes de violence antisémite. Himmler exige dans une ordonnance du 30 septembre 1940 que toute la police et les SS voient le film pour susciter chez eux le goût des mauvais traitements pour les Juifs. Il sera ainsi projeté aux gardiens des camps de concentration.

En France, le Parisien et la presse française l'accueillent bien et applaudissent l'authenticité du film. On a quelques réactions contre le film en France : à Lyon, des étudiants lancent des tracts, On a des explosions de bombes dans certains cinémas.

Le film est vu comme une mise en condition progressive de l'exclusion des Juifs un an avant le début de l'extermination. Après la guerre, en 1949, Veit Harlan est inculpé pour crimes contre l'humanité avant d'être acquitté en 1950 faute de preuves sur l'impact du film. Il va continuer à travailler pour le cinéma allemand et sera par exemple le chef opérateur de Sissi.
 
 

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