MYTHE ET REALITE: LA VERSION DES HISTORIENS ANTIQUES
Quelques commentaires sur les textes de Tite-live et de Plutarque.
Synthèse des travaux d'élèves de la 3ème CF
Deux historiens, l'un latin Tite-Live, l'autre grec Plutarque nous relatent l'exploit de Clélie. Dans ces deux versions du même épisode, nous étudierons l'art du récit, la représentation de l'héroïne, celle des Romains et des Étrusques.
Un récit vivant
Les textes présentés sont tout
deux historiques mais ils n'ont pas la sécheresse d'un documentaire ennuyeux et
se liraient presque comme
des romans. En effet, Tite-Live comme Plutarque savent mettre en scène
l'héroïne.
Les otages vont-elles réussir à s'enfuir ? Quelle va être la réaction du Roi Porsenna? ...
Suspense et action garantis. L'épisode de l'évasion est d'abord replacé dans son contexte historique : pendant la guerre qui oppose Étrusques et Romains, les deux camps négocient pour conclure un traité de paix qui exige la remise d'otages au roi Porsenna.
Chacun des deux auteurs relate ensuite l'histoire à sa manière. Tite-live produit un récit condensé où la succession des séquences mise sur le spectaculaire. Quelques lignes suffisent pour évoquer la traversée du Tibre : les otages nagent jusqu'à l'autre rive sous une pluie de javelots sans que l'une d'elles soit blessée !
L'auteur renforce également l'intensité dramatique en rapportant les paroles du roi Porsenna au discours indirect : nous entendons la voix menaçante et coléreuse du personnage. La fuite des jeunes filles va-t-elle compromettre le traité de paix ?
Pour donner une vision héroïque du personnage de Clélie, Tite-Live utilise des procédés de style qui glorifient son acte : celui-ci est comparé à l'exploit des Mucius et des Coclès. L'utilisation du pluriel grandit encore son geste.
Chez l'historien romain, le fait historique se transforme donc en mythe et justifie l'hommage public rendu par Rome à son héroïne.
Plutarque,
quant à lui, donne un éclairage différent de l'épisode dans un récit tout aussi
animé mais peut-être plus réaliste. Si les otages arrivent à s'échapper, c'est
que la chance favorise leur évasion ! Les eaux sont tranquilles, il n'y a aucun
garde, aucun passant aux abords. Plutarque insiste sur le concours de
circonstances favorables.
Contrairement à Tite-Live, Plutarque s'attarde à donner des détails. Il décrit longuement la scène du bain des jeunes filles. Image familière de la vie quotidienne, image de paix qui interrompt le récit de guerre.
L'auteur joue aussi beaucoup sur le rythme. Ainsi la description du bain provoque un ralentissement dans le récit. Mais après l'évasion, les différentes péripéties s'enchaînent très rapidement, comme le montre l'emploi de nombreux verbes d'action.
L'arrestation des otages par les Romains, l'embuscade tendue par Tarquin, l'acte héroïque de Valeria, la fille du consul, la remise des otages aux Étrusques, tous les événements vont très vite, ce qui crée un effet d'accélération.
Dans le récit de l'auteur grec, les héroïnes ne sont pas des personnages surhumains : avant de décider de s'enfuir, les jeunes filles prennent le temps d'analyser la situation, elles s'enhardissent progressivement pour atteindre le milieu du fleuve. Clélie ne se détache pas tout de suite du groupe des otages. D'ailleurs Valeria s'illustre aussi par sa bravoure. Ce n'est que vers la fin de l'extrait que la conduite héroïque de Clélie est soulignée.
L'historien grec nous donne donc à lire une version palpitante, pleine de rebondissements mais plus humaine, qui nous semble plus objective et plus crédible.
Le personnage de Clélie

Aucun des auteurs ne nous parle de la naissance et de la famille de Clélie. Tite-Live précise que c'est une "virgo", une jeune fille non mariée. Plutarque mentionne l'origine sociale des otages qui appartiennent à des familles patriciennes, donc à l'aristocratie. Il dit également que les garçons portent la robe prétexte. Ils n'ont donc pas dix-sept ans. Nous en déduisons que Clélie est jeune.
La jeune fille possède de nombreuses qualités physiques et morales. On suppose qu' elle est musclée et endurante puisqu' elle est capable de traverser le Tibre à la nage. Plutarque rapporte qu' elle a peut-être traversé le Tibre à cheval, ce qui nécessite d'être une bonne cavalière.
Mais la jeune fille a d'autres atouts. Elle a un tempérament de meneuse: c'est elle qui prend l'initiative de la fuite et guide ses compagnes.
Elle fait preuve d' audace et possède ce que les Romains appellent la "virtus", un mélange d' énergie et de courage; une qualité qu' ils attribuent essentiellement aux hommes. Chez Plutarque, le roi Porsenna récompense d'ailleurs son "courage viril" en lui offrant un cheval, hommage réservé plutôt aux hommes.
Tite-Live insiste également sur sa sagesse et de façon implicite sur sa chasteté elle choisit de faire libérer les enfants car ils sont les plus exposés aux outrages.
L'héroïne reçoit un hommage public. Porsenna, l'ennemi, comme Rome rend les honneurs à son exploit: l' un par un cadeau royal, l' autre en édifiant une statue équestre qui conserve la mémoire de son acte pour les générations futures.
Les Etrusques et les Romains
La
représentation des Romains et des Étrusques nous donne deux lectures différentes
de l'histoire.
Chez Tite-Live, les Étrusques sont représentés par deux personnages, Porsenna qui conclut la paix car il a peur de mourir et Tarquin, le roi déchu de Rome, qui est un perdant. Porsenna sait que les Romains ont gagné puisqu'il négocie sans se faire illusion sur le refus des Romain de rétablir Tarquin sur le trône. Les Romains sont les vainqueurs car ils sont courageux, généreux, endurants à l'image de Clélie et de Mucius. Rome est imprenable, et l'ennemi évacue la rive droite du Tibre en exigeant des otages: "Il imposa aux Romains l'obligation de donner des otages". Porsenna se montre à la fois menaçant, peureux, colérique mais il finit par s'incliner devant la supériorité des Romains et libère Clélie.
Plutarque est plus neutre et plus nuancé. Les Étrusques sont à l'image de Porsenna: généreux, bienveillant et respectueux de ses engagements ou à l'image de Tarquin, fourbe, déchu, traître qui agit par perfidie. L'historien grec dote les Étrusques des qualités de Porsenna ou des défauts de Tarquin.
La République romaine est incarnée par le consul Valerius Publicola qui fait preuve de fermeté en arrêtant les otages car il veut respecter son engagement. C'est une victoire politique pour lui puisque le traité de paix est sauvé. Le peuple romain possède beaucoup d'atouts, même ses femmes s'illustrent par leur courage.
Plutarque et Tite-Live écrivent à une époque où Rome domine le monde.