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Anche una sola lacrima di Franco LIMARDI

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Franco LIMARDI est né à Rome en 1959. Il enseigne l'histoire et la littérature italiennes en lycée. Il a fait ses débuts littéraires avec un roman noir intitulé L'età dell'acqua 1(DeriveApprodi, 2001) récompensé par une mention spéciale au palmarès de l'édition 2000 du Prix Calvino.

Son second roman, Anche una sola lacrima fut largement salué, à sa sortie, par la critique italienne spécialisée dans le roman noir ainsi que par le jury du Prix Azzeccagarbugli décerné chaque année au meilleur roman policier, qui l'a classé parmi les trois finalistes de 2006.

Au sein du jury, il a pu compter sur un appui de choix ; celui d'un des flics les plus célèbres d'Italie, le romain Achille Serra, qui a motivé en ces mots son vote en faveur du roman de Linardi :

"Il explore les angoisses d'un homme seul et isolé, et offre une description de la province qui ne peut laisser insensibles."


L'histoire en bref


Une petite ville de province anonyme et ennuyeuse, quelque part en Italie centrale.

Une de ces nouvelles cathédrales vouées au culte de la consommation effrénée que sont les grands centres commerciaux perdus dans l'extrême périphérie des villes.

L'homme, visage de fer, regard inexpressif, calme terrifiant, est un ex-militaire rentré fragilisé du Liban. Le genre peu loquace qui aurait toute sa place en haut de l'affiche d'un film de Sergio Leone, il fuit toute tentative de socialisation par le travail en s'efforçant de maintenir en tout temps le détachement qui sied à sa tâche : responsable de la sécurité d'un centre commercial ultra moderne.

Ses journées filent, plus banales l'une que l'autre, dans l'exercice quotidien de la traque aux voleuses de lingerie à la tire et autres petites frappes. Pour seule occupation, une maîtresse aussi fougueuse dans l'alcôve que glaciale et distante sur le plan des sentiments. En apparence intégré, Lorenzo Madralta est en réalité rongé de l'intérieur par une irrémédiable sensation de mal-être à laquelle il ne sait donner ni sens ni réponse. Son trait de caractère le plus marquant : sa grande passivité. En toute passivité donc, il se laissera bientôt entraîner dans le jeu périlleux d'un braquage conçu et mis en œuvre par son supérieur hiérarchique et soi-disant ami. Lequel Vittori, directeur du centre commercial, et accessoirement mari de la fougueuse maîtresse, a un sévère appât du gain et voudrait se venger d'employeurs qui, à l'en croire, ne lui ont pas permis de faire la carrière attendue.

Aussi a-t-il entrepris de faire un gros coup'.

Et quel genre de braquage ? Tout simplement celui du centre commercial qui emploie les deux hommes, bientôt rejoints dans leur entreprise par trois spécialistes' bien mal assortis.


Madralta, en grand professionnel, ne voudrait pas se laisser tenter. Mais, à bien y réfléchir, qu'a-t-il à perdre dans l'histoire ? Un travail qu'il n'aime pas ? Une vie solitaire ? Sa relation avec Giuliana ???

C'est sans compter sur la rencontre de Laura, montée chez lui boire un verre d'eau, un soir de fête chez les étudiants de l'étage en dessous. Laura, la jeune fille, fraîche et si propre, la première pour qui il vaudrait peut-être la peine de faire une folie. Elle, que Lorenzo sans le savoir poursuivait : la grande passion.


En dépit d'un plan d'action bien huilé, c'est le dérapage... Un sérieux couac' même dont ne réchapperont pas trois jeunes clients d'un fast-food. Et à partir de là, les choses iront de mal en pis, dans un climat de violence croissante, entre une police qui se fait de plus en plus pressante et des complices qui veulent la jouer solo et se disputent bientôt la palme de la traîtrise.

Le braquage qui s'annonçait un jeu d'enfants très lucratif en pleine période des derniers achats de Noël va bientôt virer au cauchemar. Un cauchemar fait de meurtres, de trahisons à répétition par lequel Madralta semble comme englouti sans espoir de retour en arrière.




Un regard critique

A une époque où beaucoup se plaisent à expérimenter, Limardi avance à contre-courant et nous offre un roman dans lequel, dès les premières répliques, apparaît clairement sa volonté de reconquérir un style qui a fait ses preuves : celui du bon vieux noir de chez noir' des années Cinquante à la Hammet, Cain ou Goodis. Un retour dans le passé donc, avec un noir classique en somme, écrit avec talent et soigné dans les moindres détails. Le climax est habilement travaillé et le lecteur ne lâche jamais prise sur une histoire racontée avec simplicité de manière directe, jusqu'à l'épilogue oh combien sanglant.

Anche una sola lacrima respecte non seulement les canons stylistiques de la littérature noire américaine, mais aussi les thèmes de prédilection dont il reprend avec talent tous les topoi (l'inéluctabilité du destin, l'aspiration désespérée d'émerger d'une condition de grande frustration humaine et sociale, et jusqu'à la présence de la dark lady lolita' en la personne de la perverse Laura...).

Toutefois, dans l'incontournable final tragique qui n'offrira de salut à personne, il est intéressant d'observer une pointe d'originalité et de poésie, notamment dans les remerciements que Madralta adresse à son joli bourreau, pour lui avoir fait goûter les saveurs amères d'un rêve à suivre. De la même manière, toujours à la fin, Limardi parvient à sauver l'idée de l'amour, du don de soi aux autres notamment à travers le personnage du barman Giovanni, victorieux d'un passé encombrant. Le livre refermé, on a un peu l'impression d'avoir lu un roman noir atypique, de par la présence notamment de ces minces éclats de lumière et d'espoir.

En outre, contrairement à ce qui se voit chez les autres grands noms du noir' italien contemporains, ici aucune volonté hyperréaliste de raconter voire de dénoncer les tensions et les changements du pays. L'histoire que nous livre Limardi est plutôt celle de pathologies individuelles. La localisation de l'histoire évite le recours à la description détaillée de paysages urbains post-modernes pour se jouer aux alentours d'une métropole très abstraite, dans une province aux contours mal définis. Néanmoins, ces caractéristiques cohabitent, dans le roman de Limardi, avec des thèmes chers au roman noir italien. Vittori et Madralta sont absolument fils de leur époque. Tous deux sont corrompus. Vittori parce qu'il est prêt à tout pour s'enrichir et consommer. Madralta car il se laisse moralement pervertir par un plan criminel, la corruption patrimoniale et morale restant l'un des thèmes de prédilection des auteurs de noir italien' contemporains.

Le mécanisme narratif du roman fonctionne autour d'une alternance savamment dosée de dialogues secs et nerveux, authentiques et crédibles, et de descriptions souvent limitées à l'essentiel mais terriblement efficaces. De par sa brièveté et le dosage savant évoqué plus haut, le roman de Limardi file tout droit au but un peu comme une balle de revolver. L'écriture est dense, élaborée, élégante même parfois (dans le premier chapitre par exemple), tout juste émaillée parfois de tournures dialectales bien senties.

Un roman où les coups de théâtre - parfois un peu téléphonés'- se succèdent pour déboucher sur un final époustouflant au rythme à vous couper le souffle.

Bref, un ouvrage qui vous prend et ne vous lâche plus, sur le fil d'une trame quand même assez convenue, il faut bien le reconnaître. Beaucoup de talent quand même chez Limardi.

A suivre de près !

1 L'âge de l'eau

 

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