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Al mio giudice di Alessandro Perissinotto

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Alessandro Perissinotto est né à Turin en 1964. En même temps qu'il exerce différents métiers il prépare (et obtient en 1992) une licence de lettres. Il se livre ensuite à une intense activité de recherche, se spécialisant dans la sémantique des fables et dans la didactique de la littérature. Il enseigne aujourd'hui à la Faculté des Sciences de l'Education de l'Université de Turin. Il a publié dans ce cadre plusieurs essais parmi lesquels : Il testo multimediale (Utet-Libreria) et avec G.P. Caprettini, il Dizionario della fiaba (Meltemi, Premio C. Nigra per il folclore).


Chez Sellerio, il est l'auteur de trois romans policiers qui plongent leurs racines dans l'Histoire italienne du seizième siècle à nos jours : L'anno che uccisero Rosetta, La canzone di Colombano et Treno 8017. Ses précédents romans ont fait l'objet de diverses traductions dans plusieurs pays d'Europe ainsi qu'au Japon.


Il collabore également au quotidien La Stampa dans lequel il écrit articles et récits qui paraissent régulièrement dans les colonnes du supplément Torinosette.


L'histoire en bref

Après avoir souvent donné pour cadre le seizième siècle à ses précédents romans, Alessandro Perissinotto a choisi cette fois de situer son nouveau polar dans un contexte tout à fait différent et très actuel : l'Italie de la new economy.

Son livre a une structure très particulière : il s'articule autour d'un long (parfois même un brin monotone) échange d'e-mails entre la juge Giulia Ambrosini et Luca Barberis, l'homme qu'elle est chargée de localiser dans sa fuite et de capturer. La relation qui s'instaure peu à peu entre les deux interlocuteurs est plutôt insolite, si l'on pense que tout au long du roman l'assassin s'emploie à revisiter et révéler les coulisses du crime qu'il a commis, celui d'un ami arrogant, fils de son employeur.

Entre le juge (miogiudice@nirvana.it) et Luca Barberis l'assassin (angelo@nirvana.it) s'installe ainsi peu à peu un climat de confiance, voire une certaine complicité qui ne permet pas pour autant au juge de localiser précisément le fuyard, tant son habileté d'ancien hacker lui permet d'entrevoir sans risque la correspondance électronique. Au travers des courriers, l'on comprend bientôt que l'assassin a été victime d'un complot dont l'initiateur se cache au cœur d'un vaste réseau électronique de transactions financières véreuses (il s'agit plus précisément de cyberloundering, pour reprendre un terme emprunté au jargon qu'affectionne Perissinotto).

Originaire des quartiers ouvriers de Turin, ceux de Mirafiori et de la possessive mamma Fiat', Luca Barberis s'est laissé un jour embarquer sur les eaux troubles de la finance on-line convoitant des gains faciles et une vie marquée du sceau du luxe, bien éloignée du destin tout tracé du trentenaire issu de la Turin ouvrière. Passée l'excitation initiale, il doit pourtant se rendre vite à l'évidence : qu'est-il vraiment dans ce jeu de dupes, sinon un petit pion perdu dans un jeu où il pèse en réalité bien peu. L'humiliation l'attend au bout d'un parcours qui débouchera bientôt sur la vengeance inéluctable.

Dans ses lettres au juge, Luca raconte alors sa fuite par delà les frontières italiennes en même temps qu'il se raconte, lui : des banlieues de villes françaises mystérieuses aux plages du Plat Pays en passant par les quartiers chauds d'Amsterdam, c'est le récit d'un parcours dévastateur, d'une cavale parfois haletante qui s'offre au lecteur. Contraint par la présence de mystérieux individus de changer à nouveau de pays, Luca nous fait passer de l'atmosphère chaleureuse d'un petit hôtel français aux paysages du « plat pays » puis aux rues d'Amsterdam, à grand renfort de citations de Jacques Brel. D'un début d'histoire d'amour l'on passe ainsi de la même façon à une autre relation amoureuse vécue dans le milieu du hard core. On apprécie alors l'habileté de Perissinotto à manier d'une page à l'autre ou presque, au fil du périple de Luca, des registres aussi différents que ceux de la télématique et du sexe.


Un regard critique

Alessandro Perissinotto choisit ici d'abandonner l'Italie du passé pour évoquer celle de ce début de siècle, notamment à travers une offensive cinglante et pleine de nostalgie (souvenir ému de la FIAT à papa 1) contre les côtés les plus sombres de la new economy, une mise en garde désenchantée contre le mirage euphorique de la richesse à tout prix.

Même si la trame est plutôt sommaire, si l'on connaît d'entrée l'identité de l'assassin et si, souvent, l'intrigue manque un peu d'intérêt, Perissinotto parvient néanmoins à maintenir en éveil l'attention de son lecteur jusqu'à la fin du livre. Le secret de sa réussite tient en quelques mots : la capacité certaine qu'a Perissinotto à conduire le genre policier vers quelque chose de plus fort et de plus subtilement complexe, de sorte que le fil de l'histoire semble difficile à suivre en surface, à l'image de ce que nous propose la meilleure tradition littéraire policière, héritée par exemple de Simenon. La filiation entre Perissinotto et le père de Maigret n'est d'ailleurs jamais masquée dans le roman. Elle est même à plusieurs reprises revendiquée de manière explicite, au travers de citations par exemple.


L'un des principaux intérêts de cet ouvrage est qu'à travers la succession de courriers électroniques filtre un reflet de notre condition ténébreuse de fuyards amenés à courir sans cesse sur le fil d'une ambiguïté souterraine. S'ouvre ici une autre piste littéraire qui va de Pirandello à Camus le long d'une ligne de partage très floue autour de laquelle toute notre existence se joue.


Au fur et à mesure que le roman avance, que les pièces du puzzle trouvent leur place, le roman n'en reste pas moins toujours teinté d'une forte ambiguïté. L'assassin qui, à plusieurs reprises, a fait allusion dans ses mails à la possibilité d'une prochaine victime semble en fait laisser libre cours à une pulsion secrète, une pulsion quasi suicidaire. Rien n'est pourtant très clair dans le final.



En bref, un roman intéressant bien que très inégal.


1 A signaler, entre les pages 46 et 48, un bel hommage nostalgique au monde des ouvriers FIAT de la Mirafiori d'autrefois, teinté d'accents anarcho-syndicalistes.




 

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