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Cara creatura di Pino ROVEREDO

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Pino Roveredo (Trieste 16 octobre 1954)

«Mon école, c'est la rue. C'est de là que je viens » martelle, sans orgueil, Pino Roveredo à longueur d'interviews en soulignant l'importance pour lui de ne jamais oublier cette origine.

Issu d'un milieu populaire (son père était cordonnier) et fils de parents sourds-muets, après avoir lui-même travaillé pendant des années à l'usine et surmonté tant et tant d'épreuves dont un séjour en prison où son surnom était Pino, le lettré'1,Pino Roveredo est aujourd'hui écrivain et journaliste collaborateur du journal Piccolo de Trieste.

En 1994, le premier récit signé Pino Roveredo est publié dans l'anthologie Entre les rides2 (LINT) : les autres auteurs de l'ouvrage en question étaient alors plus célèbres que lui. Aujourd'hui, seuls trois d'entre eux le sont encore. Au cours de l'été 1995, sur un signalement de la journaliste et écrivain Gabriella Ziani et sous le haut patronage de Claudio Magris, la troisième page du journal PICCOLO, publie en pleine page le récit Mandami a dire. Trieste commence alors à connaître la langue parlée d'un nouvel écrivain, le premier sans doute à donner à la ville une voix non bourgeoise mais populaire.

Le jour de son anniversaire en 1996 sort Capriole in salita. Et suivent les autres récits, les textes pour le théâtre, les romans... Jusqu'au jour où, à la maison d'édition Bompiani, Elisabetta Sgarbi découvre à son tour le talent littéraire et les qualités humaines de Pino Roveredo. Sous le titre Mandami a diresortent ou ressortent alors des récits en grande partie déjà publiés dans Una risata piena di finestre. Les succès s'enchaînent au rythme des critiques flatteuses, et Roveredo gagne la tête du classement des livres les plus vendus en Italie. Septembre 2005: le prestigieux prix Campiello est attribué, ex aequo, à Antonio Scurati et Pino Roveredo, toujours pour le recueil Mandami a dire.

En 2006, la Bompiani réédite les Capriole in Salita et enfin, à la veille de cet été, c'est au tour de CARACREATURA, roman salué par les commentaires unanimement flatteurs de la critique et une vague de réservations auprès des libraires digne d'un auteur dont on est désormais en droit d'attendre les signes de confirmation d'un succès annoncé.

Le but de ma vie - explique Roveredo - c'est de m'occuper des autres. Je suis un ouvrier de la rue et les histoires des autres je les couds sur ma peau ». Il est clair que pour raconter si justement les autres comme il le fait dans Caracreatura' l'expérience de vie, le vécu de Roveredo sont précieux.

A la question Qu'est-ce que la littérature ?' récemment posée à l'écrivain de Trieste, Roveredo répond que c'est une communication populaire et non d'élite, car c'est par l'écriture à ras de terre que l'on peut écrire des histoires d'art et que c'est par le malaise que l'on écrit et qu'on lit le plus. »

En Italie, une centaine d'écoles ont d'ores et déjà adopté ses textes comme objets d'étude. Aussi, un brin provocateur et décalé, Roveredo déclare-t-il à ce propos qu'il lui semble important que les jeunes s'approprient la culture de la défaite : « Nous vivons dans un monde dans lequel on nous fait croire, et encore plus aux jeunes, que tout est facile, accessible, dû. Puis au premier faux-pas, au premier écueil, on s'écroule déçus, déprimés, perdus. Il nous faut au plus vite recommencer à enseigner à nos enfants la valeur de al défaite ; à mes enfants, je leur ai souhaité d'arriver dix-septièmes, quarante-troisièmes..., pourvu qu'ils arrivent ». Une philosophie qui n'est pas sans rappeler celle que se forgera la mère de Gianluigi, Marina, héroïne de ce petit bijou qu'est Caracreatura'. Un grand livre, vraiment !

L'histoire en bref


Des millions de copies vendues, une renommée planétaire comme auteur d'univers narratifs insolites ou de reality-shows géniaux tout autant que cyniques. La vie et la carrière de Ludovico Lauter, le plus grand écrivain de tous les temps, n'en demeurent pas moins un vrai mystère. Sans compter que l'énigme a encore enflé, depuis qu'au sommet de la célébrité, l'écrivain à succès semble s'être évanoui dans la nature.


Un modeste écrivain, à l'aube de la soixantaine, s'acharne à en rédiger la biographie. Pour lui, c'est sûr, l'heure du rachat vient de sonner - du moins le pense-t-il - après une somme de livres incolores pour le compte d'éditeurs ratés et des colonnes à profusion dans les pages de la presse féminine à sensation. Tout quitter alors, embarquer à bord d'un bateau en partance pour la Sardaigne, s'isoler dans une maison sur la côte, semblent les conditions indispensables au succès d'une telle entreprise, en ce début d'automne.


Et puis Lauter n'est finalement pas si mystérieux : il le sait bien, lui, où se trouve le Maestro. Ne dispose-t-il pas, en effet, d'informations inédites et de toute première main sur son compte ? Il doit donc l'écrire, et sans tarder, cette biographie.

Ecrire l'enfance du futur grand écrivain, fils d'Hermann, l'allemand triste, et d'une insouciante jeune sarde aux talents prophétiques ; à commencer par les heures de la naissance sur les ruines des bombardements américains de Cagliari.

Ecrire aussi l'adolescence romaine et les années des études universitaires à Bologne, ponctuées par des séjours à Wiesbaden, sorte de temple de la culture européenne des années soixante, aux sources d'une histoire familiale paternelle traumatique marquée par la figure inoubliable de l'oncle Siegfried.

Ecrire ensuite le temps de l'affirmation littéraire fulgurante à Milan aux abords de la Galerie Vittorio Emanuele, et le final sous les grandes verrières de l'appartement new-yorkais des heures de gloire de la trilogie de l'Etoile de mer, laboratoire d'inventions narratives pour scénari d'émissions de télé-réalité à sensation, atelier de névroses et dernière résidence connue de l'écrivain, disparu subitement sans laisser d'autre adresse.


L'hiver, en attendant, s'installe sur la mer aux abords des maisons de vacances depuis longtemps désertées par les estivants.

Ici, pour l'anecdote, les destinées du biographe imaginaire et de l'auteur de ce premier roman se rencontrent, à en croire les témoignages d'amis du jeune écrivain sarde qui se plait à rappeler comment, pour écrire ce récit, il a dû s'isoler lui-même dans une maison surplombant une falaise où quelques amis, venus suivre l'avancée des travaux, lui ont régulièrement rendu visite.


Dans le roman aussi le biographe écrit, creuse et les existences s'entremêlent, se compliquant en une sorte de troisième acte expéditif et théâtral où se confondent bientôt deux itinéraires : celui du biographe et celui du Maestro. En effet, la troisième partie du roman réserve de nombreuses surprises et se révèle une savante satire du narcissisme, une critique acerbe du cynisme le plus débridé des plateaux de télé et du star-system littéraire.

Sous ses multiples facettes, ce roman n'est pas sans rappeler certains grands représentants de ce système que l'auteur se garde bien de nommer clairement. Mais à la fin, la parenté avec un certain Stephen King est quasiment transparente.



Un regard critique

Un premier roman copieux, bien articulé à triple facette : celle du protagoniste à l'identité d'abord unique, double ensuite et enfin triple ; un mystérieux écrivain à la personnalité schizophrène dont la portée tridimensionnelle émerge peu à peu, au point de désarçonner le lecteur au seuil d'une deuxième partie qui ne s'ouvre qu'à la 272ème page, au terme d'un long premier acte mené tambour battant et sans lourdeur aucune.

De Roma accouche ici d'un essai de biographie exemplaire ; notamment par son habileté à distraire le lecteur de l'idée (tout à la fois vraie et fausse) que c'est ici Lauter en personne qui écrit sur lui-même : le tout avec une grande précision quant aux dates, aux lieux, un luxe de précisions et des ouvertures judicieuses sur les épisodes clefs de la vie et de l'histoire familiales ou des extraits bien choisis de roman dans le roman et de nombreuses incursions dans le présent de la maison sur la falaise.

Une biographie admirable au point d'irriter le lecteur quand la deuxième partie (pages 275-310) vient tout remettre en cause. Le biographe y prend alors, contre toute attente, l'allure d'un justicier' et ne montre plus que le côté obscur, faux, cynique et cruel de Lauter devenu, dès lors, LL et rien d'autre, en abusant alors de la technique du récit dans le récit.


Dans la foulée, la troisième partie (pages 311-340), est construite autour d'une correspondance romantique dans laquelle Roberta, propriétaire curieuse de la maison sur la falaise, témoigne auprès de son fiancé australien Matt de tout ce qui ne tourne pas très rond chez le biographe solitaire. Un moyen de relire la deuxième partie sous un autre angle : celui de la folie débordante qui éclate enfin au grand jour.


Le roman ne s'achève pour autant vraiment qu'à la fin ; une fin où tout recommence pour ramener le lecteur au début, l'invitant à repenser aux destins étrangement croisés de Lauter et de son biographe.


L'ensemble est servi par une écriture solide et cultivée, un sens du rythme qui sait jouer des différents retournements de situation et les registres variés d'un roman captivant, tendre par certains aspects, cruel aussi par tant d'autres.

De Roma tisse avec maestria les nombreux fils de l'intrigue, trouvant d'entrée la bonne mesure et un style déjà emprunts d'une grande maturité littéraire.


Parfois, cependant, le lecteur peut finir par éprouver un sentiment de lassitude pour une certaine forme de littérature pour la littérature dont on peut s'interroger sur l'utilité réelle.

1 Dans nombre d'interviews, Pino Roveredo se plait en effet à rappeler qu'en prison, à Trieste, tout le monde le connaissait comme le lettré', celui qui écrivait des lettres pour les autres détenus et adaptait ses tarifs au type de prose demandé. Une lettre d'amour c'était tant, une lettre au juge un peu moins. Si c'était pour servir la cause d'un co-détenu qui, par ce biais, pourrait voir sa situation évoluer favorablement, le prix était encore différent. Et l'on pense alors aux deux lettres très réalistes et bien senties adressées par l'aumônier de la prison à la mère de Gianluigi, la chère créature de Caracreatura'.

2 Titre original : « Tra le rughe », allusion implicite à l'expression consacrée « Tra le righe » qui signifie entre les lignes'.

 

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