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les juifs d'Allemagne, 1914-1933, entre assimilation et rejet

mémorial shoah

après un rappel de la situation des Juifs allemands au XIXème siècle, Dorothea BOHNEKAMP (auteure de "De Weimar à Vichy, Les Juifs d’Allemagne en République, 1918-1940/1944", Fayard, 2015) présente les évolutions de celle-ci à partir de la Première Guerre Mondiale jusqu'à l'arrivée d'Hitler au pouvoir.

Une histoire des Juifs au sein de l’Allemagne pose question : peut-on distinguer des éléments réductibles au monde juif de l’ensemble de la culture allemande ? Il existe en effet une importante symbiose judéo- allemande d’un point de vue culturel et intellectuel. Y a-t-il dialogue au sein de la société allemande de deux entités ou alors s’agit-il d’un processus conflictuel qui se solde par un échec ?

Poids du moment Auschwitz : risque de téléologie. Y-a-t-il une continuité du rejet des Juifs en Allemagne ? Peut-on faire des filiations de l’antijudaïsme de Luther à la pensée d’Hitler, établir une certaine continuité de la violence de Luther à Hitler ? Quelle est la place d'Auschwitz dans l'histoire allemande ?

Comment la Shoah a-t-elle pu se produire dans un pays très civilisé avec une minorité juive complètement assimilée, acculturée et patriotique ?

Hiatus à observer : celui de l’évolution contradictoire entre une minorité juive très intégrée, très assimilée, aisée, cultivée, adhérant à la haute-culture allemande, accédant à une grande réussite sociale et la représentation négative de cette minorité au sein de la société allemande

1)    Quelques rappels : les Juifs allemands au XIXème siècle

a.     Qui sont-ils ?

- Une « ultra minorité » de personnes depuis la fin du XVIIIème siècle qui se considèrent avant tout comme des Allemands comme le traduit la baisse très forte de la lecture du Talmud au XIXème siècle, des Allemands cependant attachés à leur culture, leur religion plus qu'à une pratique religieuse assumée.

- Ascension sociale forte tout au long du XIXème, une ascension sociale sans précédent avec un accès en l'espace de cinquante ans, aux couches sociales élevées, ascension aussi culturelle avec le hiatus d'un antisémitisme latent.

- Réussite sociale mais des pans entiers de la société civile sont inaccessibles : administration jusqu'en 1919, certains métiers, certaines institutions : des corporations, les associations d’étudiants, la franc-maçonnerie.

==> Asymétrie entre réussite sociale et économique (banquier Rothschild, Oppenheimer et Bleichröder et industriel AEG et W. Rathenau) et absence totale de reconnaissance sociale et politique. 

b. Un processus d'émancipation contrasté (reconnaissance civique et égalité confessionnelle)

- Selon le principe « tel prince, telle religion », résultat variable selon les parties de l’Empire

- Processus lent, par à-coups, avec des avancées, des reculs …

- Processus contrasté donc dans le temps mais aussi l'espace.

 c. Une très forte assimilisation culturelle... mais vaine ? 

- Forte séduction de la haute-culture allemande sur les élites juives (Kant, Goethe) et participation : Ex : La Haskala, les Lumières juives, débute vers 1780. La figure principale en est Moses Mendelssohn.

- « Habitus » juif mais Juifs peu pratiquants.

-  Sentiment d’appartenance à la nation allemande au  premier plan,  parfois même considérés comme des « Jews non-jews » au sein du monde juif.

==> Un grand malentendu :

- Pour les Allemands israélites : ils ont prouvé leur patriotisme et leur adhésion totale à la culture allemande.

- Pour les Allemands : les Juifs jouent un double jeu, ils font preuve d’ubiquité, ils sont omniprésents …

On leur reproche de saper de l’intérieur la société allemande : plus ils sont assimilés, plus ils sont suspects.
 

2. La Première Guerre mondiale (1914-1918) 

a. Un bref espoir en 1914 avec une participation des Juifs aux combats et à des postes exposés

- L’Empereur en début de guerre encourage l’apaisement des tensions envers les Juifs.

- Mobilisation très forte des Juifs allemands (20 % de la population mobilisable / des taux supérieurs aux Allemands non-juifs), fort patriotisme à l’exception de quelques voix isolées pacifistes (Rosa Luxembourg ou Albert Einstein).

- Volonté de combattre contre l’Empire russe et son antisémitisme.

- De nombreux Juifs accèdent à des postes publics à responsabilité : Ex : W. Rathenau.

Ardent partisan de la politique impériale allemande, il s'engage en politique et soutient les opérations d'agression pendant le premier conflit mondial. Il dirige notamment le département des matières premières.

- Les autorités pensent également exploiter les compétences yiddishophones des Juifs pour servir d’intermédiaire entre les Allemands et les populations de l’Est dans les territoires occupés.

- Les sionistes ont besoin du soutien de l’Empire ottoman à l'immigration juive en Palestine.

b. Revirement avec un nouveau durcissement à l'égard des Juifs allemands à partir de 1916 :

- Guerre dure et éprouvante, les Juifs deviennent les boucs-émissaires et sont rendus responsables des difficultés du pays. L’Etat-major lance un recensement en 1916 des

Juifs dans l’armée (Judenzählung). Rupture de la volonté de cohésion nationale, une sorte de glas de l'égalité au sein de l'Allemagne.

- Effet dévastateur sur le moral juif, quelques vagues d’émigration vers la Pologne ; les Juifs ont le sentiment d'être les mal-aimés de la nation allemande.

- Regain de l’antisémitisme à attribuer à l’Etat-major : des personnalités comme von Hindenburg, Ludendorff. Celui-ci est l'un des grands propagandistes de la fameuse thèse du «coup de poignard dans le dos» (Dolchstoßlegende) selon laquelle l'armée allemande, invaincue sur le terrain, a été trahie par les politiciens de l'arrière. Alors que seule l’option de la victoire avait été envisagée par l’armée, cette thèse est agitée en guise de paratonnerre pour expliquer le revirement de la situation militaire allemande.

==> 1918 : effondrement de l’Empire et défaite / déchainement inédit de l'antisémitisme dont la trame a été amorcée dès 1916.  Un antisémitisme avec une nouveauté, la« STRATEGIE D’IMPUTATION » dans la mesure où les Juifs sont considérés comme responsables de l'effondrement de la monarchie allemande, de la défaite allemande, de la révolution spartakiste et ce malgré le soutien financier et humain des Juifs à l'effort de guerre.

==> Révolte spartakiste : certains leaders sont des Juifs de l’Est immigrés (ex : Rosa Luxemburg).


3) Les Juifs allemands dans la république de Weimar (1918-1933) : l'histoire d'un paradoxe

a. L'accès à l'égalité civique des Juifs en 1919

- Beaucoup d'espoirs suscités dans la rénovation politique de l'Etat allemand grâce à l'instauration de la République de Weimar. Les Juifs espèrent que les discriminations dont ils sont victimes vont prendre fin.

- Nouvelle constitution de juillet 1919 : des personnalités juives participent à sa rédaction comme Hugo Preuss (membre du Parti démocrate allemand (DDP)), il fut secrétaire d’État à l’Office du Reich à l'Intérieur du 15 novembre 1918 au 13 février 1919, ministre du Reich à l’Intérieur dans le cabinet Scheidemann du 13 février au 20 juin 1919, et ensuite représentant par intérim du Gouvernement du Reich lors des travaux constituants jusqu’au 31 juillet.) ou Walter Rathenau (devenu ministre de la Reconstruction en 1921 et ministre des Affaires étrangères en 1922). Ces hommes incarnent l'aspiration de la bourgeoisie allemande à une refondation totale de la vie politique sur une base parlementaire, démocratique et ouverte.

- Volonté d’achever le processus d’émancipation amorcé en 1812.

- Fort soutien de l’opinion publique juive gagnée aux idées du SPD plutôt qu'à celles de l'USPD (qui devient KPD en 1922 après une scission).

 b. Le contexte délétère des années 1920 : 

- Agitation permanente, instabilité politique, violence omniprésente, assassinat de Rathenau par les Freikorps en 1922, tentative de putsch de Kapp (1920, proche de von Tirpitz), SA (1921).

- Problèmes économiques : inflation jusqu’en 1923 puis crise de 1929.

- Une expérience démocratique tendue sous fond de guerre civile avec des manifestations violentes opposant les deux extrêmes.

==> Paradoxe : l’accès enfin à une égalité théorique dans la citoyenneté, l’intégration possible dans la fonction publique et l’administration mais une flambée de l’antisémitisme et un repli de l’influence politique juive, une volonté de ne plus être visible.

 c. Des soutiens politiques discrédités :

- Le centre politique implose face à l’exacerbation des extrémismes. Les partis libéraux et modérés ne font pas face à la guerre civile larvée entre communistes et extrême- droite.

==> Antisémitisme très violent, une nouveauté : l'immense majorité des Allemands va montrer et connaître cette violence dans la vie quotidienne avec exactions et agressions mais aussi dans le langage, les médias. On assiste donc à une banalisation de l’antisémitisme : des formules virulentes dans la presse (Völkischer Beobachter), des violences (profanations, évictions à l’’université, agressions physiques dans les rues…).

==> Dilemme de Weimar : la République est identifiée par ses ennemis (monarchistes, anciens combattants) comme liée aux intérêts juifs, à la théorie du complot. Développement de la « légende du coup de poignard dans le dos ». Les Juifs sont également associés aux Bolcheviks.


4)   La radicalisation anti-juive des années 1920

a. Puissance nébuleuse d'extrême-droite se structurant

- Dimension völkisch : Deutschvölkischer Schutz- und Trutzbund (Alliance Nationaliste Allemande de Protection et de Défense).

Promotion de la supériorité raciale, hygiénisme, eugénisme, pangermanisme.

 ==> Dès les années 1920, forte inquiétude des organisations juives.

==> Tout l’espace politique est empoisonné par l’extrême-droite.


 b. Des violences avec un antisémitisme très virulent

- 1923 : pogrom du Mitte-Scheunenviertel (Berlin)

- 1921-1922 : Des camps d’internement pour des centaines de Juifs polonais et russes devant   être   expulsés   d’Allemagne   =   deux   camps   appelés   KZL   (camp   de concentration), notamment celui du Stargard en Poméranie, gestion catastrophique qui provoque une enquête parlementaire.

 
c.  Des complicités dans le monde intellectuel

- Dans le  monde universitaire, terreau intellectuel de l’antisémitisme avec un consensus très fort. Dans les institutions de la Justice, plus grande sévérité envers Juifs, bienveillance pour les nazis, pas de condamnation pénale de l’antisémitisme.

- Elites héritières de l’empire, d’une époque où l’accès aux fonctions publiques était fermé aux Juifs.

- Au moment des élections nazies, pas de soutien des intellectuels aux Juifs, pas de « J’accuse » comme pendant l’Affaire Dreyfus.

 Conclusion : 

Départs vers la France, d’une république à l’autre, où les émigrés juifs seront les témoins du déclin de la République avec laquelle la minorité judéo-allemande a été en symbiose.

Remarque : (SIC)

           « Chez les Juifs allemands, les pessimistes ont fini à Hollywood, les optimistes à Auschwitz. »

Paradoxe de l'effervescence culturelle et artistique (Bauhaus, milieux d’avant-garde ...) face au repli politique et « renaissance juive » des années 1920 avec l’arrivée des Juifs russes. Cependant les acteurs juifs sont exclus par les nazis.

==> Au moment où les Juifs allemands obtiennent l’égalité civique, on achève de les rejeter socialement.

==> Tragédie de Weimar


 

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