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Neornapoletano di Antonella Cilento

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Antonella Cilento est unejeune femme brillante si l'on pense qu'à 30 ans à peine elle s'est déjà forgée une notoriété sur la scène du roman italien contemporain. Et ce n'est pas tout.
Ses romans précédents ("Il cielo capovolto" publié en 2000 chez Avagliano et "Una lunga notte2" sorti chez Guanda en 2OO2 ), ont remporté ou figurent au palmarès des prix italiens les plus prestigieux tels que le Fiesole, le Viadana, le Vigevano, le Greppi, le Tondelli ou encore le Prix Calvino.


Par ailleurs elle est la fondatrice de l'école d'écriture "Lalineascritta" qu'elle anime encore aujourd'hui tout en continuant d'encadrer nombre d'ateliers d'écriture dans toute la péninsule italienne.


On lui doit également de nombreux textes pour le théâtre ainsi que l'écriture de récits radiophoniques pour RAI 3.



L'histoire

Dans une ville de Naples où l'on passe d'une saison à l'autre en un clin d'oeil, le personnage principal du roman d'Antonella Cilento n'est autre que le temps, méchant propriétaire terrien [...] qui ne sait pas très bien où commence ni où s'achève sa propriété.

En un jeu de flashback, de dejas-vu et d'allers-retours temporels, c'est à une fusion pour le moins particulière entre passé et présent que nous convie ce roman captivant sur fond de réincarnation : Elide, jeune-femme à la personnalité complexe et fascinante employée au Service des Affaires Culturelles et du Patrimoine de la ville de Naples, cultive un amour viscéral pour la lecture, qui lui permet de se réfugier dans les pages illustrées des fables et des histoires fantastiques (notamment celles des nouvelles de Basile, auteur au dix-septième siècle du très baroque Pentamerone'). Depuis son plus jeune âge, les horreurs mystérieuses puisées à cette source l'ont aidée à trouver refuge dans une fiction plus savoureuse que la banale réalité d'une vie d'employée, marquée seulement par de fréquents accès de panique teintés d'agoraphobie et de claustrophobie montant par vagues inopinées lui couper les jambes et le souffle.


Seules les rues et les artères familières de sa ville, où les gens se déplacent en dépit du mauvais temps même lorsque les nuits sont froides et salées, l'aident à contenir partiellement l'emprise de son corps sur son esprit, emprise embarrassante qui la paralyse dans les situations les plus incongrues. Peut-être est-ce d'ailleurs la faute de ces obsessions, jointes à une passion dévorante pour l'Histoire de l'art, si Elide, douée d'un sens aigu de l'observation, s'est habituée à voir déambuler dans les rues de Naples des personnages sortis tout droits des tableaux de Pietro Longhi ou d'autres artistes contemporains de ce dernier. Des personnages connus qui, déchirant les mailles un peu lâches du temps, font irruption sur les places et dans les ruelles, ainsi que dans les musées où, du fond de leurs cadres, ils sont capables de sourire, de saluer d'un clin d'œil.

Autant de personnages qui, jamais auparavant, n'avaient vraiment marqué de leur empreinte l'existence d'Elide. Jamais, jusqu'au jour de sa rencontre avec le célèbre acteur Domenico Serao, homme désagréable dont les traits renvoient Elide à d'obscures réminiscences visuelles qu'elle mettra du temps à déchiffrer. Cette rencontre impromptue marquera le début d'une longue série d'épisodes pour le moins déconcertants, qui amèneront Elide à revivre un complot ourdi en 1701 contre la personne du Vice-Roi d'Espagne.

Premier épisode de la série : les mystérieux e-mails qu'adresse à l'héroïne un certain Don Luis de La Cerda, personnage historique très en vue dans la Naples des Vice-rois. Parallèlement, ce sera l'entrée en contact avec un sculpteur passionné de lectures ésotériques et la découverte, tout à fait par hasard, d'une mystérieuse église baroque qui, à première vue, pouvait sembler abandonnée. C'est pourtant là qu'Elide fera connaissance d'un prêtre menaçant. Là aussi qu'elle croira apercevoir un tableau de valeur, à la disparition duquel elle consacre de longue date, pour le compte de son Chef de Service, une enquête sur des objets d'art ayant appartenu autrefois au célèbre philosophe Giambattista Vico, dont le souvenir et la doctrine hantent plusieurs pages du roman. Puis viendra la rencontre torride avec Cìo, jeune et séduisant acteur de la troupe de Domenico Serao.

La ville devient alors le décor d'une histoire transversale, celle d'une Naples aux teintes caravagesques, où les quartiers d'antan illuminés par d'incroyables reflets et peuplés par des personnages énigmatiques rescapés de l'usure du temps sont habilement juxtaposés à la foule de la Piazza Garibaldi animée par des chauffeurs de taxi. Ceux-là mêmes qui, en bons napolitains, ne manquent jamais une occasion de parler des maladies de la belle-sœur du cousin de leur tante.

Mais quand les fils de l'histoire commencent à s'entremêler, les choses s'avèrent bientôt très différentes de ce qu'Elide (et le lecteur avec elle) s'attendait à trouver au départ ...



Un regard critique

Le style d'Antonella Cilento est fluide et rassurant, truffé d'expressions dialectales qui contribuent à animer un roman où chaque phrase semble aller de soi. L'écriture est souple et efficace. Son premier moteur est une imagination débridée que ne freine aucune angoisse du rationnel et pourtant concentrée sur l'évocation obsessionnelle d'une Naples apparaissant, comme en filigrane, entre les lignes.


L'auteur en appelle à la philosophie du destin perçu comme un choix, à la conscience de la possibilité d'un futur perfectible grâce à la connaissance du passé. Là encore, derrière cette idée, c'est à Naples et aux napolitains que s'adresse le reproche à peine masqué d'une volonté quasi génétique « d'en vouloir à ceux qui gouvernent en épargnant ceux qui sont gouvernés ». Tout cela en des termes quasi maternels qui peuvent nous faire penser au discours d'une mère sur son fils turbulent, dernier partout et même un petit peu moche, et son préféré pourtant.

Derrière les figures omniprésentes de Vico et de Campanella, derrière l'évocation lancinante la responsabilité des choix que nous faisons, la portée philosophique du discours passe également par l'exploration quasi obsessionnelle de la part de l'auteur, sur fond d'ésotérisme et de réincarnation, du rapport continuel entre passé et présent, entre ce que nous sommes et ce que nous avons été un jour. La théorie vichienne des cycles trouve ici une expression littéraire teintée d'une ironie savoureuse. Inutile de dire que la ville de Naples, mieux que n'importe quelle autre, se prête de façon idéale à jouer les décors d'une telle histoire, vu son identité toujours tiraillée entre modernité et héritage écrasant d'un passé auquel elle ne sait renoncer. A Naples, comme le roman d'Antonella Cilenton nous le fait setnir, l'agencement des quartiers, des édifices reflète en effet cette intrusion continue du vieux dans le neuf : tout ce qui est neuf dans cette ville ne tarde jamais à prendre un aspect usagé, tendant à devenir très vite un monument ou une ruine. La lecture de Neronapoletano rend parfaitement cette sensation qu'ont éprouvée nombre de voyageurs à Pompéi ou à Herculanum : la sensation d'un temps qui a perdu toute frontière, où l'on a l'impression de vivre un éternel présent et d'appartenir à jamais à certains lieux.

L'un des nombreux intérêts du roman est sans conteste l'art du faussaire que maîtrise à la perfection la Cilento, notamment à travers la simulation du document historique. Nombreux sont en effet les citations, pastiches et autres discrets hommages qui ponctuent son livre : des nouvelles de Basile (le Boccace napolitain) qui ouvrent le roman aux dessins de l'illustrateur Adelchi Galloni, des peintres du dix-septième siècle à Boccace lui-même, dont il nous semble apercevoir certains personnages du Décameron. Celui d'Andreuccio da Perugia, par exemple, notamment dans l'évocation d'une Naples nocturne et dangereuse ou pour le moins inquiétante. En outre, comme dans son roman précédent, Antonella Cilento fait montre d'une grande habileté dans l'art du pastiche linguistique. Il eut été impossible de reconstruire à la lettre la langue du dix-septième, tellement lourde et redondante sans ennuyer rapidement le lecteur. Et pourtant, au prix d'un travail patient et passionné, l'auteur est parvenue à reconstruire (notamment dans la restitution de certains manuscrits imaginaires) à recréer l'atmosphère de l'époque, en recourant à de nombreux archaïsmes et en n'hésitant pas à inventer parfois. Certaines pages sont franchement irrésistibles, telle que l'escapade en Calabre (en calabrais dans le texte) dans laquelle, une fois encore à travers l'art de jouer des dialectes à la manière d'un Camilleri, l'écrivain dévoile tout son talent d'imitatrice.

Le plaisir qu'a pu prendre Antonella Cilento à tisser ce polar à partir d'éléments de son environnement quotidien napolitain est communicatif. Combien de lecteurs résisteront à la tentation de gagner Naples au plus vite, avec le roman en bagage accompagné ? Bien peu, sans doute.

La Cilento nous offre ici un livre très visuel, que l'on peut lire presque comme l'on voit un film, un livre au climat nostalgique et au rythme haletant, un thriller en partie sur fond historique qui sait voir d'un angle nouveau la frustration sociale d'un peuple ennemi de lui-même cachant bien sa colère derrière une allégresse qui n'est que de façade.



1 Le ciel sens dessus dessous

2Une longue nuit

 

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