Le jeudi 27 mai, Alex Auvinet, dans sa prison du Mans, écrit trois lettres.
À sa mère :" Chère maman, je viens ici te causer une grande peine en t'annonçant que je vais être fusillé demain, mais tu peux au contraire être fière de ton fils qui tombe sous les balles fascistes, c'est-à-dire sous les balles des capitalistes. (Il parle ensuite de son adhésion au parti communiste et aux FTP) j'ai fait de mon mieux, mais malheureusement je me suis fait prendre trop vite le 5 mars au Mans, après avoir été dénoncé par un camarade, et je viens d'être condamné par le tribunal allemand à la peine de mort, avec treize camarades. Ceci ne me fait pas de peine de mourir, et console-toi maman chérie en te disant que c'est pour la bonne cause, pour délivrer la genre humain, que notre sang va couler. Tu pourras marcher la tête haute en parlant de ton fils, et si après la guerre notre Parti communiste vient au pouvoir, il sera fait quelque chose pour vous. Tu verras ça en prenant le journal L'Humanité qui reparaîtra. Aussi courage petite mère, tu embrasseras bien ma grande sœur et Robert ainsi que leur petite Michelle. Qu'ils en fassent une petite fille instruite et intelligente. Je n'avais que sa photo et celle de mon bon papa dans mes affaires pour ma rappeler ma famille, mais cela m'a été d'un grand réconfort. J'ai fait un paquet de mes affaires, que j'ai fait adresser à gaby. Il y a mon portefeuille, ma montre et différentes choses. Gaby te les fera parvenir. Comme je l'ai dit à Gaby, je serai probablement enterré dans la région du Mans. Si après la guerre il est possible de ma faire transporter à Montaigu sans occasionner trop de frais, cela me ferait bien plaisir. Voila la nuit qui entre dans ma cellule et je n'y vois plus. Il est pourtant 7 heures. Dans 12 heures, je ne serai probablement plus de ce monde, mais je ne regrette rien à la vie si ce n'est vous tous que j'aime et que j'embrasse bien fort, ma petite sœur, Robert, Michelle, et toi maman chérie je meurs pour que vive la France. ..Vive le parti communiste, Vive la France, Vive l'URSS. "
À son oncle Gaby de Rezé :" Conserve cette lettre comme une pièce à conviction...mon cher oncle, tante et cousine, voici la sentence prononcée : treize inculpés, treize condamnés à mort, il ne fallait guère attendre moins. Je crois que nous allons être fusillés demain ou samedi. J'ai fait un paquet avec ma gabardine, mon costume, ma paire de brodequins, mon portefeuille vide, mais j'ai déposé deux mille neuf cent dix francs aux Allemands, qui les feront probablement parvenir. Il y a aussi ma montre. Je te fais adresser tout ça à toi, tu prendras ce qui t'ira, le reste devrait aller au mari d'Odette qui est à peu près de ma taille....Je ne sais pas où l'on va être enterré, mais probablement au Mans ou aux environs ; enfin l'on te préviendra, et si par la suite je peux être amené à Montaigu, cela me fera plaisir ; enterrement sans prêtre évidement. Tu pourras me reconnaître à ma chevalière en acier " inox "que j'ai au petit doigt de la main gauche et à mes dents en acier également...j'ai également déposé trois mille francs chez René Boudazin, qui tient un café sur la route des Sorinières après Ragon...voila pour mes affaires . Maintenant, pour la vengeance qui je l'espère arrivera un jour, voici des noms qu'il ne faudra pas oublier : un nommé Louvreau employé SNCF, né au Mans, James Rogier de Bar-le-Duc, le fameux type qui s'était soi-disant évadé de la prison de Nantes en février, un ancien camarade qui n'était autre q'un policier et qui m'a donné à la police. J'ai été arrêté par la brigade mobile d'Angers par des policiers...tous des salauds, tout ceci tu n'auras qu'à le rapporter en partie après la guerre pour le règlement des comptes. Je mets dans la lettre deux autres lettres, une pour maman, une pour M. et Mme Martin de Montaigu...si après la guerre il y a des œuvres ou des secours pour les parents de francs-tireurs tombés pendant la guerre , tu voudras bien t'en occuper pour maman, tout cela paraîtra dans L'Humanité et tu me rappelleras au parti comme le franc-tireur Auvinet qui a lutté depuis le 13 octobre 1942 au 5 mars 1943, date à laquelle je me suis fait prendre au Mans....vous lutterez vous aussi je l'espère , contre l'esclavage des capitalistes, contre l'exploitation de l'homme par l'homme. Je vous embrasse tous... "
À M et Mme Martin de Montaigu :" Mes bons amis, que de fois depuis mon arrestation, mes pensées sont allées vers vous, vers ce petit Montaigu qui fut le plus beau stage de cette courte vie que fut la mienne 22 ans !plus qu'il n'en faut pour rendre compte de l'horreur de cette existence, faite d'égoïsme, de félonie et de bassesses. Mais qu'il est doux quand on se rappelle les longues heures passées dans la cuisine, trop petite quelquefois pour contenir tous les visiteurs, et c'est ici que j'ai acquis les premiers conseils pour se lancer dans la vie. Aujourd'hui, à la veille de mourir, je me remémore tous ces bons conseils que vous m'avez prodigués. Ils ne sont pas tous appliqués, car je ne serais peut-être pas là. Mais un peu volontaire, je m'étais assigné cette tâche qui consistait à lutter contre ces trusts qui exploitent la pauvre classe prolétarienne, c'est-à-dire, adhérer à ce grand parti communiste, seul capable de donner un gouvernement capable de défendre les intérêts des ouvriers, des petits patrons et paysans. L'on vous a fait voir, dans ces petits pays, le communisme comme la bête noire qui mange tout et détruit tout. Cela est faux : la preuve est que les armées du Reich qui sont les défenseurs des capitalistes, ne badinent pas lorsqu'elles peuvent nous attraper, et les condamnations sont sévères...je vous quitte à jamais pour que vive la France ".