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La grande casa di Monirrieh di Bijan Zarmandili

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Bijan ZARMANDILI

Bijan Zarmandili est né à Téhéran et s'est installé à Rome en 1960. Journaliste, il couvre depuis plus de vingt ans l'actualité du Moyen-Orient pour le groupe de presse Espresso-Repubblica.


La grande maison de Monirrieh' est son premier roman, construit autour des vicissitudes d'une femme en qui semble s'incarner le destin d'un pays et d'une culture. Bijan Zarmandili y raconte l'histoire de la très belle Zahra, des années trente jusqu'au conflit Iran-Irak : son amour impossible pour un jeune juif, son mariage, sa maternité, le défi lancé au monde depuis les murs de sa grande maison' au cœur du quartier central de Monirrieh, non loin du palais de l'aytollah Khomeini. En parallèle, l'auteur nous offre de remonter le temps d'un pays qui se tourne vers l'Occident avant d'amorcer un sévère retour aux racines. Le temps de l'Iran qui, dans la chaire même de Zahra, imprimera le signe d'une radicale contradiction.


L'histoire en bref

La scène initiale nous conduit dans les allées d'un grand cimetière au sud de Téhéran, consacré aux « martyrs de la révolution », et particulièrement au premier d'entre eux : l'ayatollah Khomeini, dont le tombeau est l'objet d'une exceptionnelle vénération.

Zahra vient de s'éteindre dans le calme de sa grande maison et sa fille aînée, accompagnée de son père, est venue l'enterrer sans grand cérémonial. A l'horizon, les monts Alborz arborent leurs premières neiges. Dans les allées du cimetière, de petits groupes rendent hommage aux shahid, les martyrs, à grand renfort de slogans anti-Saddam : nous sommes en 1987, la guerre entre Iran et Irak en est déjà à sa septième année. Le mari et la fille de Zahra offrent des pâtisseries aux passants, comme le font les parents de tout défunt. Recroquevillées le long des murs des mosquées, des silhouettes silencieuses recouvertes du chador noir : ce sont des veuves de guerre, venues offrir leurs services d'« épouses temporaires », l'espace de quelques heures ; c'est là leur seul moyen de subsistance, une forme de prostitution condamnée et sanctionnée par les autorités religieuses. La fille de Zahra sait la misère de ces femmes pour les rencontrer parfois comme patientes. Médecin, après ses études en Europe, elle est rentrée en Iran à l'issue de la révolution islamique de 1979, afin de ne pas perdre le contact avec son pays. Elle repense à présent à la vie de sa mère, débutée à une époque très lointaine et tellement différente (pour l'Iran et pour ses femmes). La fille de Zahra n'en reste pas moins un personnage à l'état d'ébauche. Dans le roman de Bijan Zarmandili, c'est la figure de Zahra qui tient toute la place : celle d'une jeune femme qui, à l'âge de 30 ans, a tenté de vivre de manière indépendante, payant au prix fort la liberté conquise.

Zahra n'était encore qu'une enfant lorsqu'en Iran accéda au pouvoir Reza Khan, le palefrenier devenu officier de la brigade des Cosaques, puis shahan sha, « roi des rois », premier de la lignée des Palhavi. Ces faits historiques remontent à 1925, quand l'irrésistible ascension d'un garçon d'écurie annonçait déjà la mise en place d'un régime despotique et répressif, en même temps que s'ouvrait la construction d'un état moderne, tout à la fois semi féodal et, par certains côtés, teinté d'occident. C'est en effet à cette époque qu'apparurent à Téhéran l'université, l'état et les premiers cinémas. Les années trente marquent également l'apparition du lycée de jeunes filles français, et l'accès à une instruction moderne pour les filles de bonne famille. Zahra compte ainsi parmi les premières femmes iraniennes de l'époque dont l'éducation ne se limita pas à une récitation automatique du Coran et à la préparation au rôle d'épouse modèle.

Sur les photos de cette époque, Zahra est une belle jeune fille aux cheveux courts permanentés, fière d'arborer le rouge aux lèvres, un chemisier à fleurs et de grands yeux noirs. Bref, une fort jolie jeune femme aux manières indépendantes, à l'aise dans les réceptions mondaines, dans les discussions littéraires ou cinématographiques. Elle a un travail et entend épouser un jour l'homme qu'elle aura choisi - quand bien même sa mère souhaiterait la voir choisir un jeune et bon musulman, de ceux qui viennent demander la main des jeunes filles avant même de leur adresser un regard. Zahra, comme en chaque chose, n'en fait ici qu'à sa tête : amoureuse d'un jeune homme juif qui l'aime en retour, elle décide de fuir avec lui à Isfahan et de « consommer » cette relation impossible. Elle sait pourtant que les familles respectives n'accepteront jamais un tel mariage ; c'est sans compter sur la réaction de son jeune amoureux, incapable d'aller contre l'avis paternel. Malgré cet épisode initiatique, Zahra déçue ne s'avoue pas vaincue. Elle connaîtra lors d'une réception l'homme fascinant qu'elle finira par épouser : un iranien promoteur du cinéma italien, très en vue de la bonne société de l'époque. A sa manière, il accomplit lui aussi un geste moderne pour l'époque : frappé par la beauté de la jeune femme, si cultivée et pleine de verve, il décide immédiatement de l'épouser.

Le mariage vaudra à Zahra d'être catapultée dans une grande maison - à Monirrieh, quartier central de Téhéran - où se côtoient plusieurs branches d'une grande famille marquée par la discorde. Seule et isolée, Zahra y fera bientôt les frais de l'ostracisme de cet entourage. Elle s'apercevra vite que les mentalités ont finalement peu évolué, et l'attitude de son mari ne manquera pas de la conforter dans cette impression.


Commence alors pour elle une existence qui l'amènera à rechercher la mort. Elle réchappera d'extrême justesse à une tentative d'immolation par le feu dont elle conservera à jamais de graves séquelles physiques. Dans les scènes finales de sa vie et du roman, c'est une autre femme qui cache désormais sous un chador noir ses innombrables cicatrices en même temps que les blessures de son âme. Ainsi coupée du monde, elle trouve un semblant de sérénité, comme si l'existence de son pays lui importait bien peu. Elle écoute pourtant les discours de sa fille, venue lui rapporter les faits du dehors : la révolution, les mollahs maintenant omniprésents, la lutte pour le pouvoir entre les religieux les plus intransigeants et un islam dit de gauche, les exécutions publiques et les espoirs des « libéraux » - ceux-là qui espèrent encore dans la démocratie et la liberté.

Un jour, enfin, à sa fille qui ne cesse de la rappeler à la réalité du dehors, elle déclarera : «Moi, ma révolution il y a des années que je l'ai faite et je continue d'en payer le prix. »

Comme il convient à l'écriture orientale, le beau roman de Zarmandili devrait d'ailleurs être lu à partir de la dernière page, au fil de laquelle la trame narrative, à savoir la vie de Zahra, se fond paisiblement dans la citation de deux sourates, deux versets du Coran.



Un regard critique


D'abord connu comme analyste expert des réalités moyen-orientales, dans sa nouvelle peau de romancier Bijan Zarmandili manie la langue italienne avec une grande délicatesse. Jamais il ne cherche à jouer la carte de l'hyper expressivité ; il privilégie au contraire la précision incisive. Jamais il ne cherche à embellir les sentiments, préférant les fondre dans la vie même des personnages.

D'une main sûre il fait s'entrelacer tout au long du roman les lignes d'un siècle d'histoire de son pays (dans une perspective qui voit se multiplier les reflets des récentes tragédies collectives) et celles de l'existence quotidienne des personnages, au travers de laquelle les événements de la grande Histoire nous apparaissent plus troublants que jamais.


Le roman est écrit avec passion et, avec beaucoup de simplicité. Son auteur, qui sait raconter avec la sensibilité du poète et la nostalgie de l'exilé, en citant souvent les grands de la littérature persane tels Hafez ou Firdusi, parvient à y dépeindre avec exactitude les transformations successives d'un pays qui, dans les années 30 frappait aux portes de la modernité et, dans les années 80 achevait sa révolution au nom d'un ayatollah. Les réalités du monde musulman ont déjà fait l'objet d'une vaste production d'essais en tout genre, mais c'est sans doute ici la voie littéraire, par la sincérité de ses inventions, qui colle le mieux à la vérité. Et si par endroits, le récit devient un peu didactique, notamment sur le plan historique, jamais cela ne relève du défaut. L'on peut même ici parler d'une qualité de plus, d'une nécessité qui nous aide à ne pas rester des étrangers.


Zarmandili a, par ailleurs, choisi un point de vue féminin pour raconter un monde féminin, notamment celui de cette jeune femme découvrant qu'elle a une demi-sœur au travers du récit de sa mère lorsque elle évoque l'abandon douloureux d'une enfant née d'une relation extra conjugale.

En bref, et en résumé, j'aurais envie de définir La grande maison de Monirrieh comme un hommage sublime, tout en finesse et discrétion, à une femme en avance sur son temps ; un portrait par touches légères de celle qui, payant au prix fort son audace et son courage, permit d'une certaine manière d'ouvrir la voie à toutes celles qui vécurent ou vivront après, et devront affronter de nouvelles turbulences.



 

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