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la mémoire en Allemagne

Mémorial de la Shoah

La mémoire de la Shoah en Allemagne Par Dorothea BOHNEKAMP, Maître de conférences en Histoire contemporaine à l'Université Paris III - Sorbonne nouvelle

La mémoire en Allemagne est le nouveau projet du livre de Dorothea BOHNEKAMP, elle travaille sur les Juifs allemands qui ont fui en France, et dont dix mille ont survécu. La mémoire joue un rôle important pour ceux qui sont restés après la guerre.
 
Introduction :
A Berlin, la mémoire de la Shoah est omniprésente. Elle est centrale au sein de la culture mémorielle allemande. On dit qu'Auschwitz a créé une " symbiose négative " entre Juifs et Allemands. Le musée juif à Berlin inauguré en 2011, le mémorial de l'Holocauste, les pavés de la mémoire rappellent la Shoah. Cette représentation est partout et se réinvente au gré des conjonctures mémorielles. Chaque décennie imprime de nouvelles formes du souvenir en Allemagne.
 
Il est intéressant de noter la valeur particulière que revêt la mémoire de la Shoah. Elle a une valeur forte pour la République fédérale. De plus, la présence juive est un gage très fort, une preuve de l'identité démocratique de la jeune République fédérale et de sa légitimité internationale. La présence juive est considérée comme une " affaire d'Etat " notamment à l'Est.
 
En effet, dès 1949 en RDA, la communauté juive joue un rôle symbolique fort. Son parrainage intellectuel a une valeur forte également. D'ailleurs, l'orientation pro-israélienne est un dogme, un fil rouge de la diplomatie allemande depuis la création d'Israël.
 
En 1952, l'adoption du traité des compensations financières accordées aux victimes du nazisme montre que la RFA dirigée par le chancelier Konrad Adenauer s'inscrit dans une démarche officielle de repentance du pays. Elle est partie intégrante de l'anticommunisme de la RFA et de son ancrage à l'ouest. Ainsi la RFA a construit de nombreux lieux commémoratifs et a montré qu'il y a un besoin de catharsis très fort en Allemagne. Cela pose un problème car les hommes politiques de la RFA s'approprient une mémoire qui n'est pas la leur.
 
Au centre de la mémoire, il y a toujours la question de la culpabilité allemande et de sa repentance. Cela pose aussi la question de la pertinence de cette mémoire et du " devoir de mémoire " officiel qui est dissocié de la mémoire des victimes.
 
La mémoire collective peut-elle vraiment traduire les traumatismes des victimes ?
 
Il y a deux approches pour appréhender la mémoire en Allemagne :
* L'angle du refoulement : l'Allemagne a mis longtemps avant de se réveiller et de mettre en place des politiques mémorielles. Jusqu'au procès d'Auschwitz (1963-1965), l'Allemagne est marquée par un silence écrasant et le refoulement. Ce silence est considéré par certains comme " un deuxième crime ".
* D'autres parlent de grand succès démocratique.
On peut se demander : quelle est l'incidence de la mémoire de la Shoah sur la reconstruction de l'identité nationale en Allemagne ?
 
Le plan :
 
I - De l'après-guerre de la fin des années 1940 au procès d'Adolf Eichmann à Jérusalem : la chape de plomb
II - Des procès d'Auschwitz au réveil de la mémoire dans les années 1970
III - Le renouveau de la mémoire initiée par l'immigration juive russe
 
 
I -  De  l'après-guerre de  la  fin  des  années  1940  au  procès  d'Adolf  Eichmann  à  Jérusalem : la chape de plomb
      La période d'après-guerre est souvent caractérisée par un mélange de silence, de refoulement et d'une attitude largement défensive des Allemands vis-à-vis de leur passé. L'immédiat après-guerre est marqué par la dénazification entre 1945 et 1948 et les procès des grands criminels nazis. La confrontation avec le passé est donc menée à l'instigation des puissances étrangères (surtout Américains et Anglais) ce qui est très mal vécu par les Allemands.
 
      A la fin de la guerre, il y a environ quinze mille survivants juifs de la Shoah sur le territoire allemand. Ce sont surtout des déplacés, en majorité des Juifs russes. Ils vont jeter les fondements des premières communautés juives en Allemagne. Ils se retrouvent dans les camps de personnes déplacées (displaced persons, " DP ") dans le sud de l'Allemagne dans la zone américaine. Ces camps se vident subitement en 1948 lors de la proclamation de l'Etat d'Israël. Le dernier camp ferme dans les années 1950. A part la gestion de ces camps, il y a très peu de contacts entre les Allemands et les Juifs. D'ailleurs la première déclaration du gouvernement d'Adenauer, le 20 septembre 1949, ne mentionne pas une seule fois le sort des Juifs en Allemagne. Les Juifs éprouvent un sentiment d'aliénation très fort dans cette société d'après-guerre, ils ont l'impression de vivre dans un pays souillé, honni ce qui explique les départs massifs vers Israël.
 
      Dès 1946, il y a des commémorations de la guerre et les Juifs y participent. Cependant, elles sont organisées en l'honneur des victimes du fascisme. Elles escamotent totalement la singularité du sort des Juifs. La mémoire juive de la guerre est donc totalement marginalisée. Il y a un déni massif de l'opinion publique de ce qui s'est passé. Pourtant à l'ouverture des camps de concentration, les Américains et les Russes ont fait venir les Allemands pour les vider, enterrer les corps... Lorsque Hannah Arendt revient de son exil américain en 1950 (Visite en Allemagne, essai) elle remarque une indifférence totale et une apathie de la population. Elle se dit choquée par  ce  déni de réalité qu'elle  impute à la mauvaise conscience des Allemands. Elle écrit : " Au milieu des ruines, ils s'écrivent des cartes postales d'églises et de places qui n'existent plus. Ce manque général de sensibilité (...) n'est que le symptôme le plus visible d'un refus profondément ancré, obstiné et parfois brutal, de se confronter aux faits ".
 
      Il est intéressant de noter que dans le même temps, les premiers ouvrages majeurs, sur la guerre et le IIIe Reich, paraissent. C'est le cas de L'Etat SS de Eugen KOGON. En 1946, Karl JASPERS écrit La Culpabilité allemande. En 1950 un recueil de documents est publié par Werner HOFER : Le national- socialisme, les documents. C'est aussi cette année-là que le Journal d'Anne Frank est publié. Il est donc faux d'affirmer que les Allemands ignoraient tout du sort des Juifs pendant la période nazie.
 
      Parmi les raisons qui expliquent l'absence de parole des hommes politiques, certains évoquent la culpabilité imposée par les puissances étrangères (question posée par les Américains : Que faire des nazis ? Faut-il tous les tuer ?). Mais il ne faut pas oublier que beaucoup de nazis retrouvent leurs postes de fonctionnaires. Il y a un compromis, une politique d'amnistie qui cherche à réintégrer massivement les anciens nazis au sein du nouvel appareil étatique pour garantir sa stabilité. Dans le contexte de début de Guerre Froide, le silence est le prix à payer pour que les Allemands adhèrent à la nouvelle république
 
démocratique. Il ne faut pas oublier que beaucoup se souviennent de l'expérience catastrophique de la république de Weimar. Il y a donc trois enjeux :
* Le contexte de début de guerre froide
* L'intégration sociale de tous les Allemands
* La démocratisation de la société
 
      Après 1949, l'amnésie de la Shoah explique que les condamnations d'anciens dirigeants nazis soient rares et souvent. Cela choque profondément les Juifs allemands et la communauté internationale.
      A l'inverse, il y a une solidarité des Allemands qui acceptent l'intégration des anciens nazis. Cependant, les scandales éclatent comme avec Hans GLOBKE qui était en 1935 le commentateur juridique des lois raciales de Nuremberg. En 1953, sous le chancelier Konrad Adenauer, il est chef de cabinet à la chancellerie. De plus, l'image de la Wehrmacht est réhabilitée pendant ces années et de grands criminels de guerre sont libérés. Tout cela s'inscrit dans le contexte de la guerre froide et d'une politique allemande qui cherche à s'ancrer à l'ouest.
      Il y a donc une banalisation de la Shoah. Les Allemands se présentent eux-mêmes comme des victimes du nazisme. Les nazis sont présentés comme une bande de criminels et les Allemands auraient participé au système pour éviter que les choses soient "pires".
 
      Quatre millions d'Allemands ont été dénazifiés. Ils sont presque tous réintégrés dans  leurs métiers d'avant, beaucoup sont amnistiés et il y a un zèle à les aider. Dès 1949, une des premières lois de la RFA accorde une sorte de " grâce générale " à tous les Allemands qui ont été condamnés depuis 1945, huit cent mille personnes en bénéficient. De plus, l'article 131 de la Loi Fondamentale (constitution) réhabilite tous les anciens fonctionnaires qui ont été écartés depuis 1945, plus de trois cent mille fonctionnaires sont concernés.
      En 1951, une loi précise les détails de cette amnistie générale. Ainsi tous les anciens fonctionnaires vont toucher leur retraite, tous les " cas graves " sont réintégrés et toutes les anciennes élites reviennent à Bonn. Les deux ministères les plus concernés sont les ministères des Affaires étrangères et celui de l'Intérieur.
      En 1954, il y a une deuxième loi qui réintègre quatre cent mille fonctionnaires. Elle marque la fin de toutes les procédures menées à l'encontre des anciens nazis.
      Tout cela entache beaucoup la crédibilité du jeune Etat. Pourtant ce problème moral est bien perçu, notamment par Adenauer. Ainsi en 1952 un traité de réparation est signé avec Israël (dans le but de renforcer les échanges commerciaux avec l'Etat hébreu).
 
      Il y a aussi une influence internationale et notamment américaine. John Mc Cloy* avertit les Allemands que la présence des Juifs est une preuve de la démocratisation menée dans le pays. Ainsi les communautés juives commencent à recevoir un soutien et les premières synagogues sont reconstruites. La participation juive aux affaires publiques est jugée comme un critère de démocratie.
      Le mythe fondateur de la RFA c'est l'antinazisme, l'antitotalitarisme. Elle se veut en tous points opposée au IIIe Reich qui est présenté comme un système criminel imposé aux Allemands.

* John Mc Cloy : (1895-1989) juriste et banquier américain. Il est président de la Banque mondiale de 1947 à 1949, puis Haut- Commissaire à la Haute commission alliée en Allemagne de 1949 à 1952.
 
En RDA
 
      En RDA, au début, les choses ne sont pas très différentes. Il y a un refus total d'accepter l'histoire puisqu'elle s'inscrit dans la lutte antifasciste. Très peu d'anciens nazis sont intégrés au régime. Ce sont plutôt des résistants mais aussi des Juifs. Pour eux, les antifascistes allemands ont vaincu Hitler avec l'aide de l'URSS. La politique du passé a totalement dilué le martyre juif dans la glorification du combat antifasciste. Il n'y a pas de débat sur la responsabilité allemande. En 1988, le dernier geste de Honecker est d'inviter des Juifs russes à s'installer en RDA.
      Les mémoriaux n'évoquent pas l'antisémitisme. La Shoah est intégrée dans la lutte des classes, ce sont des victimes collatérales.
 
      Avec la stalinisation il y a tout de même une méfiance à l'égard des populations juives qui sont très surveillées. Certains s'enfuient en raison de l'antisémitisme et de procès envers ceux qui sont revenus. On s'en prend notamment au "cosmopolitisme" des Juifs.
 
 
II - Les procès d'Auschwitz jusqu'au réveil de la mémoire dans les années 1970
 
      Les années 1960 marquent la vraie rupture avec le retour de la justice qui joue un rôle prépondérant pour la mémoire.
 
      En 1961 c'est le procès d'Eichmann à Jérusalem, il est la personnification de la culpabilité allemande. C'est la première fois qu'on renvoie aux Allemands une image aussi forte d'eux-mêmes.
      Ensuite ce sont les procès d'Auschwitz (2) (voir le film : Le labyrinthe du silence, Giulio Ricciarelli, 2014) qui réactivent la mémoire du grand public. Cette mémoire est d'ailleurs au cœur des protestations des étudiants tout au long des années 1965 puis encore en 1968.
 
      Le rôle de la littérature est très fort ainsi que le théâtre engagé. Des mises en scène très puissantes sont mises en place. C'est par exemple le cas de la pièce de théâtre Le vicaire (1963) de Rolf Hochhuth qui critique l'action du pape Pie XII pendant la guerre. Cet engagement est personnifié au niveau politique par Willy Brandt, qui incarne la culpabilité allemande et qui s'agenouille symboliquement devant le monument dédié aux victimes du ghetto de Varsovie le 7 décembre 1970.
      Les années 1970 sont marquées par une très forte prise de conscience de l'opinion publique notamment alimentée par le rôle des médias. La diffusion de la série Holocaust (réalisée par Marvin Chomsky et diffusée entre le 16 et 19 avril 1978 aux Etats-Unis) montre le destin d'une famille de Juifs allemands et connaît un grand succès.
      Cette réceptivité s'explique par une adhésion forte à la république et à ses valeurs sur fond de miracle économique ce qui amène encore plus à rejeter le passé nazi.
 
      Helmut Schmidt (chancelier de 1974 à 1982) va prononcer un discours majeur sur la culpabilité allemande à la synagogue de Cologne le 9 novembre 1978 (quarante ans après la " Nuit de cristal ").
 
 
III - Le renouveau de la mémoire initié par l'immigration juive russe
 
      L'année 1988 est importante quand Erich Honecker appelle tous les Juifs russes à venir s'installer en RDA.
      Depuis la Réunification, l'Allemagne a encouragé l'immigration des Juifs russophones en tant que réfugiés. On estime à deux cent quarante mille, le nombre de Juifs russes venus s'installer. Ils ont totalement changé la vie juive du pays. Cette migration participe à une renaissance de la vie juive très visible à Berlin.
      La ville joue un rôle mémoriel important avec le retour d'associations et d'écoles juives dans la ville. Le musée juif connaît un très grand succès.
2 Le premier procès d'Auschwitz se déroule à Cracovie en 1947, quarante prévenus sont jugés. Le second procès d'Auschwitz
 
      Cependant, les polémiques demeurent parfois très vives.  C'est  le cas par  exemple avant  la construction du Mémorial de l'Holocauste en 2004-2005 (aussi appelé Mémorial aux Juifs assassinés d'Europe). Le projet retenu au début des années 2000 est celui d'un champ de stèles qui rappelle l'ancien cimetière juif de Prague. C'est un architecte américain, Peter Eisenman, qui l'a conçu et il est très bien accueilli par le grand public. Néanmoins il est rejeté par des intellectuels juifs, le maire de Berlin de l'époque et des membres du Sénat qui refusent de faire de la ville " une capitale du souvenir ". Dans le débat entre historiens et intellectuels, on constate un glissement générationnel. La troisième génération réclame une confrontation avec le passé sans restriction.
 
 
Conclusion : La culture mémorielle en Allemagne
Doit-on toujours laisser une place particulière au martyre juif quitte à singulariser les Juifs d'Allemagne au détriment d'autres victimes du nazisme (comme les homosexuels) ? Cette question revient souvent.
 
Quel discours mémoriel en Allemagne ? Les historiens se demandent s'il est légitime de s'approprier en tant qu'Allemands ce discours et la parole des victimes. N'est-ce pas une offense aux survivants ?
 
Dans le cas du Mémorial de l'Holocauste de Berlin, l'initiatrice Léa Rosh 3 (journaliste et essayiste) n'est pas juive. On reproche au projet d'être monumental alors que certains Juifs affirment que le souvenir, ce sont des noms et la lecture de prières devant ces noms. Elle rétorque qu'" on ne va pas laisser les Juifs décider comment représenter la Shoah "4. On assiste bien à une dépossession de la mémoire notamment pour les Juifs allemands. On voit aussi que l'histoire juive devient centrale dans l'histoire allemande. Les Juifs seraient les gardiens d'un passé prestigieux.
 
      Est-ce que ce culte mémoriel dans le cas allemand n'est pas aussi une intrusion dans une mémoire juive qui est au fond totalement réfractaire à toute récupération politicienne ?
 
Prise de notes : Riselaine Chapel, Lycée Aimé Césaire, Clisson.
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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