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le Juif et la France

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compte-rendu de la conférence de Tal BRUTTMANN, historien, chercheur associé à l'EHESS


Il y a des invariants en ce qui concerne l'antisémitisme : ce sont toujours les mêmes propos qui reviennent. Ce n'est pas une histoire purement française. Il faut recontextualiser dans une histoire plus large. Beaucoup  d'éléments s'agrègent dans une histoire longue. Dans l'histoire française, un régime est clairement antisémite, celui de Vichy.
Octobre 1940 : trois lois sont promulguées :
– 3 octobre : le statut des Juifs qui définit le « Juif » et qui les exclut de la fonction publique. Cela vise les Juifs français.
– 4 octobre : possibilité d'interner les Juifs étrangers
– 7 octobre : on retire la citoyenneté aux Juifs d'Algérie
Cela reflète la perception de l’extrême droite des Juifs en France classés en trois catégories : Juifs français, Juifs étrangers et Juifs d'Algérie. La présence de Juifs en France remonte à avant le Christianisme.

Comment définir l'antisémitisme ? C'est un terme inventé en 1879 par Wilhelm Marr. Il se nourrit de l'antijudaïsme chrétien (peuple déicide) et il y mêle les découvertes de la biologie et de la science dure. On passe ainsi de critères religieux à des critères qui feraient des Juifs une « race » à part. On retrouve en Espagne au Xvème siècle la notion de Limpieza de sangre (= pureté du sang) qui suppose qu'il existe des catégories d'individus d'extractions différentes. Idem pour les Noirs (on explique qu'ils n'ont pas d'âme). A cette époque en Europe, il n'existe pas d'autres minorités religieuses ou ethniques donc pas d'autre altérité. On compte 11 millions de Juifs et seulement quelques milliers de Noirs, d'Asiatiques... (30 000 Noirs en France en 1940, cinq fois moins que de Juifs). L'idée se développe que le Juif, c'est l'étranger. En France, on explique notamment que le Juif, c’est l’Allemand, car la plupart sont des Juifs d’Alsace (Cf Affaire Dreyfus ou Léon Blum). Mais en Allemagne, le Juif est l’oriental (Polonais ou Russe). Dans chaque pays, ce décalage est présent avec, toujours, l’idée que le Juif vient d’ailleurs.


I. Le développement de l'antisémitisme jusqu'au XIXe siècle

La présence juive en France remonte au Ier siècle avec des prisonniers politiques exilés en Gaule donc avant la christianisation de la Gaule. Ex : sous l'empereur Auguste, Archélaos, fils d'Hérode le Grand, est exilé à Vienne (en Gaule). La lampe à huile d'Orgon (Bouches-du-Rhône), ornée d'une double ménorah (chandelier), date du Ier siècle. On a une présence sur la quasi-totalité du territoire entre la basse Antiquité et le bas Moyen-Age. A Paris, la première mention d’une présence date du IVe siècle. En Narbonnaise, cela s'étale du IVème au XIIème siècles, comme en Normandie. A Rouen, on trouve un des plus anciens vestiges juifs, une synagogue datant de la fin de l'Antiquité. Leur présence est aussi avérée en Champagne, en Alsace ou à Lyon au IXe siècle. Et surtout, on a un afflux de Juifs à partir de la Reconquista espagnole, entre Bordeaux et Montpellier.
Leur présence n'est pas toujours continue car les Juifs sont régulièrement victimes de violences sur accusations de crimes rituels (sacrifices d'enfants), de propager des maladies ou d'empoisonner des puits. On trouvait déjà cela chez Apion (Grec d'Alexandrie du Ier siècle) dans Les Egyptiaques, qui les accuse d'engraisser les Grecs pour les sacrifier. Flavius Josèphe lui répond dans Contre Apion. Ainsi, des Juifs sont emmenés au bûcher à Blois, à Troyes au XIIIème siècle, accusés d'avoir sacrifié un enfant. Cette idée se renforce lors des grandes épidémies, notamment de peste, qui donnent lieu à des massacres de Juifs. Exemple en 1349, 900 tués à Strasbourg, soit la moitié de la population juive de la ville. La vague de violences la plus importante concerne les deux croisades des Pastoureaux. Illustrations Juifs au bûcher, XVème siècle. Les Juifs portent un signe distinctif (retrouvé dans le nazisme).

Ces violences expliquent les mouvements des populations juives sur le territoire. Des expulsions des Juifs ont lieu régulièrement, de France ou d'ailleurs. C'est le cas sous Philippe Auguste ou Saint-Louis qui donnent lieu à de nouvelles implantations sur un territoire voisin. La toponymie témoigne de cette implantation dans toutes les régions : la Juiverie (rue, place, etc.) est au coeur des villes, ce qui prouve l'ancienneté de l'implantation. Les Juifs du Dauphiné (cela correspond à une cinquantaine de localisations de Juifs au XVème siècle) sont expulsés dans le Comtat Venaissin. La toponymie est intéressante. Ainsi, quand le Comtat est rattaché à la France, les Juifs sont cantonnés dans quatre régions (une vingtaine de communes, qui vont donner le nom des familles juives d’aujourd’hui). A Paris, on trouve l'île aux Juifs. A Vienne, une des cités antique et médiévale les plus importantes en France, plusieurs mentions font référence aux Juifs dans la toponymie.

Un tournant historique a lieu en 1791 avec l'émancipation des Juifs de France qui deviennent des citoyens français. Ce n’est qu’à partir de ce moment que la notion de Juif relève seulement d’un fait religieux et pas d’un fait national. La population juive est de 40 000 en 1791 (Alsace 20-25 000, Sud-Ouest (« Portugais » 5 000 et Comtat Venaissin 2 500). Il y a l'apparition des Juifs d'Algérie en 1866 (34 000 qui deviennent citoyens français avec le Décret Crémieux en 1870) qui rejoignent les 90 000 en métropole (dont 36 000 Alsaciens). En 1914, ils sont 120 000 en métropole (dont 30 000 étrangers) et 70 000 en Algérie, plus 30 000 Alsaciens qui sont donc en Allemagne. En 1918, on a 150 000 Juifs en métropole et 70 000 en Algérie. En 1940, ils sont 330 000 (dont les deux tiers sont étrangers) dont 200 000 à Paris et 110 000 en Algérie. Cette augmentation de leur population témoigne pour certains du complot juif qui est à l'origine de la Révolution et de la chute de la Royauté. La Révolution leur a donné la citoyenneté donc elle serait l’oeuvre d'un complot juif. C'est à dénoncer, en s'appuyant notamment sur leur faible nombre.

Une deuxième idée est présente autour de l'idée que le Juif c'est la finance. Cela remonte au Moyen-Age avec l'interdiction de l'usure pour les chrétiens. On a peu de professions autorisées aux Juifs en dehors du commerce de l'argent ou de la collecte de l'impôt. Cela alimente l'idée que l'argent est spécifique aux Juifs. Mais jusqu’au début du XIe siècle, il faut souligner que beaucoup de Juifs sont agriculteurs ! Cette idée est portée par l'extrême-droite mais aussi dans le marxisme, à l'extrême-gauche.


II. L'antisémitisme, une pensée qui se répand à partir de 1870


On a un tournant majeur à la fin des années 1870, avec une floraison d'écrits antisémites en Allemagne qui entraînent des campagnes antisémites notamment en France. Heinrich von Treitschke les accusent de refuser l'assimilation et dénonce le flot de réfugiés juifs. Eugen Dühring, socialiste anti-marxiste, s'en prend aussi au Juifs.

La Libre parole en 1882. Il est notamment financé par Alphonse Daudet. C'est le père de l’antisémitisme moderne en France. Il est également député d'Alger de 1898 à 1902, au moment de l'Affaire Dreyfus. Il appartient à un groupe de 28 députés antisémites en grande partie issus d'Algérie, menés par Max Régis qui devient en 1898 Maire d'Alger. Ils demandent l'abrogation du Décret Crémieux. Les mesures antisémites se multiplient à Alger sous l'influence du maire qui est révoqué par le préfet au bout d'un mois. L’antisémitisme des colons d’Algérie est très fort : ils n’acceptent pas que les Juifs d’Algérie aient les mêmes droits qu’eux. Il durera jusqu'en 1962. Cela se retrouvera plus tard dans le Front national, qui reprend des thèmes venant de l’Algérie française.
L'Action française fondée par Charles Maurras joue le rôle de think tank de l'extrême-droite et de moule idéologique pour Vichy. Apparaît l'ouvrage " Les protocoles des Sages de Sion " (énième version du complot juif), créé en France par un réfugié russe en 1901 au service du Tsar pour expliquer le complot juif pour la domination du monde. Il explique que les Juifs sont à l’origine d’un complot mondial (mais écriraient un livre pour l’annoncer !). C'est un plagiat d'un pamphlet contre Napoléon III. Il est démasqué par les Jésuites. C'est un succès planétaire (par exemple, Henry Ford s'en fait le promoteur et le diffuse dans le monde occidental). C'est un succès, y compris dans les pays où il n'y a pas de Juifs. Il est édité en 1920 en France par un prêtre puis pas l'extrême-droite, qui génère une vingtaine d'éditions (notamment Grasset en 1921) entre 1920 et 1943 notamment sous le nom du Péril juif. Depuis un ou deux ans, les livres recommencent à circuler notamment sur Internet en France (Cf Alain Soral) et dans le monde entier. Les ouvrages circulent actuellement beaucoup en Turquie et dans les pays arabes dans un contexte antisioniste. Il circulait déjà dans l'Egypte de Nasser ou la Syrie des années 1960-1970.

L'autre idée qui se répand est la dénonciation de l'invasion de la France par les Juifs dans un contexte de forte augmentation de la population juive entre 1918 et 1940 du fait de l'accueil des réfugiés juifs venus d'Europe centrale et d'Allemagne (entrée de 150 000 Juifs entre 1933 et 1938). C'est cependant très peu au regard des 40 millions de Français. Dans les années 1930, la France est le seul pays qui accueille les Juifs de Hongrie, Pologne ou Allemagne. Certains émigrent ensuite vers les Etats-Unis ou l'Amérique du Sud entre 1933 et 1938. Une des répercussions est la montée de l'antisémitisme dans de nombreuses parties de la population où les Juifs sont vécus comme des concurrents : commerçants, médecins, étudiants en droit. En 1933-1934, des lois rendent plus difficiles les conditions pour les étrangers de commercer. Les Juifs de Roumanie ont l'équivalence du baccalauréat et viennent étudier en médecine ou en droit. C'est à nuancer car beaucoup de régions sont antisémites en Europe dans les années 1930 mais au même moment Léon Blum accède au pouvoir à la tête du Front Populaire, montrant que ce mouvement n'est pas majoritaire au sein de la population française (la majorité de la population ne connaît pas les Juifs car dans beaucoup de régions ils sont peu nombreux et les gens ne savent pas ce qu'est un Juif). L'antisémitisme est peu présent dans la société. Il y a 200 000 Juifs à Paris, sinon ils sont à Strasbourg, Bordeaux, Lyon, Marseille, très peu ailleurs (probablement moins de 20 à Nantes !), donc les Français ne savent pas ce qu'est un Juif. Pour beaucoup, un Juif, c'est forcément un étranger car il ne leur ressemble pas. La majorité de la population pense cela car très peu connaissent des Juifs. C'est différent aujourd'hui avec une plus grande répartition sur le territoire, l'éducation, les médias.

Dans les années 1930, on observe une réactivation de La Libre parole par Henry Coston qui reprend la pensée de Drumont et développe les thèses antisémites sur l'influence des Juifs, l'invasion, le complot judéo-maçonnique, les crimes rituels. On retrouve cela chez Alain Soral aujourd'hui. Dans Der Stürmer, on reprend le slogan de von Streischke « Les Juifs sont notre malheur ». Coston et Maurice-Yvan Sicard écrivent Je vous hais. On va très loin, on crée des Juifs ! Par exemple, Picasso fait de l'art dégénéré donc il est Juif. Le Maréchal Ney aussi, car il aime l'argent. Etc. On a une création de Juifs dès que quelque chose déplaît.


III. L'antisémitisme depuis la fin de la Seconde guerre mondiale


Depuis 1945, l'antisémitisme est disqualifié à cause de la Shoah, mais pour autant la question n'est pas réglée. On pense aussi que l'antisémitisme vient de l'extrême-droite. Or, à la même époque, on observe la naissance de l'antisionisme notamment dans le bloc de l'Est où des politiques d'Etat antisémites se mettent en place en se cachant derrière cet antisionisme. C'est le nouveau nom de l'antisémitisme notamment dans les milieux d'extrême-gauche. L'antisémitisme n'a pas disparu en France. On a ainsi eu des attaques contre Pierre Mendès France de la part des poujadistes. A la fin des années 1970, Serge Gainsbourg a également été attaqué, notamment après sa version de La Marseillaise, en particulier par un article très virulent de Michel Droit dans Le Figaro. Raymond Barre, après les attentats de la rue Copernic, dit que les victimes sont des Français innocents et des Israélites.
On observe une résurgence depuis les années 2000, qui est plutôt une nouvelle visibilité de l'antisémitisme facilitée par Internet qui permet de contourner les règles d'édition. En 1939, le Décret Marchandeau réprime les publications racistes et antisémites. Idem après la Seconde Guerre mondiale. Maintenant, on voit cet antisémitisme avec Internet. C'est le même antisémitisme qui n'était plus visible pour des raisons matérielles. On observe aussi des mutations sur l'expression de cet antisémitisme chez des gens plutôt à gauche qui flirtent avec l'extrême-droite (Dieudonné, Soral, ancien du PC). On a donc les mêmes idées à l'extrême-gauche et à l'extrême-droite. Les Musulmans sont accusés (ce sont des antimusulmans qui disent cela) mais ils ne sont pas responsables de cette nouvelle visibilité de l'antisémitisme car même si l'antisémitisme est aujourd'hui utilisé dans la lutte contre Israël, la logique est différente : les pogroms sont européens et chrétiens.

Conclusion

L'antisémitisme a toujours été présent. Il transcende les clivages politiques car contrairement au racisme, le Juif est « pratique » car il vit au sein de la population française sans qu'on puisse le reconnaître. Il n'est pas visible dans la société ce qui alimente l'idée du complot permettant de tout expliquer. Le racisme se fonde sur la différence de peau, l'antisémitisme est justement l'absence de différence, ce qui fait que c'est un danger. Il est polymorphe.


Questions


- Quelle est l'influence de l'antisémitisme nazi sur l'Etat français ?
85 à 90 % des Juifs français sont déportés du fait de l’Etat français. A partir de 1940, les Français se désintéressent du sort des Juifs. Du fait de la défaite, de nouvelles préoccupations apparaissent. L’adhésion des Français se fait plus pour le régime de Pétain que pour l’antisémitisme. Puis cela diminue à l’été 1942.

- Comment concevoir l'antisémitisme avec le modèle républicain ?
Le modèle de citoyenneté française (citoyens libres et égaux en droits) n’est réel qu'à partir des années 1970. Avant on est citoyens mais on n’a pas forcément les mêmes droits (Cf les femmes qui n’ont pas le droit d’avoir un carnet de chèque !). Les Juifs d’Algérie ont la citoyenneté grâce au décret Crémieux. Il existe de l’antisémitisme dans la population arabe en Algérie, mais l’émanation est plus forte de la part des colons.

- Quelle est l'importance de l'antisémitisme chez les Musulmans ?
L’antisémitisme n’est pas présent de tout temps dans le monde musulman, il n’y a pas de tradition antisémite en terre d’Islam, ce n’est pas structurant. Cf Riad Sattouf, L'arabe du futur. L’antisémitisme y est utilisé par les régimes autoritaires pour détourner la population de la critique du régime. Cela fonctionne jusqu'en 2010 avec le Printemps arabe mais plus après. La colère de la rue est plus forte. Il est à noter qu'Alois Brunner a organisé les services secrets d'Assad. Cf Jésus et l'Islam de Gérard Mordillat et Jérôme Prieur (auteurs de Corpus Christi) sur les liens entre le Judaïsme et l'Islam. En Algérie, il y a une différence entre novembre 1942 et l'été 1943, où ce sont Darlan puis Giraud qui gèrent l'Afrique du Nord. Ils sont vichystes et continuent la politique antisémite. C'est de Gaulle qui redonne aux Juifs la citoyenneté à l'été 1943. Il est à noter que dans la plupart des pays du monde, les Juifs sont une nationalité et non une religion comme en France.

- Quel lien peut-on faire entre l'antisémitisme et la vision raciste de Ferry ?

Le terme de « race » utilisé par Ferry ne relève pas de la notion des races d’aujourd’hui, c’est du racialisme, pas du racisme. Il n’y a pas l’idée d’infériorité innée de certaines races, cela n’arrive qu’à la fin du XIXe siècle, et c’est la naissance du racisme. Cf Les Merveilles des races Humaines sur la distinction des races publié par Hachette, qui montre une différence de culture, pas de race au sens d'origine. Le rapport à la négritude est différent en France car il existe des rapports depuis plusieurs siècles avec l'Afrique ou Haïti. Cf le Général Dumas pendant la Révolution française. On est dans l'idée que la France apporte la civilisation aux autres. La IIIème République revendique la citoyenneté mais ne la met pas en oeuvre.
 

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