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Nero è l'albero dei ricordi, azzurra l'aria di Rosetta Loy

compte-rendu de lecture de Frédéric Cherki

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Informations sur l'auteur

Rosetta Loy

Est-il encore besoin de rappeler que Rosetta Loy est l'auteur de La bicyclette, La porte de l'eau et autres Routes de poussière, Un chocolat chez Hanselman ou encore Madame Della Seta aussi est juive. Autant d'œuvres qui ont fait l'objet de traductions remarquées en France.

Née à Rome en 1931 d'un père piémontais et d'une mère romaine, Rosetta Loy étudia le journalisme avant de se consacrer à ses quatre enfants. Ce n'est qu'en 1974 qu'elle publia un premier roman très autobiographique, « La bicyclette » (édité en français, dans la version qu'elle remania en 1977), suivi, deux ans plus tard, du poignant « La porte de l'eau », histoire d'une gamine dans la Rome de la fin des années 30. Elle a décroché quatre prix littéraires avec « Les routes de poussière », une fresque sur une famille de paysans piémontais aisés du XIX° siècle, avant de confirmer avec « Un chocolat chez Hanselman » ou « Madame Della Seta aussi est juive ».

Dans La porte de l'eau, une fillette cherche ses repères entre des parents bourgeois, distants et sans tendresse (la période certes ne s'y prête pas), des religieuses parfois cruelles (sa professeur de piano notamment, qui sourit en lui écrasant les doigts à la moindre fausse note)... et une gouvernante allemande, Anne-Marie, sa seule alliée, une façon d'être sa seule amie dans un univers d'une terrible solitude. Une vie d'« un ennui sans colère ». Comme toujours chez Rosetta Loy, l'Histoire est en marche, par petites touches. Dans l'appartement d'en face, une famille juive vit ses derniers instants d'un bonheur simple que la fillette envie...

La même fillette sans doute que nous retrouvons dans Ay, Paloma, court et merveilleux roman dans lequel la Deuxième Guerre mondiale suit son cours ; nous sommes en 1943. La narratrice a grandi, elle a douze ans. Dans le Val d'Aoste, plusieurs familles de la bourgeoisie italienne se sont réfugiées au Grand Hôtel Brusson pour échapper aux bombardements. La splendeur de l'endroit n'est plus ce qu'elle était, même si les apparences sont sauves. On dîne de rien dans une splendide vaisselle. On joue au tennis avec des chaussures de sport trouées. Les adultes forment une forêt d'ombres, des fantômes et des fantoches. Les adolescents sont livrés à eux-mêmes pour de fausses grandes vacances. La narratrice est un peu à l'écart. Un appareil dentaire et des sabots aux pieds n'aident pas à s'intégrer. Elle a depuis peu ses règles, ses « choses », dont elle ne peut parler à personne. Surtout, elle aime en secret Augusto, un « garçon de Turin avec un bras en moins », et ça non plus, elle ne voit pas à qui elle pourrait le confier. Elle est transparente aux yeux des autres, c'est un désastre : « Est-ce qu'on peut être malheureux à douze ans, profondément, totalement malheureux, au point que ce malheur devienne un concentré de tous les battements de coeur connus jusque-là ? » Pendant ce temps, l'Italie de Mussolini se meurt. Le récit s'achève le 8 septembre 1943 avec l'écroulement du régime fasciste. Les adolescents n'en ont pas pour autant terminé avec la guerre. L'un sera envoyé dans les camps de la mort, un autre rejoindra les partisans dans le maquis, un troisième choisira les derniers fidèles du Duce. À douze ans, on apprend à vivre avec ces douleurs-là : « Mes sentiments sont comme des arbres dont l'écorce est enlevée. » déclarera Rosetta Loy au sujet de ce roman.

Le dénominateur commun entre ces différentes œuvres est donc l'enfance passée pendant la guerre, dans une atmosphère baignée de peur marquée par la difficulté de vivre dans un pays fasciste lorsque l'on est soi-même profondément démocrate. Bref, une enfance insouciante qu'elle n'a jamais connue. Natalia Ginzburg, qui fut son éditrice et signa la préface du premier ouvrage écrivait d'elle en 1974, comment, dès son premier roman, elle a su reconstruire «avec un soin amoureux et minutieux, en recueillant les détails infimes et légers ou des noyaux de fruits, la vie d'une famille de la haute bourgeoisie, en Italie, dans les années de la guerre et de l'après-guerre.» Une analyse qui pourrait s'appliquer à toute l'œuvre de Rosetta Loy où, toujours (et à ce titre le dernier roman ne fait pas exception), les tourments personnels viennent se mêler à ceux de l'Histoire.

Pour la collection « Ecrivains, traducteurs d'écrivains » chez Einaudi, elle a également traduit dans sa langue natale Dominique de Fromentin et la Princesse de Clèves de Mme La Fayette.



L'histoire


Dans son dernier roman, Rosetta Loy nous invite à une nouvelle plongée au cœur de la seconde guerre mondiale, de la campagne d'Afrique au massacre de Sant'Anna di Stazzema, l'Oradour sur Glane italien, laquelle plongée se double d'un parcours dans les pas de trois jeunes gens (Giulia, son frère Ludovico et Paolo ami du second et mari de la première) au milieu des ruines d'un pays pas encore affranchi des horreurs du passé.


L'histoire débute en 1941 pour s'achever dans les années Soixante. Au beau milieu il y a la guerre et les bouleversements qu'elle engendre. Notamment au sein d'une famille heureuse jusqu'à ce qu'un jour, un sillon noir ne vienne brutalement séparer à jamais l' « avant » de l' « après ».


Les mésaventures que connaîtront les personnages du roman vont habilement s'imbriquer, s'enchaînant au fil du temps en un mouvement volontairement désordonné qui doit plus aux rythmes de la mémoire qu'à ceux de l'Histoire. Dans le sillage du brave Marcello, l'on passe ainsi des premiers mois de guerre, quand l'atmosphère autour des grands hôtels vénitiens est encore inconsciemment euphorique, aux jours les plus sombres de l'occupation allemande, en passant par les batailles d'Afrique du Nord. Des épisodes tels que ceux du siège de Tobrouk ou de la déroute d'El Alamein nous sont alors racontés de manière fulgurante, en partie grâce à la découverte d'un journal intime inédit.

Puis l'on retourne aux espoirs de l'immédiat après-guerre, espoirs permis à ceux-là qui avaient encore quelque chose en quoi trouver la force d'espérer.

Comme elle le fait dans le temps, la mémoire blessée parcourt également très librement l'espace.

De Venise, où la famille de Giulia, Lucia et Ludovico vit un dernier été d'insouciance, au désert lybien où Marcello, alors jeune militaire, tente de conserver comme une relique un amour tout juste né, en passant par le vacarme des bombes et du massacre des corps, dans la douleur et dans le sang.

Sans oublier la villa familiale de Toscane aux teintes tchékhoviennes réquisitionnée par un Commando de la Wehrmacht, en ces années où les adolescents découvrent qu'ils sont prêts au désir en dépit de la guerre, de la faim et de la peur. Rome enfin, bombardée, occupée puis libérée. Et Sant'Anna di Stazzema en point d'orgue : un nom terrible, décor d'un des plus atroces et des plus insensés massacres nazis.


Rosetta Loy place délibérément l'amour au cœur de son livre où se mêlent en effet amours d'adolescents un peu sots, amours transgressifs, amours passionnels et sans issue, le tout sur fond de tragédie. Une tragédie à peine entrevue tout au long du livre pour mieux éclater au grand jour à la fin, une fois que les existences des différents personnages auront retrouvé un semblant d'ordre. L'ordre apparent des années Soixante et du boum économique.


Et si l'arbre aux souvenirs mentionné dans le titre et inspiré d'un vers de Sylvia germe autour d'un noyau tragique qui semble vouloir aspirer toute chose, la vie, elle, cherche la façon de se retrouver quoi qu'il arrive, soi-même.


Un regard critique

Par bien des aspects, le roman de Rosetta Loy a tout d'un nouveau chef-d'œuvre. Il peut notamment faire penser à Portrait de groupe avec Dame, ouvrage dans lequel Heinrich Böll retrace l'histoire de l'Allemagne sur plusieurs décennies tout en suivant le cours de la vie d'une dame, Leni, et des personnes de son entourage.

Le roman de Rosetta Loy couvre une période beaucoup plus brève de l'histoire italienne et par certains aspects, il peut également s'apparenter à la démarche et au talent littéraire d'une Elsa Morante écrivant La storia. On retrouve en effet dans ce roman comme dans le reste de l'œuvre de Rosetta Loy cette vision d'une Histoire générale qui rentre dans la vie de chacun, sans que personne n'y échappe en ce que la collectivité détermine ce que nous sommes.

Les personnages sont toutefois moins nombreux et l'écriture tellement plus légère chez Rosetta Loy où un voile de mélancolie enveloppe le discours, comme dans un album non point de famille mais de génération. L'évocation et les descriptions de la résidence de Gravello ne sont pas sans rappeler certaines atmosphères à la Tchekhov.

Sur un arrière-plan nostalgique Lucia, Giulia, Marcello, Ludovico, Paolo, Guido rendent bien, chacun à sa façon, cette condition humaine riche d'influences historiques et sociales. Et au creux de ces dernières, entre deux guerres où se côtoient héros et assassins, victimes et bourreaux, alors que tombent des régimes qui se prétendaient immortels, filtrent les destinées individuelles peintes à traits fins et par touches habilement agencées et distillées à distance les unes des autres. Parvenue à échapper, l'âge oblige, à une passion qui ne laissera en revanche aucune chance à sa sœur Lucia, Giulia manœuvre avec bravoure, d'un amour et d'une mode à l'autre. Au pragmatisme de Paolo, qui sait concilier politique et affaires, laissant finalement triompher ces dernières, s'oppose la nonchalance de Ludovico qui intelligemment saura toujours garder ses distances à l'égard d'une réalité ambiguë et polluée. Mais c'est sans aucun doute à Marcello que l'auteur confie le rôle le plus noble. Ce personnage de Marcello occupe, à mon sens, les plus belles pages du livre, celles de la guerre notamment. Une guerre décrite avec rythme et précision, mais surtout avec une rare concision.

Sans nul doute un très grand roman, tendu sur le fil d'une mémoire blessée qui parvient à donner corps aux événements de l'Histoire.





 

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