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la place du complot juif dans la vision du monde nazi

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compte-rendu de la conférence de Frédéric SALLÉE, professeur agrégé d'histoire et docteur en histoire contemporaine. Université de Grenoble.

L'idéologie n'existe pas dans le vocabulaire nazi, il est préférable de parler de vision du monde. Cela permet d'expliquer un certain sens de l'Histoire. Cf. les travaux culturalistes (notamment Johann Chapoutot, La loi du sang, Penser et agir en nazi, Gallimard, 2014).
Le danger est d'évoquer les trois régimes totalitaires en indiquant que le nazisme serait celui qui est raciste et antisémite. Or les trois régimes totalitaires sont antisémites même si le nazisme a une particularité dans son antisémitisme. En effet, on entend souvent en cours : « Pourquoi les Juifs ? ». Cet antisémitisme nazi s'inscrit dans une vision du monde autour de la notion de complot et de la figure du Juif. Les nazis ne sont pas des barbares décérébrés ayant échappé au progrès et suivi une voie particulière (Sonderweg). Il ne s'agit pas non plus de folie collective (Cf. Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, Seuil, 1972). Dans la vision nazie, il y a une inversion de la morale. Les nazis pensent agir au nom du bien (Cf. Christian Ingrao, Croire et détruire, Les intellectuels dans la machine de guerre SS, Fayard, 2010, notamment sur les Einsatzgruppen).

I. Fondements de l'antisémitisme nazi

L'antisémitisme moderne se base sur un vieil anti-judaïsme chrétien et un racisme biologique visant à la fabrication d'une identité morphologique juive. Cela correspond pour les nazis à un ordre du monde, c'est-à-dire une vision biologique du monde. C'est une obsession pour Hitler, déjà présente dans Mein Kampf, en 1924-25 et dans les 25 points du NSDAP en 1919-20. C'est donc ancien, avec comme fondement une hiérarchie des races, qui se traduit par une pyramide raciale énoncée dans Mein Kampf.
- Au sommet, les populations fondatrices de culture dont les Aryens (communautés de sang pur)
- En-dessous, les peuples porteurs de culture (ont été à un moment « dégénérés » par le métissage [c'est le langage d'Hitler], comme les Slaves, les Japonais)
- Tout en bas, le peuple destructeur de culture : les Juifs.
Hitler utilise le scientisme, la biologie pour légitimer son antisémitisme.
Les nazis reprennent la théorie ancienne du Juif bactérien (peste juive). Cf. Tacite, Germania. Hitler se dit le Dr Koch [celui qui a découvert le bacille responsable de la tuberculose] de la politique. Cette image est reprise au début des années 1920 dans de nombreux pays, en dehors des frontières de l'Allemagne et même de l'Europe (ex : Henry Ford, The International Jew) dans un contexte hygiéniste politique. Le risque est que le Juif contamine la nation, ce qui contribue à développer une paranoïa qui impose de prendre des mesures fortes pour empêcher la contamination. A partir de 1933, Hitler se donne les moyens de combattre ce Juif parasite.

La seconde idée, c'est celle du Juif universel, qui se fonde sur le mythe du Juif errant. Il ne serait nulle part donc il est partout. Son territoire est illimité. Il est donc capable de créer des États dans les États existants. C'est une croyance assez ancienne qui remonte au Moyen-Age et se développe au XIXe siècle. Cf. en France, Eugène Sue, Le Juif errant, 1844-45. Le Juif serait errant car il paie un péché originel (le Juif est déicide). C'est aussi l'image du Juif qui complote. Cf Guillaume Apollinaire, Le passant de Prague (dans l'Hérésiarque et Cie), 1910. La présence de foyers juifs en Allemagne est donc un danger car c'est un risque de désagrégation de son État de l'intérieur. C'est à mettre en lien avec les souvenirs d'Hitler de la Première Guerre Mondiale (le « coup de poignard dans le dos »). Il pense donc qu'il en est de sa responsabilité de lutter contre cela.

Dans les années 1930, il n'est pas encore question d'extermination mais d'exil. Il y a nécessité de faire émigrer les Juifs hors d'Allemagne. Pour cela, il tente de développer la conscience d'une identité particulière chez les Juifs d'Allemagne pour leur faire comprendre qu'ils ne pourront pas être intégrés à la nation allemande, ni s'y implanter durablement. Ce travail est notamment effectué par la SD (Sicherheitsdienst -Service de renseignement de la SS créé en 1931 par Reinhard Heydrich). Les lois de Nuremberg en 1935 qui définissent le Juif, vont aussi plus loin et par exemple, interdisent aux Juifs de hisser les couleurs du Reich.

L'idée du complot juif n'est pas créée par les nazis, mais il en font l'amalgame. C'est beaucoup plus ancien (Cf. l'Abbé Barruel sur les origines de la Révolution française) et cette idée s'implante en Allemagne au XIXe siècle dans le cadre du mouvement Völkisch qui rassemble de nombreux groupes. Hitler a fait partie d'un de ces groupes à Munich. Cela est aussi présent dans la littérature allemande. Ex : Gustav Freytag, Débit et Crédit, 1845, dans lequel le héros est juif, avare, méprisant. Physiquement, c'est un être répugnant. Idem dans Hermann Goedsche, Biarritz, 1868, dans lequel le Juif se réunit la nuit avec ses acolytes dans le cimetière de Prague. On observe une gradation de cette image. En 1863, Wilhelm Raabe, dans Der Hungerpastor, écrit que le Juif a une religion pour justifier sa place dans le monde. Sans elle, il n'a pas sa place sur Terre. Dans Le Juif selon le Talmud (traduit par Edouard Drumont, auteur de La France juive), c'est l'image du Juif criminel qui est développée. Il utiliserait sa religion pour discréditer les autres religions. Cf. George L. Mosse, Les racines intellectuelles du Troisième Reich : la crise de l'identité allemande, Calmann-Lévy, 2006.
L'ensemble sert d'armature intellectuelle au nazisme :
- Le Juif est physiquement un être répugnant,
- Les Juifs se réunissent en secret dans les cimetières la nuit pour comploter, ce sont donc des êtres néfastes et dangereux,
- La religion juive sert à justifier une place dans le monde (le Juif n'a pas sa place dans l'échiquier humain),
- Le Juif est criminel, il utilise sa religion pour discréditer les autres religions.

Hitler récupère ces mouvements de pensée. Le racisme est basé sur la norme. Si vous êtes dans la norme, vous êtes un nazi allemand. Si vous n'êtes pas un nazi allemand, vous n'êtes plus dans la norme, donc vous ne pouvez pas appartenir à la communauté. Il est important d'intégrer la norme dans l'idéologie nazie (Cf. Johann Chapoutot, op. cit.).

L'idée du complot juif est donc une récupération mais les nazis vont modifier des éléments. Le parcours d'Hitler est laborieux. Dans les années 1920, il est pauvre. Il écrit dans le Völkischer Beobachter. Il y reprend cette littérature du XIXe siècle. Cf. Ian Kershaw, L'opinion allemande sous le nazisme – Bavière : 1933-1945, CNRS, 1995. Hitler se nourrit des Protocoles des Sages de Sion [faux, commande du tsar Nicolas II, antisémite, mais qui finalement ne l'utilise pas] pendant son incarcération après le coup d’État de Munich, en 1924-25. Ce qui est nouveau, et différent de la pensée Völkische, c'est l'idée que le complot n'est pas seulement interne à l'Allemagne, mais que c'est un complot juif mondial : le Juif détient les rênes de capitalisme mondial. De plus, toute l'agitation bolchevique, spartakiste serait le fait des Juifs. Il peut donc expliquer l'Histoire par ce prisme. Cela fait écho fortement en Allemagne car les Allemands sont en guerre jusqu'en 1919 avec la guerre civile (mouvement spartakiste). Mussolini (lois raciales en 1938) utilise le même exemple. Attention au vocabulaire : à partir de 1933, il ne s’agit plus d'une société allemande (Gesellschaft) mais d'une communauté allemande (Gemeinschaft), donc fermée, telle que les nazis veulent la créer. On met alors en place un arsenal législatif pour la constituer et donc la fermer aux Juifs, ce qui est fait progressivement dès 1933, sans planification de l'extermination. Il n'y a pas cette intention. Les lois de Nuremberg sont à comparer avec les 25 points du programme du NSDAP des années 1920.

Pour les nazis, l'antisémitisme doit être fondé sur la raison et non sur l'émotion comme dans le reste de l'Europe au XIXe siècle. En effet, au mieux, l'émotion peut aboutir à des pogroms. Il faut donc aller plus loin, il faut que la réponse soit efficiente. D'où la nécessité d'utiliser le complot juif pour intégrer l'antisémitisme à la loi afin pour amener la solution à la « question juive ». Cela commence donc très tôt, avec la création du Ministère de la propagande de Joseph Goebbels en mars et les premières mesures en avril 1933, avec éviction de la fonction publique pour empêcher les Juifs de comploter à l'intérieur de l'appareil d’État.
Les lois de Nuremberg à partir de 1935 donnent pour la première fois une définition claire de ce qu'est être juif dans la vision nazie du monde. Ces lois sont très contraignantes sur de nombreux aspects de la vie quotidienne (ex : ils ne peuvent plus acheter d'oeufs). On observe une montée en puissance plus forte après 1937-1938, la question juive n'est plus seulement allemande mais se pose pour toute l'Europe (exposition du Juif éternel à Munich en 1938, les « Nuits de Cristal »).

On passe ensuite du complot juif au complot judéo-bolchevique autour de l'idée que toute chose sur la planète doit pouvoir s'expliquer par l'antisémitisme. Un ouvrage a mis beaucoup de confusion sur cette question : Le livre noir du communisme, notamment l'introduction de Stéphane Courtois, qui défend une thèse très gênante, selon laquelle le nazisme serait une réponse au communisme. En fait, l'antisémitisme est l'épine dorsale de la vision du monde nazie. Le reste doit s'intégrer (l'anticommunisme, le Lebensraum, etc.). Le terme judéo-bolchevique apparaît à partir de 1924-25, après la rencontre avec Alfred Rosenberg (Cf. Le mythe du XXe siècle), le théoricien du nazisme. Il est né à Tallinn et connaît la Russie communiste. Il a vu dans l'agitation communiste l'oeuvre des Juifs.

Une autre idée est donc venue s'agglomérer, c'est celle de l'espace vital (Lebensraum). En effet, le Juif tenterait de s'emparer d'un territoire qui n'est pas le sien. Pendant son incarcération, Hitler se rend compte que le territoire allemand est trop petit pour accueillir sa population. Si l'Allemagne ne s'agrandit pas, elle risque de disparaître. Son ouverture « naturelle » se fait vers l'Est, car c'est l'ancienne route des chevaliers teutoniques. Hitler pense que cela fonctionne avec tous les États de « race blanche » qui ont tous un Empire colonial. Sur ce sujet, le traité de Versailles vient alimenter l'idée du complot car il interdit l'expansion naturelle du peuple allemand (pertes de territoires, interdiction des colonies).

II. Les origines de l'antisémitisme


Ce sont d'abord des sources européennes. Toute l'Europe du XIXe siècle est antisémite et même durant l'entre-deux-guerres (Cf. discours de Paul Faure contre Léon Blum en France).
L'invention du complot juif ne date pas du XIXe siècle, c'est beaucoup plus ancien :
- Les Juifs sont le peuple déicide, donc il y a condamnation du Juif tout en tolérant son existence. Le Juif errant est la preuve de sa culpabilité.
- Tradition de la mise à l'écart du Juif (quartier juif médiéval : juiverie), conforme à une certaine mythologie.
- Le Juif parle une langue différente, très spécifique (yiddish, ladino) ce qui alimente l'idée du complot.
En Espagne, on établit ainsi des certificats de pureté du sang.
- Le Juif détient les finances et conseille le roi sur les questions financières au XVIIIe siècle (propagé par les Lumières).

L'ensemble crée une imagerie juive qui reste très présente dans les mentalités en Occident (jusqu'à Vatican II, la prière énonce « le Juif perfide »). Cf Hannah Arendt, Sur l'antisémitisme.

Comment les Allemands ont-ils pu croire à cela ? L'antisémitisme a été forgé progressivement pendant des siècles dans toute l'Europe. Les nazis ont récupéré l'ensemble pour le faire rentrer dans la législation.

Hitler fonde son antisémitisme sur ce vieux fond en l'appuyant sur les connaissances scientifiques à disposition, comme les mesures crâniennes (phrénologie) ou la philologie. La science apparaît incontestable aux yeux de la population et vient conforter la vision du monde par les nazis. Il est difficile de contester les conclusions des études scientifiques, cela légitime donc scientifiquement ces théories. C'est la même chose pour la philologie. La langue juive n'est pas aryenne, pas indo-européenne et est décrétée non compatible avec les Aryens (ce qui veut dire « Père de famille » en sanskrit).

L'impact de la Première guerre mondiale est important dans la construction de la théorie du complot. Hitler (né en 1889) est estafette, un soldat enthousiaste, décoré qui a été forgé par la guerre, comme Goering, et qui y a trouvé une raison de vivre. C'est la première étape de sa construction politique qui prend forme peu à peu. Au-delà du diktat de Versailles et de l'humiliation de la défaite, la fin de la guerre est une catastrophe pour lui car rien ne peut expliquer la défaite de l'Allemagne. Militairement, c'est inexplicable. Donc, la défaite n'est pas due à la puissance de l'ennemi, ce qui alimente une nouvelle fois le complot de l'intérieur, la théorie du coup de poignard dans le dos (Cf caricatures de l'époque). Même
pensée chez le Général Ludendorff. Il y a donc urgence à régler cette « question » pour  que cela ne recommence pas.
En conclusion, il y a nécessité de faire comprendre aux élèves que l'antisémitisme est la base de tout dans la vision nazie du monde. Prendre trois temps :
1 - Avant la guerre : comment expliquer l'aryanisation de l'économie, c'est-à-dire que l'Allemagne qui se prépare à la guerre se prive de 500 000 personnes en 1938.
2 - Pendant la guerre : comment comprendre les ordres du RSHA (Adolf Eichmann) en pleine débâcle en 1944, qui préfère laisser la priorité aux convois de juifs plutôt qu'aux convois d'armement.
3 - Après la guerre : la vision du monde nazie demeure dans l'esprit des chefs du régime nazi. Par exemple Rudolf Höss, interrogé en 1946, reste persuadé du bien-fondé de cette vision du monde antisémite.

Questions
- Pourquoi les Allemands ? Il faut analyser cela sur le temps long et comprendre que pour les Allemands, c'est une guerre de trente ans. Ils ne sortent pas de la Première guerre mondiale. La République de Weimar ne répond pas aux attentes des Allemands.
- Comment expliquer que le Juif soit considéré à la fois comme capitaliste et comme communiste? L'anticommunisme est un simple opportunisme politique (il faut ratisser large) mais pas que cela. Cela s'inscrit dans cette vision du monde nazie. Pour les Allemands, anticapitalisme et anticommunisme ne sont pas forcément opposés car ils représentent deux dangers pour l'unité de la communauté allemande, les deux sont le Mal. Pour être nazi, il faut être d'abord antisémite. Hitler refuse la lutte des classes, il est dans la lutte des races. Il y a de l'irrationnel dans le nazisme, tout ne peut pas s'expliquer. Il ne faut pas forcément essayer de trouver une cohérence au nazisme mais l'Historien doit essayer d'expliquer ce qui
est irrationnel. Le nazisme, c'est répondre simplement à des questions complexes. C'est la même chose chez les fascistes, la nation passe avant, le capitalisme et le communisme sont donc des menaces.
- Y a-t-il une contestation en Allemagne contre cet antisémitisme ? Les milieux protestants vont être très virulents contre la pensée nazie dès 1933-34. C'est le danger de l'idée de régime totalitaire qui laisse entendre une unité. Il y a des poches de résistances, ce n'est pas uniforme. La France des années 1930 est très virulente contre les Juifs également. On retrouve dans Candide, Gringoire, Je suis partout, les mêmes propos. Il n'y a pas de spécificité antisémite allemande dans la pensée.
- Quel est le positionnement politique du parti nazi ? Il a une coloration anticapitaliste très nette au début, au moment de la fondation du parti et l'anticommunisme apporté par Rosenberg n'efface pas l'anticapitalisme. Mais il y a ensuite un rapprochement avec le capitalisme car l'antisémitisme prend le pas sur l'anticapitalisme. Cependant, si Hitler se rapproche de grands patrons (ex : visite de Louis Renault en Allemagne en 1936-37), c'est parce qu'il a besoin des capitalistes. L'anticapitalisme n'est pas si important.
 

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