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les Juifs et l'Allemagne, une symbiose manquée ?

soldats juifs allemands en 1916

compte-rendu de la conférence de Dorothea BOHNEKAMP, maître de conférences à l'Université Paris III – Sorbonne nouvelle

Nous avons deux options : voir l'Histoire du judaïsme en Allemagne ou voir l'antisémitisme en Allemagne. Cela pose un problème de téléologie. Intégration et identité sont les deux questions clés.


I. L'émancipation des juifs allemands de 1780 à 1869

La sortie du ghetto des juifs allemands s'accélère avec les Lumières, la Révolution française et les conquêtes napoléoniennes. Auparavant, la situation juridique des juifs est très variable selon les territoires allemands. différentes (dans certaines régions, les juifs sont placés sous la protection des princes. Ensuite, on a une modernisation et une réforme de l'Etat (Cf Karl-Wilhelm Dahm) qui prône l'intégration des juifs. Sous l'influence de réformateurs, cela aboutit à une mise en place d'une politique d'éducation active dans la plupart des États allemands (une quarantaine) au milieu du XIXe siècle visant à l'intégration des juifs notamment en affaiblissant l'identité juive. L'idée est de germaniser les juifs. Par ailleurs, on a un
mouvement pour la tolérance religieuse, qui doit concerner également les juifs. Idem en Autriche-Hongrie où Joseph II prend des décrets de tolérance. Attention, tout resté lié au bon vouloir des princes. Les situations sont donc très contrastées. L'émancipation juive n'est vraiment appliquée qu'en Rhénanie-Westphalie. Wilhelm von Humboldt prône l'égalité des juifs et souhaite une sécularisation complète en Prusse. En 1812, la loi leur ouvre la citoyenneté s'ils pratiquent la langue allemande. Mais l'armée et la fonction publique leur sont interdites. Après le Congrès de Vienne, la Restauration développe le germanocentrisme contre la philosophie des Lumières. Cf Fichte qui est le premier à utiliser des critères chrétiens et ethniques pour définir les Allemands. On observe un décalage croissant entre judéité et germanité. Par ailleurs, on a une visibilité accentuée des jJuifs allemands qui contraste avec tout ce qui est raconté à leur sujet. On a toujours beaucoup de discriminations. Malgré leur importance économique croissante ou leur participation aux guerres de libération, les juifs restent considérés comme une menace. La question juive est un sujet très conflictuel dans le débat politique allemand au moment où l'Allemagne est en construction. On a un mouvement anti-juif virulent et très violent dans tout le Sud de l'Allemagne qui culmine en 1819 (slogan HEP : Hierusalem est perdita : Jérusalem est perdue). Du coup, on observe des remises en cause régulières de l'émancipation juive jusqu'en 1848. Celle-ci est donc arbitraire, hésitante, décentralisée, graduelle et par étapes, contrairement à la France. L'égalité est absente de ces programmes
qui restent axés sur le mérite.
L'émancipation exigeait des gages, une adaptation à la société allemande : usage de la langue allemande, travail le samedi, modernisation de la pratique religieuse, pour effectuer des sorties individuelles du ghetto. Moses Mendelssohn défend cette idée (Lumières juives). Il y avait donc dans les milieux juifs notamment ruraux (plus pratiquants) des résistances vives face à ce qui apparaissait comme une dissolution de l'identité juive. Cela crée un fossé insurmontable entre la vie juive et l'existence moderne. Dans les grandes villes, l'intégration est croissante et l'émancipation progresse plus vite notamment à travers une baisse de la pratique religieuse (par exemple, l'autogestion des communautés juives, l'interdiction des tribunaux juifs). Les enfants et petits-enfants de Mendelssohn abandonnent toute pratique religieuse. Certains se font même baptiser, comme beaucoup de juifs acculturés et éclairés. Des
conversions au christianisme sont parfois très nombreuses (5 000 conversions en Prusse en 1830) pour des raisons privées (mariage avec un-e chrétien-ne) ou professionnelles (accès à la fonction publique). L'identité juive évolue et se réduit juste à sa composante religieuse, qui est le seul signe distinctif. On a une intégration d'éléments chrétiens dans la pratique juive (choeurs d'enfants, orgues, place des femmes, formation rabbinale, etc.) Le christianisme a valeur de modèle. Début XIXe, on a une renaissance du christianisme qui apparaît comme plus moderne et une déqualification du judaïsme. L’oecuménisme est mis en avant (Cf Lessing, Nathan le Sage). Le mouvement d'acculturation des juifs d'Allemagne accroît les clivages au sein de la communauté qui est de plus en plus éclatée. Etre juif n'est plus une identité partagée ou un dénominateur commun au début du XIXe siècle. Il faut réinventer la tradition juive avec une exigence de modernité. On a une vivacité de la réflexion sur la place du judaïsme. La modernisation de la religion apparaît comme une sauvegarde de celle-ci. L'accès à l'éducation a permis une ascension sociale rapide des juifs avec la naissance d'une bourgeoisie juive très cultivée qui alimente le débat sur la nouvelle identité juive ou judéo-allemande dans laquelle le judaïsme n'était plus un obstacle à leur intégration (Cf Lessing, Schiller, Goethe). Ils donnent des gages de leur loyauté dans les guerres de libération. Cependant, leur intégration est largement incomplète par rapport à la situation en France (la fonction publique leur reste interdite par exemple). L'élitisme aristocratique est très marqué
(barrières sociales infranchissables), mais on observe des nuances avec des formes de reconnaissance professionnelle (accès à la médecine,...) ou admission chez les Francs-Tireurs de chaque village. On a des contacts sociaux juifs-chrétiens mais surtout professionnels. La population a doublé entre 1816 et 1848, en passant de 240 000 à 460 000. Ils sont présents surtout à Hambourg, Francfort et Berlin.
Toutefois, l'intégration politique et professionnelle reste très incomplète notamment par rapport à la France. Les juifs restent globalement des citoyens de seconde zone même si certaines familles connaissent des ascensions sociales très importantes.
L'acquisition du droit de vote permet également aux juifs convertis d'accéder à des hautes responsabilités notamment dans la fonction publique, dans la presse et dans les grandes banques (Rothschild, Oppenheimer, etc.). Cela contraste avec la considération. Les lois vont dans le sens de l'égalité (1869 en Prusse). En 1871, elle est étendue à toute l'Allemagne. Idem en Autriche-Hongrie.


II. Les juifs pendant le Reich wilhelmien (1871 à 1914)

La loi de 1871 qui permet l'émancipation des juifs engendre une ascension sociale continue pour 500 000 juifs allemands (environ 1% de la population). On observe une grande mobilité sociale. Les couches moyennes sont cultivées avant la Première guerre mondiale et les mariages mixtes importants.
A la veille de 14-18, la grande majorité des juifs appartenait aux classes moyennes et supérieures dans les grandes villes allemandes, surtout à Berlin, et jouaient un rôle de plus en plus important dans la vie économique allemande : grands magasins (KaDeWe à Berlin), industries (Emil Rathenau pour AEG), presse (FAZ), éditions, ainsi qu'une grande créativité intellectuelle et artistique dans le cadre d'un foisonnement culturel inédit. Dans ce cadre, on a un détachement de la pratique religieuse en-dehors des grandes fêtes religieuses et donc une vision sécularisée du monde. L'attachement au judaïsme reste surtout lié à un héritage patrimonial. C'est plutôt une référence culturelle religieuse (un habitus social).
Existence d'une immigration juive en provenance de l'Europe de l'Est. (80 000 personnes). Attractivité de l'Allemagne liée à l'égalité citoyenne et à la situation économique. Mais souvent, les immigrés sont mis à l'écart par leurs coreligionnaires du fait, notamment, de pratiques religieuses de plus en plus différenciées. Se développe une image de paria. Les immigrants juifs russes et polonais ne s'y retrouvent pas. L'acculturation est intériorisée mais ils ne sont pas acceptés par la société allemande qui a une vision élitiste, très codée, axée sur l'aristocratie.
Durant cette période, un antisémitisme très fort se développe, qui marque une limite à l'intégration des juifs au sein de la nation allemande en construction. C'est une réponse immédiate à la crise économique des années 1870 (première crise économique de l'Allemagne industrielle) qui conduit de nombreux Allemands à s'organiser pour désigner la communauté juive comme bouc émissaire de la situation. Cette marginalité sociale crée aussi une appétence pour les mouvements artistiques et intellectuels (Kafka, Einstein,...).
Le développement du mouvement sioniste est également l'une des conséquences à l'antisémitisme mais reste très minoritaire en Allemagne dans la mesure où les juifs allemands se perçoivent comme une composante de la nation allemande.


III. Les juifs durant la Première guerre mondiale et sous la République de Weimar (1914 - 1933)

Le déclenchement de la Première guerre mondiale modifie le rapport entre la Communauté juive et l'Etat. La guerre représente l'unité nationale pour les Juifs et semble marquer leur intégration définitive à la nation. Cette guerre est menée contre la Russie tsariste, ennemie des juifs. Peu doutent du bien-fondé du conflit. Il n'y a que quelques voix dissonantes (Einstein, Luxemburg). On a donc une forte mobilisation de la communauté juive qui accède à des responsabilités importantes dans l'administration et en qualité d'officiers de réserve.
Mais, l'esprit de 1914 s'atténue avec le conflit sous l'influence de l'extrême-droite qui ne veut pas que les juifs exercent des responsabilités importantes. Avec la vision de la défaite, elle rompt cette union. En 1916, l'armée effectue un recensement pour débusquer les prétendus embusqués juifs. Pour les antisémites, cela montre l'importance des juifs et leurs responsabilités dans l'échec, cela montre aux juifs qu'ils restent les mal-aimés. La crise constitutionnelle de 1917 montre aussi les divergences entre les partisans d'une paix rapide et ceux qui pensent toujours pouvoir gagner. La guerre a aussi provoqué une immigration massive de juifs de l'Est. Les frontières sont bloquées en 1918 (les associations juives protestent). On a également une prise de conscience par les soldats juifs qui ont rencontré des juifs polonais ou russes des exactions qu'ils ont subies. La défaite ne fit que radicaliser l'antisémitisme, la
responsabilité collective de l'effondrement allemand étant attribuée aux juifs. Le désenchantement juif en est encore plus important avec la prise de conscience de cette non-intégration. Mais la connaissance des juifs de l'Est renforce l'idée d'appartenir à la communauté juive.
Durant la révolution spartakiste, l'exposition de nombreux juifs révolutionnaires (Rosa Luxemburg) provoqua un malaise dans la communauté juive qui craignit un regain encore plus important de l'antisémitisme (complot judéo-bolchevique).
Dans le même temps, la création d'un nouveau régime est un nouvel espoir avec l'égalité réelle et la citoyenneté totale mise en oeuvre par la République de Weimar, autorisant aussi la fonction publique. Paradoxalement, on a un déclin de l'influence juive dans la politique allemande. En effet, les espoirs sont douchés par une vague antisémite très forte à la recherche d'un bouc-émissaire responsable de la défaite, embusqué, profiteur de guerre, révolutionnaire. Les Juifs sont les épouvantails désignés de cette menace judéo-bolchevique. Cela alimente les fantasmes : lorsque les révolutionnaires de 1919 sont assassinés, c'était surtout leur origine juive qui était visée. Walther Rathenau, le ministre juif des affaires étrangères est assassiné en 1922. Dans les années 1920, les violences antisémites sont de plus en plus fréquentes (pogrom en 1923 à Berlin). On est dans une période d'instabilité politique et d'inflation (1923). Il existe aussi des camps de concentration pour des immigrés juifs que l'Allemagne ne peut pas renvoyer en Pologne du fait du conflit qui s'y déroule. Plus de 300 organisations de Corps Francs, milices et associations d'extrême-droite sont créées après la guerre. Plus de 700 publications antisémites existent au début des années 1920. L'ambiance de Weimar est
contaminée par les exactions antisémites. Les violences sont quotidiennes, surtout dans les écoles et les universités.
Face à ces agressions et violences, les responsables de la République restent silencieux par peur d'apparaître comme les défenseurs desjuifs. Idem pour les intellectuels. Après 1930, les juifs sont appelés des hors-la-loi. En 1931, sur la KuDamm, des juifs sont abattus en pleine rue. On a des milliers de profanations de cimetières, des destructions de biens juifs avant 1933. A la fin de la République de Weimar, il n'y a plus de députés juifs tant au plan national que dans les diètes régionales. Face à ces pressions, on observe un regain de vitalité culturelle de la communauté juive avec un retour aux sources du judaïsme.
C'est dans ce climat que le discours nazi prend forme et gagne en influence.


Questions

– Quand naît cet antisémitisme ?
Il prend le relais de l'anti-judaïsme en Allemagne vers 1880 (l'antisémitisme moderne), après la crise de 1873.

– Quelle différence a-t-on entre les assimilateurs et les sionistes ?
Ils partagent une réaction à l'antisémitisme. Le sionisme est d'abord minoritaire, la plupart des juifs ne se voient pas comme à part de la société allemande, ils voient plus le sionisme comme une solution pour les juifs de l'Est.

Lire Dorothea Bohnekamp, De Weimar à Vichy, Fayard, 2015.
 
 

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