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un concours d'éloquence en collège de REP

mis à jour le 03/06/2020


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Au printemps 2020, pour la quatrième année consécutive, des élèves du collège la Durantière de Nantes vont s'affronter en public pour décrocher le trophée du meilleur orateur de l'établissement. Ce concours d'éloquence organisé par un enseignant d'histoire-géographie est devenu un véritable événement puisqu'il mobilise des dizaines d'élèves de tous niveaux et rassemble près de 300 parents, élèves et personnels lors d'une soirée faite de surprises, d'émotions et de rires.

mots clés : échanger, collège, éducation prioritaire, maîtrise de la langue, oral, éloquence, défi, coopération, projet


Au mois de janvier, le concours est présenté à chaque classe du collège, de la sixième à la troisième, pendant une dizaine de minutes. Un appel à candidatures est lancé à cette occasion. Les candidats sont ensuite rassemblés dans la salle polyvalente pour prendre connaissance du règlement du concours et pour décider collectivement du thème de la finale qui donnera lieu à discours en pour et discours en contre. Les candidats choisissent aussi un sujet personnel pour leur discours de qualification. Plusieurs rendez-vous sont ensuite proposés aux élèves pour écrire leurs discours. Des enseignants, des parents d'élèves, des assistants d'éducation, des camarades de classe accompagnent les élèves dans leur rédaction sur les ordinateurs de la salle multimédia et du CDI. L'aide porte autant sur les idées que sur les effets de style pour respecter les nombreuses contraintes imposées par le règlement. Les élèves participent à ces séances en fonction de leurs besoins, de deux ou trois fois pour les plus autonomes jusqu'à 10 ou 15 fois pour les élèves qui ont davantage besoin d'être accompagnés. En tout, une cinquantaine de créneaux leur sont proposés sur la pause méridienne, sur des heures de permanence et exceptionnellement sur des temps de classe avec l'accord de leurs enseignants. Cette phase d'écriture collaborative débouche sur des entraînements à la déclamation qui se prolongent jusqu'au jour de la représentation devant les pupitres équipés de micros que la Maire de Nantes met à la disposition du collège pour l'occasion. Le soir du concours, les élèves présentent à tour de rôle leur discours personnel à la tribune devant un public conquis. Un chronomètre défile à l'écran derrière eux. À la fin de chaque exposé, le jury composé d'élèves, de parents d'élèves et de personnels du collège leur pose une question pour éprouver leur répartie. Lorsque tous les élèves sont passés, le jury se retire une trentaine de minutes pour délibérer. Le public est invité pour sa part à désigner son candidat préféré par un vote à bulletin secret avant d'aller se restaurer en attendant les résultats. Les élèves sont répartis en 3 catégories : les deux meilleurs qui sont ensuite départagés lors de la grande finale, les deux suivants qui se disputent les places de 3è et de 4è lors de la petite finale, et tous les autres pour lesquels le concours s'arrête et qui prennent la place de 5è ex-æquo. Après la proclamation de ces résultats s'engagent les deux finales. Juste avant de monter à la tribune, les candidats reçoivent un mot mystère qui doit être intégré à leur discours. Après une courte délibération, le jury proclame le classement définitif des 4 meilleurs orateurs, puis procède au tirage au sort d'un 5è candidat qui reçoit le prix de l'engagement et révèle enfin le nom de l'élève dont la prestation a été plébiscitée par le public. Tous les élèves sont récompensés par un lot (places de cinéma, entrées au bowling ou au karting, livres). Les six élèves qui se sont particulièrement distingués reçoivent en outre un trophée. Au vainqueur du concours est offert un bon pour un baptême de l'air à l’aéro-club de Nantes offert par le Foyer socio-éducatif et le collège.
 
La décision d'organiser ce concours a été prise au regard des difficultés rencontrées par un nombre important d'élèves dans le domaine de la maîtrise de la langue, à l'écrit comme à l'oral, et de la réticence de certains à s'engager dans des apprentissages intellectuellement exigeants pour avoir été échaudés trop souvent au cours de leur scolarité. C'est d'ailleurs à partir de ces constat qu'a été bâti le projet d'établissement de ce collège classé en éducation prioritaire qui pointe aussi la nécessité de rapprocher les familles de l'école et de développer la formation à la citoyenneté. Le concours d'éloquence a été pensé pour travailler ces 4 axes1 concomitamment. Les récentes évolutions du système éducatif encouragent également le travail de et sur l'oral. Le brevet des collèges prévoit une épreuve d'examen à l'oral. Le programme de la nouvelle spécialité de lycée “humanité, littérature et philosophie” contient un chapitre sur les pouvoirs de la parole. La réforme du bac prévoit un grand oral que le rapport Delhay conçoit comme “l'aboutissement d'un parcours commencé dès l'école primaire.” Enfin le concours d'éloquence du collège la Durantière permet de travailler de nombreuses compétences du socle commun de connaissances de compétences et de culture qui invite dans le domaine 1 à parler, communiquer, argumenter à l'oral de façon claire et organisée ; dans le domaine 2 à préparer un exposé, à prendre la parole, à travailler à un projet, à s'entraîner ; dans le domaine 3 à se former en tant que personne et futur citoyen ; dans le domaine 5 à prendre sa place dans le groupe en étant attentif aux autres pour coopérer ou s'affronter dans un cadre réglementé. Enfin, la vogue des concours d'éloquence a achevé de convaincre l'équipe du collège de se lancer. En effet, les expériences de présentation de ma thèse en 180 secondes, le succès des film "À voix haute” (concours Eloquentia), et “Le Brio”, ou encore la mode du stand-up ont marqué le paysage culturel, scolaire et universitaire de ces dernières années. Il convient de préciser que l’organisateur du concours, Sylvain Marange, professeur d'histoire-géographie et formateur à l'INSPE de Nantes est lui-même sensible à cet engouement puisqu'au lycée Delacroix de Drancy (93) où il exerçait au tournant des années 2000, il a contribué à la mise en place de la Convention Éducation Prioritaire avec l'IEP de Paris. Ce partenariat visait à susciter l'ambition des élèves en les préparant à un concours d'entrée à Sciences Po réservé aux publics de l'éducation prioritaire et basé sur un dossier de presse et un oral de soutenance pour permettre aux élèves de s'émanciper des contraintes de l'écrit qui ne leur permettait pas toujours de faire valoir leur potentiel. Il en a conservé un intérêt particulier pour les situations d'apprentissage ayant recours à l'oral ou permettant de travailler l'oral : montages vidéos, revues de presse radiophoniques, tâches complexes d'invention d'un discours d'une figure historique. Dans ces exemples comme dans le concours d'éloquence, l'oral peut être un substitut mais aussi un argument pour travailler l'écrit puisque la préparation d'un oral s'appuie sur un écrit dont l'oralisation amène les élèves à constater les imperfections et à s'engager plus volontiers dans des réécritures.
 
La démarche pédagogique à laquelle fait appel le concours d'éloquence du collège la Durantière relève autant de la pédagogie du projet avec un fort pouvoir de dévolution puisque les élèves sont libres de s'y engager, qu'ils participent à la définition d'un certain nombre de règles et qu'il donne lieu à une représentation publique qui met leur travail en valeur, que d'une tâche complexe en ce qu'elle implique une réalisation qui mobilise des compétences et des ressources multiples. L'enrôlement des élèves doit beaucoup au fait que ce concours prend le contrepied du contrat didactique : le caractère a priori impossible de l'exercice, la logique de concours qui classe les élèves en gagnants et perdants à rebours de toute logique d'évaluation positive et d'égalité de traitement, la promotion de la ruse et du mensonge qui sous-tendent l'art oratoire, etc. L'exercice implique un étayage minutieux pour que les élèves se portent candidat et tiennent leur engagement dans la durée. Sur le plan des apprentissages, il est possible de mesurer des effets positifs puisque même si les élèves ne sont pas toujours les seuls auteurs de leurs textes, ils finissent par incarner les discours qu'ils ont réalisés et prennent un plaisir non dissimulé à s'approprier un beau langage. On retrouve des tournures de langue et des savoirs-faire (citations, organisation du propos avec introduction et conclusion, figures de style, vocabulaire difficile) dans leurs écrits ultérieurs en classe. Les séances d'écriture sont des moments de coopération fructueux. Les candidats se font aider par d'autres candidats ou par d'autres camarades de classe pour s'approprier les règles du concours et pour rédiger leurs textes. Dans les jours qui précèdent le concours, petits et grands répètent leurs discours dans les couloirs ou sur la cour devant d'autres élèves qui les reprennent et les encouragent. Des élèves prennent confiance en eux comme Winner, une élève particulièrement timide, qui soutient qu'elle ose prendre la parole en classe désormais.
 
Le concours d'éloquence est plébiscité par les élèves. Le nombre d'inscrits ne cesse d'augmenter : 32 en 2017, 45 en 2018, 73 en 2019 et déjà 85 en 2020. Sur ce total, la moitié environ des élèves abandonne en cours de route, usant du droit qui leur a été donné à l’inscription. C'est ainsi que 16 élèves sont allés au bout de l'expérience en 2017, 21 en 2018, et 32 en 2019 soit près de 10% de l'effectif total du collège. Le défi que représente cet exercice périlleux et très exigeant, le plaisir de jouer avec les valeurs de l'école, mais aussi la possibilité d'éprouver la bienveillance des enseignants et de ressentir la valorisation du travail personnel (la fierté des parents) lors de la représentation publique sont autant d'arguments qui suscitent l'envie des élèves. Même les enfants des professeurs du collège qui ont eu l'occasion d'assister au concours demandent à y participer à leur tour. Si bien qu'il a fallu adapter le règlement intérieur pour leur permettre de s'y inscrire. D'anciens élèves passés au lycée demandent également à pouvoir se porter candidats de nouveau. Pour les personnels, le concours d'éloquence est également un moment très intense. Ils en parlent beaucoup et s'y impliquent nombreux pour préparer les élèves et pour organiser la soirée. Ils disent découvrir une autre facette de la personnalité des élèves qui se révèle autant dans les propos tenus dans les discours que dans l'attitude qu'ils adoptent pour briller à la tribune. Les parents d'élèves apprécient eux aussi ce rendez-vous dont ils sont partie prenante. Certains d'entre eux viennent aider les élèves à rédiger leurs textes et à s'entraîner à l'oral, d'autres collectent des lots pour la remise des prix, d'autres encore intègrent le jury ou gèrent les aspects pratiques de la soirée. Les parents d'élèves des écoles voisines viennent assister au concours avec leurs enfants et changent de représentations sur l'éducation prioritaire. La complicité qui se manifeste entre les élèves et les professeurs est de nature à les rassurer, tout comme l'exigence intellectuelle qui transparaît dans les prestations des élèves. La collaboration des élèves, des personnels et des parents renforce la confiance mutuelle qui se vérifie dans les autres temps forts de la vie du collège (portes ouvertes, fête de fin d'année).
 
Ce concours qui constitue un moment fédérateur en ce qu'il s'adresse à tous les élèves et mobilise fortement les acteurs du collège présente tout de même quelques limites parmi lesquelles l'ampleur du travail de préparation qu'il exige de la part des personnels et la désorganisation relative qu'il lui arrive d'occasionner dans le fonctionnement du collège par exemple lorsque les élèves manquent des cours pour continuer de travailler leurs écrits. Mais ce dernier point confirme surtout que les élèves s'engagent pleinement dans ce concours qui leur procure de multiples gratifications.



1. Projet d'établissement du collège la Durantière :
• axe 1 : susciter la motivation, l’ambition scolaire des élèves pour mieux vivre sa scolarité,
• axe 2 : favoriser les conditions d’apprentissage pour conduire tous les élèves a la maîtrise du socle et au partage d’une culture humaniste,
• axe 3 : faire vivre les valeurs citoyennes dans une communication scolaire ouverte sur le monde,
• axe 4 : renforcer la coopération avec les parents pour “nouer une alliance éducative avec eux”.
 
auteur(s) :

G. Bancic

contributeur(s) :

S. Marange, B. Lavet , Collège la Durantière, Nantes [44]

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